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Revista SIDIC IV - 1971/2
Jérusalem, ville de la paix (Pages 03 - 22)

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Les chrétiens et la terre sainte: suggestions pour une meilleure approche du problème de Jèrusalem
François Delpech

 

La question des Lieux Saints est inséparable de l'ensemble des problèmes du Proche Orient. Le sort de la Ville Sainte, où devraient se réconcilier les Nations, constitue en effet un des principaux sujets de discorde entre les frères ennemis qui se disputent la Terre Promise, un des principaux obstacles sur le chemin de la paix. Les chrétiens sont généralement mal informés de la situation et en parlent trop souvent à tort et à travers. Pour beaucoup d'entre eux, notamment dans les milieux du Vatican, la meilleure solution serait l'internationalisation de Jérusalem proposée par l'O.N.U. en 1947. Cette thèse ne nous paraît pas réaliste, car elle ne tient pas compte de l'opposition irréductible des israéliens, ni des revendications arabes. Plutôt que de poursuivre des chimères, mieux vaut réexaminer l'ensemble de la question, pour tenter de sortir de l'impasse.

Le but de cet article n'est pas de proposer une solution de rechange. Nous pensons en effet qu'il n'y a pas d'issue possible sans négociations réelles entre les principaux intéressés; et que le rôle des chrétiens occidentaux n'est pas de dicter de haut et de loin une politique idéale, mais d'être, plus humblement, des artisans de dialogue. Dans cette perspective, nous nous bornerons à suggérer quelques réflexions sur les principauxéléments du problème et sur les réactions des chrétiens, avant et après la naissance de l'Etat d'Israël, pour contribuer à une meilleure approche du débat et à un redressement de l'attitude chrétienne.

I. LA QUESTION DE LIEUX SAINTS

L'expression « Lieux Saints » est couramment employée en des sens très divers et surtout avec des harmoniques très différentes selon les personnes. Avant toute analyse, il faut donc clarifier le vocabulaire. Il n'est pas possible d'aborder ici la question de la signification exacte de cette notion au plan théologique, ce qui nous entrainerait trop loin. Mais nous devons au moins nous demander ce que les gens veulent dire, quand ils parlent de Lieux Saints. Nous évoquerons ensuite très brièvement les principaux éléments du problème.

A. La notion de Lieux Saints dans le langage courant

Au sens large, il s'agit évidemment de toute la Palestine, la « Terre Sainte ». C'est le sens premier, le sens de la Bible. Pour les auteurs sacrés, la Terre est « sainte », non pas en soi, mais parce qu'elle a été choisie par le Seigneur comme cadre de la Révélation, comme centre de toute l'histoire humaine et comme lieu des signes annonciateurs de la fin des temps.

Au sens restreint, il s'agit seulement des grands centres de culte et de pélerinages. C'est le sens moderne, le plus courant, au moins dans les pays de tradition chrétienne. Le sens de la sainteté de la Terre s'est en effet quelque peu estompé et il n'y a plus que quelques lieux bien précis qui soient considérés comme saints, non pas en soi, mais parce que le Seigneur s'y est manifesté jadis. La dévotion des fidèles s'y est cristallisée très tôt et des générations de croyants sont venues y chercher la Parole de Dieu dans les pas des Prophètes, des Apôtres et des Saints.

Il y a environ 200 lieux saints chrétiens en Palestine. Mais chaque religion a les siens. Les plus importants sont universellement connus : pour les juifs, le Mur Occidental, vestige du soubassement du Temple de Salomon (appelé improprement Mur des Lamentations); pour les chrétiens, la basilique de la Nativité à Bethléem et le Saint Sépulcre à Jérusalem; pour les musulmans, l'esplanade du Temple, ou Haram Es Scheriff, avec le Dôme de la Roche (appelé improprement Mosquée d'Omar) et la mosquée El Aqsa.

Ces deux significations — sainteté de la Terre, au sens biblique et caractère vénérable des lieux de pélerinage, au sens moderne — ne sont pas exclusives l'une de l'autre, mais complémentaires et étroitement liées dans les esprits. La notion moderne de Lieu Saint comporte encore tout un arrière plan biblique, qui varie selon les religions et les individus.

B. La notion de Lieux Saints dans les trois grandes religions de la Bible

1) La tradition juive


Il y a toujours eu dans le judaïsme un attachement très général et très profond pour toute la Terre Sainte et surtout pour Jérusalem. Cetattachement vient de la fidélité à la Bible, lue et relue pendant des siècles à la fois comme source spirituelle et comme histoire nationale. Pour les juifs, la Palestine est la terre où le Seigneur a constitué son peuple, la terre qu'il lui a assignée comme héritage « à jamais » (Gn 17,8; Dt 4,40). C'est à Jérusalem que le Messie viendra restaurer Israël et cet accomplissement sera le prélude de la fin des temps. Cette tradition a été encore renforcée par des siècles de souffrances et d'exil, pendant lesquels on n'a cessé de regarder vers Jérusalem, si bien que, pour la plupart des juifs, la Palestine n'est pas seulement une terre, ni même la Terre Sainte, mais le lieu du destin d'Israël (Eretz Israel). Cet attachement peut revêtir des formes très différentes, religieuses ou laïcisées, sionistes ou non-sionistes, modérées ou intransigeantes. Mais il est toujours enraciné au plus profond de la conscience juive.

Notons au passage, pour répondre à une vieille calomnie antisémite (qui procède d'une ignorance totale du judaïsme, malheureusement trop fréquente), qu'il ne s'agit pas d'un sentiment fétichiste et théocratique. Ce danger existe, mais les juifs savent bien que la Terre n'est pas sainte en soi, que la Promesse ne leur donne pas tous les droits et qu'elle leur impose de redoutables devoirs. Dieu seul est saint et la sainteté d'Eretz Israel apparaît comme un idéal à réaliser : la Terre sera sainte quand la fidélité et la justice d'Israël répondront pleinement à la fidélité et à la justice du Seigneur. Alors le Messie pourra venir et régner sur les Nations effectivement réconciliées à Jérusalem.

2) La tradition chrétienne

Pour les chrétiens, la Palestine reste le cadre de la Révélation, le pays d'Israël, mais c'est surtout la patrie de Jésus et des premiers disciples. La notion de Terre Sainte, l'attachement à Jérusalem, subsistent, mais sous une forme restreinte et relativisée. L'Evangile et la Tradition insistent en effet sur l'idée que le Messie est déjà venu et que Dieu est partout où des hommes s'assemblent pour prier en son nom et servir le prochain. Le Messie reviendra fonder une Jérusalem nouvelle, des cieux nouveaux et une terre nouvelle. Mais cette dimension eschatologique est généralement beaucoup moins forte que dans le judaïsme et sa localisation beaucoup moins précise. La plupart des chrétiens considèrent finalement les Lieux Saints comme de simples lieux de pélerinage et de dévotion.

L'attachement aux Lieux Saints est d'ailleurs très variable. Il est très vivant dans les milieux traditionnels, notamment en orient et dans tous les pays où les manifestations extérieures de piété jouent un grand rôle dans la ferveur populaire. Cela va parfois jusqu'à un véritable fétichisme de la pierre et du pélerinage. Ces excès mis à part, il y a là un sentiment parfaitement respectable. Mais cette tradition est fréquemment critiquée par ceux qui attachent plus de prix à à la vie intérieure et par ceux qui réagissent contre tout ce qui apparaît comme un héritage de la chrétienté. C'est le cas de la plupart des protestants et de beaucoup de catholiques occidentaux. Cette attitude critique tend à se généraliser dans notre monde en voie de sécularisation accélérée.
L'attachement aux Lieux Saints n'a pas disparu pour autant et se réveille périodiquement. Il s'agit souvent de réveils de caractère sentimental et piétiste, notamment dans les sectes protestantes et dans les groupuscules intégristes. Mais il y a aussi des pélerinages aux sources d'une grande fécondité, chez ceux qui s'efforcent de réfléchir leur foi sans fuir le monde dans un esprit de fidélité et d'oecuménisme. Les chrétiens qui retournent à Jérusalem, ou tout simplement à la source biblique, peuvent découvrir, eux aussi, que la sainteté de la Terre n'est pas donnée, mais à réaliser par une lutte quotidienne pour la paix, la justice et la réconciliation universelle, dans une perspective messianique renouvelée. Il y a là une rencontre possible avec le judaïsme.

3) La tradition islamique

Héritier de la tradition juive et de la tradition chrétienne, mais héritier original, l'Islam est luiaussi attaché à la fois à la Terre Sainte et à un certain nombre de Lieux Saints, en partie pour des raisons religieuses, mais plus encore pour des raisons nationales et politiques.

Pour les musulmans, la Palestine n'est pas l'unique Terre Sainte, mais reste le pays des premiers prophètes. Jérusalem n'est pas le centre de la communauté islamique, mais reste le lieu du Jugement dernier. A la fin de sa vie, Mahomet serait venu sur l'esplanade du Temple, monté sur sa jument ailée, Barak, et serait monté aux cieux, à l'emplacement du Dôme de la Roche. Un siècle et demi plus tard, le cinquième calife ommeyade de Damas, Abd El Malek, fait de Jérusalem sa capitale religieuse et entreprend la construction des deux grandes mosquées du Haram Es Scheriff, pour lutter contre la prépondérance des imams chiites de la Mecque. Les croyants viennent se recueillir et se faire enterrer, comme les juifs, au pied de la colline sacrée, le plus près possible du lieu du Jugement. Jérusalem est encore considérée aujourd'hui comme la troisième Ville Sainte de l'Islam, après la Mecque et Médine.

Cette tradition a toujours été renforcée par le sentiment, traditionnellement très vif dans tout le monde musulman, de l'appartenance à la communauté islamique, l'oumma. Après plusieurs siècles d'éclipse, ce sentiment a été réveillé et porté à son paroxysme depuis une cinquantaine d'années par l'intrusion des puissances étrangères et par le développement du nationalisme pan-arabe, par ses succès et plus encore par ses échecs successifs. La Palestine est désormais considérée comme une province perdue. La frustration, la colère, le désespoir sont profonds. La question des Lieux Saints semble reléguée au second plan. Elle continue pourtant à se poser avec acuité.

C. Les éléments du problème

La situation a toujours été particulièrement complexe et mouvante. Mais il y a toujours eu trois difficultés majeures : le statut des Lieux Saints, les rivalités entre communautés chrétiennes et les revendications des juifs et des arabes.

1) Le statut des Lieux Saints.

C'est une question qui remonte à la chute de l'Empire byzantin. En 638, le Calife Omar entrait à Jérusalem. Depuis cette date, les Lieux Saints ont toujours été détenus, à de brèves interruptions près, par des puissances non chrétiennes, dont l'attitude à l'égard des minorités a beaucoup varié. Le premier conquérant a fait preuve d'une grande tolérance, que ses successeurs n'ont pas toujours imitée. Les autorités musulmanes accordaient en effet aux juifs et aux chrétiens, considérés comme les peuples du Livre mais non pas tout à fait comme de vrais croyants, le statut ambigu de « dhimmis », c'est à dire de sujets de seconde zone bénéficiant d'une protection réelle mais hautaine et surtout très précaire. Les pélerinages étaient autorisés, voire encouragés, comme une source appréciable de revenus imposables. Mais les confessions minoritaires restaient à la merci de sursauts d'intolérance relativement fréquents, surtout dans les périodes de crises politiques.

Dans ces conditions, le grand problème a toujours été d'obtenir des détenteurs du pouvoir un minimum de garanties pour mieux assurer la liberté de culte, le libre accès aux sanctuaires et la sécurité des personnes et des biens. En outre, les intéressés ont été très vite amenés à souhaiter que ces garanties soient si possible internationales, pour se prémunir contre les incidents éventuels et les changements de régime. Ces voeux ont été en partie comblés, grâce au déclin politique de l'Islam et aux interventions des puissances européennes; mais tout n'est pas réglé pour autant.

2) Les rivalités entre communautés chrétiennes

Toutes les Eglises, tous les rites sont représentés en Terre Sainte. Aux communautés autochtones, orthodoxes ou catholiques orientales, sont venus s'ajouter au cours des siècles les représentants de toutes les Eglises et de nombreuses sectes. Or ces communautés se sont toujours disputé les fidèles et les Lieux Saints, de manièrevéritablement scandaleuse. Cette rivalité a encore été aggravée par de violents conflits ethniques et politiques et par les appétits des puissances étrangères, qui cherchaient à étendre leur influence en soutenant telle faction contre telle autre.

Les résultats de ces dissensions ne sont que trop connus. Pour ne citer qu'un exemple, le Saint Sépulcre est divisé entre les grecs, les latins et les arméniens, avec deux petites enclaves aux syriens et aux coptes. Il a été longtemps impossible d'entretenir la Basilique et de faire les réparations les plus élémentaires, car les occupants n'arrivaient pas à se mettre d'accord. Ces querelles absurdes entretenaient jadis une atmosphère de guerre religieuse larvée et ont parfois donné naissance à des conflits armés. Elles semblent aujourd'hui en voie d'apaisement, grâce aux efforts patients des diplomates et surtout grâce au rapprochement oecuménique. Mais cet apaisement est récent et reste fragile car ces communautés trop nombreuses sont souvent pauvres en hommes et menacées de dépérissement.

3) Les revendications des juifs et des arabes

Depuis l'effondrement de l'Empire ottoman, la recherche d'un statut juridique satisfaisant et la question des rivalités entre chrétiens ont été progressivement reléguées au second plan par les revendications d'Israël et d'Ismaël. Or celles-ci posent des problèmes infiniment plus graves. Les chrétiens peuvent en effet limiter leurs ambitions à une présence raisonnablement assurée en quelques centres spirituels bien précis. Les juifs et les arabes, eux, réclament symétriquement Jérusalem et la Terre Sainte. Et il ne s'agit pas seulement d'aspirations religieuses mais de revendications exacerbées par les terribles malheurs d'Israël, par les souffrances d'Ismaël et par près d'un demi-siècle d'affrontements et de conflits armés.

Devant l'aggravation de la situation, les chrétiens occidentaux doivent se garder de juger trop vite. Il ne sert à rien de dénoncer avec une assurance sommaire les excès du nationalisme juif et du nationalisme arabe et les éventuelles confusions politico-religieuses; comme si nous n'avions pas commis longtemps les mêmes erreurs; comme si nous ne continuions pas à en commettre d'analogues. Mieux vaut s'interroger sur les réactions et les motivations profondes des uns et des autres. Le drame du Proche Orient ne peut être compris qu'à condition de tenir compte de l'ensemble des facteurs. Il ne peut être résolu qu'à condition de tenter de donner satisfaction à toutes les revendications légitimes, dans la mesure où elles ne débouchent pas sur l'anéantissement du voisin. Autrement dit, il est parfaitement légitime de rechercher des garanties pour les Lieux Saints et de travailler au rapprochement entre les chrétiens. Mais il faut aussi faire justice aux juifs et aux arabes. C'est évidemment la quadrature du cercle, mais c'est à ce prix seulement que Jérusalem cessera d'être une pierre d'achoppement et pourra enfin réaliser sa vocation de paix et de sainteté, en contribuant à la réconciliation de tous les enfants d'Abraham, conformément à l'espérance judéo-chrétienne.

Il est clair que les chrétiens devraient travailler en ce sens. Certains s'y efforcent effectivement. Mais la plupart ne voient malheureusement qu'un aspect du problème et prennent des positions extrêmement partiales, ceci depuis toujours, et plus particulièrement depuis la création de l'Etat d'Israël.

II. L'ATTITUDE DES CHRETIENS D'AUTREFOIS (JUSQU'EN 1947)

Les réactions des chrétiens à l'égard des Lieux Saints ont toujours été diverses, ambiguës et ont beaucoup évolué au cours des siècles, au moins en apparence. L'Eglise, en effet, n'est ni monolithique, ni intemporelle. Elle est formée de communautés locales qui vivent dans des conditions humaines, religieuses et politiques très variées et qui peuvent réagir très différemment les unes des autres. Les prises de position des autorités ecclésiastiques reflètent souvent cette diversité; le Pape, les évêques et les prêtres (ou pasteurs) interviennent en principe au nom des mêmes préoccupations spirituelles et pastorales; mais ils ne peuvent pas ne pas tenir compte des sentiments divergents des fidèles et du contexte politique. Ceci est encore plus vrai à Rome. Le Pape est avant tout Docteur et Pasteur universel mais il est aussi chef d'Etat et responsable d'une immense organisation internationale. Il subit quotidiennement l'influence des évêques, des nonces et des diplomates de la Curie, tous particulièrement sensibles aux conséquences incalculables de la moindre démarche pontificale. Leurs pressions contradictoires ne facilitent pas les grandes audaces évangéliques, surtout quand il s'agit de questions aussi compliquées que celles du Proche Orient.

Nous ne pouvons pas entrer ici dans toutes les arcanes de la politique de l'Eglise en Terre Sainte. Il est cependant possible de distinguer, en simplifiant beaucoup, quatre grandes périodes des origines à la création de l'Etat d'Israël. Nous n'en retiendrons que quelques traits essentiels, qui pèsent encore sur la situation présente.

A. Les origines

De l'invention de la Croix et de l'érection de la basilique constantinienne du Saint Sépulcre jusqu'au début du Xie siècle, la dévotion populaire et les pélerinages se développent régulièrement malgré quelques heurts. Les communautés chrétiennes autochtones n'ont pas les mêmes préoccupations que la chrétienté latine. Vivant dans la mouvance de la pensée hellénique et de l'Etat byzantin, elles attachent moins d'importance à l'organisation politico-religieuse et se passionnent par contre pour les grandes spéculations mystiques et théologiques. Fières de leur appartenance au pays de Jésus, elles supportent mal les prétentions de l'Empereur de Byzance et accueillent assez bien la conquête musulmane. Le Calife Omar et ses premiers successeurs respectent la liberté de culte et de pélerinage. Les chrétiens orientaux s'arabisent peu à peu.

Les difficultés commencent au VIII° siècle, quand l'Islam devient moins tolérant. Les Patriarches de Jérusalem commencent à chercher des protections extérieures. Ils s'adressent non pas à Rome, car la Papauté reste faible et n'a pas encore de politique des Lieux Saints, mais aux états chrétiens : Byzance, l'Empire carolingien ou la République de Venise. Ces protecteurs interviennent effectivement, mais de loin et épisodiquement. Ils en profitent d'ailleurs pour nouer des liens commerciaux avec l'Orient. Les résultats sont tantôt heureux, tantôt catastrophiques (exécution du Patriarche en 966, persécution d'Al Hakim de 1008 à 1021). C'est le début de l'intrusion des puissances étrangères dans la question des Lieux Saints.

B. Les croisades

La situation s'aggrave à la fin du XI° siècle avec l'arrivée des turcs seldjoukides, plus intolérants et surtout plus guerriers, mais aussi avec le développement et le raidissement de l'Eglise d'occident. A la guerre sainte musulmane (djihad), le Pape Urbain II réplique, à partir de 1095, en prêchant la croisade. Le détail des expéditions et l'histoire éphémère du Royaume latin n'ont pas d'intérêt pour notre propos. Par contre, l'esprit qui anime les Croisés est très important pour comprendre les événements ultérieurs. La doctrine est d'une brutale simplicité : les chrétiens ont des droits sur la Terre Sainte; les infidèles n'en ont aucun; il faut les chasser par tous les moyens. A l'époque cela paraît parfaitement normal. L'enthousiasme est général dans toute la chrétienté. Les résultats sont absolument désastreux. Les Croisés pillent tout sur leur passage, malgré toutes les exhortations d'un Saint Bernard. Ils attaquent non seulement les turcs mais les juifs et même les chrétiens d'orient. En 1099, Jérusalem est prise et mise à sac. En 1204, la quatrième croisade s'empare de Constantinople et des débris de l'Empire byzantin. La soif d'aventures et de rapines l'emporte sur toute autre considération. C'est une véritable catastrophe spirituelle, dont on se souvient encore en Orient.

L'esprit des Croisés ne disparait pas du jour au lendemain après leurs défaites successives. A plusieurs reprises, les Papes appellent encore à prendre la Croix contre les ottomans au XVI° et même au XVIII° siècle. Ils se heurtent généralement à l'indifférence des états nationaux surgis sur les décombres de la Chrétienté disloquée. Mais l'idée que l'Eglise a des droits sur les Lieux Saints et qu'elle doit les défendre contre les infidèles survit à peine atténuée, jusqu'en plein XX° siècle. Les réactions des franciscains sont caractéristiques à cet égard. Envoyés en Terre Sainte pour servir l'Eglise non plus par les armes mais par la charité, avec des moyens pauvres, ils s'occupent du culte et des pélerins avec un courage et une abnégation admirables; mais ils sont très vite amenés à acquérir des sanctuaires et à défendre les droits des latins avec une âpreté inlassable.

C. Les « Capitulations »

La situation s'améliore peu à peu de la fin du Moyen Age jusqu'au milieu du XIX° siècle. Les chrétiens adoptent une attitude plus souple, plus réaliste. Ils ne renoncent pas aux droits de l'Eglise, mais il faut bien composer avec le pouvoir : c'est déjà la fameuse distinction entre la thèse et l'hypothèse. Ce revirement est moins le fait de la Papauté, dont l'influence politique décline, que des communautés locales soumises de nouveau au joug islamique et obligées de faire appel à la bienveillance des autorités et à des soutiens extérieurs. Les sultans et les hauts dignitaires ottomans se montrent généralement bons princes, moyennant le paiement de tributs élevés. Ils acceptent de négocier avec la France et lui reconnaissent le droit de protéger les minorités chrétiennes, moyennant de substantielles compensations par ailleurs. Le premier traité conclu entre Soliman le Magnifique et François Ier (« Capitulations » de 1535) est dirigé avant tout contre les Habsbourg, mais le rapprochement ainsi amorcé survit à l'effondrement de l'ennemi commun. Les Capitulations sont renouvelées à plusieurs reprises et on s'achemine progressivement vers une sorte de protectorat français sur les Lieux Saints.

Cette solution permet de maintenir une paix relative, mais elle n'est pas sans inconvénients. La question des rivalités entre les communautés chrétiennes d'orient n'est pas réglée. Elle est au contraire aggravée par l'intervention des états qui cherchent à obtenir des privilèges analogues à ceux de la France, pour développer leur commerce et leur influence politique et qui essaient de profiter du lent déclin de l'Empire ottoman et des éclipses périodiques de la diplomatie française. Peu importe le détail des événements. En gros, il y a d'abord une poussée grecque-hellène au XVII° et au début du XVIII° siècle, car les Sultans favorisent le Patriarcat orthodoxe de Constantinople, qu'ils peuvent contrôler plus facilement. Les latins, c'est à dire les franciscains soutenus par la France, réagissent vigoureusement à partir de 1740. Ils se heurtent bientôt à la Russie qui soutient activement les grecs-arabes et l'ensemble des communautés orthodoxes, pour devenir à son tour une puissance méditerranéenne. Les incidents sont fréquents et prennent des proportions de plus en plus démesurées. La disparition d'une étoile d'argent placée par les franciscains dans la grotte de Bethléem est à l'origine de la guerre de Crimée, qui aboutit à la défaite russe de 1855. Les Tzars ne renoncent pas pour autant à leurs ambitions, mais l'effacement provisoire de la Russie joue au détriment des communautés orthodoxes. La victoire franco-anglaise contribue au contraire, de manière décisive, aux progrès des latins et des permières missions protestantes.

La politique des Capitulations a également l'inconvénient de ne pas tenir suffisamment compte des sentiments des non-chrétiens. Rien n'est fait pour les juifs, dont le sort reste précaire et qui sont encore trop souvent victimes des vieilles calomnies antisémites, telles que le meurtre rituel (par exemple à Damas en 1840). Quant aux musulmans, la plupart semblent résignés au déclin de la puissance ottomane, mais les avantages obtenus par les puissances protectrices seront ultérieurement ressentis comme autant d'humiliations par les premiers précurseurs du réveil islamique.

D. L'internationalisation du problème et la défense des droits

Les grands faits nouveaux au lendemain de la guerre de Crimée sont l'internationalisation accrue du problème des Lieux Saints, qui échappe de plus en plus au pouvoir du Sultan, et la rentrée en scène de la Papauté. Celle-ci bénéficie en effet de la vitalité du catholicisme, du prestige conféré à la Chaire de Pierre par la proclamation de l'infaillibilité pontificale et de la forte personnalité de ses titulaires successifs, de Pie IX à Pie XII. Ces Papes sont généralement intransigeants en matière doctrinale à quelques nuances près: c'est l'époque des grandes condamnations du libéralisme et du monde moderne, du Syllabus à l'encyclique Humani Generis. Mais ils sont aussi presque tous d'excellents diplomates et ils interviennent avec vigueur dans les négociations internationales, chaque fois qu'il est question de la Terre Sainte, pour défendre les droits de l'Eglise catholique et pour revendiquer certains sanctuaires, détenus autrefois par les latins et passés depuis aux mains des grecs. Ceux-ci sont naturellement défendus par la Russie et les puissances décident de maintenir le statu quo, ce qui est déjà beaucoup, lors de la Conférence de Berlin en 1878 et de la Convention de Mytilène en 1901.

Sur place, la Papauté soutient activement le Patriarcat latin (créé jadis par les Croisés, disparu avec eux et restauré dès 1847, au profit des franciscains). De nombreuses congrégations religieuses fondent des maisons à Jérusalem à l'appel des Papes et des Patriarches. Les pélerinages et les oeuvres diverses prennent un essor remarquable. Il y a encore bien des frictions avec les autres confessions, mais rien de comparable aux grandes luttes passées. Les efforts des diplomates permettent même de résoudre quelques litiges, à vrai dire secondaires, par des compromis entre les communautés chrétiennes intéressées. En somme, les autorités catholiques s'accommodent assez bien du statu quo, bien qu'elles continuent à le tenir officiellement pour insuffisant.

Cette politique, ferme sur les principes, souple, patiente et persévérante dans l'application, est affirmée avec éclat au lendemain de la première guerre mondiale. Le statut des Lieux Saints est en effet remis en question, au moins sur le plan juridique, par l'effondrement de l'Empire ottoman, par la naissance des nouveaux états du Proche Orient qui dénoncent unanimement les Capitulations, et par l'effacement de la France et de la Russie. Pour la première fois depuis les Croisades, la Terre Sainte est aux mains d'une puissance chrétienne, mais l'Angleterre n'a d'autre titre à l'administrer que le droit de conquête. Immédiatement inquiets, les grecs et les latins envoient de longs mémorandums contradictoires à la Conférence de la Paix pour défendre leurs revendications traditionnelles. Intervenant à son tour dans la négociation, la Papauté cherche à faire aboutir un règlement à long terme et à le faire garantir par la Société des Nations. Elle obtient une satisfaction partielle, lors de la discussion des termes du mandat en 1922. L'Angleterre s'engage auprès de la S.D.N. à respecter et à faire respecter le statu quo. Il est même question un moment de constituer une commission internationale de contrôle, mais le projet échoue car les anglais veulent un président protestant dont les catholiques ne veulent pas. En somme, l'Angleterre se substitue purement et simplement à l'Empire ottoman. Cela ne change rien à la situation des églises chrétiennes, car elle prend bien soin de respecter les droits acquis. Mais le Pape et le Patriarcat continuent à réclamer un contrôle international et ils sont suivis par une partie des dignitaires orthodoxes.

Cette attitude contribue à limiter les dissensions entre les communautés chrétiennes, qui prennent l'habitude de se concerter pour harmoniser leurs politiques. Mais elle présente toujours l'inconvénient de ne pas tenir compte des sentiments des non-chrétiens, au moins en ce qui concerne les juifs. Les relations avec l'Islam vont en effet en s'améliorant depuis que les chrétiensn'ont plus à redouter les caprices du Sultan. La hiérarchie s'efforce même d'établir de bonnes relations avec les autorités musulmanes et avec les dirigeants arabes. Elle manifeste au contraire une vive hostilité à la création du Foyer National Juif. Il y a à cela bien des raisons. La principale est certainement la persistance du vieil antijudaïsme théologique, aggravé par les campagnes antisémites de la fin du XIX° et du début du XX° siècle. La plupart des chrétiens de l'époque ignorent ou méprisent les juifs, restent généralement indifférents devant leurs preuves et méconnaissent la profondeur de leur attachement à la Terre Promise. La naissance du sionisme a été généralement accueillie avec un étonnement réprobateur. Le modernisme révolutionnaire des premiers colons, leur dynamisme et leur efficacité ont très vite choqué et inquiété, surtout à Jérusalem, où les juifs constituent 64,4% de la population lors du recensement de 1912. Les latins et les grecs craignent de voir les Lieux Saints tomber entre leurs mains, hypothèse qui leur parait insupportable. Les dirigeants sionistes promettent de ne pas y toucher et multiplient les appels à la coexistence fraternelle. Mais les vieux préjugés sont tels que les autorités ecclésiastiques, dans leur ensemble, ne croient pas à leur sincérité et réaffirment inlassablement la supériorité des droits de l'Eglise et la nécessité d'une garantie internationale.

Les réactions pontificales reflètent fidèlement ces préjugés et ces appréhensions. En 1904, Herzl a demandé audience à Pie X, pour lui exposer son programme. Il s'est heurté à un refus courtois mais catégorique. Selon Herzl, Pie X aurait eu ce mot d'un antijudaïsme typique: « Les juifs n'ont pas reconnu Notre Seigneur; par conséquent nous ne pouvons pas reconnaître le peuple juif ». En 1917, un autre chef sioniste, Sokolov, retourne au Vatican. Il est beaucoup mieux reçu car le nouveau Pape, Benoît XV, est un homme ouvert, pitoyable aux persécutés, certainement un des plus grands Papes de l'Histoire. Or Benoît XV proteste contre la Déclaration Balfour et réaffirme les droits de l'Eglise, dans une allocution de mars 1918 et dans l'encyclique Causa Nobis de juillet 1921. Pie XI reprend la même politique, en termes particulièrement abrupts, dans une allocution au Consistoire Secret du 11 décembre 1922 : « Notre charge apostolique nous fait un devoir de demander que les droits de l'Eglise catholique en Palestine — en un cas où ils sont si manifestement supérieurs aux droits des autres intéressés — soient respectés et sauvegardés par priorité, non seulement à l'égard des juifs et des infidèles, mais encore des membres des confessions non-catholiques, quelles que soient les races et les nations dont ils se réclament ». L'intransigeance du propos, son accent triomphaliste, sont tout à fait caractéristiques. Pie XI n'est pas un fanatique. Il condamne l'antisémitisme. Mais il réagit dans l'affaire des Lieux Saints comme la plupart des chrétiens d'autrefois. Au fond, l'esprit de croisade n'a pas totalement disparu. Les moyens d'action ont changé, mais la doctrine reste foncièrement intolérante. Il faut partir de là pour comprendre l'évolution ultérieure.

III. LES REACTIONS DES CHRETIENS D'AUJOURD'HUI (DEPUIS 1947)

La naissance de l'Etat d'Israël constitue de toute évidence le principal tournant de l'histoire de la Terre Sainte depuis la conquête arabe et l'échec des croisades. L'événement est considérable : c'est au fond la rentrée en scène de la première des trois grandes religions de la Bible ou, plus exactement, car Israël n'est pas tout le judaïsme, d'une partie du peuple juif, tenu jusque là en lisière durant près de vingt siècles. Mais c'est aussi le refus arabe, le drame palestinien, la guerre endémique et le bouleversement général de toutes les données de l'ensemble des problèmes du Proche Orient.

L'impact sur la conscience chrétienne est également considérable. Israël fait question. Le conflit judéo-arabe fait question. Le sort de Jérusalem fait question. L'attitude officielle des autorités ecclésiastiques n'évolue que lentement, mais les crises répétées acculent peu à peu les fidèles às'interroger et à prendre parti. Ils adoptent naturellement des positions très variées et de sérieuses divergences se font jour à l'intérieur de la plupart des Eglises. Cette évolution est relativement récente et par conséquent difficile à analyser, faute d'un recul suffisant. Nous pouvons cependant essayer de cerner les réactions des chrétiens devant les principaux événements des dernières années.

A. La décision de l'O.N.U. du 29 novembre 1947

Il n'est pas possible d'évoquer ici, même brièvement, les circonstances complexes de la résurrection d'Israël. Mais il faut au moins rappeler que c'est le premier état de l'histoire qui soit né d'un débat international et d'un vote à la majorité absolute, et que les Eglises sont intervenues à plusieurs reprises.

La solution adoptée par l'O.N.U., le 29 novembre 1947, par 33 voix (dont celles des Etats-Unis, de l'U.R.S.S. et de la France) contre 13 (les états arabes) et 10 abstentions (dont la Grande Bretagne), constitue une tentative de compromis entre tous les intéressés. Elle repose sur deux principes essentiels : le partage de la Terre Sainte entre un état hébreu et un état arabe-palestinien; et l'internationalisation de la région de Jérusalem et de Bethléem) qui aurait dû constituer un corpus separatum administré par un gouvernement nommé par l'O.N.U.). Elle se heurte, comme beaucoup de solutions de compromis, à de véhémentes protestations. Les juifs acceptent le partage, pour pouvoir fonder enfin un état, mais les frontières qu'on leur propose sont inviables et beaucoup réclament Jérusalem, que tous considèrent comme leur capitale et dont la population est en majorité juive. Le camp adverse repousse tout partage et rejette le corpus separatum. La Ligue Arabe refuse de céder un pouce de terrain et se prépare à envahir le pays pour chasser les sionistes. Pris entre deux feux, les chrétiens occidentaux considèrent la création de l'état d'Israël comme un acte de justice élémentaire. Ils désapprouvent unanimement les violences arabes. Ils croient en outre, comme l'O.N.U. et comme beaucoup de dirigeants sionistes que le problème palestinien peut être résolu par la constitution d'un second état et d'une fédération judéo-arabe. Mais les chrétiens orientaux sont beaucoup plus réticents. Les Eglises locales, dont les fidèles sont en majorité arabes, sont influencées à la fois par la vieille tradition de l'antijudaïsme théologique et par la propagande de la Ligue Arabe. Le clergé latin redoute, tout autant que les grecs, une éventuelle mainmise juive sur les Lieux Saints. Le custode franciscain, Alberto Gori, consulté à plusieurs reprises par les commissions d'enquête successives de l'O.N.U., manifeste chaque fois une hostilité absolue au sionisme. Une partie du clergé occidental partage également ces craintes et cette hostilité, notamment à Rome, où l'antijudaïsme reste très fort. Le Vatican n'a pas à intervenir officiellement sur la question du partage mais Pie XII et les diplomates de la Secrétairerie d'Etat ne ménagent pas leur appui au P. Gori, qui est nommé Patriarche à la fin de 1947.

Le projet de corpus separatum est beaucoup mieux accueilli par l'ensemble des milieux ecclésiastiques. L'idée n'est pas nouvelle. Les anglais avaient déjà songé à une formule analogue en 1937, pour assurer la sécurité des sanctuaires et des pélerinages et pour garder une zone d'influence dans le pays, mais ils y avaient renoncé devant l'opposition absolue des dirigeants arabes. Le projet est repris en 1947, dans un esprit très différent. Les membres de la commission spécialement chargée de sa mise au point sont en majorité des scandinaves et des anglo-saxons, presque tous protestants et idéalistes, qui croient ardemment à la mission de l'O.N.U. Leur but, en proposant l'internationalisation de Jérusalem, est bien sûr de résoudre définitivement le problème des Lieux Saints; mais il s'agit aussi de donner à l'organisation internationale le moyen de jouer un rôle pacificateur dans la région, et ceci de manière permanente. Le Vatican et la plupart des Eglises se rallient aussitôt à cette politique qui comble leurs désirs et au delà. La Résolution du 29 novembre garantit en effet tous les droits existants. Bien plus, le corpus separatum doitpermettre en principe d'assurer aux chrétiens de Jérusalem et de Bethléem une compléte indépendance par rapport aux juifs et aux arabes. A ces considérations intéressées s'ajoute la conviction sincère, très répandue dans les milieux ecclésiastiques, notamment à Rome, que les Nations Unies ont effectivement un grand rôle à jouer dans la construction de la paix.

Ces réactions sont compréhensibles. La thèse de l'internationalisation peut paraître séduisante à premier abord. Mais ses inconvénients apparaissent très vite. Elle ne tient pas assez compte des aspirations profondes des juifs et des arabes, d'une part. Elle suppose d'autre part une organisation internationale unie, puissante et respectée. Or les armées arabes envahissent le pays, aussitôt après le départ des troupes anglaises. L'O.N.U. n'arrive pas à imposer son arbitrage. Le sort de la Terre Sainte va être réglé, une fois de plus, par la fortune des armées.

Malgré leur infériorité numérique, les Israéliens arrivent à créer leur état, à repousser tous les assauts, à conserver et même à étendre un peu leur territoire. Les combats sont particulièrement violents à Jérusalem, où la population juive est encerclée. La Légion arabe s'empare de la Vieille Ville, mais l'arrivée de renforts permet aux israéliens de sauver la plus grande partie de la capitale. Les accords d'armistice signés au début de 1949 constituent un simple cessez-le-feu sur les positions acquises. Les états arabes refusent en effet de reconnaître Israël. La Jordanie profite de la situation pour annexer la Vieille Ville et la Cisjordanie, au mépris de tout droit. Cette annexion consacre la division de Jérusalem et prive les palestiniens de toute possibilité de constituer un état. La guerre larvée succède à la guerre ouverte.

B. L'époque du partage de Jérusalem et de la guerre larvée

La division de la Terre Sainte en deux sociétés hostiles engendre d'innombrables difficultés pour les juifs comme pour les arabes et aussi, mais dans une bien moindre mesure, pour les chrétiens.

Les israéliens viennent de remporter leur première grande victoire mais leurs frères sont peu à peu chassés de tout le monde islamique par la montée progressive de l'antisémitisme et par de brusques accès de persécution. Les rescapés des camps de la mort et des pays musulmans peuvent réaliser leurs aspirations nationales en Israël, mais ils vivent constamment sous la menace et ils ne peuvent plus accéder à leurs Lieux Saints. La Vieille Ville leur est rigoureusement interdite. Les occupants jordaniens pillent le quartier juif, détruisent les synagogues, profanent les cimetières israélites.

Pour les palestiniens, c'est la misère et l'humiliation. Les arabes restés en Israël bénéficient d'une réelle liberté et d'un statut économique à peu près convenable, mais leur situation est évidemment très délicate. Le sort de ceux qui ont fui est bien pire. Israël subordonne tout règlement de leur cas à la conclusion de la paix. Les féodaux arabes refusent de les intégrer et les laissent croupir dans les camps de réfugiés, financés par l'O.N.U., pour entretenir la haine d'Israël.

Les Eglises n'échappent pas aux conséquences de la guerre. La liberté de culte reste entière en Israël comme en Jordanie. Mais les chrétiens arabes souffrent autant que les musulmans des difficultés économiques et de la crise politique. Le statut des Lieux Saints n'est pas remis en question, malgré quelques incidents inévitables pendant la guerre de 1948, car tout le monde a intérêt au maintien de la paix religieuse et au développement des pélerinages. Mais la division du pays entrave les communications. Les autorités ecclésiastiques sont traitées partout avec égard, mais leur influence politique décline et elles regrettent l'échec du projet de corpus separatum. Les latins sont particulièrement amers.

Les chrétiens occidentaux ne réagissent pas tous de la même manière. La plupart des fidèles suivent le développement de l'état hébreu avec une réelle sympathie. Le Vatican et une grande partie du clergé épousent au contraire les griefs des orientaux.

Pie XII intervient très tôt, notamment par deux grandes encycliques In multiplicibus (octobre 1948) et Redemptoris nostri (avril 1949). Il lance plusieurs appels en faveur de la paix et des réfugiés, comme c'est son rôle. Il refuse de reconnaitre officiellement Israël, ce qui n'a rien d'extraordinaire : la diplomatie romaine ne reconnaît en effet que les états dont les frontières résultent d'accords internationaux incontestés. Mais le Pape va plus loin. Il proteste contre le partage de Jérusalem et se prononce de nouveau pour l'internationalisation de la ville « qui, dans les circonstances actuelles, semble mieux garantir la protection des sanctuaires » (In multiplicibus).

Cette réaction n'est pas isolée. L'idée d'une solution internationale garde en effet de nombreux partisans à l'O.N.U. En décembre 1949, l'Assemblée Générale charge le Conseil de Tutelle de préparer un projet de statut. Deux contre-propositions intéressantes sont alors avancées. La France suggère de laisser en suspens le sort de Jérusalem et d'accorder le privilège d'exterritorialité aux seuls Lieux Saints. Israël approuve aussitôt le principe d'une internationalisation limitée, mais la Jordanie, qui contrôle la plupart des sanctuaires, s'y oppose catégoriquement. Devant ce refus, la Suède propose de se contenter comme autrefois d'une simple garantie internationale du statu quo. La France, Israël et trois états arabes se rallient à cette thèse réaliste, mais les nostalgiques du corpus separatum ne veulent pas en entendre parler. Les Eglises sont elles-mêmes très divisées. Les grecs, les arméniens et les protestants acceptent de borner leurs ambitions à une exterritorialité limitée ou à une simple garantie. Les latins et le Vatican restent au contraire intransigeants. Finalement, le débat tourne court et les Nations Unies renoncent à toute intervention. A trop demander, on n'a rien obtenu.

La question perd de son actualité au cours des années suivantes. Officiellement, les autorités religieuses restent sur leurs positions. Mais la vie quotidienne exige des accommodements. Les communautés chrétiennes sont bien obligées de s'adapter à la situation de fait et de rechercher un modus vivendi avec Israël et avec la Jordanie. Elles sont d'ailleurs encouragées dans cette voie par les deux gouvernments, qui s'efforcent tous deux de ménager les Eglises, et par la diplomatie pontificale qui cherche de nouveau à préserver le statu quo. Le retour aux méthodes traditionnelles permet d'améliorer les relations avec l'Etat hébreu et, plus encore, avec le royaume hachémite.

Ce rapprochement plus marqué avec la Jordanie est lié à une transformation décisive : longtemps traumatisés par les violences musulmanes, le Vatican et les chrétiens orientaux reviennent peu à peu de leurs préjugés contre l'Islam et accueillent assez bien le développement du nationalisme arabe. Ils apprécient particulièrement le gouvernement hachémite pour sa politique modérée, favorable aux Eglises et à l'occident.

Ils restent au contraire très réticents à l'égard d'Israël, en partie pour des raisons politiques, à cause de ce rapprochement avec le monde arabe, mais surtout pour des raisons d'ordre psychologique. Les chrétiens vivant dans le pays constituent en effet une minorité étrangère au sein d'un monde qu'ils connaissent toujours aussi mal et dont ils continuent à se méfier, bien qu'ils n'aient pas à se plaindre de la politique religieuse du gouvernement. Leurs craintes sont entretenues par l'hostilité très vive des israéliens contre tout ce qui rappelle le prosélytisme d'autrefois. Les juifs convertis et certaines sectes protestantes sont très mal accueillis. Obligées de renoncer aux activités de type missionnaire, les Eglises ont tendance à se replier sur elles-mêmes, car elles sont aussi mal préparées que possible aux révisions nécessaires. Elles s'adaptent beaucoup mieux dans les pays arabes, oû elles connaissent pourtant des difficultés analogues, mais où elles n'ont pas les mêmes prétentions.

Quelques fidèles, d'ascendance juive ou venus des pays occidentaux, s'efforcent de surmonter leurs préventions, de participer à l'effort commun et de vivre leur foi en israéliens loyaux, conformément à la meilleure doctrine chrétienne. Ce faisant, ils découvrent la culture juive de l'intérieur et forment peu à peu une communauté d'expression hébraïque. Encouragés par l'évolution générale de l'Eglise à l'époque de Jean XXIII, ils participent activement à la lutte contre les préjugés et au dialogue judéo-chrétien. Cette attitude courageuse leur vaut l'estime et l'amitié des israéliens éclairés. Mais ils sont peu nombreux et restent isolés au sein des Eglises locales, beaucoup plus influencées par les chrétiens arabes et par le vieil antijudaïsme théologique et politique.

Cet immobilisme apparaît clairement pendant le Concile Vatican II, au moment où l'immense majorité des Pères réagissent enfin contre l'enseignement du mépris. La déclaration sur les juifs, adoptée à la quasi unanimité au terme de discussions ardues, réprouve l'antisémitisme et préconise « la connaissance et l'estime mutuelles ». Il n'est pas question d'Israël, mais il est évident que la déclaration constitue un pas en avant important vers la reconnaissance du judaïsme. Elle est bien accueillie par la plupart des chrétiens occidentaux et par la petite communauté d'expression hébraïque. Mais les évêques orientaux et les diplomates de la Secrétairerie d'Etat comptent parmi les principaux opposants. Le cardinal Cicognani essaie même d'empêcher l'adoption du texte, à la suite d'interventions pressantes des Patriarches syrien, copte et melkite (soutenus par les latins et les maronites). Ces démarches semblent avoir été dictées non seulement par la crainte des réactions arabes, mais aussi par les préventions de ces vénérables prélats à l'encontre des juifs et de l'Etat d'Israël. Le Concile passe outre, mais la déclaration est quelque peu édulcorée pour apaiser les orientaux, qui ne désarment pas pour autant. Le vote final ne change pas grand'chose. Chacun reste sur ses positions.

Tout ceci est compréhensible, compte tenu du poids du passé, mais l'effet est encore une fois désastreux. Les milieux juifs, peu au fait des subtilités romaines, ont toujours eu du mal à admettre que le Vatican n'ait pas reconnu Israël. Les initiatives de Jean XXIII ont été accueillies avec espoir et sympathie. Mais la partialité persistante d'une partie des milieux ecclésiastiques provoque une profonde déception. L'amertume est d'autant plus grande qu'Israël se sent seul à l'heure du danger.

C. La Crise de juin 1967

Tout est remis en question par la guerre des Six Jours. Ses conséquences n'apparaissent pas immédiatement dans toute leur étendue. Mais son caractère soudain et la netteté de la victoire israélienne provoquent dans le monde entier une émotion considérable, qu'il est nécessaire d'évoquer brièvement pour apprécier les premières réactions des Eglises à leur juste valeur.

A la veille du conflit, la plupart des occidentaux sont favorables à Israël. L'Etat juif paraît faible et menacé dans son existence même. Ses dirigeants (Levi Eshkol, Abba Eban) sont appréciés pour leur modération. Les discours fracassants des leaders arabes, dont certains parlent de jeter les juifs à la mer, suscitent au contraire une réprobation générale et une vive anxiété.

Pendant les combats, l'opinion internationale va de surprise en surprise. Les exploits des israéliens et la réunification de Jérusalem sont accueillis avec stupeur et enthousiasme en occident. Les premières déclarations des vainqueurs en faveur d'une paix de compromis semblent autoriser tous les espoirs. Beaucoup de gens croient de bonne foi qu'Israël va rendre ses conquêtes et tendre la main aux arabes, et que ceux-ci vont tirer la leçon de leurs défaites répétées et accepter de négocier. Beaucoup espèrent que Jérusalem va devenir enfin la ville de la paix et de la réconciliation. Mais le miracle attendu n'a pas lieu et ces beaux rêves sont bientôt démentis par la suite des événements.

Au lendemain du cessez-le-feu, les gouvernements arabes refusent en effet de traiter. Le gouvernement israélien refuse de son côté de rendre les territoires conquis, tant que les arabes n'accepteront pas de reconnaître Israël et de conclure une paix négociée. Complètement dépassée, plus divisée que jamais, l'O.N.U. préconise le retour à la situation antérieure et l'ouverture de consultations sous son égide, par les fameuses résolutions du 29 juin et du 22 novembre 1967. Mais elle est incapable d'imposer son arbitrage. Les deux grandes puissances consolident leurs zones d'influence et réarment leurs partenaires respectifs.

La guerre larvée continue. Un profond désenchantement gagne les esprits dans tous les pays du monde.

Les chrétiens ont suivi le déroulement de la crise avec une véritable passion, car beaucoup se sentaient concernés au plus intime de leur être. Ils ont subi, eux aussi, l'influence de ces vagues successives d'angoisse et de soulagement, d'espoir et de désillusion. Ils n'en restent pas moins divisés et les premières réactions des Eglises témoignent surtout de l'extraordinaire stabilité des senrtiments et des comportements à l'égard d'Israël.

Au cours des journées dramatiques qui précèdent la guerre, les chrétiens partagent l'inquiétude générale mais hésitent sur l'attitude à adopter. Des millions d'hommes attendent et espèrent confusément l'intervention des hautes autorités spirituelles, comme toujours dans les grandes crises. Mais les Eglises répugnent à prendre position dans les affaires politiques, pour l'avoir fait trop souvent à tort et à travers dans le passé. Devant l'imminence du danger, quelques associations de chrétiens et de juifs, quelques évêques catholiques et pasteurs protestants se décident tardivement à lancer de timides appels à la paix et à la reconnaissance mutuelle, notamment en France et aux Pays Bas. Mais ces voix sont peu nombreuses. Le Vatican et les Eglises orientales se taisent. Paul VI se contente de déplorer, lors d'une audience publique, que « la Terre de Jésus soit une nouvelle fois en danger ». Ce silence est compréhensible de la part des évêques des pays arabes en raison des formidables pressions qui s'exercent sur eux. Mais la discrétion du Vatican est douloureusement ressentie en Israël et dans le monde juif (où on la compare, à tort ou à raison, au demi-silence d'un autre Pape à l'époque de la persécution nazie).

Les prises de position se multiplient pendant la guerre et au cours des semaines qui suivent. La plupart des occidentaux se prononcent en faveur d'Israël, Leur motivation essentielle est la crainte légitime d'un nouveau génocide; mais beaucoup subissent aussi l'influence des préjugés antiarabes largement répandus dans l'opinion. L'immense majorité des orientaux se rangent au contraire dans le camp arabe, par solidarité naturelle, mais aussi par antijudaïsme traditionnel et par rancoeur envers l'occident. Les déclarations hâtives et souvent quelque peu irréfléchies des uns et des autres font apparaître au grand jour les divisions et les tares du monde chrétien.

Des deux côtés, certains font appel à des arguments religieux de type théocratique et utilisent l'Ecriture pour justifier leurs choix politiques. Quelques amis des juifs, moins nombreux qu'on ne l'a prétendu par la suite, invoquent la Promesse faite à Abraham pour inciter les chrétiens à soutenir Israël (sans tomber forcément pour autant dans la haine de l'Islam). Quelques amis des arabes dénient au contraire aux juifs tout droit à l'existence nationale, au nom d'une conception opposée de l'Histoire du Salut. Un groupe de théologiens de Beyrouth déclare, le 18 juin, que le peuple juif « n'est pas un peuple à destinée temporelle et politique ». Cette affirmation n'est pas entièrement fausse, à condition d'être nuancée. Mais ils en tirent la conclusion très grave que « la création d'un état israélien exclusivement juif va directement contre le dessein de Dieu ». Ces théologiens se défendent de tout antisémitisme et ils sont sans doute sincères. Ils n'en parlent pas moins le vieux langage des Croisades et de la polémique antijuive.

Les esprits réfléchis désapprouvent ces excès et s'efforcent d'apaiser les passions en rappelant tous les aspects du problème. Paul VI intervient, dès le début de la guerre, pour demander l'arrêt des combats et suggérer que Jérusalem soit déclarée ville ouverte. Les autorités catholiques et protestantes des pays occidentaux lancent également des appels en faveur de la paix et de la réconciliation, comme c'est leur râle et leur devoir. Ces gestes positifs sont malheureusement gâchés par la résurgence soudaine des revendications traditionnelles sur les Lieux Saints.

L'initiative vient du Vatican. Le Pape réclame l'internationalisation de Jérusalem et l'application du vieux projet de corpus separatum le 9 juin, dès que la victoire israélienne apparaît certaine, avant même le cessez-le-feu. Il est immédiatement soutenu par les diplomates de la Secrétairerie d'Etat, par de nombreux prélats, surtout à Romeet en orient, et par d'éminentes personnalités comme le P. Congar et le P. Daniélou. Leurs déclarations soulèvent une vive émotion en Israël et dans tout le monde juif. Chacun sait en effet que les dirigeants chrétiens se sont fort bien accommodés pendant vingt ans de l'occupation de la vieille ville par les jordaniens et qu'ils n'ont jamais protesté contre l'interdiction faite aux juifs d'accéder au Mur occidental, ni contre le pillage des synagogues et cimetières israélites. Leur hâte à réclamer de nouveau un statut international, alors que le gouvernement israélien affirme sa volonté de respecter scrupuleusement tous les Lieux Saints chrétiens et musulmans, comme il l'a toujours fait, est interprétée par les juifs comme une nouvelle preuve d'incompréhension et d'hostilité à leur égard.

Il y a un peu d'exagération mais aussi beaucoup de vrai dans cette interprétation. Des hommes comme Paul VI et le P. Congar ne sont pas des antisémites et n'approuvent pas les attaques outrancières des défenseurs inconditionnels du camp arabe contre l'Etat d'Israël. Leurs principales motivations conscientes sont le désir sincère de trouver une solution pacifique au problème de Jérusalem et la conviction tenace que les Nations Unies, malgré tous leurs échecs, ont un rôle important à jouer dans le processus de la réconciliation. Ils ont sans doute été influencés, eux aussi, par la vague d'espoir et d'illusions éphémères qui submerge les pays occidentaux entre la fin de la guerre et l'échec de la paix. Mais ils ne tiennent pas compte de l'indéfectible attachement d'Israël et de tout le monde juif pour la Ville Sainte, ni du fait que les trois quarts des habitants de Jérusalem sont juifs et revendiquent légitimement leur droit à l'autodétermination. Cet oubli des données élémentaires de la conscience juive et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est révélateur de l'ignorance et des préventions persistantes d'une grande partie des autorités chrétiennes. Les milieux ecclésiastiques ne partagent pas forcément l'hostilité de la plupart des orientaux à l'égard d'Israël. Mais il reste encore beaucoup à faire sur la voie de la reconnaissance du judaïsme et des juifs d'aujourd'hui.

D. L'évolution récente

L'aggravation du conflit judéo-arabe depuis la guerre des Six Jours accentue les divisions des chrétiens et précipite leur évolution. Les Eglises semblent adopter une attitude plus positive sur la question de Jérusalem, mais de nouveaux malentendus apparaissent sur le plan politique.

Le gouvernement israélien s'emploie en effet à apaiser les craintes au sujet des Lieux Saints. Il fait voter une loi, dès le 27 juin 1967, pour assurer une entière liberté religieuse et garantir le statu quo. Pour la première fois depuis 1947, tous les cultes sont autorisés dans toute la Ville Sainte. Une démarche est faite auprès du Vatican, qui accepte d'envoyer un émissaire en Israël et d'engager des conversations discrètes pour régler les questions en suspens.

Cet apaisement est facilité par une prise de conscience décisive de plusieurs secteurs de l'opinion chrétienne. Sur place la petite communauté d'expression hébraïque demande aux Eglises une plus grande compréhension à l'égard du judaïsme et de l'Etat d'Israël. Dès juillet 1967, un groupe de religieux catholiques de la maison Saint Isaïe font connaître leur opposition au projet du corpus separatum et se prononcent pour une politique d'entente confiante avec les israéliens. Les arméniens et les grandes Eglises protestantes réagissent à peu près de la même manière. En août 1967, le Patriarche arménien de Jérusalem, Elisha II Derderian, se rallie à la solution intermédiaire de l'exterritorialité limitée aux lieux de culte.

De nombreuses voix s'élèvent aussi dans le même sens à l'étranger. Les autorités protestantes et plusieurs évêques catholiques français et néerlandais, dont le cardinal Marty et Mgr Elchinger, protestent courageusement contre le principe même d'une « politique chrétienne » et rappellent que l'essentiel est la recherche de la paix et du dialogue entre tous les intéressés. Un ancien responsable franciscain de Terre Sainte, Mgr Collin, évêque de Digne, tient également des propos conciliants et reprend à son tour la thèse de l'exterritorialité limitée. Les laïcs, eux, ont tendance àse désintéresser de la question des Lieux Saints, qui leur paraît secondaire par rapport aux problèmes généraux du Proche Orient.

Le Vatican n'ignore pas ces réactions. Le Pape semble même en tenir compte, à deux reprises; dans son allocution aux cardinaux du 23 décembre 1968 et dans son message à la Conférence islamique de Rabat du 21 septembre 1969, il ne fait plus allusion au corpus separatum et demande simplement un « réglement » international pour les Lieux Saints et Jérusalem. Il est difficile de savoir s'il s'agit d'une simple prudence verbale, ou d'un retour à la politique traditionnelle d'avant 1947, ou au contraire d'une véritable remise en question. Mais il est probable qu'il y a au moins un début d'évolution, lié à la pression de la base et au lent renouvellement du personnel de la Curie, où Paul VI fait entrer peu à peu des hommes réputés plus ouverts que leurs prédécesseurs.

Cette évolution se heurte à de vives résistances. Le Patriarcat latin, les Patriarcats orientaux des pays arabes et une grande partie des milieux romains restent en effet favorables à l'internationalisation de la Ville Sainte. L'Osservatore Romano en reparle périodiquement et proteste contre la « judaïsation » de Jérusalem. Cela ne veut pas dire que le Pape et le monde chrétien n'aient pas évolué, car le journal du Vatican, contrairement à une opinion très répandue, n'a aucun caractère officiel et n'engage que ses rédacteurs. Mais il est clair qu'il y a actuellement conflit entre deux courants opposés, non seulement à Rome mais dans toutes les Eglises. Ce conflit déborde largement la question des Lieux Saints, qui semble aujourd'hui reléguée au second plan, et porte en réalité sur l'attitude à adopter dans le conflit judéo-arabe. C'est d'ailleurs tout à fait normal, car c'est bien là le véritable problème.

Or la situation a beaucoup évolué depuis 1967. Le principal fait nouveau est l'apparition et le développement rapide du mouvement national palestinien. Une partie des réfugiés et des enfants des camps élevés dans la haine du sionisme rejettent l'ensemble des dirigeants arabes dont la politique a fait faillite et prennent les armes pour détruire l'Etat d'Israël et récupérer l'ensemble de la Palestine. Quelles que soient les réserves qui s'imposent sur leur programme et sur leurs méthodes, leur détresse et leur volonté d'affirmer leur droit à l'existence et à l'autodétermination méritent l'attention et le respect. Leurs thèses excessives, leurs divisions et le recours au terrorisme irresponsable risquent fort d'entraîner une guerre sans fin et de nouveaux massacres de juifs et de palestiniens (moins peut-être en Israël, où beaucoup d'arabes ne demandent qu'à vivre en paix et où le gouvernement semble contrôler la situation, que dans les pays arabes, où les régimes en place n'hésitent pas à se débarrasser des gêneurs au prix de répressions fratricides). Ces hommes n'en conservent pas moins le droit de réaliser leurs aspirations légitimes, à condition qu'elles n'aboutissent pas à l'écrasement des israéliens. Leur intransigeance et la volonté israélienne de n'évacuer aucun territoire tant que les arabes refusent de négocier rendent le conflit insoluble pour le moment. Mais le reste du monde découvre peu à peu qu'il faut tenir compte des uns et des autres et qu'il faudra bien arriver un jour à un compromis.

Les Eglises suivent les événements avec une inquiétude grandissante. L'émergence du facteur palestinien bouleverse les idées reçues et oblige les chrétiens à s'interroger. Ils ne sont guère mieux informés que par le passé, mais une partie d'entre eux évoluent instinctivement. Faibles et menacés jusqu'en 1967, les israéliens bénéficiaient en effet de sympathies qui tendent à se reporter sur ceux qui apparaissent désormais comme les principales victimes. Leurs revendications sont accueillies par beaucoup avec faveur, souvent sans grand discernement. L'écart se creuse avec Israël.

Cette évolution est très avancée dans les communautés orientales où elle était déjà amorcée depuis longtemps. Elle est aggravée par l'exode des chrétiens arabes, dont beaucoup ont fui pendant la guerre des Six Jours, exode qui continue actuellement pour des raisons économiques et psychologiques : les pauvres trouvent dans les entreprises israéliennes des emplois mieux rémunérés que dans les pays voisins, mais les cadres s'adaptent plus difficilement. Mal accueillis par les capitales arabes qui refusent toujours de les intégrer, ils repartent plus loin ou végètent dans les camps. L'humiliation et le ressentiment incitent certains d'entre eux à rejoindre les organisations palestiniennes : les chefs du F.P.L.P. et du F.D.P.L.P., G. Habache et N. Hawatmeh, sont d'origine chrétienne. Sans aller jusque là, les clergés orientaux partagent l'amertume des simples croyants et durcissent leur attitude à l'égard Israël. Il y a encore en leur sein beaucoup d'hommes de paix et de dialogue, qui rêvent d'un avenir moins sombre, mais ils ne peuvent guère s'exprimer.

Les réactions des autres Eglises sont beaucoup plus diversifiées. La majorité des fidèles restent favorables à Israël et souhaitent un rapprochement des points de vue, pour préparer une paix accordant des garanties d'existence suffisantes aux uns et aux autres. Mais une partie des chrétiens d'opinion avancée épousent soudain la cause palestinienne, avec une véritable passion. Quelques journaux français (Témoignage Chrétien, Christianisme Social, La Lettre) entament dès 1967 une vive campagne contre Israël. Leurs lecteurs n'approuvent pas tous mais ils trouvent quelques appuis dans le jeune clergé et à l'étranger.

Ce revirement partiel est lié à la crise générale de la civilisation occidentale, à l'impuissance des mouvements réformateurs et au malaise des Eglises dans un monde en pleine mutation. S'il est plus accusé en France, c'est que le désarroi y est particulièrement grand. Désespérant de trouver une issue chez eux, nombre de chrétiens sincères mais désemparés dénoncent en bloc la société capitaliste, rejettent les formes de pensée et d'action traditionnelles et reportent tous leurs espoirs sur les opprimés du Tiers Monde et sur les mouvements de libération les plus radicaux. La propagande des organisations palestiniennes qui dénoncent le sionisme « raciste et théocratique » et réclament la création d'un état arabe « laïque et progressiste » (où les juifs pourraient vivre mais seulement à titre individuel) leur plaît par son allure moderne et par son extrêmisme même. Le fait que ce programme suppose la destruction de l'Etat d'Israël ne les effraie pas. Le fait que les états arabes n'acceptent pas la laïcité et que la promesse de tolérer les juifs après le Grand Soir semble destinée surtout à l'opinion occidentale — puisqu'elle n'a jamais été traduite en arabe — ne les trouble pas. Ils attribuent en effet tous les torts à Israël et font au contraire une confiance aveugle aux palestiniens.

La campagne unilatérale des antisionistes glisse très vite du plan politique au plan religieux. Après avoir accusé les israéliens des pires forfaits, ses promoteurs reprochent aux juifs et aux autres chrétiens de cautionner une politique injuste par une interprétation erronée de la Bible trop favorable à Israël. Ce grief ne manque pas de saveur étant donné la persistance des sentiments antijuifs, même si certains ont pu tomber parfois dans cette erreur. Les amis de Témoignage Chrétien commettent une erreur bien pire. Reprenant en effet à leur compte les thèses des théologiens de Beyrouth, ils prétendent interdire aux juifs tout droit à l'existence nationale, au nom de considérations théologiques d'une singulière intolérance. Leur insistance sur ce point leur vaut un blâme public du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme qui dénonce, en février 1970, « l'ambiguïté de certaines campagnes d'opinion qui mêlent indûment des arguments religieux à des positions purement politiques ». Peu après, l'évêque de Strasbourg, Mgr Elchinger, déclare que « des chrétiens ne devraient pas inciter à la lutte mais à la réconciliation entre juifs et arabes ». Mais ils ne tiennent aucun compte de ces mises en garde et reprochent même à l'épiscopat de se mêler de ce qui ne le regarde pas.

Désireux d'affirmer avec éclat leur soutien à la cause palestinienne, les quelques groupes antisionistes organisent à Beyrouth, en mai 1970, une rencontre intitulée par eux « Conférence mondiale des chrétiens pour la Palestine ». Les autres tendances de l'opinion n'étant pas représentées, les débats prennent une tournure tellement excessive que les Eglises orientales ne cachent pas leur gêne. Les organisateurs vont jusqu'à déclarer que le sionisme constitue un « détournement d'eschatologie » et un « danger pour la pureté de la foi ». Ils proclament en même temps, avec une assurance imperturbable, qu'ils ne sont pas antisémiteset que les vrais ennemis des juifs sont ceux qui ne sont pas de leur avis.

Ce courant reste très minoritaire, mais son activité brouillonne est tout de même très inquiétante. La plupart des antisionistes ne sont pas antisémites au sens habituel du terme, mais il est clair que la passion les égare. Leurs diatribes manichéennes contribuent à répandre une image déformée d'Israël et du judaïsme et à réveiller les vieux mythes constitutifs de l'antijudaïsme théologique. On comprend l'émotion du monde juif, qui sait de longue date et de douloureuse expérience que de la polémique antijuive à l'antisémitisme la distance n'est pas grande. Beaucoup de chrétiens partagent cette inquiétude et font savoir leur désaccord, notamment en France et en Israël. Plusieurs petits groupes de théologiens et de laïcs, catholiques et protestants, protestent contre le caractère partisan de la Conférence de Beyrouth et défendent des positions plus équilibrées. Ils rappellent en particulier que les chrétiens n'ont pas à se substituer aux juifs et aux arabes ni à leur dicter de haut ce qu'ils doivent croire, être ou faire, ni surtout à prêcher la violence. Ils demandent à l'opinion publique internationale d'essayer de comprendre toutes les parties en présence et de tenir compte des droits et aspirations légitimes des uns et des autres.

Le débat n'est pas clos et il est impossible de prévoir qui l'emportera. Submergés par cette avalanche d'événements déconcertants et de déclarations contradictoires, les chrétiens sont plus désemparés que jamais. La majorité aspire toujours à la paix, mais n'ose plus guère y croire. Les milieux dirigeants sont eux-mêmes très divisés et hésitent à intervenir. Beaucoup attendaient une réaction au lendemain de la Conférence de Beyrouth mais le Vatican et le Conseil Oecuménique des Eglises préfèrent se taire. Les responsables ne cachent pas en privé qu'ils désapprouvent les excès de langage des antisionistes. Mais ils sont très sensibles aux souffrances des palestiniens et aux difficultés des Eglises orientales, qui bénéficient de sympathies accrues à Rome et à Genève. Les amis des juifs sont moins nombreux et moins écoutés en haut lieu. L'effort d'ouverture au judaïsme se heurte presque partout dans le monde à de nouvelles réticences d'origine politique. Le malaise, la confusion, sont extrêmes.

Cette situation est grave. Il ne faudrait pas, en effet, que la crainte des réactions partisanes empêche l'Eglise de prendre ses responsabilités et de jouer le rôle qui est le sien dans le combat pour la justice et pour la paix.

IV. QUELQUES SUGGESTIONS EN GUISE DE CONCLUSION

Nous n'avons pas la prétention de proposer ici un plan de solution, ni même de dire tout ce que les Eglises doivent faire dans un contexte aussi difficile. Mais nous pouvons essayer de tirer quelques leçons des fautes passées et proposer quelques orientations pour contribuer au nécessaire redressement de l'attitude chrétienne.

A. Réagir contre le juridisme et le triomphalisme

Le grand tort de l'Eglise romaine est d'avoir longtemps revendiqué les Lieux Saints avec une âpreté et un mépris des autres qui constituent un véritable scandale. Depuis quelques années, le monde catholique commence enfin à réagir contre l'intolérance, mais la mentalité ancienne n'a pas totalement disparu. Le Vatican et les latins s'interrogent sur l'attitude à adopter, mais ils n'ont pas encore eu le courage de renoncer à la vieille politique de défense des « droits » et privilèges traditionnels, ni à leurs prétentions sur Jérusalem.

Il faut en finir une fois pour toutes avec ce juridisme et avec tous les vestiges du triomphalisme d'antan. Le rôle de l'Eglise n'est pas de défendre des droits mais de vivre de la Parole de Dieu et d'en témoigner. Il est tout à fait normal qu'elle demande à bénéficier des libertés élementaires. Mais elle doit rester pauvre. Elle ne doit pas viser la puissance. Elle ne doit pas être cause de scandale pour le monde.

Dans cette perspective, il nous paraît tout à fait inadmissible de réclamer l'internationalisation de la Ville Sainte et de ses environs. Jérusalem est une ville aux trois quarts juive. La Terre Sainte appartient aux juifs et aux arabes. Les chrétiens, en tant que tels, n'ont aucun droit particulier. Leurs récriminations persistantes sont d'autant moins fondées que toutes les religions jouissent désormais d'une entière liberté de culte garantie par la loi israélienne du 27 juin 1967.

Il serait beaucoup plus réaliste et beaucoup plus conforme à l'esprit de l'Evangile d'accepter la solution de l'exterritorialité limitée aux seuls Lieux Saints; ou, mieux encore, de se contenter des garanties actuelles, qui peuvent d'ailleurs être aménagées et renforcées par des conversations entre tous les intéressés. L'exemple de Rome est très éclairant à cet égard. La question romaine a empoisonné la vie de l'Eglise tant que les Papes ont refusé de se résigner à la perte de leurs états temporels, au nom de la défense des « droits » du Saint Siège. En acceptant de se contenter du Vatican, Pie XI a rendu un immense service au catholicisme italien. De bons esprits se demandent même si la Papauté ne serait pas bien inspirée de renoncer à cette souveraineté symbolique et à tout privilège politique, pour mieux remplir sa fonction pastorale. Cette proposition peut paraître un peu idéaliste mais elle a le mérite de rappeler aux chrétiens que leur véritable mission est d'ordre spirituel.

B. Chercher avant tout la paix et la justice pour tous

Une fois admis qu'il faut renoncer à toute revendication temporelle, il n'est pas question de se désintéresser du sort de la Terre Sainte et de ses habitants. Solidaire de tous les hommes et dépositaire du message évangélique, l'Eglise a un rôle à jouer dans le drame du Proche Orient, quelles que soient ses fautes antérieures. Il ne s'agit pas de proposer une solution politique. Ce n'est pas sa vocation. Mais elle a à rappeler à toutes les parties que la seule attitude féconde à travers les pires difficultés est la recherche de la paix et de la justice pour tous, sans exclusive. L'Evangile ne donne pas de solution toute faite mais oblige les chrétiens à travailler dans ce sens, humblement mais inlassablement, non seulement en paroles mais en actes. Ils peuvent faire des choix politiques différents, mais ils doivent se garder, quelles que soient leur appartenance ou leurs sympathies, de toute prise de position unilatérale et de toute excitation belliqueuse. Pour un chrétien en effet, il n'y pas de paix possible sans un réel effort pour la justice, ni de justice possible sans un réel effort pour la paix.

Plusieurs solutions peuvent être envisagées pour sortir de l'impasse : retour aux frontières d'avant 1967, avec quelques rectifications plus ou moins importantes; ou bien création d'un état palestinien en Cisjordanie ou sur les deux rives du Jourdain; ou encore fédération judéo-arabe et protection des minorités. Toutes supposent un prodigieux effort de compréhension et de rapprochement, auquel les Eglises devraient avoir à coeur de participer dans toute la mesure du possible.

C. Progresser sur la voie de la reconnaissance des autres

Les bons sentiments ne suffisent pas. Il faut aussi ouvrir les yeux et surmonter définitivement les vieux préjugés pour découvrir, comprendre et respecter les réactions des juifs et des arabes. De grands progrès ont été accomplis ces dernières années grâce aux efforts d'un petit nombre de pionniers, mais nous sommes encore très loin du compte. Le judaïsme et le monde juif restent en général mal connus et mal compris. Les milieux ecclésiastiques manifestent souvent une plus grande ouverture à l'Islam et au monde arabe; mais la plupart des chrétiens occidentaux restent réticents. Il faut donc lutter à la fois contre l'antijudaïsme persistant d'une partie du clergé et contre le racisme antiarabe latent des masses occidentales. Cela ne veut pas dire qu'il faille approuver en tout la politique des dirigeants de l'un oul'autre camp. Mais le monde chrétien doit apprendre à connaître et à reconnaître pleinement les juifs et les arabes, leurs valeurs et leurs différences, leurs droits et leurs aspirations.

Il faut aussi comprendre et reconnaître les Eglises orientales. Le rapprochement oecuménique amorcé depuis Vatican II reste beaucoup trop circonscrit aux cercles diplomatiques. Tous les fidèles doivent se mettre à l'écoute des chrétiens d'Israël et des chrétiens arabes, pour mieux connaître leurs problèmes et respecter leurs réactions. Il ne faudrait pas que les latins, restés trop souvent étrangers au pays, continuent à faire écran. Un aggiornamento est nécessaire. On peut même se demander si le Patriarcat ne devrait pas s'effacer progressivement au profit de la communauté d'expression hébraïque et des Patriarcats orientaux. On peut aussi se demander si les franciscains ne seraient pas bien inspirés de renoncer à garder les sanctuaires et à drainer l'argent des touristes, pour se consacrer entièrement au service des pauvres et des Eglises locales.

Cette reconversion nécessaire n'est pas sans comporter quelques risques du fait des sentiments antijuifs de beaucoup de chrétiens arabes. Il faut pourtant leur faire confiance, car c'est à eux de réagir. Les autres chrétiens doivent les y aider en dialoguant avec eux et en évitant avec soin les critiques sommaires et les concessions excessives. Les chrétiens israéliens, acquis depuis longtemps à la réforme de l'Eglise et au rapprochement judéo-arabe mais trop peu écoutés jusqu'ici, peuvent jouer un rôle positif dans le débat, à condition d'être reconnus, eux aussi, comme partenaires à part entière.

Tout ceci suppose un immense travail d'information et de réflexion, à long terme, au Proche Orient et ailleurs. Les informateurs et les responsables ecclésiastiques ont une très lourde responsabilité à assumer à cet égard. Ils doivent par conséquent se garder de toute déclaration intempestive et donner partout la parole à des hommes capables de voir toutes les données du problème et de tenir compte de tous les points de vue. Cet effort d'ouverture concrète à tous est sans doute le principal devoir de l'Eglise d'aujourd'hui.

D. Inciter humblement au dialogue

Gênés par le poids de leurs fautes passées, les chrétiens sont mal placés pour donner des leçons à qui que ce soit. Ils doivent d'abord balayer devant leur propre porte, renoncer à réclamer des avantages pour eux-mêmes et donner l'exemple du respect d'autrui et du dialogue pacificateur.

Le jour où ces conditions seront remplies, il devrait être possible de trouver un langage crédible et de contribuer au rapprochement judéoarabe, en incitant au respect de tous les peupleset de toutes les croyances, sans prétendre imposer aucune solution.

Ces perspectives peuvent paraître utopiques dans le contexte actuel. Le conflit qui ensanglante la Terre Sainte peut continuer à s'aggraver pendant longtemps encore et les chrétiens peuvent faillir une fois de plus à leur mission. Mais il est clair qu'il faut chercher les chemins de la paix, pour que tous les enfants d'Abraham puissent se retrouver un jour à Jérusalem et contribuer enfin à la réconciliation universelle, qui constitue leur commune espérance.

 

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