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Israël et les nations dans la tradition post-talmudique
K. Hruby
A l'époque post-talmudique, donc à partir du 6ème/7ème siècle, le cadre concret où se posera en permanence le problème des relations entre Israël et les nations, sera pratiquement, d'une part, la société chrétienne et, d'autre part, la société musulmane, la grande majorité des communautés juives étant effectivement implantées dans des pays où prédomine, ou bien le christianisme, ou bien l'Islam.
Dans un premier temps, nous nous proposons donc d'examiner les rapports de principe entre le judaïsme et les deux systèmes religieux — et politiques — qu'il doit affronter en permanence. Dans un second temps, nous analyserons brièvement l'attitude concrète qui en résulte dans la vie quotidienne.
JUDAISME FACE AU CHRISTIANISME.
Force nous est de passer sous silence ici l'ensemble du contentieux judéo-chrétien ancien, et son évolution pendant les premiers siècles de l’ère. chrétienne. Le christianisme que le judaïsme affronter à l'époque post-talmudique n'est celui des origines chrétiennes. Il est marqué, l'égard du judaïsme et des juifs, par l'attitude presque exclusivement polémique et violemment 'juive qui fut celle de la plupart des Pères de l’Eglise, dont beaucoup ont excellé dans le ente littéraire « Adversus Judaeos ».
Dans cette perspective, qui est celle de la théorie de substitution », le christianisme, en tant que « nouvel Israël », a pris définitivement place de l'« ancien Israël », qui désormais n'a aucune signification religieuse, sinon celle témoignage purement négatif en faveur de la verité chrétienne.
Par leur refus d'admettre la situation ainsi (et, et d'en tirer la seule conséquence possible, c'est-à-dire d'embrasser à leur tour le christianisme, les juifs, déjà collectivement responsable de la mort de Jésus, se sont rendus coupables, en plus, d'une obstination, d'un endurcissement et d'un aveuglement impardonnables. Ils sont devenus « les ennemis-nés du Christ et de son Eglise », comme le dit par exemple Jean Chrysostome.
C'est cette idéologique que la société chrétienne applique également dans la vie courante, quand il s'agit pour elle de réglementer l'existence des juifs vivant dans son sein. D'une minorité périodiquement persécutée, les chrétiens étaient devenus rapidement, à partir de l'édit de Milan (en 313), le facteur dominant dans l'empire romain. A partir de ce moment, c'en est fait d'une législation accordant aux juifs une très grande liberté de pratique religieuse et d'organisation communautaire. Nous entrons dans une phase où les restrictions à leur égard se multiplient sans arrêt, toujours sous l'influence et sous la pression des autorités ecclésiastiques.
LE CHRISTIANISME ET LES CHRETIENS DANS LE JUGEMENT DU JUDAISME.
Initialement, la controverse judéo-chrétienne est un problème interne au judaïsme: est-ce qu'on peut adhérer à l'enseignement de Jésus tout en restant au sein de la communauté juive? L'enseignement de Jésus, en l'occurrence, c'est évidemment le kérygme de l'Eglise, avec son christocentrisme très fortement accentué.
Très tôt, probablement déjà vers l'année 80 de l'ère chrétienne, les chefs religieux du judaïsme tranchent la question dans le sens négatif, et c'est donc la scission définitive entre les deux communautés, juive et chrétienne.
La littérature rabbinique, jugeant évidemment les choses en fonction de toute une évolution intervenue entre temps, et dont on attribue la responsabilité à la personne de Jésus, lui reproche principalement d'avoir causé l'apostasie de nombreux juifs et de les avoir entraînés à commettre des actes idolâtriques. Aux yeux du judaïsme, les chrétiens, en déclarant Jésus Fils de Dieu, se rendent effectivement coupables de shittell, d'association à Dieu d'autres puissances, et portent ainsi ombrage au principe fondamental du judaïsme, qui est l'unicité de Dieu. Ils deviennent ainsi kofrei baiiqqar, « contestataires du principe fondamental (du judaïsme) ».
Par ailleurs, les chrétiens prétendent également que Jésus est venu « accomplir la Loi » et considèrent comme désormais caduque et définitivement périmée une grande partie de la législation mosaïque. Or, aux yeux du judaïsme, la Loi de Moïse est une berit 'olam, une « alliance éternelle », à jamais valable et qui n'est susceptible d'aucune modification.
De cette manière, il est clair qu'un juif qui confesserait les doctrines chrétiennes serait kofèr ba-'iqqar, deviendrait par le fait même un poshé'a Yisraël, un apostat et, par la participation au culte chrétien, se rendrait coupable d'idolâtrie. C'est là, bien entendu, un jugement subjectif, intérieur au judaïsme, et qui concerne exclusivement le juif devenu chrétien.
Cependant, les choses se présentent très différemment quand il s'agit de pagano-chrétiens. Est-ce qu'un païen devenu chrétien doit être considéré comme un idolâtre, le christianisme étant assimilé, du point de vue de la loi religieuse juive, à l'idolâtrie?
Il faut reconnaître que la réponse à cette question est complexe. Le jugement porté en ce domaine par les autorités juives a varié au cours des siècles et à été fortement influencé par l'attitude concrète des chrétiens dans leurs rapports avec les juifs.
La loi talmudique, nous l'avons souligné, demande uniquement au non juif de respecter les Sept commandements noachiques, dont l'un ordonne l'abstention positive de tout acte d'idolâtrie, sans pourtant lui imposer la confession d'un monothéisme formel et strict à la manière juive. A ce prix, le non juif est considéré comme gèr toshav, comme un étranger ayant droit de cité, et assimilé juridiquement au juif. Si donc le christianisme est une 'avodah zarah, un culte idolâtrique, pour un juif, il n'en est pas du tout ainsi pour un non juif. Le litige avec les chrétiens dans la tradition rabbinique ancienne concerne exclusivement les judéo-chrétiens. C'est donc un litige au seul niveau du judaïsme, qui ne touche en rien des non juifs, comme le dit d'ailleurs en toutes lettres le Talmud 13b): « Il n'existe pas de minim hérétiques) parmi les non juifs ».
Pour ce qui est de la doctrine chrétienne, on s'accorde donc facilement à reconnaître qu'elle est un shittiif quant à sa manière de concevoir la nature de Dieu; que le païen embrassant le christianisme est libre en ce domaine et que, pour lui et de son point de vue, le christianisme n'est certes pas une idolâtrie. De même, l'abandon par les chrétiens d'une notable partie de la législation mosaïque n'intéresse que les judéo-chrétiens. Les non juifs n'étant pas tenus à observer la Loi, il faut rendre hommage au christianisme de leur en communiquer au moins la connaissance, et de considérer la Torah comme une révélation divine authentique.
Dans la vie concrète de l'Eglise, les choses se présentent différemment. On observe que les églises chrétiennes se remplissent d'images et, plus tard en occident, de statues. La croix se place au centre de la vénération des fidèles, on en vient à pratiquer le culte des reliques, toutes choses en contradiction formelle avec cette partie de la Torah que les chrétiens eux-mêmes prétendaient honorer et observer. N'était-ce pas là un retour pur et simple aux to'avot kena'an, aux « abominations de Canaan », aux pratiques idolâtriques formellement réprimées par la Bible? N'était-ce pas une 'irbeivya, un mélange et une confusion inextricables entre doctrines bibliques et pratiques païennes? Du point de vue cultuel, ne fallait-il pas considérer les chrétiens comme des idolâtres car manifestement ils adoraient des idoles dans leurs églises? Le judaïsme est une religion beaucoup trop concrète pour admettre sur ce plan les subtiles distinctions de la théologie chrétienne. Il observe les faits et les juge en conséquence. Dans ce domaine, une apprèciation plus positive du christianisme sera plus longue, à s'imposer que sur le plan purement doctrinal.
LE JUDAISME FACE A L'ISLAM.
Comme le christianisme, l'Islam est une religion à aspiration universelle, s'adressant à tout homme pour lui enseigner la soumission —« Islam » — à la volonté du Dieu unique qui, par son envoyé (rassûl), a restauré la révélation primitive universelle, et ainsi la religion pratiquée jadis par Abraham, « le père des croyants ».
Contrairement au christianisme, l'essor de n'est • as lié, dans ses origines, à une querelle doctrinale au sein de la communauté juive. Sous ce rapport, il est, dès le début, un phénomène étranger. Certes, Mahomet espère également gagner les juifs à la religion dont il se dit le prophète.
Dans son attitude à l'égard des juifs, on distingue d'ailleurs nettement deux phases extrêmement dissemblables (sept siècles plus tard, le renie phénomène se reproduira dans le cas de Luther): dans une première phase, mecquoise, Mahomet multiplie les marques de bienveillance à leur égard et introduit dans la religion qu'il prêche de nombreux éléments empruntés au jutitisme. Dans une seconde phase, médinoise, il se Montre très déçu du fait que les juifs restent sur 'mirs positions; il rétracte alors ces mesures et se montre plutôt dur et haineux envers eux. Plus tard, les juristes musulmans auront beaucoup de Mal à concilier deux attitudes tellement différentes.
Contrairement au christianisme, l'Islam n'entend pas prendre purement et simplement la relève du judaïsme. Certes, lui aussi invitera les juifs à embrasser la religion de son prophète, mais il reconnaît néanmoins que, et les juifs, et les chrétiens, sont en possession d'une révélation divine authentique, qui fait d'eux ahl al-kitab, « les gens du livre », leur assurant d'ailleurs un statut de « dhimmi », de « protégés », au sein de l'amma, de la société musulmane.
Les juifs, bien entendu, rejettant la prétention musulmane qui voudra qu'eux aussi soient concernés par le message du Coran. Mais ceci dit, le judaïsme est prêt à reconnaître à Mahomet une mission auprès de son peuple: de toute évidence, l'Islam, contrairement au christianisme, sauvegarde intégralement l'élément fondamental de la Torah qui est la confession du Dieu unique.
Sur ce plan, il est irréprochable, et jamais on n'a songé à le considérer comme une idolâtrie. Vu sous cet angle, l'Islam apparaît de loin supérieur au christianisme, qui, dans la perspective juive, vénère trois puissances divines et admet qu'on rende un culte aux images.
Par ailleurs, l'Islam, par de nombreux éléments, reste très proche du judaïsme dont il s'inspire manifestement dans une très large mesure. Ainsi le judaïsme se reconnaît-il plus facilement dans l'Islam que dans le christianisme que son évolution a presque isolé de ses sources juives.
Certes, les principes islamiques de tolérance à l'égard des juifs — et des chrétiens — ne seront pas toujours appliqués au cours de l'histoire, et on connaîtra aussi en terre d'Islam de sanglantes persécutions. Néanmoins celles-ci resteront le plus souvent des phénomènes isolés. Au cours d'époques assez longues, par contre, une symbiose fructueuse s'établira entre juifs et musulmans sur les plans intellectuel et culturel. Très vite, les juifs adopteront l'arabe comme langue d'expression courante, s'initieront à la philosophie de l'antiquité grâce aux traductions arabes des oeuvres des grands philosophes grecs et feront également leurs les méthodes du kalâm, de la théologie musulmane.
Entre l'ûmma islamique, société éthniquement très diversifiée et dont l'unité est basée sur la seule confession d'une foi commune, et le judaïsme se développeront, par endroits — plus particulièrement en Espagne, dans le califat de Cordoue, — des échanges intellectuels très profonds.
C'est là un phénomène qu'on n'a jamais connu entre le judaïsme et la société chrétienne qui, par principe religieux, ne pouvait pas accepter le juif. Et c'est à la lumière de l'attitude de l'ûmma à son égard que le judaïsme jugera l'Islam. L'attitude concrète du judaïsme à l'égard des chrétiens et des musulmans.
La question de principe.
Le coeur de la problématique, c'est toujours la question de savoir comment il faut considérer, au point de vue du droit rabbinique, les « nations » chrétiennes et musulmanes, et quelle est l'attitude concrète qu'il faut adopter à leur égard. (Pour ce qui est des musulmans, il est acquis qu'on ne peut pas les considérer comme des idolâtres). C'est donc en premier lieu un problème halakhique, juridique: est-ce que les règles talmudiques concernant les 'akkûm, les idolâtres des temps anciens, doivent être appliquées ou non dans les relations avec les chrétiens et, à d'autres égards, dans les relations avec les musulmans?
Tant qu'il s'agit d'une question de principe, les grandes autorités juives du moyen-âge ont plutôt tendance à adopter une attitude irénique. L'exemple le plus typique en ce domaine est Maïmonide (1135-1204), le plus grand penseur juif de cette époque.
En sa qualité de philosophe religieux, Maïmonide jette un regard sur l'évolution concrète du point de vue religieux. Selon son plan éternel, Dieu veut amener tous les peuples à la reconnaissance de sa domination universelle. Il a donné à Israël la Torah et a confié à son peuple une mission de témoin. Or, en cours de route, le christianisme d'abord, l'Islam ensuite, sont apparus sur la scène de l'histoire. Par rapport aux religions de l'antiquité, ces deux systèmes présentent l'avantage que tous les deux veulent, à leur manière, amener les nations au service du Dieu unique. Tous les deux s'inspirent d'ailleurs, dans une certaine mesure, de la Torah, à laquelleils reconnaissent, chacun à sa manière, un caractère révélé.
Puisqu'il en est ainsi, il faut manifestement reconnaître à ces deux religions une fonction providentielle dans la préparation des temps « messianiques »: « Tous les événements (concernant Jésus), écrit Maïmonide, et même ceux qui se rapportent à celui qui est venu après lui (Mahomet), ne sont autre chose que la préparation du roi Messie » (Mishneh Torah, Hilkh. Melakhim, XI, 4).
Maïmonide rejoint ici l'opinion d'un autre auteur de la même époque, Yéhûdah ha-Lévi (environ 1080-1145), qui s'exprime d'une manière analogue dans son Séfèr ha-Kûsari (II, 65).
En d'autres écrits aussi, Maïmonide ne manque pas d'insister sur la vocation au salut de tous les hommes sans distinction. Il met très sévèrement en garde, contre toute attitude partiale ou déloyale à l'égard des non juifs (cf. Hilkh. Mekhirah, XVIII, 1; comment. de Kel. XII, 7).
Une persécution déclenchée contre les juifs par des musulmans fanatiques et intransigeants offre à Maïmonide l'occasion de se prononcer plus clairement sur l'Islam. Il insiste plus particulièrement sur ce que l'Islam ne peut absolument pas être considéré comme une idolâtrie. (Dans certains milieux juifs, on se heurtait à la vénération que les musulmans ont pour la Ka'aba, et à certains rites qui y sont pratiqués). L'affirmation de la prophétie de Mahomet contenue dans la confession de foi musulmane est un détail secondaire car tout le monde sait qu'il est un faux prophète. Si l'on est donc mis devant le choix, ou bien d'embrasser pour la forme l'Islam, ou bien de mourir, il faut choisir l'Islam. Et Maïmonide de rappeler en guise de conclusion qu'il ne faut choisir le martyre qu'en trois cas: idolâtrie, inceste et homicide, (Iggèrèt ha-shmad).
Il y a lieu de faire remarquer dans ce contexte que, face au baptême forcé, les autorités rabbiniques ont toujours déclaré que dans ce cas, il fallait choisir le martyre, comme l'ont d'ailleurs fait tant et tant de communautés au cours des âges et plus particulièrement en Rhénanie, pendant la première croisade (1096).
Certes, même un grand esprit comme Maïmonide n'arrive pas toujours à faire abstraction des événements concrets. C'est ainsi que dans sa Lettre aux Juifs du Yémen (Iggèrèt Téman), écrite à l'occasion d'une persécution des juifs dans ce pays, il va jusqu'à appeler Mahomet navi meshûg'a, « un prophète dément ». Mais dès que les circonstances se normalisent, Maïmonide retrouve son irénisme et s'élève une fois de plus contre l'idée de certains de considérer l'Islam comme une idolâtrie (pour les raisons mentionnées plus haut).
Quant à l'attitude de Maïmonide à l'égard des chrétiens, il faut bien distinguer, d'une part, entre le principe, énoncé dans le Mishneh Torah, qui leur reconnaît une fonction positive dans le plan de Dieu et, d'autre part, certaines précautions qui, d'après lui, s'imposent en ce qui concerne la vie concrète, à cause de certains aspects du christianisme qui, pour un juif, restent très déconcertants. C'est ainsi que Maïmonide a plutôt tendance à les considérer comme des idolâtres pour tout ce qui touche au culte chrétien.
Pour comprendre cette attitude, il faut se rappeler que Maïmonide a vécu en terre d'Islam et que, comme théologien, il était très influencé par la théologie musulmane, qui met si fortement l'accent sur le devoir universel de reconnaître le taûhid, l'unicité de Dieu, et qui considère comme shirq shittûf) toute atteinte à ce principe.
Cependant, Maïmonide reconnaît qu'en ce qui concerne leur intelligence de l'Ecriture Sainte, les chrétiens sont supérieurs aux musulmans. Aussi peut-on leur enseigner par exemple les commandements bibliques concernant la récompense et le châtiment.
Dans sa Lettre aux Juifs du Yémen, Maïmonide tire enfin une sorte de bilan général de la situation en disant que, somme toute, le christianisme a fait moins de tort au judaïsme que l'Islam, étant donné qu'il s'est répandu surtout parmi les païens, et cela indépendamment du faitque le message de Jésus comme tel était adressé en tout premier lieu à ses contemporains juifs.
L'évolution de la Halakhah (loi religieuse).
Maïmonide étant malgré tout trop unilatéralement tributaire du contexte musulman, il faut examiner comment les choses se présentent du côté des maîtres qui vivaient et enseignaient dans les pays chrétiens. Leur tendance est très nette: dans leur immense majorité, ils déclarent que les chrétiens ne doivent absolument pas être assimilés aux idolâtres.
Ainsi, développant une maxime talmudique déjà citée, le plus grand commentateur juif de tous les temps de la Bible et du Talmud, Rashi (R. Shelomoh b. Yitzhaq de Troyes, 1040-1105), déclare une fois de plus que toutes les questions d'hérésie (minût) sont une affaire purement juive et ne concernent donc pas du tout les non juifs.
Son petit-fils, R. Shemuê1 b. Meïr de Ramperupt (« Rashbam »), prend à son tour position contre certaines remarques de Maïmonide défavorables aux chrétiens et déclare: « Les non juifs de notre temps ne sont pas des idolâtres mais suivent (simplement) les traditions de leurs ancêtres ».
Egalement dans l'école de Rashi, on s'empresse de stipuler qu'un serment prêté par un chrétien au nom d'un saint doit être tenu pour valide, l'intention du chrétien allant néanmoins vers Dieu. Quant au reproche du shittûf fait aux chrétiens, on y précise expressément que les chrétiens — comme d'ailleurs tous les non juifs —ne sont pas tenus à un monothéisme pur, et qu'il ne faut donc pas leur faire grief de cela.
Dans son célèbre Séfèr Hassidim, R. Yéhûdah b. Shemuë1 de Ratisbonne (vers 1200) se prononce exactement dans le même sens et ajoute encore que tout ce que les maîtres du Talmud ont pu dire au sujet des idolâtres, ne peut aucunement s'appliquer aux chrétiens.
A partir de ce moment, presque toutes les grandes autorités dans le domaine de la jurisprudence rabbinique se font un devoir de souligner que la législation talmudique sur les idolâtres ne vise nullement les peuples parmi lesquels les juifs vivent dans les temps actuels, et ne s'applique donc ni aux chrétiens, ni aux musulmans.
R. Yosef Qaro (16e s.), auteur du Shûlhan 'arûkh, compendium de jurisprudence rabbinique qui fait désormais autorité, ratifie définitivement cette manière de juger « les nations »:
"Les Gentils des temps actuels," dit-il, "ne doivent pas être considérés comme des idolâtres par rapport à la restitution d'objets perdus et en toute autre matière" (cf. Bet Yossef de Tûr Hoshèn Mishpat, 266; Tûr Yorèh Dé'ah, 148).
Si l'on considère la situation des juifs de cette époque dans la presque totalité des pays chrétiens, comme aussi dans beaucoup de pays musulmans, on ne peut qu'admirer la sérénité avec laquelle les maîtres de l'enseignement rabbinique se sont efforcés de faire abstraction du contexte général, et de ne pas en tenir compte dans l'énoncé de leurs principes. Si, sur le plan concret et dans la vie quotidienne, l'attitude des chrétiens envers les juifs a été aux antipodes des principes d'amour du prochain de l'Evangile, cela n'a pas empêché les maîtres de juger avec équité la valeur intrinsèque du christianisme et, mutatis mutandis, de l'Islam.