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Benoît XVI à Auschwitz: "Je suis ici comme successeur de Jean Paul II et comme fils de la nation allemande"
Benoît XVI, Pape (Ratzinger, Jospeh) 1927-
Polonia (2006/05/29)
Parler dans ce lieu d'horreur et de crimes accumulés contre Dieu et contre l'homme, crimes sans équivalence dans l'Histoire, est une chose presque impossible et difficile - particulièrement difficile et oppressante pour un chrétien, pour un pape qui vient de l'Allemagne. Dans un lieu comme celui-ci, les mots manquent, et dans un silence effrayant, le cœur crie à Dieu : Seigneur, pourquoi es-tu resté silenceux ? Pourquoi as-tu permis cela ? Dans ce silence, nous nous inclinons devant la foule immense de ceux qui ont souffert dans cet endroit et ont été tués. Ce silence est néanmoins un cri fort pour le pardon et pour la réconciliation, un cri au Dieu vivant, pour qu'il ne le permette plus jamais une telle chose.
Il y a vingt-sept ans, le 7 juin 1979, Jean Paul II était ici. Il avait alors dit : "Je viens ici en tant que pèlerin. On sait que je suis venu de très nombreuses fois ici. Plusieurs fois, je suis descendu dans la cellule de la mort de Maximilien Kolbe, maintes fois, je m'agenouillais auprès du mur de l'extermination, et je suis passé parmi les fours crématoire de Birkenau en ruine. Je ne pouvais pas venir ici comme pape ". Le pape Jean Paul II est venu ici comme fils de ce peuple qui, à côté du peuple juif, a souffert le plus dans ce lieu et, en général, pendant la guerre. "Il ya six millions de Polonais qui ont péri pendant la dernière guerre : un cinquième de la population", avait rappelé alors le pape. Ensuite il a adressé au monde entier un appel pour le respect des droits de l'homme et des nations, que d'abord avaient déjà lancé ses prédécesseurs, Jean XXIII et Paul VI. Il avait ajouté : "Ces mots sont prononcés par le fils du peuple qui a subi dans son histoire plus ou moins récente des souffrances de différentes sortes. Et je ne le dis pas pour accuser qui que ce soit. Je le dis pour rappeler que je parle au nom de toutes les nations, dont les droits sont méconnus et violés ".
Jean Paul II est venu ici en tant que fils du peuple polonais. Je viens ici en tant que fils du peuple allemand et, pour cela, je peux et je dois répéter : je ne pouvais pas ne pas venir ici. Je devais venir. C'était et c'est un devoir vis-à-vis de la vérité, vis-vis des droits de ceux qui ont souffert ici, un devoir vis-à-vis de Dieu : je suis ici comme successeur de Jean Paul II et comme fils de la nation allemande, fils de ce peuple sur lequel un groupe de criminels a pris le pouvoir par de fausses promesses de grandeur, de restitution de l'honneur à la nation, en offrant des perspectives de bien-être, mais en utilisant la terreur et l'intimidation, en se servant de la nation comme d'un outil de sa volonté de destruction, de domination. Oui, je ne pouvais pas ne pas venir ici.
Le 7 juin 1979, comme archevêque de Munich, j'étais aussi parmi beaucoup d'autres évêques qui avaint accompagné Jean Paul II, l'ont écouté et ont prié avec lui. En 1981, je suis revenu encore une fois dans ce lieu du crime avec une délégation d'évêques allemands, bouleversé par la dimension du mal et reconnaissant que, au dessus de tous ces ténèbres, une étoile de la réconciliation s'est allumée. Et c'est pour cela aussi que je suis ici aujourd'hui : pour prier la grâce de la réconciliation – pour prier en premier lieu Dieu, parce que c est lui seulement qui peut ouvrir et purifier le coeur humain ; mais aussi pour tous les hommes qui ont souffert ici. Je prie pour le don de la réconciliation pour tous ceux qui, dans cette heure de notre histoire, souffrent toujours sous la domination de la haine et de la violence née de la haine.
Que de questions naissent de ce lieu ! Toujours revient la question : où était Dieu en ces jours ? Pourquoi s'est-il tu ? Comment a t-il pu permettre cet immense destruction, ce triomphe du mal ? [Ici le pape cite le Psaume 44 de la Bible : versets 20-23-27 ndlr] Ce cri d'angoisse que d'Israël souffrant adresse à Dieu à l'heure de l'extrême détresse est en même temps un appel à l'aide de tous les hommes qui dans l'histoire, hier, aujourd'hui et demain, paient de leur souffrance l'amour de Dieu, de la vérité et du bien. Et ils sont nombreux aujourd'hui aussi. Nous ne pouvons pas vraiment comprendre le mystère de Dieu. Nous n'en voyons que des fragments et nous commettrions une erreur si nous nous faisions les juges de Dieu et de l'histoire. Ainsi, nous ne défendrions pas l'homme, au contraire nous contribuerions à sa destruction.
Non, en définitive, nous devrions rester avec l'humble et et persévérant cri adressé à Dieu : réveille-toi. N'oublie pas l'homme que tu as créé ! Notre cri à Dieu devrait en même temps traverser et changer nos cœurs pour réveiller la présence de Dieu cachée en nous, afin que sa force, qui a été déposée dans nos cœurs, ne soit pas étouffée et enterrée en nous par la boue de l'égoïsme, de la peur vis-à-vis des autres, par l'indifférence et l'opportunisme. Élevons ce cri vers Dieu, dirigeons-le aussi dans nos coeurs précisément aujourd'hui, alors que paraissent de nouvelles menaces, que dans le coeur des hommes, les forces des ténèbres semblent dominer de nouveau : d'un côté, l'abus du nom de Dieu pour justifier la violence aveugle vis-à-vis de personnes innocentes ; de l'autre le cynisme qui n'estime pas Dieu et qui se moque de la foi en lui.
Nous appelons Dieu pour qu'il aide les hommes à comprendre que la violence ne bâtit pas la paix, mais ne fait naître que d'autres violences, que la destruction croissante qui fait qu'en fin de compte tout le monde est perdant. Dieu, en qui nous croyons, est un Dieu de la raison, mais d'une raison qui n'est sûrement pas une mathématique neutre de l'univers, mais fait corps avec l'amour et le bien. Nous demandons à Dieu et nous crions aux hommes que cette raison – la raison de l'amour, de l'affirmation de la force de la réconciliation et de la paix – doit prévaloir sur l'irrationnel, sur la raison fausse, détachée de Dieu.
Nous sommes ici dans le lieu de la mémoire, qui est aussi le lieu de la Shoah. Le temps passé n'est pas seulement le passé. D'une certaine manière, il nous touche tous. Il montre le chemin qu'il ne faut pas prendre et la voie qu'il nous faut prendre. Comme Jean Paul II, je suis passé devant les stèles qui, dans plusieurs langues, font mémoire de tous ceux qui ont été tués : biélorusse, tchèque, allemande, français, grecque, hébreu, croate, italienne, yiddish, hongroise, néerlandaise, norvégienne, polonaise, russe, tzigane, roumaine, slovaque, serbe, ukrainienne, judéo-espagnole et anglaise. Toutes ces stèles commémoratives parlent de la souffrance humaine, montrent le cynisme d'un pouvoir qui traitait les gens comme des objets, ne distinguant jamais en elles l'image de Dieu.
Il faut se rappeler certaines de ces stèles d'une façon plus particulière. D'abord, l'inscription en hébreu. Les puissants du troisième Reich ont voulu écraser le peuple de Dieu dans sa totalité, l'éliminer du rang des nations de la terre. Les paroles du psaume : "Nous sommes mis à mort, traités comme des brebis conduites pour être égorgés" se sont accomplies d'une manière terrible. En réalité, ces criminels impitoyables, en anéantissant ce peuple, ont voulu tuer ce Dieu qui a appelé Abaham et qui, parlant à Moïse sur le mont Sinaï, a établi les commandements principaux de toute action humaine, valables pour l'éternité. Puisque ce peuple, par le simple fait de son existence, était un témoignage du Dieu qui parla à l'homme et le prit sous sa protection, alors il fallait faire mourir ce Dieu pour que tout le pouvoir reste dans les mains des hommes – de ceux qui se considéraient comme forts et voulaient dominer le monde. En détruisant Israël, ils ont en réalité voulu arracher les racines de la foi chrétienne et les remplacer par la foi créée par eux-mêmes, la foi dans la domination de l'homme fort. Il y a aussi une plaque gravée dans la langue polonaise. On a d'abord essayé d'éliminer l'intelligentsia, avant d'anéantir la nation comme sujet historique indépendant pour la mettre au niveau des esclaves.
Une réflexion particulière s'impose aussi pour la langue des Cintis et des Tziganes. Ce peuple errant parmi d'autres nations fut aussi condamné à l'anéantissement. Lui aussi était compté au nombre des éléments inutiles de l'histoire universelle selon une idéologie qui ne retenait que le profit comptable et écartait toute vie indigne d'être vécue, considérée comme vie sans valeur lebensunwerten Leben. Puis la langue russe de la stèle commémorant le grand nombre de soldats russes qui ont péri sous le régime nazi. Parallèlement, naît ici une réflexion sur le tragique de leur mission : en libérant leur nation de la dictature, ils devaient servir une nouvelle dictature – la dictature de Staline – et l idéologie communiste qui s'imposa à ces nations sans pouvoir.
Toutes les autres stèles disent la diversité des souffrances humaines sur l'ensemble du continent. Nos cœurs seraient encore plus bouleversés si on avait rappelé à notre mémoire non pas des victimes massivement rassemblés, mais les visages des personnes qui ont péri dans les ténèbres de cette terreur. J'ai ressenti surtout le besoin de m'arrêter devant la stèle de langue allemand. Ici s'offre à mes yeux le visage d'Edith Stein, soeur Thérèse Bénédicte de la Sainte Croix, juive et allemande, qui, avec sa sœur, a perdu la vie dans les ténèbres qui recouvaient ce camp de concentration. Comme chrétienne et comme juive, elle était d'accord pour mourir avec son peuple et pour lui. Les Allemands qui ont été déportés à Auschwitz-Birkenau et ont été assassinés étaient considérés comme le lie de l humanité (Abschaum der Nation).
Aujourd'hui, on se souvient d'eux avec gratitude comme témoins de la vérité et du bien qui a survécu dans notre nation. Nous les remercions parce qu'ils ne se sont pas soumis au pouvoir du mal et aujourd'hui, ils sont comme la lumière dans les ténèbres de la nuit. Avec un profond respect, nous nous inclinons devant tous ceux qui, comme ces trois jeunes sous la menace de la mort dans les crématoires, ont répondu : "Notre Dieu seul peut nous sauver. Mais même s'il nous avait sauvé, sache, Oh roi, que nous n'allons pas vénérer ton Dieu et nous incliner devant le veau d'or que tu as élevé ".
Oui, ces stèles commémorent la destinée d'une foule innombrable de personnes. Ces personnes bouleversent notre mémoire, notre cœur. Elles ne veulent pas provoquer la haine chez nous, mais montrer combien l'œuvre de la haine est atroce. Elles disent que la raison doit prendre le mal pour le mal et le rejeter. Elles veulent réveiller en nous le courage du bien et la résistance au mal. Elles veulent faire naître les sentiments qu'expriment les paroles mises par Sophocle dans la bouche d'Antigone : "Je ne suis pas ici pour haïr ensemble, mais pour aimer ensemble".
Que Dieu soit remercié ! La purification de le mémoire à laquelle nous appelle ce lieu fait naître aussi beaucoup d'initiatives qui ont pour but de s'opposer au mal et contribuer à la naissance du bien. Il y a un instant, j'ai pu bénir le centre de dialogue et de prières. Dans son voisinage, des soeurs carmélites mènent une vie cachée qui exprime, d'une façon particulière l'union au mystère de la Croix et rappellent que notre foi annonce un Dieu descendu dans l'enfer de la souffrance humaine et souffrant encore avec nous. A Auschwitz, se trouvent aussi le centre franciscain de Saint Maximilien Kolbe, le centre international d'éducation sur l'Holocauste, un centre de rencontre de jeunes, un centre juif. Nous pouvons donc avoir l'espoir que, dans ce lieu de l'horreur, va se créer, s'élever et mûrir une réflexion constructive et que la mémoire du passé va aider à la lutte contre le mal et faire que l'amour triomphe."
(Traduction assurée par Henri Tincq)