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Le concept de dieu dans la vie religieuse des juifs et des africains: analogies remarquables; vues nettement divergentes
John Mbiti
Il est impossible de traiter un tel sujet de façon pleinement équitable; il est si vaste, en effet, qu'on ne peut en embrasser tous les aspects en quelques pages. Par conséquent, nous ne ferons qu'esquisser une vue d'ensemble assez superficielle, comme une invitation à réfléchir et à discuter davantage. Nous limiterons nos remarques à la vie religieuse de l'ancien Israël telle qu'elle est présentée dans la Bible, sans entrer dans le problème de son interaction avec les traditions religieuses des Cananéens et autres peuples sémites. L'expression « Religion africaine » sera employée pour désigner la religion traditionnelle des peuples africains (religion qui n'est ni le Christianisme, ni l'Islam). D'un côté nous avons la religion du Livre, la Bible; et de l'autre une religion sans Ecritures sacrées. C'est la pratique et des documents écrits qui nous ont transmis la première, tandis que la seconde est inscrite dans la vie des gens. Nous parlons de la vie religieuse juive dans l'Ancien Testament; il est vrai, en un sens, que cette religion est ancienne, presque coupée de la vie quotidienne des Juifs d'aujourd'hui, quelles que soient leurs croyances et pratiques religieuses. La religion africaine, elle, est une réalité contemporaine toujours très vivante.
Ainsi donc, la comparaison à laquelle nous nous livrons est, de quelque manière, déséquilibrée et limitée. Elle tournera autour des concepts de Dieu, parce que c'est le domaine où nous trouvons, entre les vies religieuses juive et africaine, bien des parallèles frappants en même temps que des vues nettement divergentes.
Monothéisme
La foi juive monothéiste s'énonce dans la profession de foi Shema Israël (Dent. 6, 4): « Écoute, Israël; le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur ». Elle trouve une expression encore plus forte dans le Décalogue: « Tu n'auras pas d'autres dieux que moi » (Ex. 20, 3) et aussi en d'autres enseignements de ce que nous, chrétiens, appelons l'Ancien Testament. Adorer Yahvé est une injonction primordiale qui est devenue une pratique profondément enracinée dans la vie juive. Il est strictement défendu de fabriquer ou d'adorer des idoles, et toute infraction est punie sévèrement, y compris même par la mort.
Si nous nous tournons vers la religion africaine, nous voyons que la notion de Dieu y est fondamentale de la même manière. Mais le monothéisme ne se présente pas comme un problème. Il est évident que Dieu ne peut être qu'Un, et sa position comme tel est hors de toute discussion. La croyance en l'existence de Dieu va de soi, étant donné que tous les peuples africains la professent unanimement. Il n'existe point de lois pour imposer cette foi ou pour sauvegarder ce monothéisme puisqu'ils ne sont pas mis en question. Quiconque ne se conforme pas à cette croyance massive est considéré comme insensé, bizarre, marginal. Le conformisme religieux est un postulat; mais l'anti-conformisme n'est pas un délit, sauf en cas d'infraction des lois rituelles ou morales. En outre, dans la religion africaine, le culte de Dieu n'est pas une pratique commandée par la loi. C'est un besoin communautaire, souvent dicté par les nécessités du moment dans la société. Les individus peuvent adorer Dieu en privé; et ils peuvent aussi manifester un certain respect pour d'autres êtres ou objets religieux sans pour cela encourir la colère de Dieu et sans qu'ils se sentent le moins du monde infidèles envers lui. Dans les sociétés africaines, cependant, il n'existe point d'idoles représentant la divinité, autant du moins que les recher ches ont pu le révéler. A vrai dire, on considère qu'il est absurde de représenter Dieu physiquement ou d'en faire des images. Une hymne pygmée sur Dieu s'exprime ainsi:
« Au commencement, il y avait Dieu (Khmvoum);
Aujourd'hui, il y a Dieu;
Demain, il y aura Dieu.
Qui peut faire une image de Dieu?
Il n'a pas de corps,
Il est comme un mot qui sort de ta bouche;
Ce mot! il n'est plus,
Il est passé et il est encore vivant!
Ainsi est Dieu. »
Et pourtant l'accent mis sur le monothéisme laisse non résolus un bon nombre de problèmes aussi bien dans la tradition juive que dans la tradition africaine. On peut interpréter, au moins par implication, qu'il existe d'autres êtres divins dans la cosmologie de l'ancien Israël. La Bible comporte des références à des « dieux » (les elohim) et Yahvé est peint comme étant un Dieu jaloux (l'Elohim). Les « dieux » des nations qui entourent Israël sont mentionnés; mais il est strictement défendu à Israël d'adorer aucun de ces autres « dieux ». La Bible parle implicitement d'une assemblée — ou d'un conseil — de dieux: (v.g. Ps 82, 1-6-7)
« Dieu se tient au milieu du conseil divin;
au milieu des dieux, il juge ...
Moi, j'avais dit: Vous, des dieux,
Des fils du Très-Haut, vous tous.
Mais non, comme l'homme vous mourrez;
Comme un seul, O Princes, vous tomberez! »
On peut évidemment trouver plusieurs explications à ces versets et à d'autres références semblables. Mais les difficultés n'en demeurent pas moins. A celles-ci, nous pouvons ajouter la question d'une dualité en Dieu, dualité sous-entendue de bien des façons dans l'Ancien Testament. Nous lisons par exemple en Isaïe 45, 7, « Je façonne la lumière et crée les ténèbres; je fais le bonheur et provoque le malheur... »; Jacob lutte avec le Seigneur qui, au même moment, le bénit (Gn. 32, 24-30); c'est Dieu qui, à la fois, endurcit le coeur du Pharaon (Ex. 9, 12; 10, 1; etc.) et punit ensuite si sévèrement les Egyptiens; c'est le Seigneur qui envoie un « mauvais esprit » dans l'âme du roi Saül et le rend fou (I S. 16, 14; 19, 9).
La religion africaine est apparemment aux prises avec des difficultés semblables. Elle reconnaît une grande variété de divinités qui fonctionnent à des niveaux divers et pour différentes raisons. Quelques-unes, pense-t-on, ont été créées par Dieu pour combler le vide ontologique entre l'homme et Dieu et pour être les protectrices des humains. Mais, dans leur très grande majorité, ces divinités ne sont que des personnifications de phénomènes et d'objets naturels comme la mer, les lacs, les forêts, les orages, les tremblements de terre, la mort, etc. Elles sont, sous cet aspect, des divinités bien déterminées qui n'entrent pas en compétition avec Dieu ni ne le menacent, puisqu'elles sont liées à des phénomènes ou objets naturels spécifiques. Bien plus, ces divinités ne sont, pour ainsi dire, reconnues que par les peuples africains qui avaient traditionnellement des chefs et des rois. Cela signifie que l'introduction de divinités dans la cosmologie africaine reflète les structures politiques des peuples concernés. Il n'arrive que très rarement, peut-être même jamais, que l'on prie ces divinités ou qu'on leur offre directement un sacrifice.
Le problème du mal par rapport à Dieu
Un problème plus sérieux surgit lorsqu'on voit attribuée à Dieu une certaine forme de dualité dans ses activités et dans sa nature; et cela a lieu presque toujours en relation avec le problème du mal, particulièrement avec la maladie et la mort. Ceci peut très bien être illustré par plusieurs proverbes africains qui parlent de Dieu. Certains peuples africains soutiennent que « Dieu tue et Dieu fait vivre »; quelques-uns acceptent les malheurs comme « la volonté de Dieu »; d'autres disent que « Dieu donne et fait pourrir »; tous croient que c'est Dieu qui leur donne des enfants, mais il s'en trouve qui disent que « Dieu tue les enfants »; en certains lieux, quand quelqu'un meurt, les gens disent: « Dieu nous a frustrés d'une vie » (c'est à dire que Dieu a enlevé une vie à la communauté). Comme Job le faisait remarquer: Dieu donne et Dieu ôte. Telle est aussi l'expérience de nombreux peuples africains.
Ces difficultés non résolues et ces expériences n'empêchent pourtant pas les gens de tenir fermement à Dieu, que ce soit dans la tradition juive ou dans la tradition africaine. Il est le Dieu suprême au-dessus de tout, le Tout-Puissant, le Souverain de l'univers. Il est considéré comme étant essentiellement bon pour son peuple, miséricordieux et aimant. C'est là la croyance fondamentale; nous n'avons pas besoin d'insister.
La sainteté de Dieu
La tradition juive insiste fortement sur la sainteté. Dieu y est souvent appelé « Le Saint d'Israël ». Isaïe est gratifié d'une vision du Seigneur et il entend les anges chanter sa sainteté (Is. 6). Dans l'alliance du Sinaï, Dieu établit entre lui et Israël une relation sainte. En fait, toute la théologie du péché, depuis la Genèse avec ce qu'on a appelé la chute de l'homme et tout au long de l'histoire de l'ancien Israël, se projette sur un fond caractérisé par la sainteté essentielle de Dieu et la culpabilité constante, pour ne pas dire incurable, de l'homme.
Cet accent mis sur l'opposition entre la sainteté de Dieu et la culpabilité de l'homme est absent de la religion africaine. Dieu, simplement, est différent de l'homme; il habite dans sa demeure à lui, au ciel; il crée et soutient le monde; il est ontologiquement séparé de ce qu'il a créé. L'homme n'est pas vu comme pécheur devant Dieu; il est seulement une créature, comme toutes les autres créatures, et ses limites sont plus ontologiques que morales. Une croyance religieuse africaine est exprimée comme suit:
« Nzame (Dieu) est en haut; l'homme est en bas;
Nzame est Nzame; l'homme est homme;
Chacun pour soi, chacun chez soi. »
Ce sur quoi on insiste, cependant, c'est sur l'observance d'une procédure correcte dans les fonctions rituelles; et si l'on ne suit pas correctement les règles prescrites, on devient rituellement impur. L'infraction à de nombreux tabous est également regardée comme une forme d'impureté qui doit être effacée rituellement. Il ne s'agit pas là d'impuretés vis-à-vis de Dieu en tant que Dieu, mais seulement d'impuretés au regard de la tradition, des coutumes, de la communauté.
Manifestations de Dieu
La Bible mentionne bien des manifestations de Dieu. Certaines sont des anthropomorphismes, d'autres des théophanies qui insistent sur la gloire de Dieu manifestée dans le feu (Ex. 24, 17), la nuée (Ex. 16, 10; Ex. 13, 32; etc.) et le tremblement de terre. Moïse a le privilège de voir la gloire de Dieu (Ex. 33, 18 s); un « ange du Seigneur » apparaît à de nombreux personnages, à Agar, par exemple (Gen. 16, 7-22), à David près de l'aire d'Oman (I Ch. 21, 16; 18-20), à Moïse sur l'Horeb (Ex. 3, 2), à Balaam (Nm. 22, 22).
Des manifestations de Dieu comme celles que rapporte la tradition juive sont inconnues dans la religion africaine, ou bien elles prennent des formes différentes. On n'y connaît point de théophanies; mais on admet très généralement que Dieu se manifeste dans et par les phénomènes naturels, et très spécialement les phénomènes célestes. Le ciel est intimement associé à Dieu et considéré comme sa demeure. Le soleil manifeste la nature lumineuse et brillante du Dieu qui voit tout. Les étoiles ne sont autres que les enfants de Dieu — des feux; la pluie est une bénédiction toute particulière de Dieu; le tonnerre est sa voix et l'éclair l'instrument qui lui permet d'accomplir sa volonté en ce monde. On ne trouve aucune référence dans la religion africaine à rien qui ressemble à un « ange du Seigneur ». Dans une certaine région du continent africain, pourtant, on croit que Dieu existe sous la forme d'une trinité ou d'une triade comme Père, Mère et Fils. Mais les fonctions respectives de ces trois personnes ne sont pas définies.
Dieu et les esprits angéliques
Les deux traditions, juive et africaine, ont beaucoup à dire en ce domaine. La tradition juive nous présente les anges comme des messagers de Dieu dont plusieurs ont des noms (ainsi Michel, Gabriel, Raphaël); elle nous parle aussi de plusieurs catégories d'anges, séraphins et chérubins; et de l'intervention d'anges, sous la direction de Dieu, dans les affaires et dans l'histoire humaines. De plus, il existe d'autres êtres spirituels, méchants ceux-là, communément appelés démons. Selon une tradition, ils ont été créés par Dieu et déchus de leur gloire, ou bien ils sont nés de l'union sexuelle de certains anges avec des filles des hommes très belles. L'Ancien Testament, cependant, n'insiste guère sur le rôle des démons, et ce que les chrétiens peuvent dire à leur sujet vient surtout des récits du Nouveau Testament et de sources non-canoniques.
Le système religieux africain intègre une large variété d'esprits. Quelques-uns, dit-on, furent créés par Dieu comme esprits; certains sont des personnifications de phénomènes ou d'objets naturels d'importance mineure; mais la plupart sont tout simplement les esprits des défunts, certains d'entre eux vivant encore dans le souvenir des membres de la famille. Il est très rare que Dieu se serve de ces esprits pour communiquer avec les hommes. Il y a des esprits qui font du mal aux gens; mais, dans l'ensemble, les esprits reproduisent les traits des humains qui ne sont ni bons ni méchants, mais susceptibles de faire aux autres du mal et du bien. Les esprits sont utiles aussi parfois pour expliquer les événements fâcheux qui se produisent dans le monde, même s'ils n'en sont pas toujours responsables.
Le culte de Dieu
Adorer Dieu est une occupation primordiale dans la vie religieuse de l'ancien Israël, et la Bible nous rapporte bien des choses à ce sujet. C'est à la fois un commandement et une expression spontanée de l'âme humaine, une expression de l'engagement de l'homme envers Dieu que l'on montre jaloux de tout culte qui serait rendu à qui que ce soit ou à quoi que ce soit d'autre que lui-même. Ce culte peut assumer des formes variées: sacrifices, offrandes, prières, dédicaces, fêtes, chants, danses, cérémonies rituelles. Il y a des lieux sacrés, des autels, des sanctuaires, des montagnes et des temples sacrés. Adorer Dieu est l'acte le plus élevé que l'homme puisse lui offrir. A dire vrai, le bien-être d'Israël, en tant que nation, est intimement lié à sa vie cultuelle. Les fonctionnaires du culte, spécialement les prêtres, sont considérés comme des guides par la nation toute entière. Et les lieux sacrés ne ressemblent en rien aux autres endroits.
Nous trouvons plusieurs similitudes entre ces coutumes juives et la vie cultuelle en Afrique. Dans la religion africaine, cependant, Dieu ne réclame aucune adoration. Le culte naît avant tout du besoin: l'homme ressent le besoin de Dieu et il l'exprime par son culte. Celui-ci est principalement communautaire et corporatif. Le peuple offre des sacrifices d'animaux — et jadis on offrait même des sacrifices humains aux époques de grande détresse —; il offre aussi de la nourriture ou autres choses qu'il possède. Mais le monde des disparus est bien plus intégré à la vie cultuelle des africains qu'il ne l'était pour les juifs. Offrandes et sacrifices symboliques sont offerts aux défunts; on leur adresse aussi quelques prières. Cela ne signifie pas que les défunts sont adorés comme tels; cela veut dire seulement qu'on les reconnaît comme appartenant à la grande communauté et plus encore aux familles concernées. A cause de cette appartenance, ils doivent être intégrés dans les actes du culte puisqu'ils font partie de la communauté qui les accomplit.
La religion africaine ne laisse pas entendre que l'on pourrait abandonner le culte de Dieu et que cela amènerait de terribles conséquences. Ce culte est tellement incorporé à la vie des gens qu'il serait presque impossible de l'empêcher. Les prières en sont les actes principaux; elles révèlent la nudité spirituelle radicale de l'homme face à Dieu. C'est en priant que l'homme atteint sa plus haute stature spirituelle. Dans le cadre africain, cela apparaît sous forme d'expressions corporatives communautaires, car la spiritualité privée et personnelle n'est jamais mise en relief.
Dieu et l'homme
Il est beaucoup parlé de la relation entre l'homme et Dieu, dans la tradition africaine comme dans la tradition juive. Et nous y trouvons, à ce sujet, des concepts parallèles et d'autres qui présentent des différences considérables. Dans la tradition biblique, l'homme est créé en dernier, figure culminante de toute la création, créature exceptionnelle puisque faite à l'image de Dieu. Le premier domaine de l'homme est un paradis dans le jardin d'Eden. Vient alors ce qu'on appelle la chute de l'homme, l'expulsion du paradis, la dispersion de l'humanité, l'expérience de la souffrance. De cet effondrement, Dieu fait jaillir une alliance qu'Il établit avec Abraham (ou Noé selon le point de départ qu'on préfère), Isaac et Jacob ...; la notion qu'Israël est un peuple choisi émerge et la nation commence à se former, avec son histoire si particulière qui occupe toute la scène à partir de l'Exode. Dieu devient le Créateur, Celui qui fait l'Alliance, le Dieu d'une nation qui, non seulement lui montre sa bienveillance, mais sait aussi la punir quand elle est infidèle. Dieu parle à cette nation par ses prophètes; plus tard Il lui confie une mission universelle, sinon à elle, du moins au petit reste fidèle. L'histoire de cette nation n'appartient pas seulement au monde profane; elle est sacrée, elle est salvifique; c'est une histoire de salut, que les chrétiens ont reprise à leur compte il y a près de deux mille ans. A ces concepts sont liés de façon étroite tous les espoirs d'Israël, surtout les espérances messianiques et apocalyptiques, ainsi qu'une eschatologie qui dérive en grande partie d'une notion de l'histoire qui coupe en deux le temps: cet âge (hdolam hazze) et l'âge à venir (hdolam habba). Le premier est mauvais, le second est glorieux. L'Histoire culminera dans l'Age à venir — et les fidèles ras-susciteront; ils hériteront du royaume de Dieu, entreront dans le paradis retrouvé et seront restaurés dans l'état d'éternel bonheur. Mais les méchants souffriront une sorte de torture, un châtiment éternel, souvent décrit comme obscurité ou feu. Dieu rendra son jugement au dernier jour, quand tous les humains seront rassemblés devant lui.
Telle est, chez les Juifs, la structure de la relation entre l'homme et Dieu. Il est clair que nous l'avons simplifiée, et beaucoup, par souci de concision. La structure africaine lui est très semblable en ce qui regarde les commencements, à savoir la création de l'homme par Dieu (mais pas « à l'image de Dieu »). Selon de nombreux mythes, l'homme fut établi d'abord dans un état de bonheur; Dieu vivait proche de l'homme et lui fournissait nourriture et abri. La mort et la maladie n'avaient rien de menaçant. Il est dit, dans certains mythes, que si l'homme mourait c'était pour ressusciter ensuite; et que s'il devenait vieux c'était pour retrouver ensuite sa jeunesse. Immortalité, résurrection, rajeunissement étaient les dons fondamentaux de Dieu à l'homme primitif. Ces dons furent perdus, cependant, pour des raisons variées; la terre et le ciel furent séparés; l'homme et Dieu le furent également; et le mal, la douleur et la souffrance devinrent pour l'homme le lot quotidien. Depuis lors, l'homme ne peut rester en contact avec Dieu que par l'adoration, les sacrifices, les prières, les cérémonies rituelles...
Selon la religion africaine, il ne s'agit pas d'une séparation morale; l'homme n'est pas présenté comme pécheur aux yeux de Dieu. Par conséquent, Dieu n'appelle pas d'hommes de façon particulière, comme ce fut le cas pour Abraham et d'autres patriarches. II n'existe point de peuple élu ou choisi; tous sont créés égaux par Dieu. Dieu continue de travailler dans et par l'histoire humaine, mais pas de manière spéciale par des actes qui impliqueraient une « alliance ». L'histoire, ici, ne culmine pas « au dernier jour »: il n'y a pas de « jour du jugement ». L'histoire ne finira pas dans l'avenir; il n'y aura pas de terre nouvelle ni de paradis retrouvé. Il n'y a pas de solution à la mort car c'est pour toujours que l'immortalité est perdue. La résurrection était possible dans le passé, mais aujourd'hui l'homme n'attend plus de changements dans la direction de l'histoire. Dieu subvient aux besoins quotidiens des créatures, même si la souffrance et la douleur continuent. Les gens Le prient, offrent des sacrifices et Lui parlent. Il répond en accédant à leurs prières, mais pas en leur parlant. Le prophète de type juif, qui est le porte-parole de Dieu et qui proclame: « Ainsi parle le Seigneur » est totalement inconnu dans la religion africaine. On n'y trouve pas non plus d'attente messianique ni d'espérances de salut, puisque l'homme n'est pas considéré comme un pécheur ayant besoin d'être sauvé. Cela ne signifie pas que la religion africaine soit dépourvue d'éthique et de morale; bien au contraire, la vie de groupe en communauté, si caractéristique de l'Afrique traditionnelle, exige une stricte observance des lois morales, des coutumes et des tabous. L'observance de ces lois est récompensée et leur infraction punie; mais c'est la communauté elle-même qui distribue récompenses et châtiments; Dieu n'intervient que très rarement dans le tableau. C'est pourquoi il n'y a ni ciel ni enfer dans la religion africaine — excepté ceux que la communauté pourrait procurer ou imposer à ses membres individuels et ceux que chaque individu pourrait mériter en raison de sa conduite et de ses actes comme membre de sa communauté.
Au regard de l'histoire humaine, les vues juives et africaines sur les débuts de cette histoire sont proches et assez semblables. Mais les points de vue sur le futur et la finalité de l'homme sont extrêmement divergents. Les intuitions religieuses des juifs ont permis à l'homme de retrouver le paradis — à ceci près que ce paradis appartient à un futur inconnu; les intuitions religieuses africaines ont opté pour une acceptation pragmatique qui s'adapte du mieux possible à la réalité d'un paradis perdu. Entre ce paradis perdu et le paradis-à-retrouver, nous avons un vide énorme que Dieu seul peut combler, et que seule la religion peut comprendre.