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Le livre de Jonas et le Jour des Expiations
Magonet, Jonathan
Si le livre de Jonas est connu du juif « moyen », c’est qu’il tient une place très importante dans la liturgie du Jour des Expiations. On le lit au cours de la prière de Minha, dans l’après-midi, au moment où les fidèles commencent à se retrouver à la synagogue pour la clôture de ce grand Jour. Ce qui a mené au choix d’une telle lecture peut se comprendre, entre autres, en lisant les orientations de la Mishna (Taanit 2,1) pour les jours de jeûne :
« Comment se déroulent les jeûnes (en temps de sècheresse) ?
On porte l’Arche sainte sur la voie publique et l’on répand de la cendre sur l’Arche, ainsi que sur la tête du ‘Nassi’ et sur celle du président du ‘Beit Din’, ensuite chacun s’en répand sur la tête. Le plus ancien d’entre eux prononcera un discours pathétique, (par exemple) : ‘Mes frères, il n’est pas dit au sujet des habitants de Ninive que Dieu vit leur sac, et leur jeûne, mais il est dit : Dieu vit par leurs actes qu’ils étaient revenus de leur mauvais chemin (Jon 3, 10). Et i1 est écrit dans les textes prophétiques (Jl 2, 13) : ‘Déchirez vos cœurs, non vos vêtements’ ».
Jeûner, oui…
mais avant tout accomplir Sa volonté
On trouve là affirmé un motif qui se retrouve tout au long de la journée dans le choix des lectures de la Haftara (prophétiques). Le passage d’Isaïe lu le matin insiste sur le fait que seul le jeûne (ou « affliger son âme ») n’est pas ce qui caractérise essentiellement le jour de Kippour, mais plutôt le changement d’attitude et de conduite qu’il comporte :
« Pourquoi jeûnons-nous sans que tu t’en aperçoives ?
Mortifions-nous notre personne sans que tu le remarques ?
- C’est qu’au jour de votre jeûne, vous poursuivez vos intérêts et tyrannisez vos débiteurs...
Mais voici le jeûne que j’aime :
C’est rompre les chaînes de l’injustice,
de dénouer les liens de tous les jougs,
de renvoyer libres ceux qu’on opprime,
de briser enfin toute servitude ;
puis encore de partager ton pain avec l’affamé,
de recueillir dans ta maison les malheureux sans asile ;
quand tu vois un homme nu, de le couvrir,
de ne jamais te dérober à ceux qui sont comme ta propre chair ! » (Is 58, 3-7).
En Jonas, de même, c’est ce point suggéré par le traité Taanit, qui est souligné. Les compilateurs de la Mishna ont bien relevé là un des motifs majeurs du livre de Jonas. Quand les habitants de Ninive entendent les paroles de Jonas : « Encore quarante jours et Ninive sera détruite » (Jon 3, 4), « ils croient en Dieu, ils proclament un jeûne et tous, grands et petits, se vêtent de cilices ». Lorsque la nouvelle en parvient au roi, il se lève de son trône, quitte son manteau, se couvre d’un cilice et s’assied sur la cendre. Et il fait proclamer à son tour dans Ninive que ni homme ni bête, ni gros ni menu bétail ne doivent rien prendre, ni manger de l’herbe ni boire de l’eau ; qu’ils doivent tous, hommes et bêtes, se ceindre de cilices et invoquer Dieu avec force. On a souvent fait remarquer le paradoxe : les habitants de Ninive se ceignent de cilices... et c’est seulement un peu plus tard que le roi leur donne l’ordre de le faire. Peut-être cette répétition inutile reflète-t-elle la fusion de deux traditions différentes. On peut aussi faire remarquer qu’un roi avisé doit tenir compte des mouvements populaires et les suivre. Mais, cette triple mention du cilice (les habitants, le roi, puis le décret) peut avoir un autre but, et indiquer la réponse conventionnelle donnée par les habitants et par les autorités au malheur qui menace. Après avoir respecté les conventions le roi, en quelques mots de conclusion, donne à tous ces actes une nouvelle dimension : on a alors affaire à un acte moral qui transcende la simple abstention machinale de nourriture : « Et que chacun renonce à sa mauvaise conduite et à la rapine qui est dans ses mains » (v. 8). Comme l’indique Taanit, c’est là ce qui entraîne la décision de Dieu de ne pas les détruire : « Dieu, en effet, considérant leur conduite, voyant qu’ils avaient abandonné leur mauvaise voie, revint sur la calamité qu’il leur avait annoncée et n’accomplit pas sa menace » (v. 10).
A ce sujet, le livre de Jonas a pour fonction de bouleverser les idées toutes faites, de mettre en question certaines croyances populaires concernant le Jour des Expiations lui-même. Les implications théologiques de Yom Kippour peuvent n’être que plutôt vagues dans l’esprit du juif moyen se rendant une fois par an à la synagogue ; le jeûne cependant, qu’il soit observé ou consciemment ignoré, n’est pas oublié. Isaïe et Jonas nous rappellent avec force que le jeûne seul ne constitue pas l’essentiel de ce jour.
En fait, le livre de Jonas adopte une attitude sans compromis face à toutes sortes d’actes de piété qui peuvent se substituer à une véritable recherche de Dieu. Lorsque les matelots se trouvent contraints de jeter Jonas par-dessus bord et que la mer se calme, saisis de vénération envers Dieu, ils lui offrent des sacrifices et font des vœux en son honneur. Le Midrash (1) les présente allant à Jérusalem et se convertissant au judaïsme, ce en quoi il ne fait que développer ce qui est nettement suggéré par le récit même de la Bible. Cela indique aussi que le Temple de Jérusalem est bien l’endroit où l’on accomplit les vœux, comme en témoignent les Psaumes (cf. Ps 116, 14) Un tel acte convenait bien de la part des matelots, d’autant plus qu’ils avaient adressé leurs prières au Seigneur Dieu de Jonas.
A la fin de sa « prière » dans le ventre du poisson, Jonas emploie un langage à peu près identique : « Pour moi, c’est en te rendant grâce que je t’offrirai des sacrifices ; j’accomplirai les vœux que j'ai prononcés » (2, 10). Les exégètes mettent en question l’authenticité à l’intérieur du livre de Jonas, du psaume récité par le prophète, mais puisque ce psaume se trouve en fait inséré là, nous devons en tenir compte dans notre interprétation. Quand Dieu doit « une seconde fois », ordonner à Jonas de se rendre à Ninive (3, 1), il ne le fait que parce que Jonas vient d’exprimer, avec toute la ferveur intempestive dont il est capable, son intention d’aller accomplir ses vœux et rendre un culte à Dieu à Jérusalem. A quoi Dieu pourrait bien lui répondre : « Ne m’offre pas ta ferveur, mais accomplis Ma volonté ! »
L’homme peut changer et Dieu peut pardonner
Le thème du repentir des Ninivites ouvre une autre perspective, très importante, pour comprendre le sens du jour de Kippour. L’espérance que l’homme puisse changer, que Dieu puisse pardonner, sous-tend toute la dynamique de ce jour. Si Dieu a pu agréer le repentir de Ninive la païenne, sous le coup de la crainte (un repentir partiel selon les rabbins), combien plus agréera-t-il le véritable repentir d’Israël ! Mais il y a là encore une ambiguïté, comme le reconnaissent les rabbins, en ce qui concerne Israël. Un des motifs de la fuite de Jonas, selon Rashi, est la crainte qu’il a de voir Ninive se repentir. « Si je leur parle et qu’ils se repentent, je vais accuser la culpabilité d’Israël qui n’a pas écouté les paroles des prophètes ».
Si Ninive la païenne peut se repentir, combien plus le devrait Israël et le scandale en est d’autant plus grand qu’il ne le fait pas. Mais à ce motif invoqué par Jonas pour refuser d’aller à Ninive est lié un autre : il sait que Ninive va être l’arme de Dieu qui détruira le royaume du Nord, celui d’Israël, et pour prévenir une telle catastrophe il est prêt à sacrifier sa propre vie en désobéissant à Dieu et en acceptant d’être jeté par-dessus bord. Il ressemble en cela à Moïse et à David qui, tous deux, en des circonstances critiques, offrirent leur propre vie pour le salut d’Israël. Il est difficile d’échapper à l’impression que le récit des actions de Jonas a un but apologétique et qu’il ignore le fait que celui-ci aurait pu simplement se jeter à l’eau, au lieu de compromettre les matelots en se faisant jeter par eux à la mer, mettant ainsi leur vie en danger. Bien plus, ce récit est contraire à l’universalisme de l’auteur dont l’attitude semble plus ouverte envers Ninive. Notons cependant que si les matelots reconnaissent ouvertement le Dieu d’Israël, les Ninivites, en la personne de leur roi, ne vont guère aussi loin. Certains commentateurs, suivant les tendances plus universalistes en vogue au 19e siècle, ont pu affirmer le point de vue de l’auteur contre celui des rabbins ; mais du fait des tragédies vécues au 20e siècle, les juifs éprouvent actuellement une méfiance plus forte à l’égard du monde extérieur. Ainsi, selon la manière dont les juifs interprètent le livre de Jonas, on peut savoir à chaque époque dans quelle mesure ils se sentent à l’aise, vraiment « chez eux » dans le milieu ambiant.
Ninive et les offices de Kippour
L’évocation de Ninive, au jour de Kippour, peut s’expliquer encore d’une autre manière, même si cela est moins souvent noté. Il y a ce jour-là cinq offices religieux. Si on considère leur structure d’ensemble, les deux premiers, l’office du soir (Kol Nidré) et celui du matin introduisent au moment central de ce jour, l’Avodah, qui est récit et représentation des actes rituels accomplis par le grand-prêtre au Temple en ce shabbat des shabbats. C’est dans l’acte dramatique des cinq confessions du grand-prêtre : en son nom et celui de sa famille, au nom des prêtres et au nom d’Israël, et dans la mise à part des deux boucs dont l’un sera offert en sacrifice à Dieu comme offrande pour le péché et l’autre chassé dans le désert où il emportera symboliquement les péchés d’Israël, que nous trouvons l’essentiel, le mystère de ce jour : la puissance purificatrice de la confession et l’empressement de Dieu à décharger l’homme du fardeau de sa culpabilité, à le purifier d’année en année. Même si elle est exprimée en un langage symbolique que nous ne pouvons saisir que partiellement, nous trouvons dans cet office l’affirmation essentielle de ce que signifie l’existence d’Israël et, bien sûr, de chaque juif individuellement.
Après cela, le jour approche de sa fin et, à l’office de l’après-midi, l’image de Ninive vient évoquer le monde extérieur vers lequel, quittant ce sanctuaire intérieur, il nous faudra retourner. Les sentiments ambigus de Jonas devant Ninive, son refus d’y prêcher, sa crainte de la voir pardonnée, ne sont plus le message de l’auteur à ses concitoyens de l’époque (quelle qu’elle soit) où le livre a été composé ; ils viennent aussi interpeller l’Israël contemporain, non moins incertain que ses prédécesseurs sur l’attitude à adopter envers les cités de son exil. Car Ninive, c’est Rome détruisant le Second Temple, ce sont les pays d’Europe perpétrant les massacres des Croisades, les villes espagnoles de l’Inquisition, les régions d’Europe Orientale où se déroulèrent les pogroms, Berlin sous le Troisième Reich. C’est à tous ces Ninivites qu’est envoyé Jonas pour découvrir, par-delà « la violence en leurs mains », des créatures humaines au bord du repentir, n’attendant que la Parole. Mais Ninive n’est pas toujours aussi dramatique. Elle se trouve partout où Jonas ne veut aller, parce que son expérience de Dieu est trop étroite, sa compassion trop rechignante, sa piété trop commode et facile.
Au moment où le jour approche de sa fin et où les « Portes » commencent à se fermer (à l’office de Neilah), Jonas nous force à considérer le monde vers lequel, purifiés, nous devons retourner, avec les mille tâches et responsabilités qui nous attendent.
Paradoxe du livre de Jonas et identité juive
C’est notre propre identité juive et celle du prophète récalcitrant, qui nous fait trouver encore une autre signification à la lecture de ce livre en un tel jour. Le caractère paradoxal du récit est peut-être surtout marqué dans la personnalité de Jonas lui-même : jamais, dans ce livre, il n’est qualifié de prophète, même si son rôle et l’identification présumée du personnage avec le Jonas ben Amitaï de 2R 14, 25 impliquent qu’il le soit. En tant que prophète, il ne fait que pousser à l’extrême l’attitude manifestée souvent par d’autres prophètes (tels Moïse, Isaïe Jérémie) refusant de répondre à leur vocation ou tentant même, comme ce fut le cas de Balaam, de l’adapter à leurs propres vues. Jonas échappe à sa mission et quand il se trouve finalement face au dénouement, il se plaint amèrement, hurlant même à la face de Dieu les deux versets connus et vénérés qui énumèrent les attributs de l’amour divin et de Sa miséricorde (4, 2-3).
Si l’on cherche à quelle figure biblique comparer Jonas, la plus évidente serait la personnalité collective des Enfants d’Israël cheminant dans le désert, un peuple à la nuque raide, plein de reconnaissance un instant pour sa libération de l’Egypte, mettant alors sa foi en Dieu, mais se plaignant amèrement peu après du fait des difficultés ou de la peur, et aspirant à retrouver les sécurités de l’esclavage. En fait, nous voyons très nettement que l’auteur avait à l’esprit une telle comparaison. Quand Israël se trouve face à la Mer Rouge, avec l’armée de Pharaon le talonnant par derrière, il se tourne contre Moïse en disant :
« N’est-ce pas ainsi que nous te parlions en Egypte, disant : ‘Laisse-nous servir les Egyptiens’ ? De fait, mieux valait pour nous être esclaves des Egyptiens que de périr dans le désert » (Ex 4, 12).
Et Jonas de même, comme en écho, exhale sa longue plainte vers Dieu :
« N’est-ce pas là ce que je disais étant encore dans mon pays ? Aussi m’étais-je empressé de fuir à Tarsis. Car je savais que tu es un Dieu clément et miséricordieux, plein de longanimité et de bienveillance, prompt à revenir sur les menaces. Et maintenant, ô Eternel, de grâce, ôte-moi la vie ; car la mort pour moi est préférable à la vie » (Jon 4, 2-3).
Jonas, dans son désir de rester au pays et de ne pas affronter Ninive, avec les risques que cela comporte, est comme ces Israélites qui voudraient rester en Egypte plutôt que d’affronter les risques de la liberté.
L’ironie de ce récit est, pour une part, qu’il y est clairement indiqué que la patience de Dieu (lent à la colère) ainsi que Sa miséricorde s’exercent davantage en faveur du prophète récalcitrant qu’envers Ninive la malfaisante. Tout comme l’intérêt du livre se concentre d’abord sur le monde extérieur (matelots, chap. 1, Ninive, chap. 2) puis sur le personnage même de Jonas (chap. 2, 4), ainsi au jour de Kippour c’est au caractère de Jonas, le prophète récalcitrant aux appels de Dieu, que se trouve confronté le juif à la synagogue, déconcerté lui-même devant les exigences, les espérances et le sens même de son identité juive si complexe.
Notre tendance naturelle étant de nous identifier avec le héros du récit, le fait que l’auteur vienne continuellement tromper nos attentes en donnant tort à Jonas permet d’agir aussi sur le lecteur, de renverser son attente, ses présomptions, ses préjugés et tous les faux-fuyants. C’est donc le signe d’une grande maîtrise de la part de l’auteur de terminer son livre par un point d'interrogation, au moment même où Dieu met Jonas face à l’immensité de Sa miséricorde et l’étroitesse de son intelligence à lui et qu’il attend sa réponse. La question est alors aussi bien posée au lecteur qu’à Jonas, sans que nous puissions savoir quelle sera la réponse. Tel est, en effet, le risque qu’a pris Dieu dans ses relations avec l’humanité, selon une lecture biblique de l’histoire. Ayant mangé le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, l’homme a la liberté de choisir pour ou contre Dieu ; et Dieu doit persuader, menacer, interpeller, commander, inviter et même supplier, dans l’espoir de voir revenir à Lui ses créatures, spontanément et dans l’amour.
La question finale...
Respect de Dieu et respect de l’homme
Dans le récit biblique Jonas ne donne pas de réponse, et c’est normal selon la logique du livre, mais certaines traditions religieuses ont ressenti le besoin de compléter l’œuvre par quelques affirmations rassurantes. Dans le Midrash déjà, une réponse est proposée pour Jonas. Devant la question posée par Dieu, on voit un Jonas repentant et en larmes tomber face contre terre et s’écrier :
« Guide ton monde selon ton attribut de miséricorde, comme il est dit : ‘Au Seigneur appartiennent la clémence et le pardon.’ » (Dn 9, 9).
De façon similaire, les rabbins ont composé une prière que Jonas est supposé réciter dans le ventre du poisson, prière plus satisfaisante à leurs yeux que le « psaume » qu’il récite et où il ne manifeste aucun repentir :
« Seigneur des mondes : Où me retirerai-je devant ton Esprit ? Où chercherais-je un refuge pour me dérober à ta face ? Si j’escalade les cieux... (Ps 139, 7-8). Tu règnes sur tous les royaumes et tu domines tous les princes du monde ; Ton trône est dans les cieux des cieux et la terre est ton marchepied ; Ton royaume est dans les hauteurs et tu règnes dans les profondeurs. Les œuvres de toute créature sont dévoilées devant toi et les secrets de chacun, tu les connais ; Tu scrutes les voies de chacun et examines la conduite de tous les vivants ; Tu connais le secret de nos émotions (litt. reins) et tu saisis les pensées cachées de nos cœurs ; tous les mystères te sont révélés, rien n’est caché devant le trône de ta gloire et rien n’échappe à tes yeux ; Tu enregistres tout secret et tiens compte de chaque mot. Tu te trouves en tout lieu ; Tes yeux scrutent le mal et le bien.
Qu’il te plaise de me répondre quand je suis au fond du Shéol, et sauve-moi des abîmes ; que mon cri vienne à tes oreilles, exauce ma prière, car tu demeures au loin et ton oreille est toute proche. Toi qu’on appelle ‘Celui qui élève et qui abaisse’, élève-moi, je t’en prie. On t’appelle ‘Celui qui fait mourir et qui fait vivre’, fais-moi vivre car j’ai touché à la mort ».
C’est le scandale causé par l’obstination de Jonas qui est à l’origine de telles réponses, de ce désir de ré-affirmer que le prophète obéira.
Le Midrash, lui, est plus courageux et, même s’il est critique envers Jonas, i1 reconnaît une tension légitime entre le respect dû à l’homme et celui qui est dû à Dieu :
« Il y a eu trois prophètes : l’un a défendu l’honneur du père (Dieu) et celui du fils (Israël), l’autre a défendu l’honneur du père plutôt que celui du fils ; et le troisième a défendu l’honneur du fils plutôt que celui du père. Jérémie a défendu l’honneur du père en même temps que celui du fils, comme il est écrit (Lm 3, 42) : ‘Nous, nous avons failli, et désobéi ; Toi, tu n’as point pardonné...’ EIie a défendu l’honneur du père plutôt que celui du fils, comme il est écrit (1R l9, 14) : ‘J’ai fait éclater mon zèle pour toi, Seigneur Sabaot parce que les enfants d’Israël ont répudié ton alliance, renversé tes autels, fait périr tes prophètes par le glaive...’ Jonas a défendu l’honneur du fils plutôt que celui du père, comme il est dit (Jon 3, 1) : ‘La parole de l’Eternel fut adressée une seconde fois à Jonas’ » (Mechilta Bo).
Cependant, le fait d’avoir inséré Jonas dans le cadre de Yom Kippour pourrait bien avoir légèrement changé la nature de la question finale et de la réponse qui n’est pas donnée. Ce qui est en jeu en effet en ce jour, c’est l’avenir de tout Israël : la nation collective passe ce jour-là en jugement, personnifiée par le prophète, mais sans dépendre du choix d’un seul homme. Quand les Israélites se trouvent face à Dieu en ce jour, ils sont conscients des mérites de leurs Pères sur lesquels ils s’appuient, des promesses d’alliance faites à l’ensemble du peuple et de la tâche millénaire qui est la leur et les appelle à agir en fidèles « serviteurs du Seigneur » en tout lieu et en tout temps, dans leur pays ou en exil, dans la souffrance ou dans la joie. Ainsi, même si le livre est très habile et provoque la réflexion ce n’est pas Jonas qui y a le dernier mot, car ce n’est pas le « ego » d’un simple mortel qui détermine le sort d’Israël en un tel jour, mais la seule miséricorde de Dieu - et telle est bien la leçon qu’un Jonas récalcitrant peut apprendre après tout. C’est pourquoi, à la question finale posée par Dieu à Jonas nous trouvons une réponse sous forme de prière dans la seconde lecture, la Haftara, tirée du livre de Michée :
« Quel Dieu t’égale, Seigneur,
Toi qui pardonnes les iniquités,
qui fais grâce aux offenses commises
par les débris de ton héritage ?
Toi qui ne gardes pas à jamais ta colère,
Parce que tu te complais dans la bienveillance,
oui, tu nous reprendras en pitié,
tu étoufferas nos iniquités,
tu plongeras tous nos péchés
dans les profondeurs de la mer.
Tu témoigneras à Jacob ta fidélité,
à Abraham la bienveillance
que tu as jurée à nos Pères
dès les premiers âges » (Mi 7, 18-20).
Jonas se termine par une question et le jour du Pardon par une claire affirmation. Ainsi disait mon maître, Rev Shmuel Sperber : « La religion apporte des réponses sans écarter la question... une question peut contenir une vérité religieuse importante ». C’est Jonas, dont la réponse reste toujours hypothétique, qui affirme notre liberté et, en même temps, nous force à reconnaître, non sans désagrément, nos propres erreurs. Aussi est-il finalement pour nous un admirable compagnon au jour du Grand Pardon, tandis que nous naviguons sur une mer orageuse entre Ninive et Tarsis, attendant notre propre rencontre avec la gueule du grand poisson.
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* Le rabbin Jonathan Magonet est professeur au Collège Leo Baeck de Londres. Il a écrit sa Thèse de Doctorat sur le livre de Jonas intitulée : « Form and Meaning ; Studies in Literary Techniques in the Book of Jonah » (Almond Press, Sheffield, Engl.).
Cet article a paru dans Sidic Vol. XVIII, n 1 (1985).
1. Sauf mention particulière, toutes les références midrashiques sont tirées du Yalkout Shim’oni sur Jonas.