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Réflexion sur le Nouveau Livre Catholique des Bénédictions
Lawrence E. Frizzell
I. LA BENEDICTION DANS LA TRADITION BIBLIQUE
Au coeur de nos vies humaines, si pleines d'ambiguïtés, la tradition biblique affirme que la création est bonne tant par son origine que par le but vers lequel elle tend. La Bible s'ouvre par un hymne ayant pour refrain: « Dieu vit que cela était bon » (Gn 1,4.12.18.21.25.31), sorte de défi à la conception pessimiste du monde et de ses habitants qui sous-tendait la vision dualiste des païens. La bénédiction « descendante », qui est le don de la vie émanant de Dieu, célèbre le mystère de la reproduction des êtres créés et celui de la responsabilité qu'ont les humains dans la gestion du monde en tant que partenaires du Créateur (1). Leur vie se déroulant dans le temps et dans l'espace, la bénédiction divine met à part le temps du Shabbat et consacre certains lieux, afin que les êtres humains apprennent que la vie en plénitude ne se trouve que dans la communion avec le Dieu vivant.
Reconnaissants pour les multiples dons reçus, tant naturels que spirituels, les anciens Hébreux faisaient monter vers Dieu une bénédiction (« ascendante »). Cette prière était à la fois action de grâce pour les dons reçus et louange envers l'Auteur de ces dons. Elle offrait à la communauté et à ses membres une structure permettant d'exprimer leur relation à Dieu dans ses divers aspects; mais la bénédiction, liée à l'acte même d'adoration, était considérée comme plus importante que les autres prières: demandes, plaintes, confessions des péchés ou lamentations. Lorsque le Tabernacle ou le Temple devint le centre de l'expériencequ'ils avaient de Dieu, les Hébreux reconnurent comme un privilège de pouvoir « lever leurs mains vers le sanctuaire et bénir le Seigneur », et ils demandaient alors à Dieu de répandre sans cesse sa bénédiction sur eux et sur l'ensemble de la création (cf. Ps 134, 2-3) (2). Plus tard, au sein même de leurs épreuves personnelles ou de catastrophes nationales, ils faisaient leur la prière de Job: « Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris; que son nom soit béni! » (Job 1,21). Les conseils de Tobie à son fils nous donnent une idée de la piété à l'époque du Second Temple: « En tout temps, bénis le Seigneur Dieu. Demande-lui de rendre droits tes chemins et de faire aboutir toutes tes démarches et tous tes projets » (Tb 4,19).
Suivant l'exemple et l'enseignement de Jésus, les premiers chrétiens introduisirent dans leur culte les pratiques de la prière juive, dans leur rythme journalier et hebdomadaire. Ils apprirent aussi à intégrer la bénédiction ascendante dans le tissu de leur vie quotidienne. Les bénédictions et doxologies qui se trouvent dans les épîtres de St Paul montrent combien il était naturel pour celui-ci de se mettre en prière lorsqu'il découvrait certains aspects du mystère divin (cf. Rm 1,25; 9,5; 11,36 etc...).
Pour les chrétiens, toutes les merveilles de la création s'éclairent d'une nouvelle lumière du fait de la venue de Jésus et de l'achèvement de son oeuvre par sa mort et sa résurrection. Toutes les bénédictions de Dieu-Père sur la création trouvent en lui, en tant que Messie, leur plénitude. Son Eucharistie, qui a conservé la structure du Seder pascal, célèbre l'action de grâce et la louange auxquelles les chrétiens font écho au long des siècles: « Tout ce que vous pouvez dire ou faire, faites-le au nom du Seigneur Jésus en rendant grâce par lui à Dieu le Père » (Col 3,17).
Même si de nouvelles prières de bénédiction (telle celle de Zacharie en Luc 1,68-79) ont été introduites dans le culte de l'Eglise, il reste que les Psaumes, le cantique des trois jeunes gens dans la fournaise et bien d'autres hymnes ont été empruntés au trésor de la liturgie juive (3).
II. LE LIVRE DES BENEDICTIONS
Le Concile Vatican II a insisté sur la centra-lité de l'Eucharistie et des autres sacrements dans la vie de l'Eglise. L'humanité est sanctifiée par des paroles et des signes qui l'unissent au Christ, éternel Grand prêtre, pour bénir Dieu le Père dans l'Esprit Saint (cf. Constitution sur la Liturgie, par. 7, 10 et 59). Même si les sept sacrements sont liés aux grands moments de l'existence humaine, depuis la naissance jusqu'à l'engagement de l'âge adulte, la maladie et la mort, cela n'exclut pas les autres occasions que nous avons dans la vie de rendre grâce pour les bienfaits divins, ou d'implorer la protection de Dieu.
Tout au long des siècles, des prières et des cérémonies ont accompagné les fidèles aux diverses étapes de leur pèlerinage vers la Jérusalem céleste. On a conservé des collections de ces textes, et les plus belles prières de chaque époque ont été incorporées dans le trésor général de l'Eglise. Le Rituel Romain constituait pour le prêtre un recueil pratique de bénédictions à l'usage des fidèles. En 1984, la Congrégation pour le Culte divin a publié le Liber de Benedictionibus dont la traduction française a paru en 1988. Ce volume (4), assez important, est divisé en 6 grands chapitres:
1. Bénédictions concernant directement les personnes;
2. Bénédictions concernant des bâtiments et diverses formes de l'action humaine;
3. Bénédiction d'objets... à l'usage de l'église;
4. Bénédiction d'objets pouvant aider la dévotion du peuple chrétien;
5. Bénédictions liées aux fêtes et aux saisons;
6. Bénédictions pour des nécessités et occasions diverses.
Une introduction générale indique brièvement l'importance des bénédictions dans l'histoire du salut et la vie de l'Eglise. La célébration-type de la bénédiction est expliquée afin qu'on en comprenne bien la structure. La cérémonie commence par la proclamation de la Parole de Dieu « afin de s'assurer que la bénédiction est un véritable signe sacré » (5). Par la Bible, nous savons qu'un lien intime existe entre parole, objet et événement, les trois réalités étant incluses dans le mot hébreu davar. Les chrétiens doivent reconnaître le lien entre parole et signe (ou geste), et reconnaître l'action de Dieu dans leurs vies comme dans l'histoire d'Israël et dans l'Eglise primitive (cf. Vatican II - Constitution sur la Révélation, par. 2). La Parole de Dieu est suivie d'un répons qui est une prière (un psaume ou une hymne) et d'une brève homélie, puis la communauté va célébrer la bonté de Dieu et implorer son secours. La formule de bénédiction fait elle-même partie intégrante de ce moment où l'on reconnaît la miséricorde divine et la pauvreté foncière de toute créature. Les signes et symboles choisis par l'Eglise pour accompagner les mots de la prière ont un but pédagogique. Ils sont un rappel des actions salvifiques de Dieu et des oeuvres du Christ, et ils attirent l'attention sur les sacrements de l'Eglise dont la grâce découle du Mystère pascal, de la mort et de la résurrection du Christ. Certains gestes font appel à notre vue, l'imposition des mains et le signe de la croix sont des expériences tactiles, et l'encens nous rappelle la prière des saints qui monte vers Dieu en odeur de suavité (Ap. 8,3; Ex 40,27). Le fait de goûter des mets particuliers, pratique courante dans le judaïsme (cf. Dt 8,8 pour les 7 « espèces » et Ex. 12,8 pour le Seder pascal), est chez les chrétiens une coutume qui varie selon les régions. En tout cas, les deux traditions religieuses engagent l'ensemble des sens, mais elles accordent une place essentielle à la proclamation de la Parole de Dieu. L'engagement des autres sens vient renforcer l'écoute de cette Parole.
L'Eglise met en garde contre des pratiques purement mécaniques dont on ne donnerait pas oralement l'interprétation: « Les signes extérieurs de bénédiction, et particulièrement le signe de la croix, sont eux-mêmes des manières de prêcher l'Evangile et d'exprimer la foi; mais afin d'assurer une participation active à la célébration et d'éviter tout danger de superstition, il n'est pas permis ordinairement de bénir quelque objet ou quelque lieu que ce soit par le signe seul de la bénédiction, sans l'accompagner en même temps de la Parole de Dieu ou de quelque prière (6). Le danger de s'attacher à des détails sans importance est un problème constant de la religion. Le fait que les Grecs aient appelé « phylactères » (amulettes) les tefillin des juifs montre, par exemple, que certaines personnes (des Gentils peut-être) attribuaient une puissance particulière à ces étuis contenant des textes sacrés. S'il est extrêmement important de répondre au besoin qu'ont les êtres humains de symboles et de gestes, les responsables de communautés religieuses doivent constamment veiller contre la tendance, chez le peuple, à attribuer une puissance particulière aux signes extérieurs eux-mêmes. Tout comme le bon roi Ezéchias dut détruire le serpent de bronze Nehushtan qu'avait fait Moïse (2 R 18,4; cf. Nb 21,9), les responsables religieux doivent, à chaque génération, purifier la foi de leurs communautés. Les richesses de la tradition biblique intégrées dans les cérémonies et rituels de ce Livre des Bénédictions devraient amener les fidèles catholiques à reconnaître toujours davantage l'amour et l'action de Dieu dans leur vie.
III. POINTS DE CONTACT AVEC LE JUDAISME
Prières des repas
Peu après le Concile Vatican II, le Rite romain, simplifiant la liturgie de l'Offertoire au cours de l'Eucharistie, s'était déjà inspiré des prières juives du repas pour la présentation du pain et du vin:
« Tu es béni, Dieu de l'univers,toi qui nous donnes ce pain,fruit de la terre et du travail des hommes; nous te le présentons: il deviendra le pain de la vie... Toi qui nous donnes ce vin, fruit de la vigne et du travail des hommes; nous te le présentons: il deviendra le vin du Royaume éternel ».
Y a-t-il d'autres exemples d'une telle influence? Le choix des prières de bénédiction avant et après les repas s'inspire en fait de la tradition de l'Eglise, et il s'adapte au caractère festif ou pénitentiel d'un jour ou d'un temps liturgique donné. Le souci du pauvre et la dimension spirituelle d'un repas partagé sont aussi des thèmes importants dans l'enseignement juif concernant les repas, mais les contacts entre les deux traditions semblent remonter aux origines mêmes du christianisme. La formule familière aux catholiques (ou l'une de ses variantes) est reprise plusieurs fois: « Béni sois-tu, Seigneur, ainsi que ces dons que nous recevons de ta bonté ». Cette invocation pour une bénédiction « descendante » s'achève parfois dans une action de grâce. L'espérance de se retrouver tous réunis pour le banquet céleste est fréquemment mentionnée, ce qui rappelle aux fidèles le but de leur vie selon le plan divin. L'action de grâce après les repas est toujours très courte. Nous avons perdu là un aspect de notre héritage, alors que précisément la communauté juive a conservé ses longues prières.
Bénédiction des parents
Les diverses bénédictions proposées pour les époux et leur famille répondent à une nécessité urgente dans la plupart de nos sociétés. Les liens entre parents et enfants doivent s'enraciner dans l'autorité spirituelle qu'exerce le couple. Combien sont-ils donc, les parents chrétiens qui usent de cette prérogative de pouvoir bénir leurs enfants? Cette pratique juive est maintenant explicitement recommandée: « Les parents chrétiens ont le désir de transmettre â leurs enfants la bénédiction (de Dieu), et cette pratique de la bénédiction des enfants par leurs parents est une tradition précieusement conservée chez bon nombre de peuples » (7).
Introduire la bénédiction des parents dans la vie quotidienne, à la maison, c'est mettre l'accent sur l'effrayante responsabilité qu'ont les parents de refléter l'image de Dieu, et sur la vertu d'obéissance chez les enfants. Ces deux dimensions de l'amour familial sont terriblement négligées de nos jours. Si juifs et chrétiens n'ont pu résister à la pression de la société, ils auraient avantage à revenir à la vision biblique du lien entre parents et enfants (8).
Prière pour le voyage
Les voyages font tellement partie de nos vies que nous oublions bien souvent que le départ et l'arrivée sont des occasions de prier. La bénédiction desvoyages propose de lire Deutéronome 6, 4-9 (le Shema) ou Luc 3,3-6 (qui cite Is 40, 1-5), et de réciter ensuite un psaume (23 ou 25 ou 91). Le rappel de la protection accordée à Abraham au cours de ses voyages, et aux Israélites lors de l'Exode nous donne l'assurance que Dieu entendra notre demande de protection.
La mention faite, dans cette prière, de l'hospitalité exercée envers les étrangers et de la situation pénible des sans-abris devrait ouvrir les yeux du voyageur aux exigences morales de sa démarche: savoir donner et recevoir des autres. La prière juive « pour la route » demande, elle, à Dieu la délivrance de « tout ennemi ou de tout danger qui nous guette ». Le rôle des anges y est souligné par des références â Jacob (On 32, 2-3) et à l'Exode (Ex 23, 10-20). Le psaume 91 et la Bénédiction sacerdotale (Nb 6, 24-26) invoquent enfin la protection divine sur le juif qui part en voyage.
Il serait certainement instructif de faire une comparaison détaillée entre ces deux prières, et entre d'autres prières de nos deux traditions (9). Les similitudes viennent très probablement de notre héritage commun, celui de la Bible et de la liturgie juive ancienne. Comme c'est aussi le cas dans la célébration des sacrements, ces prières de bénédiction officielles de l'Eglise catholique comportent des éléments nouveaux, et l'accent mis sur la lecture de textes variés de l'Ecriture est une innovation importante. Une prière commune, nourrie du trésor de la Parole de Dieu, fortifiera certainement la foi des fidèles et permettra de développer le potentiel de transformation qui est en eux, afin de se changer eux-mêmes ainsi que le monde autour d'eux.
Larry Frizzell est un prêtre de l'archidiocèse d'Edmonton, professeur d'Etudes judéo-chrétiennes à l'Université Selon Hall de South Orange, New Jersey (U.S.A.). Il est un ami et un conseiller du Centre SIDIC. Cet article est traduit de l'anglais.
(1) Voir mon article: « Humanité et nature selon les Ecritures juives » en SIDIC XXII (3, 1989) pp. 5-9.
(2) Voir mon article: « La Bénédiction sacerdotale et le don de la paix » en SIDIC XXI (I, 1988) pp. 18-20.
(3) Voir mon article: « Un hymne à la création, en Daniel » en SIDIC XII (2,1979) pp. 9-15.
(4) Le Livre des Bénédictions - éd. Charlet-Tardy, Paris, 1988.
(5) (6) (7) Op. cit.
(8) Il nous faut être conscients, bien sûr, qu'une interprétation littérale de textes comme Proverbes 13,24 et 22,15 a eu des conséquences funestes pour des générations d'enfants. Cf. Philip Gleven: Spore the Child. The religions Roots of Punishment and the Psychological Impact of Physieal Abuse (New York: Random House, 1990.
(9) L'étude des innovations et adaptations propres aux livres liturgiques du judaïsme conservateur et réformé ne peut entrer dans les limites de cet article.