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Dialogue à travers quelques pays
Sr Marie Despina, B. Hussar, O.P., E. H. Flannery, A. C. Willett
En Europe
Le cheminement vers le dialogue entre juifs et chrétiens en Europe a été, au fond, déterminé par les expériences de la dernière guerre mondiale: le massacre terrible d'une bonne partie de la population juive. Juifs et chrétiens ont vécu ensemble dans la résistance, dans les menaces mortelles, dans les souffrances communes. Les expériences les plus douloureuses ont noué des liens d'amitié. Dans les refuges cachés et les camps de concentration, ensemble ils ont espéré, ils ont rêvé d'un nouvel avenir. Du milieu de ceux qui ont connu cette épreuve, un fort élan a jailli conduisant à un renouvellement profond des relations entre juifs et chrétiens.
Au début c'était des petits groupes, peu nombreux, qui se sont efforcés d'améliorer les rapports, d'éliminer les préjugés traditionnels. Depuis la déclaration de Seelisberg, l'Amitié Judéo-Chrétienne s'est répandue en France, en Italie, en Allemagne, en Espagne, en Autriche, en Belgique, de même que « The Council of Christians and Jews » qui a commencé avant la guerre. Ces associations organisent régulièrement des conférences où l'on ne se contente plus de démontrer la nocivité des préjugés antisémites et de parler de la Bible, mais où l'on aborde des sujets proprement religieux afin d'initier le public chrétien au judaïsme. Elles sont généralement suivies d'un embryon de discussion qui constitue un petit début de dialogue. Il est vrai que la vitalité des Amitiés de France a souffert à la suite de la guerre des Six Jours, du fait que la réaction de ses dirigeants a été jugée trop lente et insuffisamment énergique au moment où Israël était menacé de génocide. Mais elle a survécu à cette crise et même fondé de nouvelles sections. Le Congrès national des Amitiés de Paris, remis par les événements politiques de mai, aurait sans doute donné un nouveau départ.
On peut dire qu'en général le dialogue judéo-chrétien en Europe en est encore au stade des préliminaires. Il faut cependant constater que beaucoup de chemin a été parcouru depuis Seelisberg pour un rapprochement entre juifs et chrétiens. D'abord, non seulement l'Eglise catholique par les actes du Concile — comme le Conseil Oecuménique des Eglises auparavant à Amsterdam et à New Delhi — a solennellement répudié l'antisémitisme, insisté sur les sources bibliques et juives de notre foi, mais encore Vatican II a demandé l'approfondissement de leur étude, la révision de la catéchèse, et il a proclamé le droit à la liberté religieuse et exigé le respect des autres religions en répudiant le prosélytisme. Cette révision de la catéchèse chrétienne, si elle est loin d'être achevée, a fait des progrès sensibles dans tous les pays d'Europe. On peut prévoir le jour où l'enseignement religieux préparera tous les chrétiens, non plus aux préjugés mais à une attitude chrétienne qui favorise le dialogue. Dans cette ligne, le grand rabbin de France a été consulté par l'évêque chargé de diriger le renouveau de la catéchèse en France, pour l'établissement d'un texte qui servira de modèle à tous les autres.
A Rome, à Paris, à Vienne, ailleurs encore, un nombre encore restreint mais croissant de chrétiens s'est mis à étudier le judaïsme post-biblique, pour mieux comprendre la Bible d'abord, mais aussi afin d'être capable d'engager valablement le dialogue, de faire mieux connaître les juifs dans le monde chrétien et d'établir une atmosphère plus fraternelle là où juifs et chrétiens coexistent. Le même but de rapprochement judéo-chrétien, ouvrant sur une ébauche de dialogue, est poursuivi, au moins comme objectif secondaire, par d'autres organismes, tels: Les Sessions d'Hébreu Biblique en France, qui comportent toujours des conférences sur le judaïsme post-biblique; La Fraternité d'Abraham — dont le centre est à Paris — qui a pour but de rapprocher juifs, chrétiens et musulmans; le « Segretariato di Attività Ecumenica » d'Italie, dont les sessions de formation oecuménique comptent au moins une conférence donnant le point de vue juif par un juif; le Sidic, à Rome, a commencé à organiser des conférences sur le judaïsme destinées à un public principalement chrétien, en partie des séminaristes; les conférences du « Centre for Biblical and Jewish Studies » à Londres réunissent déjà depuis plusieurs années un public juif et chrétien. Un certain nombre de revues, à diffusion encore assez limitée, comme Freiburger Rundbrief, Emuna, Rencontre, Encounter Today, poursuivent le même objectif d'information et d'ouverture du monde chrétien aux juifs. Il faut aussi mentionner la rencontre des jeunes à Strasbourg pendant l'été 1967, celles d'Halle en Allemagne, de Vienne et le camp aux environs de Berlin, en juillet 1968. Toutes ces rencontres sont destinées à susciter une meilleure compréhension entre juifs et chrétiens au niveau de la jeunesse.
La première condition pour l'instauration d'un dialogue est que les partenaires le désirent. Or, si l'antisémitisme des chrétiens est sûrement en baisse à la suite des massacres hitlériens et de l'établissement de l'Etat d'Israël, à la suite aussi des progrès du mouvement biblique et des principes oecuméniques établis par l'Eglise, d'une révision déjà assez avancée, au moins dans certainspays, de la catéchèse chrétienne dans le sens des Dix Points de Seelisberg, on ne peut malheureusement pas encore dire qu'il soit mort. Officiellement, l'antisémitisme a désormais mauvaise presse, mais bien des préjugés plus ou moins camouflés, larvés, subsistent dans les masses, qui freinent les rapports sociaux entre juifs et chrétiens. On peut cependant dire que des progrès ont été accomplis, et dans tous les pays d'Europe un nombre important de chrétiens sont déjà ouverts au dialogue ou ne seraient pas hostiles si l'on éveillait leur attention. Fait nouveau: alors qu'il y a quelques décades les milieux chrétiens les plus fervents étaient en même temps parmi les plus imbus de préjugés anti-juifs, ce sont actuellement les chrétiens les mieux formés, ceux qui ont le mieux compris l'esprit de Jean XXIII, qui sont les plus ouverts.
Du côté juif, ce sont les juifs les plus libéraux qui cherchent à intensifier les rapports avec la société ambiante, chrétienne ou non. L'empressement est plus modéré parmi ceux qui sont plus orthodoxes dans la pratique juive, et il est encore plus limité chez les responsables religieux du judaïsme. Mais chez tous il y a une conscience aigüe du passé éloigné ou même récent de leur peuple. Voici les objections que nos frères juifs peuvent opposer à notre désir de dialogue: l'Eglise, qui a essayé de convertir les juifs par tous les moyens, physiques et spirituels, les considérant comme des infidèles, respecte-t-elle maintenant leur fidélité à l'Alliance du Sinaï? Cette Eglise dont certains membres ont bien risqué ou donné leur vie pour sauver des juifs pourchassés, mais qui n'a officiellement jamais protesté solennellement à la face du monde en tant que corps, qui ne s'est pas solidarisée en bloc avec le peuple de la Bible soumis à un premier génocide, puis menacé par un second (mai-juin 1967), tend-elle vraiment une main fraternelle? Une telle masse d'ennemis du judaïsme, voire des juifs, a-t-elle vraiment pu si rapidement se transformer en amie, et mériter l'amitié et la confiance du peuple juif? Il est normal que les responsables spirituels du judaïsme montrent une réticence à la multiplication et à l'approfondissement des rapports judéo-chrétiens. La fréquentation assidue des non juifs a toujours favorisé la déjudaïsation, voire les mariages mixtes, néfastes aux enfants qui abandonnent souvent les pratiques du judaïsme. Bien sûr, il est désirable que les juifs n'aient pas à souffrir de l'antisémitisme, des discriminations, de l'ostracisme social, mais la résistance du peuple juif dispersé à l'assimilation qui risque de le faire disparaître, n'est-elle pas facilitée par certaines barrières sociales? Et l'Eglise, a-t-elle vraiment renoncé au prosélytisme? Si oui, les chrétiens l'ont-ils tous compris? Des déclarations récentes peuvent en faire douter. Tout ceci et bien d'autres considérations font que la majorité des rabbins ne voient pas avec grand enthousiasme l'établissement et la diffusion dans les masses du dialogue judéo-chrétien, surtout s'il doit porter sur des sujets religieux. Par contre, ils acceptent volontiers une coopération dans les domaines purement profanes ou philantropiques qui n'impliquent ni une fréquentation trop intime ni, a fortiori, des conversations d'ordre spirituel.
Un autre obstacle à la création et à l'extension en largeur et en profondeur du dialogue vient de l'ignorance mutuelle qui en fait souvent un dialogue de sourds. En effet, pour échanger des idées profondes il faudrait pouvoir parler la même langue, savoir exactement ce que l'autre veut dire lorsqu'il utilise une expression à contenu religieux, et déjà avoir une idée claire de la théologie de l'autre. Il y a quelques rares spécialistes du côté chrétien, de rares professeurs d'histoire des religions du côté juif; on pourrait presque les compter sur les doigts. C'est que le judaïsme, tout comme le christianisme, s'appuie sur une tradition qui donne le sens de l'Ecriture et qui s'exprime par une littérature religieuse énorme en hébreu et en araméen, langues que même les exégètes chrétiens lisent avec une certaine difficulté. D'autre part, c'est seulement depuis ces toutes dernières années qu'un nombre limité de théologiens chrétiens a commencé à réaliser que la connaissance de toute cette tradition juive pouvait être précieuse pour une meilleure compréhension des deux Testaments. L'Institut Biblique de Rome et l'Institut Catholique de Paris donnent quelques cours, encore bien réduits, de littérature rabbinique. Ces dernières années ont pu voir quelques rencontres judéo-chrétiennes au niveau des spécialistes, telles les conférences internationales et nationales de Cambridge, le Symposium de Strasbourg, celui d'Arnoldshain sur le sujet Continuité et Discontinuité: analyse d'un vocabulaire de base biblique et talmudique. Dans ces dernières rencontres, il s'est agi d'un début de véritable dialogue, mais celui-ci reste encore limité de part et d'autre à un petit nombre d'interlocuteurs, qui commencent à peine à se comprendre, La plupart des conférenciers chrétiens qui parlent sur des sujets bibliques devant les juifs montrent qu'ils connaissent encore peu les sources rabbiniques, et rares sont les chrétiens qui, écoutant une conférence biblique faite par un rabbin, ne sont pas déroutés par ce qu'ils entendent. Il y a donc des difficultés intellectuelles pour établir un dialogue qui dépasse les préliminaires des professions de bonnes intentions mutuelles et de la lutte contre les préjugés antisémites.
Dans la plupart des pays d'Europe occidentale il y a des initiatives qui vont dans le sens d'un véritable dialogue judéo-chrétien, mais c'est encore peu de chose. Elles n'atteignent encore qu'un nombre restreint de personnes et elles n'intéressent qu'une petite partie des responsables des deux religions. Il y a encore des réticences des deux côtés. Des obstacles sérieux restent à surmonter — ignorance, préjugés, indifférence — et aussi de sérieux écueils à éviter. Le dialogue en Europe est à peine ébauché et si l'on peut espérer qu'il se développera, cela n'ira sûrement pas très vite.
Sr Marie Despina
En IsraëlDepuis plusieurs années, des contacts cordiaux se sont établis en Israël entre chrétiens et juifs, en vue d'une meilleure connaissance mutuelle. Les uns relèvent des activités régulières d'instituts ou de groupes fondés à cet effet; d'autres sont la conséquence d'activités spirituelles, intellectuelles ou charitables d'institutions ou de personnes établies en Israël; d'autres, enfin, sont nés à Jérusalem après la guerre des Six Jours, autour des efforts pour rapprocher les habitants de Jérusalem-est et de Jérusalem-ouest. Nous récapitulons ci-dessous les réalisations principales de tels contacts entre chrétiens et juifs, qui visent à un dialogue ou qui le constituent déjà en fait.
I - Instituts chrétiens fondés en vue de la connaissance du judaïsme et de la préparation du dialogue judéo-chrétien.
1) Instituts catholiques: — Institut Ratisbonne, des Pères de Notre-Dame de Sion, à Jérusalem.
— Maison St-Isaïe, des religieux dominicains, à Jérusalem, consacrée aux études juives post-bibliques.
— Studium des religieuses de Notre-Dame de Sion, à Jérusalem et Ein Karem, où des religieuses reçoivent une culture générale concernant le judaïsme.
En plus de leurs activités intellectuelles de connaissance des « sciences juives », ces instituts contribuent, par des échanges, des rencontres, les activités de leurs membres et, parfois, par la liturgie en hébreu, à la préparation d'un véritable dialogue judéo-chrétien.
2) Instituts protestants:
— L'Institut américain pour les études de Terre-Sainte.
— L'Institut suédois.
Ces deux instituts sont destinés essentiellement à achever la formation de futurs pasteurs.
II - Groupes fondés en vue du dialogue judéo-chrétien. 1) Le Comité inter-religieux en Israël. Fondé en 1959, pour faciliter les relations entreles différents groupes religieux en Israël et pour promouvoir une meilleure connaissance entre eux. Le président d'honneur était le Professeur Martin Buber, décédé depuis; le secrétaire est le Professeur Zwi Werblowski, doyen de la faculté des humanités de l'Université de Jérusalem. Il faut signaler deux réalisations remarquables de ce Comité: une réunion solennelle, en juin 1963, pour honorer la mémoire du Pape Jean XXIII peu après son décès, et la traduction en hébreu et la publication en édition de luxe de l'encyclique Pacem in Terris.
2) Le groupe « Rainbow », à Jérusalem.
Fondé en 1964, ce groupe, volontairement restreint, comprend neuf membres juifs (religieux orthodoxes, religieux libéraux et non traditionnels) et neuf membres chrétiens (prêtres catholiques, dont un arabe melchite, pasteurs anglicans et de différentes Eglises protestantes). Les membres, tous bien connus en Israël, se réunissent une fois par mois chez l'un d'entre eux à tour de rôle. Après une courte prière (lecture d'un psaume et recueillement silencieux), une conférence, généralement en anglais, est donnée, par un membre juif ou chrétien alternativement. Ensuite, après une récréation-buffet, a lieu une discussion aussi exigeante qu'amicale sur la conférence entendue. Voici, à titre d'exemple, quelques-uns des sujets traités:
— la notion et la pratique contemporaine de la sainteté dans le judaïsme;
— même sujet en ce qui concerne l'Eglise catholique;
— le renouveau liturgique juif en Israël;
— l'image « des juifs » dans la théologie de Karl Barth;
— la signification religieuse du kibbutz;
— l'Etat d'Israël et le dialogue judéo-chrétien;
— le Document sur l'Eglise et le Peuple juif, de la Consultation de Glion en 1966 (du Conseil mondial des Eglises);
— les implications théologiques de la nouvelle attitude de l'Eglise catholique à l'égard de la Mission;
— la Torah et l'Etat; etc....
Un document en anglais intitulé: Quelques réflexions sur les réactions mondiales à la crise de 1967 au Moyen-Orient, par des membres chrétiens du « Rainbow Club », a été rédigé en commun et diffusé en avril 1968.
3) Le groupe de discussions oecuméniques pour étudiants (Students' Ecumenical Discussion Group).
Fondé en 1961 par le Rév. Peter Schneider, anglican, ce groupe comprend une trentaine d'étudiants, surtout protestants mais aussi catholiques et juifs, venus pour la plupart de l'étranger pour achever à Jérusalem leurs études de théologie. Les réunions ont lieu deux fois par mois chez le Rév. Schneider, pour étudier des questions concernant le dialogue judéo-chrétien. Chaque année, les réunions ont lieu autour d'un thème central; des spécialistes sont invités pour exposer les questions à discuter. Exemples de thèmes choisis:
— « les juifs » dans la littérature chrétienne (St Augustin, Luther, K. Barth, etc.);
— les situations de conflit en Israël (entre juifs et chrétiens, juifs et arabes, sepharadis et ashkenasis, etc.).
4) Groupe inter-religieux de Tel-Aviv.
Fondé en 1964. Une trentaine de membres juifs et catholiques se réunissent chaque semaine dans un appartement à Tel-Aviv. Des questions d'ordre biblique, théologique, philosophique et d'actualité y sont abordées au cours de conférences suivies de discussions, en hébreu. Une bonne bibliothèque est à la disposition de tous.
5) Groupe de langue hollandaise.
Groupe assez nombreux, d'environ 80 personnes, composé de juifs, protestants et catholiques parlant hollandais. Une réunion par an, chaque fois dans un endroit différent du pays. Débats sur un sujet religieux qui est examiné sous quatre angles:
celui du juif religieux, du juif areligieux, du catholique, du protestant.
6) Fraternité théologique de Jésuralem (Theological Fraternity).
Fraternité ne groupant que des chrétiens de différentes Eglises, se réunissant une fois par mois pour une réflexion théologique d'ordre oecuménique, en relation avec « Israël » (le mystère, la destinée, l'Etat...). Un savant juif est parfois invité à parler. Cette Fraternité prépare, sur un plan oecuménique, des théologiens chrétiens au dialogue avec les juifs.
III - Contacts qui sont la conséquence d'activités spirituelles, intellectuelles ou charitables d'institutions ou de personnes établies en Israël.1) Des institutions d'études bibliques supérieures (l'Institut Biblique Pontifical, des jésuites; l'Ecole Biblique St-Etienne, des dominicains) ont, tant par leurs professeurs que par leurs élèves venus de pays variés, des contacts fréquents avec leurs collègues des milieux universitaires israéliens.
2) Des communautés de prière et de travail (comme les Petits-Frères et les Petites-Soeurs de Jésus, les religieux de la Laure de Beit Netofa en Galilée, le dispensaire des Religieuses de Nazareth à Acco et, avant qu'ils n'aient quitté Israël, les Compagnons et les Compagnes de Jésus-Charpentier), des institutions de charité ou d'éducation professionnelle (comme les Soeurs de Charité de Jésuralem et différentes institutions et groupes à Nazareth), des chrétiens engagés dans des institutions israéliennes de service social, hospitalier ou de tourisme multiplient les occasions de connaissance mutuelle et d'amitié.
IV - Contacts nés à Jérusalem après la guerre des Six Jours. Enfin, l'une des conséquences de l'unification de Jérusalem en juin 1967 fut de multiplier les efforts pour rapprocher les habitants de Jérusalem-est de ceux de Jérusalem-ouest. Des deux côtés de l'ancienne frontière, des chrétiens ont joué un rôle dans ces efforts visant la paix, réalisant ainsi une action commune judéo-chrétienne qui ne peut que favoriser le dialogue.
1) Grâce à l'initiative d'un éducateur juif israélien, qui obtint la collaboration généreuse d'une école musulmane, du couvent de l'Ecce Homo des Soeurs de Notre-Dame de Sion, d'un grand nombre de professeurs juifs israéliens et d'un prêtre professeur syrien, de nombreuses classes ont été ouvertes à Jérusalem pour l'enseignement de l'hébreu aux Arabes et de l'arabe aux Israéliens. Cet enseignement à plusieurs centaines de personnes est prolongé par des réunions et promenades où l'on apprend à mieux se connaître mutuellement.
2) De nombreuses initiatives privées unissent juifs, musulmans et chrétiens de Jérusalem pour une meilleure connaissance mutuelle.
En conclusion de cette revue des activités du dialogue judéo-chrétien en Israël ou de la préparation au dialogue, il faut souligner leur caractère oecuménique: le côté chrétien rassemble presque toujours les membres de plusieurs Eglises différentes.
Il faut aussi souligner le caractère fraternel des différentes réunions. Etant donné la maturité des membres, le dialogue a toujours été sérieux et les liens de compréhension et d'amitié créés ont dépassé nos espoirs.
B. Hussar, O.P.
Aux Etats-Unis.
Le dialogue judéo-chrétien aux Etats-Unis présente un caractère à la fois personnel et pluraliste: en d'autres termes, il concerne le peuple et il est empreint de variété. Son but dominant est sans doute le mieux exposé par ces mots dans les Directives pour les relations entre Juifs et Chrétiens, données par les évêques américains: « Le but général de toutes les rencontres judéo-chrétiennes est d'augmenter notre compréhension à la foisdu judaïsme et de la foi catholique, d'éliminer les sources de tension et de malentendus, de favoriser les dialogues et conversations à différents niveaux, de multiplier les rencontres intergroupes entre catholiques et juifs, et de promouvoir une action sociale en commun ». La variété de ce programme bien concret fait sa force et sa faiblesse. Sa force, car il est bien adapté à ce pays pluraliste d'esprit et de culture, et où des milliers de juifs vivent en rapports quotidiens avec des millions de chrétiens. Sa faiblesse, car dans cette conception du dialogue la valeur intellectuelle risque d'être affaiblie. Conclure cependant d'après cette remarque qu'en Amérique le dialogue aurait pris un tour anti-intellectuel ou même non-intellectuel serait une erreur. La teneur intellectuelle s'est, au contraire, fort bien maintenue. Le Symposium de Latrobe (rapporté dans Torah and Gospel) et celui de Harvard (qui sera publié) sont, parmi d'autres, significatifs à ce point de vue.
Les nombreuses tentatives faites pour combiner les approches intellectuelles et populaires sont particulièrement intéressantes. Un récent symposium fait au Collège Loyola à Cincinnati en est un bon exemple. A cette occasion, le Père John McKenzie, S.J. et le Rabbin Samuel Sandmel, tous deux exégètes reconnus du Nouveau Testament, discutèrent pendant trois jours de « La Séparation des Chemins » devant des groupes de professeurs, d'étudiants, et à l'occasion, devant un large public. Ce fut une exploration en profondeur devant un auditoire d'une certaine importance qui donna de bons résultats.
Il faut encore mentionner les sessions d'études judéo-chrétiennes, dont trois furent organisées pendant l'été de 1967, et cinq cet été, dans d'importants collèges catholiques à travers le pays. Les sessions comprennent deux semaines de cours intensifs donnés par d'éminents professeurs (juifs pour la plupart) sur un vaste choix de sujets d'une grande importance et d'un grand intérêt pour les étudiants chrétiens du judaïsme et des relations judéo-chrétiennes. Pour y participer il faut habituellement avoir déjà une licence. La raison fondamentale de ces sessions est de faire connaître le judaïsme aux chrétiens, le plus possible par des juifs. Ceux-ci ont été acceptés avec enthousiasme et par la Faculté et par les sessionistes. Ces sessions paraissent promettre pour l'avenir un plus grand développement sur la scène américaine.
Dans son ensemble l'on peut grouper ces multiples développements en trois catégories: populaire, intermédiaire et universitaire. La première est représentée par les « dialogues privés » pour lesquels on fait beaucoup de publicité, et par de simples rencontres du même genre entre chrétiens et juifs sur une base mi-sociale, mi-dialoguale. De fait, cette catégorie constitue la partie la moins importante des rencontres judéo-chrétiennes. Sa valeur sociale et « interpersonnelle » ne saurait être mise en doute, mais l'on peut se demander si elle constitue un dialogue authentique.
Les efforts de la catégorie intermédiaire, qui sont les plus nombreux, se sont traduits par un ou deux jours de conférences, données en général dans des collèges catholiques avec environ cent à deux cents participants, étudiants et professionnels, qui entendent exposer des thèmes habituellement sociologiques concernant les clichés, les tensions et les conflits entre juifs et chrétiens. Les sessionistes ensuite se divisent par petits groupes pour discuter plus longuement les thèmes proposés. Des centaines de ces sessions ont eu lieu ces dernières années et elles ont certainement amélioré le climat judéo-chrétien en mainte communauté.
Le niveau universitaire, bien entendu, demande une plus grande audace et présente les plus grandes difficultés, à la fois intérieures et extérieures. Les difficultés intérieures sont inhérentes au choix des sujets qu'il convient de faire, et à la nécessité d'avoir une science suffisante. Ces difficultés se dissipent peu à peu à mesure que grandit l'intérêt des intellectuels pour les relations judéo-chrétiennes, et que se multiplient des colloques réussis sur un terrain jusqu'ici fort ingrat.
Mais la principale difficulté est extérieure. L'orthodoxie juive officielle, et d'autres branches du judaïsme aussi, rejettent par principe toute discussion théologique. Cette position crée un sérieux obstacle au progrès du dialogue. Même si la craintedu dialogue, considéré comme une méthode déguisée pour convertir, diminue, on élève cette objection: le dialogue judéo-chrétien est vain parce que le christianisme et le judaïsme sont fondamentalement incompatibles, et s'excluent l'un l'autre. D'après les paroles d'un rabbin, le dialogue théologique est un exercice infructueux parce que, contrairement au dialogue entre chrétiens, il doit toujours se terminer par un « non » mutuel. Cette objection est de poids et atteint en vérité le concept même du dialogue. Ceux qui s'opposent pensent évidemment que le dialogue doit nécessairement se terminer soit dans la futilité, soit par un accord théologique. Il nous semble qu'un tel dilemme est doublement faux. La fin du dialogue n'est pas (ou du moins n'est pas nécessairement) un accord théologique, mais bien plutôt une compréhension mutuelle renfermant, si je puis dire, une réconciliation réciproque, spécialement théologique. De plus, dans l'expérience, cette accusation de futilité ne s'est pas confirmée. Sur des sujets particuliers tels que le messianisme, le pharisaïsme, la conversion, « la fin de la vie », l'antisémitisme, et autres, de nombreuses discussions entre chrétiens et juifs, qui, naturellement, n'ont pas abouti à un accord total, ont pourtant obtenu des résultats profonds et très fructueux pour les deux parties. Nul doute qu'au long des siècles nos désaccords et notre incompatibilité ne se soient accentués.
De nombreux rabbins et intellectuels juifs ont engagé le dialogue théologique avec leurs partenaires chrétiens. On peut considérer le succès obtenu comme l'assurance de la place que la théologie prendra un jour au coeur même du dialogue judéo-chrétien.
E. H. Flannery
Au Canada.Dans ce pays le dialogue entre chrétiens et juifs en est encore au stade de l'enfance. Ce qui semble le caractériser c'est son climat oecuménique, sa relation étroite, en son origine comme en son développement, à la volonté des chrétiens d'appartenances différentes de se découvrir des thèmes d'intérêt commun, des domaines de travail en coopération. Dès 1958 un dialogue théologique s'amorçait entre catholiques et protestants à Montréal, l'une des premières villes d'Amérique à s'engager dans les voies de l'oecuménisme. En discutant leur origine commune, ceux-ci expérimentèrent la nécessité de mieux connaître le peuple juif et le judaïsme.
Si nous considérons la structure sociale au Canada vers 1880, la valeur de cette nouvelle situation peut être mieux comprise. Avant que les pogroms de Russie ne donnent naissance à une immigration massive, la population juive de ce pays comptait à peine quelques milliers de personnes. Les juifs nouveaux arrivés des années 80 se trouvèrent face à une situation sui-generis où les groupes ethnico-religioso-culturels vivaient murés dans l'ignorance l'un de l'autre et l'hostilité réciproque, entretenues par la différence de la langue. La communauté juive se vit, dès lors, contrainte en quelque sorte de s'organiser en un troisième groupe analogue à ceux déjà existants, enfermé dans sa spécificité.
C'est à Québec qu'est née, il y a une quinzaine d'années, la première Amitié judéo-chrétienne du Canada, avec une orientation nette vers un échange sur le plan religieux. Le Rév. Butcher, pasteur presbytérien, pouvait, dès 1962, souligner le fait que catholiques et protestants de la vieille cité avaient trouvé, dans leur commun vouloir de redresser les rapports séculiers avec les juifs, la première occasion d'amorcer une réflexion commune.
Un dialogue de style oecuménique entre théologiens et rabbins, entrepris en 1964 à l'initiative de plusieurs théologiens d'Eglises chrétiennes diverses, a abouti à l'époque à une rencontre labo-rieusement préparée; deux monologues y furent écoutés dans le respect mutuel, mais le dialogue souhaité ne put y être amorcé, car le climat de confiance requis faisait alors défaut. Depuis ce temps on peut remarquer une évolution graduelle. Des journées d'étude entre chrétiens et juifs sont devenues de plus en plus populaires; souvent elles sont organisées à travers le pays par les universités, tel le Collège Loyola de Montréal, ou Hillel House de Winnipeg. Les programmes comportent conférences, échanges en groupes restreints et repas pris en commun dans une atmosphère d'ouverture, où chacun est prêt à se laisser enseigner par l'autre.
Il faudrait encore signaler comme indices du progrès des rapports entre juifs et chrétiens, la nomination de deux rabbins, un orthodoxe et un réformé, comme membres du corps enseignant du Collège Loyola, où ils donnent des cours sur le judaïsme, ainsi que la collaboration du Centre MICA-EL, dédié plus spécifiquement au rapprochement judéo-chrétien, avec la Bibliothèque juive à Montréal.
L'initiative d'un clergyman anglican, le Rév. Roland de Corneille, il y a bientôt six ans, d'instaurer à Toronto un dialogue entre laïcs anglicans et juifs, les uns et les autres possédant une conviction religieuse vivante, a été élargie en 1966-67 par la participation d'autres Eglises. Une expérience analogue a eu lieu l'hiver dernier à Montréal, toujours sous la direction du Rév. de Corneille, avec le concours du Centre MI-CA-EL.
Ce ne sont là que quelques-unes des initiatives positives qui, petit à petit, contribuent à développer la compréhension et la confiance nécessaires à une vraie atmosphère de dialogue.
A. C. Willett