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Revista SIDIC XVII - 1984/2
Le prophète Elie (Pages 29 - 33)

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Perspectives - Juifs et non juifs: quelles différences? (2e partie)
Fernando Terracina

 

Le comique

On reconnaît parfois chez les juifs une tendance au comique, un comique qui, loin d'être un signe de gaîté, manifeste au contraire le besoin qu'on en ressent. Il suffit de penser à l'humour de Charlot, des frères Marx, de Danny Kay, de Woody Allen, à celui qui s'exprime dans la musique d'Offenbach (dont nous venons de parler), aux innombrables « petites histoires juives » et à ce sens de l'humour qu'eurent bon nombre de personnalités: telle Golda Meir qui, après avoir été chef du gouvernement israélien pendant des années, répondait à ceux qui l'interrogeaient qu'elle avait, au cours de sa vie, plus souvent ri que pleuré. Parmi les hommes de notre temps qui se sont intéressés au comique, nous trouvons Bergson et Freud.

Une aptitude reconnue, avec plus ou moins d'à propos, aux juifs, est la subtilité poussée parfois jusqu'à la chicanerie, la spitztindigkeit, si méprisée des Nazis et qui, effectivement, peut devenir un grave défaut. La priorité donnée aux concepts abstraits exige cependant parfois des distinctions subtiles qui peuvent conduire à des résultats importants: la théorie de la relativité en est un exemple typique. Il y en aurait d'autres: rappelons ici l'affirmation, peu connue, de Flavius Josèphe que même leurs ennemis (les Romains à cette époque-là) reconnaissent aux juifs une habileté extrême, et dangereuse en temps de guerre. On pourrait voir une confirmation de cela dans l'événement d'Entebbe en Juillet 1976: alors qu'une centaine de juifs, pris en otages par l'OLP, risquaient d'être massacrés, une opération audacieuse, commandée à 3000 km. de là, permit de les sauver.

L'épargne

On considère souvent que, de naissance, les juifs ont le don de l'épargne, c'est-à-dire qu'ils savent renoncer à consommer une partie de leurproduit ou de leur gain en prévoyant les besoins à venir. L'épargne implique que l'on sache se priver, prévoir de manière générale les besoins et garder confiance qu'on pourra les satisfaire dans l'avenir; elle présuppose crainte et confiance en même temps. Le besoin peut être causé par la maladie ou la vieillesse, mais il y a aussi celui qui consiste à se procurer les moyens de produire mieux et de récompenser le travailleur avant d'avoir vendu le produit. En tout cas, celui qui a épargné peut mettre ses économies à la disposition des autres qui en auraient besoin, ce qui est l'origine du prêt.

Il est interdit par la Thora (Lv 25,35) d'exiger une rétribution lorsque l'on prête, mais on n'envisage naturellement là que les prêts pouvant subvenir à des nécessités personnelles, ce qui est considéré comme un devoir de charité. Il est intéressant de noter que cette interdiction a été maintenue chez les Pères de I'Eglise et au cours du Moyen Age, à tel point que sa violation n'était alors tolérée... que pour les juifs; ainsi respectait-on l'interdiction tout en maintenant les avantages. Le besoin croissant d'avances de capitaux pour la productivité fit complètement disparaître cette prohibition; il n'en est resté que cette réputation d'usuriers faite habituellement aux juifs.

Le commerce

Le commerce est une activité reconnue comme caractéristique des juifs. Pour expliquer cela, on donne en général des raisons historiques, mais on peut voir à ce fait des raisons plus profondes.
L'activité du commerçant consiste à prévoir la consommation, à s'approvisionner à ses propres risques en choses utiles, à les transporter, les conserver et les tenir à la disposition des consommateurs, pas trop loin d'eux. C'est un travail qui exige de l'initiative, la volonté d'affronter les risques, une certaine intuition aussi bien pour les achats que pour les ventes. C'est un travail qui, à la différence de beaucoup d'autres, ne se voit pas; aussi le commerçant est-il souvent jugé comme un parasite, presque un voleur; nous avons de cela quelques reflets même dans l'Evangile.

Marx ainsi que des nombreux marxistes ont vu dans le prêt et dans le commerce deux fonctions propres aux juifs, vitales pour eux au sein de la société, au point que Marx prévoit que ces fonctions sont appelées à disparaître dans la société socialiste... et, avec elles, les juifs. Ainsi se réaliserait non pas « l'émancipation des juifs », dont on se préoccupait tant à cette époque, mais « l'émancipation, pour l'humanité, du judaïsme ». Ces gens se sont laissé influencer, pensons-nous, par un ensemble de facteurs historiques accidentels, et ils ont été amenés à des conclusions inexactes. De nos jours encore, constatant la relative disproportion des juifs adonnés au commerce, certaines personnes en déduisent que ceux-ci dominent l'ensemble du commerce et de l'économie, au préjudice des autres. Il s'agit là d'une confusion entre deux réalités bien différentes: le grand nombre de commerçants parmi les juifs, ce qui est un fait bien connu, et le nombre des juifs parmi les commerçants qui, étant donné le pourcentage des juifs dans le monde, ne peut être que modeste.

L'optimisme

Un autre caractère, si général qu'il est difficile de le considérer comme caractéristique d'un groupe, est l'optimisme, la confiance dans l'avenir et dans la vie et, ce qui est plus particulier aux juifs, la certitude que Dieu s'intéresse à l'homme. Dans la Bible, l'origine du peuple juif est rattachée à l'invitation faite à Abraham de quitter son pays; une terre inconnue est promise à un peuple qui n'existe pas; l'obéissance confiante d'Abraham à cet ordre, non seulement rendra sa descendance nombreuse, mais sera source de bénédiction pour tous les peuples de la terre. Il est difficile d'imaginer une prédiction plus incroyable que celle-là!

La confiance se reflète d'ailleurs déjà dans le récit biblique de la création, récit scandé par l'affirmation qu'elle est bonne.

Mais l'humanité est appelée à s'améliorer; les prophètes voient par avance régner la justice et la paix entre les peuples et entre les individus. Il est difficile, et même impossible, de trouver des points de comparaison avec d'autres types d'espérances aussi élevées; il semble qu'on puisse affirmer qu'elles manquent totalement dans les autres civilisations. De la pensée grecque en pleine maturité jusqu'aux philosophies post-aristotéliciennes ou néoplatoniciennes, tous sont d'accord pour reconnaître que la perfection existe déjà, qu'il suffit de débarrasser la vie sensible de la croûte de boue qui la recouvre; il s'agit d'une essence, non d'un devenir; ce qui manque totalement, c'est le dynamisme, le sens de la finalité propre à la conception juive. Selon les philosophes grecs et latins, les dieux ont créé l'homme dans un moment de fatigue, Les grecs, voyant les rapports de cause à effet comme inéluctables, en on déduit qu'une situation passée venant à se répéter, même sous l'effet du hasard, tout un cycle d'événements ne pouvait pas ne pas se répéter de la même manière: ce mythe de l'éternel retour, déjà vivant dans certaines religions orientales, est diamétralement opposé à la confiance qu'ont les juifs dans le progrès illimité de l'humanité. Même si l'espérance en une vie éternelle était comptée parmi les vertus suprêmes, en tant que confiance en l'avenir de l'humanité sur terre, elle n'a survécu, au moins jusqu'à la Renaissance, que dans des cercles juifs restreints.

Dante (Paradis, chap. XXV) affirme que ce sont les Psaumes qui ont fait germer en lui l'espérance en un au-delà; mais c'est pour les hommes qui sont sur terre que retentissent, nobles et pures, les paroles d'Anne Frank dans les dernières pages de son Journal.

Tandis que la souffrance de l'innocent était considérée, chez les Grecs par exemple, comme le tait du destin, plus puissant que les dieux eux-mêmes, la confiance illimitée en Dieu a amené les juifs à une aptitude paradoxalement contraire, la protestation. Déjà avant la lutte de Jacob au gué du Jabbok, nous voyons Abraham lutter avec Dieu: il désapprouve la condamnation des habitants de Sodome et, sûr de la justice divine, il réclame avec insistance (et obtient) une substantielle diminution des exigences divines pour sauver la ville (Gn 1823).

Chez les juifs, comme du reste chez les non-juifs, il n'existait pas avant Paul ce sentiment d'une condamnation post mortem, conséquence d'un péché originel, ni le besoin qu y correspond, celui d'un sauveur. Le messianisme juif, conçu comme avènement du Règne de Dieu sur la terre, avec ses représentations anthropomorphiques plus ou moins vagues, a pris dans le christianisme un aspect plus concret, un relief nouveau et, finalement, un sens nouveau; s'appuyant sur la valeur salvifique de la mort de Jésus, il est devenu l'espérance de voir Dieu après la mort, espérance soutenue pendant le vie par le secours constant du Christ à travers les sacrements; lo voeu que se réalise la volonté de Dieu sur terre est passé au second plan, même s'il a gardé toute son importance dans l'Oraison dominicale et si l'on en attend l'accomplissement définitif.

Dans le poème de Job, l'innocent n'accepte pas d'être condamné; Dieu lui conteste le droit de le juger, mais finalement il le félicite pour son absolue sincérité. Au dire de Marc et de Matthieu, Jésus lui-même, sur le point de mourir adresse à Dieu « d'une voix forte », reprenant les paroles du psalmiste, un terrible « pourquoi?» (Mc 15,34; Mt 27,26). Socrate au contraire, bien que certain de son innocence, meurt dans la sérénité; il indique le dieu dont il est bon de se concilier la faveur, mais il n'en connaît aucun à qui adresser une protestation qui ne soit pas désespérée.

La morale et le droit

Nous négligerons ici à dessein certaines différences dans le domaine de la morale et du droit, non qu'historiquement elles n'aient pas existé, mais parce que morale et droit présentent dans le temps et dans l'histoire de si grandes variations que nous préférons nous limiter à souligner que les différences ne sont généralement, pour une bonne part, que le reflet de celles que nous avons déjà indiquées.

Pour ce qui est du droit, souvenons-nous que chez les juifs l'autorité législative n'était reconnue qu'à la Thora, les hommes (le roi y compris) n'en étant que les interprètes. Quant à la teneur des lois, rappelons ici que l'empreinte dont le droit romain a été marqué par le christianisme, empreinte d'origine clairement hébraïque, traduit surtout un plus grand respect de la vie et de la dignité humaine, spécialement dans les rapports avec les esclaves et les étrangers, et dans les limites imposées à l'application de la peine de mort. Justinien considère cela comme le passage de la duritia et de l'asperges à la clementia et à l'humanitas. Ainsi, par exemple, il a existé dans bien des civilisations des lieux où se rassemblaient les délinquants, mais il semble qu'il n'y ait que dans le seul cas du droit juif que soient prévus des lieux de refuge permettant de protéger contre la vengeance familiale les personnes coupables de certains délits (par exemple d'homicide involontaire: Ex 21,13) ou attendant d'être jugées.

Deux fausses différences

Je voudrais signaler ici deux cas où l'on croit souvent, à tort, reconnaître des différences typiques.

Il s'agit tout d'abord de la façon de traiter lesétrangers. La Thora recommande à bien des reprises de les traiter absolument comme des compatriotes (Dt 1019; Lv 19,34; 24,22), même en ce qui concerne l'aide à leur apporter et l'interdiction de leur faire des prêts à intérêt. Le second point est ce dualisme que certaines personnes croient pouvoir attribuer à une divergence théologique, et qui consiste à opposer justice et amour du prochain.

La justice est l'adhésion à un principe, à une norme générale, et elle ne peut, forcément, considérer toutes les conditions particulières; l'amour du prochain doit être toujours présent dans les rapports entre les hommes; il est absolument nécessaire de rendre justice à son prochain, même à son propre détriment, et cela ne peut se faire que si l'on a de l'amour pour les autres.

Les deux courants, de l'observance plus légaliste ou de l'élan du coeur, n'alternent pas, ils s'entrecroisent dans l'histoire spirituelle des juifs comme dans celle des autres peuples, même si parfois cela est moins évident; que l'on pense à certains passages du Pentateuque ou des Prophètes, aux Pharisiens, à Jésus, à St François, au Hassidisme. Le danger de l'immobilisme et de l'hypocrisie nous guette sans cesse. Ce n'est pas un hasard, sans doute, si le langage a fait justice de cette fausse antithèse, et si, dans le langage courant, pharisien et jésuite sont à peu près synonymes.

Dans la Bible, le concept de justice (mishpat) est presque toujours lié à celui d'équité (tzedaka), qui implique la charité. Ce sont justement ces deux mots qui sont employés dans l'enseignement fondamental donné à Abraham: « Suis les voies du Seigneur en observant l'équité et la justice» (Gn 18,19). Mais la tzedaka n'est pas une règle à suivre, elle est plutôt un principe de vie et, en tant que telle, elle fait partie de l'enseignement chrétien.

La vérité est qu'Il y a en tout homme un besoin d'unité et de cohérence; l'exercice de la charité, chez l'homme mür, doit nécessairement être guidé par la raison. Jésus manifeste avec grande noblesse l'amour qu'il ressent pour ceux qui souffrent, les pauvres, les enfants, mais il fait aussi appel à des principes généraux, à la logique, à la cohérence. Aux critiques qui lui sont faites pour avoir accompli une guérison le jour du Shabbat, il répond en rappelant qu'il faut bien sauver en un tel jour la brebis tombée dans un trou (Mt 12,11); et, alors qu'on lui demande par quelle autorité il donne un enseignement, il répond qu'il ne le dira que si on lui dit d'abord d'où venait le baptême de Jean... de Dieu ou des hommes (Mt 21,23-27). Il reproche avec dureté l'hypocrisie des pharisiens qui font peser sur les autres un poids qu'eux-mêmes ne peuvent porter, mais il recommande de suivre toutes les lois que ceux-ci prescrivent: les lois morales fondamentales, comme celles qui concernent la dîme (Mt 23,23).

Le précepte « oeil pour oeil, dent pour dent» est sujet, lui aussi, à des erreurs d'interprétation: on le considère parfois comme un principe de vengeance, opposé à celui du pardon. Cette formule, qu'on retrouve dans d'autres civilisations de l'Orient, se trouve insérée dans un chapitre de la Bible (Ex 21) où sont précisées, entre autres, les indemnisations à payer ou les peines à appliquer dans des cas divers comme, par exemple, les dommages causés par un taureau ayant blessé quelqu'un à coups de cornes; il s'agit de lois que nous qualifierions, de nos jours, de juridiques. Ce qui est à la base d'un tel jugement, c'est que les indemnisations ou les peines se mesurent à la gravité de la faute commise, avec la possibilité en certains cas d'atteinte à l'intégrité physique d'une personne, que le coupable ait à subir lui aussi le même traitement (Ur 24,19), Si l'on considère le fait que la peine d'emprisonnement n'existait pas à cette époque, ce principe, dans sa cruauté même, permettait de limiter les désirs de vengeance. Il est sûr, de toutes façons, que le principe d'une sanction pénale n'a pas été contesté par Jésus. Nul n'a jamais interprété dans ce sens par exemple, ni alors ni plus tard, l'épisode de la femme adultère, quand Jésus arrête ceux qui s'apprêtent à la lapider: les adultères n'ont pas cessé d'être condamnés. Les paroles de Jésus sont à interpréter dans un sens plus profond, à savoir: quand vous remarquez des fautes chez les autres, pensez d'abord à celles qui sont vôtres.

L'opposition justice-amour, ou justice-grâce, par laquelle on définit la différence essentielle entre les religions, chrétienne et mosaïque, est une conception de Paul qui va se développer à l'extrême au cours du 2e siècle et dégénérer avec Marcion. La théorie aberrante des deux divinités, bien que condamnée par l'Eglise, n'est pas morte pour autant, et nous pouvons constater qu'elle survit et offre, non sans succès, des fondements pseudothéologiques à toutes sortes de théories anti-juives.

Nous ne prendrons pas davantage en considération les différences proprement religieuses. Remarquons seulement que le désaccord sur certaines formulations fondamentales est considéré par les deux groupes comme un manque de capacité chez l'autre à s'élever à des concepts plus purs: les chrétiens trouvent que les juifs ne savent pas reconnaître l'élément sacré en certaines personnes ou en certains objets; les juifs trouvent que c'est une erreur de lier le sens religieux à des personnes, à des gestes ou à des objets, et que cela éloigne de concepts plus élevés. Chacun trouve que l'attitude de l'autre est incomplète et dangereusement erronée.

Il nous semble que ce sont probablement des différences du genre de celles que nous avons tenté de cerner qui amènent à des différences de caractère religieux ou qui, du moins, sont à leur base, conformément à cette loi psychologique qui nous paraît incontestable et que Spinoza a énoncée avec tant de clarté et de simplicité: « Lesesprits humains sont si divers qu'ils ne peuvent ajouter foi aux mêmes doctrines; celles-ci ont des effets divers selon les personnes: ce qui suscite la dévotion chez l'un suscite le rire et le mépris chez un autre ». Spinoza e poussé la hardiesse jusqu'à affirmer que chacun a le droit. et même le devoir, d'adapter les dogmes de la foi à sa propre compréhension, et de rechercher les interprétations qui lui permettent d'obéir à Dieu de toute son âme, en agissant selon la justice et la charité'; ce qui fut considéré comme une affirmation sacrilège par beaucoup, et comme le sommet de la sagesse humaine par d'autres. Le même message peut être compris de manières diverses, si bien que chacun l'entend et en témoigne à sa façon.

L'au-delà

Nous ne donnerons ici qu'un bref aperçu de l'attitude juive face à la mort. On sait que l'immortalité de l'âme est une notion qui n'occupe que peu de place dans la Bible; les juifs l'ont reçue assez tard, du monde païen où, au contraire, elle était familière; le sort de l'homme reste, pour eux, imprécis et difficile à se représenter. Notons aussi la négligence totale apportée à la conservation des restes corporels. excepté bien entendu le respect que l'on a pour les tombes.

Les deux pôles

L'histoire des juifs et des peuples avec lesquels nous avons cherché des points de comparaison est tellement longue et complexe, les différences sont si variées et si nombreuses que toute tentative de synthèse comporte un risque d'erreurs et de lacunes graves; il semble cependant qu'on puisse dire que, pour une bonne part du moins, ces différences gravitent autour de deux pôles, l'un de caractère intellectuel, l'autre de caractère affectif. Le premier est une aptitude marquée des juifs à user, pour le progrès des sciences et de la morale, des concepts qu'on ne peut réduire sans les déformer et les trahir à des souvenirs sensoriels, surtout visuels. Le second est cette espérance, c'est-à-dire cette confiance en l'action humaine destinée, selon la volonté de Dieu, à dépasser tout ce qui s'oppose à la recherche de la vérité et à l'établissement de la justice.
Dans l'histoire des juifs, les deux pôles ont exercé ensemble leur influence; ils nous semblent cependant bien distincts; on peut les mettre en parallèle avec les deux éléments de la définition paulinienne de la foi: elle est « la preuve des réalités qu'on ne voit pas et la garantie des biens qu'on espère» (He 11,7). On remarquera que, tandis que le premier peut procurer certains avantages pratiques, le second peut conduire à un aveuglement qui fasse perdre tous ces avantages.

Conclusions

Après la recherche que nous venons de tenter. il pourrait paraitre superflu, mais peut-être n'est-ce pas sans intérêt, d'examiner les observations qui ont déjà été faites sur la possibilité qu'il existe des différences et qu'elles puissent être discernées. Nous ne retiendrons ici que quelques attitudes typiques.

Freud affirme que la réalité mystérieuse qui fait le juif est d'autant plus puissante qu'elle ne peut être exprimée. Selon Sartre, au contraire, les juifs ne seraient rien d'autre que « ceux qu'on appelle juifs n. et l'antisémitisme ne serait qu'une conséquence de cette appellation; mais, en fait, il a reconnu par la suite le noyau authentique du judaïsme. L'historien Poliakoff, tout en parlant d'une « spécificité juive remarquable », évite de la définir; H ne croit guère qu'il existe des facteurs constants héréditaires, et considère plutôt les facteurs historiques et culturels comme prédominants.

On peut supposer, je pense, que, conformément au récit biblique, le monothéisme, noyau essentiel du judaïsme, a une origine personnelle plutôt que collective mais que, à partir du moment où il est exprimé, il a exercé une attraction sélective qui lui a gagné l'adhésion de personnes et de groupes divers. ayant parfois leur propre cohésion ethnique. L'endogamie qui a toujours prévalu et, paradoxalement. la liberté de s'en affranchir, auraient, plus que tout élément ethnique, déterminé la conservation, sinon la formation, d'un noyau, d'une écorce qu'aucune persécution n'a pu briser.

Il nous semble que toutes nos incertitudes sur ce en quoi consiste le judaisme, tant ancien qu'actuel, ne font qu'accroître l'intérêt d'une recherche sur les traits distinctifs des juifs, et cela touche aussi le problème, toujours crucial, de l'antisémitisme.

Il est parfaitement naturel, logique, de considérer ses propres convictions religieuses ou spirituelles comme supérieures à celles des autres; mais, de ce mépris pour certaines opinions ou certains sentiments, nous risquons de passer au mépris des personnes qui peut se transformer en antipathie ou en haine. Nous ne connaissons pas d'autre moyen d'échapper à ce danger que de chercher à comprendre ce qui est différent; c'est à cette compréhension que chacun aspire; elle est donc un devoir de charité. Cependant chacun se réalise et se comprend par la confrontation aux autres, par voie de ressemblance ou de différence; comprendre les autres est aussi une manière de se comprendre soi-môme. Aussi, lorsque nous cherchons à découvrir et à reconnaître les différences, suivons-nous à la fois la règle d'or de la tradition judéo-chrétienne et le conseil de la sagesse grecque: « Connais-toi toi-même».

 

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