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Revista SIDIC XVI - 1983/1
Le Cantique des Cantiques: diverses interprétations (Pages 16 - 19)

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Perspective: Terre d'Israël, terre des Palestiniens - La racine et les étoiles
Michel de Goedt

 

La conférence que nous reproduisons ici a été donnée par le Père Michel de Goedt, Provincial des Carmes de France, au Rotary International Club de Lille (167e District) en 1981. Une analyse des motifs profonds qui sous-tendent le conflit israélo-palestinien peut nous aider à mieux comprendre les événements douloureux que nous avons vécus ces derniers mois: la guerre, la violence, les actes de terrorisme, tant de victimes innocentes, non seulement au Liban où se sont affrontés Palestiniens et Israéliens, mais aussi en Europe et dans le monde entier où une subtile diplomatie s'emploie, en même temps, à réveiller d'anciens réflexes antisémites dont on aurait pu croire, après la tragédie hitlérienne et le Concile Vatican II, qu'ils avaient disparu.

Comme le suggère Michel de Goedt, ne nous plaçons pas « sur une étoile » pour jouer «les arbitres honnêtes et objectifs ». Cherchons plutôt à promouvoir une attitude de respect devant le drame des autres (dont notre Occident chrétien porte pour une part la responsabilité), à nous engager auprès de nos amis meurtris par ce drame, à contribuer, si peu que ce soit, à un dialogue qui permette de trouver un jour des solutions de justice et de paix.


Permettez-moi de vous rassurer d'entrée de jeu. Vous avez peut-etre le sentiment que je vais me lancer dans une descente sans m'apercevoir qu'il s'agit de courir un slalom. Traiter en moins d'une heure le sujet annoncé, ou simplement l'évoquer avec tant soit peu de sérieux, éviter les pièges des partis pris politiques et ceux de la théologie, ne pas se contenter de généralités moralisantes, c'est bien d'un slalom, en effet, qu'il s'agit, et d'un slalom très spécial. J'en ai conscience, et m'en sont garantes les nombreuses années que j'ai déjà consacrées à l'étude de ce qui va retenir notre attention dans cette causerie.

Sans plus tarder, je voudrais situer mon propos dans un ensemble de positions relatives au drame dont une terre qu'on dit sainte est l'enjeu. Une première attitude consiste à prendre parti pour l'un des acteurs du drame. Je n'ai pas à démêler ici les processus de projection et d'identification qui sont à l'oeuvre dans ces « choix ». Je dirai simplement que le conflit israélo-palestinien permet de satisfaire au besoin assez trouble de s'identifier à la « victime maximale (l'expression est empruntée à Maxime Rodinson) ou de faire sienne la prouesse maximale. Une deuxième position consiste à jouer les arbitres honnêtes et objectifs. Cette position présente ceci de particulier qu'on ne la prend vraiment bien que sur une étoile communément appelée Sirius par les astronomes. La troisième position, on la prend sur terre, et même entre les deux camps, elle est le fait de ceux qui s'efforcent de recevoir le plus profondément possible l'impact de ce qui concerne chacun des camps, et de vivre ainsi dans le tiraillement, sinon dans l'écartèlement. Cette position ne peut être critiquée que si on l'a, au préalable, occupée assez longtemps pour y déjouer les pièges d'un certain narcissisme. Il reste une quatrième position, incertaine, qui ne cesse d'avoir à se reconquérir sur les trois précédentes pour conjuguer le respect du drame des autres, l'engagement là où ce drame nous touche et nous requiert, le désir de contribuer si peu que ce soit à un mieux possible. Il y a une position que je ne classerai pas comme cinquième, car elle relève d'une sorte de « métapolitique ». Sous les questions qui nous occupent et dans la manière de les aborder viennent exercer leur influence des choix inavoués ou enfouis dans l'oubli, des symboliques dont les effets de sens, subtilement déplacés, ne sont guère lisibles à première lecture. Ce sont ces choix et ces symboliques que je voudrais évoquer brièvement.

Une erreur du sionisme originel

Tout le drame du conflit israélo-palestinien était caché en germe dans l'un des slogans les plus célèbres du sionisme originel. Il y a un peuple sans terre (le peuple juif), il y a une terre sans peuple (la « Palestine »). Je parlerai de la Palestine pour la période antérieure à la création de l'Etat d'Israël. Pour un juif, n'existe que la « Terre d'Israël »; la « question juive », comme on disait alors, ne trouverait sa réponse que dans le rassemblement de ce peuple sur cette terre, d'autant plus que la mémoire millénaire du peuple en « question » rejetait violemment les projets d'installations en Ouganda ou en Argentine. Un peuple sans terre... Si on admet que les juifs forment un peuple, ce qui ne va pas sans qu'on soumette la notion de peuple à l'épreuve de données spécifiques sans équivalents, si on admet que le peuple juif devait être conscientisé tout entier du point de vue du danger qu'il courait à rester privé d'une terre propre, la première partie du slogan n'est pas discutable. Quant au lien du peuple juif avec la Palestine. les faits en imposent l'évidence: perte de l'autonomie politique sous le coup d'une violence dont le fait n'a jamais été entériné, persistance ininterrompue à travers les siècles d'une population juive (à l'exception de l'interruption d'un bon siècle pour Jérusalem), pratique des pèlerinages, faits, étalés dans le temps, d'immigration de groupes importants qu'on peut qualifier de pré-sionistes du point de vue du sionisme tel que Herzl l'a conçu et organisé, souhait de retour à Jérusalem exprimé dans une prière constante.

Qu'en est-il de la deuxième partie du slogan: une terre sans peuple? On peut affirmer que c'est là le point aveugle du sionisme, point que le jeu des grandes puissances, fait de promesses non tenues, de manipulations éhontées, a contribué à rendre encore un peu plus aveugle. Il y avait, sinon un peuple, du moins des populations sur la terre tant désirée. Ces populations n'ont jamais été consultées; quand elles l'ont été, leur avis n'a pas été pris en considération. Il est vrai que les Arabes de Palestine ont profité de l'immigration sioniste (entraînant /a mise en valeur de terres achetées parfois à prix d'or) et que celle-ci a même provoqué, fait qu'il ne faut pas livrer à l'oubli, une immigration arabe venue d'Egypte ou d'Iraq. Mais il convient de reconnaître que cela ne pèse pas d'un grand poids devant le fait que les occasions de rapprochements ou de compromis avec les Arabes (rapprochements et compromis, certes, très difficiles) ont pratiquement toutes été manquées par le mouvement sioniste, de l'aveu même d'un historien aussi peu suspect que Laqueur. Sans entrer dans plus de détails, je prétends que ces deux faits sont irréversibles. A supposer même qu'on puisse soutenir que le sionisme, sous sa forme politique moderne, est une « erreur de l'histoire » (mais le concept d'« erreur de l'histoire » n'est peut-être qu'un pseudo-concept, dénué de toute valeur scientique, en tout cas, I'« erreur » a été provoquée par le monstre de l'antisémitisme), et une erreur qui a entraîné une grave injustice à l'égard des Palestiniens, il faut affirmer avec force que le fait israélien n'a pas à être soumis à la question du droit à l'existence. Se poser cette question, fût-ce pour y répondre positivement, c'est ne ras apercevoir qu'on entr'ouvre la porte, dans l'imprudence d'une hypothèse informulée, à une plus grave et terrible injustice. C'est s'arroger un droit dont on ne supporte pas d'être l'objet. Imagine-t-on qu'on vienne nous dire que nous, Français, tout compte fait, avons droit à un Etat? Le deuxième fait est le fait palestinien. L'enracinement dans une même terre, l'expérience commune d'une même destinée et d'une même épreuve ont engendré une conscience nationale, encore embryonnaire et plus « oppositive » que positive, mais qui ne se laisse plus ignorer.

La Terre... non pas un droit mais un don

Pour saisir la tension qui vibre entre ces deux faits, il faut en venir à la symbolique cachée qui donne à un conflit de droits sa charge irrépressible. Pour le peuple juif, la Terre d'Israël est terré promise. Dans la tradition biblique la plus sûre et, me semble-t-il, dans la tradition du judaïsme religieux (un juif religieux ne ferait pas cette distinction!), la Terre d'Israël est sponsale, non pas maternelle; elle est un don nuptial, non une « patrie ». Abraham doit quitter sa patrie pour aller vers la terre que Dieu lui donnera. Le peuple hébreu doit sortir d'Egypte pour recevoir l'héritage promis aux patriarches. Le caractère de don qui distingue la Terre est tellement marqué que, si le peuple ne remplit pas les conditions proposées dans la disposition que Dieu prend en sa faveur, le don est comme repris, la jouissance en est suspendue. Même quand la jouissance est assurée, l'Ecriture met dans la bouche de Dieu ces paroles: « La terre m'appartient, et vous n'êtes pour moi que des étrangers et des hôtes ». (Lévitique 25, 23). Or le sionisme a tendance à parler de droits, ce qui est, certes, légitime en droit international, et à faire du don nuptial une terre maternelle et nourricière, une patrie. De leur côté, les Palestiniens « ont » une terre dont ils prennent conscience que c'est leur patrie, dont ils revendiquent qu'elle soit reconnue comme telle, et c'est le paradoxe d'une patrie virtuelle, promise à l'existence, le paradoxe d'une terre dont seul le drame de l'histoire fait surgir le visage maternel. Deux symboliques contraires s'affrontent, dont chacune masque l'inversion qui lui fait donner le change.

Peut-être l'Israélien et le Palestinien doivent-ils quitter symboliquement la terre-mère pour aller, chacun par son chemin, vers la même terre diversement promise, les chemins qui convergent devenant « avouables » l'un à l'autre, en sorte que ce qui apparaissait comme heurt inévitable se fait rencontre espérée. Dans les temps bibliques, l'institution de l'année jubilaire était destinée à rappeler que la terre n'est pas objet de propriété absolue. « C'était un affranchissement de tous les habitants du pays. Les terres restaient en jachère; chacun rendrait dans son patrimoine, c'est-à-dire que les champs et les maisons qui avaient été aliénés revenaient à leur propiétaire primitif, sauf les maisons de ville qui ne pouvaient être rachetées que dans l'année suivant leur vente... Les débiteurs défaillants, les esclaves israélites étaient libérés (R. de Vaux, Les Institutions de l'Ancien Testament, éd. du Cerf, Paris 1961, t. 1 pp. 267268). L'application de cette loi utopique n'est pas attestée par l'histoire. Ecoutons plutôt /e prophète Michée rappeler la tradition des trois conduites fondamentales que Dieu réclame de l'israélite: accomplir la justice, aimer la piété, marcher humblement avec Dieu (cf. Michée 6,8). Accomplir la justice, car, sans droit, sans règle, aucun jeu social n'est possible. Aimer la piété... Il faut prendre ici piété au sens fort de pietas (hesed en hébreu: venu qui maintient et resserre les liens qui unissent les uns aux autres les membres d'une famille, d'un clan, d'une tribu, d'un groupe quel qu'il soit). La pietas permet à l'homme de reconnaître son proche en vérité et de s'en reconnaître solidaire. Sans le respect, sans l'amour de ce lien, le droit se dégrade et finit par n'être plus que /e paravent de l'injustice. L'exégète, le croyant, le théologien s'attarderaient sur la troisième conduite recommandée à l'israélite: marcher humblement avec Dieu. Insistons ici sur la pielas. Le prophète Isaïe annonce le malheur à « ceux qui font se toucher maison et maison et joignent champ à champ jusqu'à ne plus laisser de place et rester seuls habitants au milieu du pays » 5,8). Le prophète s'en prend probablement à une maffia de gros propriétaires. Mais, les modes d'acquisition fussent-ils irréprochables, l'invective ne perdrait rien de sa vigueur. Quand la saturation de l'espace (« jusqu'à ne plus laisser de place ») a pour résultat de « broyer le visage des pauvres » (haie 3,15), la pietas est hafouée et le droit se met à grimacer comme une sinistre parodie.

Deux identités en contestation

La pielas sur la terre n'est possible que lorsque celle-ci est gérée comme un don, au lieu d'être objet d'appropriation absolue. L'Israélien peut être tenté de saturer l'espace de sa terre nourricière; le Palestinien peut être tenté — et succombe à la tentation dans certaine charte — d'absorber ou de résorber l'Etat d'Israël pour saturer l'espace de sa patrie enfin reconnue. Logique infernale de la possession de l'origine, fascination par le visage de la mère qui empêche de tourner le visage vers le visage de l'autre pour échanger la parole qui oblige et s'oblige, pour convenir du partage d'un don. Malheureusement, à la difficulté d'établir une règle entre Israéliens et Palestiniens et de favoriser entre eux la naissance d'un consensus, s'ajoute le regard implacable que les Nations portent souvent sur tout ce qui touche et concerne Israël. On discute assez peu du droit de conquête (ou de « protection » !...) des autres peuples (entendez: les peuples sujets de ce droit); on ne songe pas à parler, par exemple, du droit des Etats-Unis à l'existence; on ne songe pas non plus, que je sache, à préconiser la création, à la place des Etats-Unis, d'un Etat indien, « laïque et démocratique »!... Mais on examine à la loupe le moindre lopin de terre foulé par les Israéliens et on conclut, après docte et généreuse investigation et dans le meilleur des cas, au « droit d'Israël à l'existence ». Zèle suspect, concession d'une suffisance tout à fait aberrante!

Que faire? Tout récemment, Eliane Amado LévyValensi nous a donné à méditer « la onzième épreuved'Abraham », un sous-titre précisant: « ou de la fraternité ». La deuxième partie de l'ouvrage est consacrée à « L'entité palestinienne ». La méditation de Madame Amado a quelque chose de fascinant.

« Un tel livre se veut incantatoire », déclare-t-elle dès la première ligne (La onzième épreuve d'Abraham p. 9) '. Psychanalyste, agrégée de philosophie, l'Auteur sait ce que parler veut dire. Page 157, nous lisons: « Nous l'avons dit dès les premières lignes, un tel livre se veut incantatoire ». Page 183, Madame Amado revient une troisième fois sur son propos pour en dévoiler la portée: « Nous disions au déhut de cet ouvrage que nous aurions voulu lui donner valeur incantatoire et que de quelque chose comme un chant ou une ombre dansante se dégage une signification ». Ce qui « se dégage », c'est qu'une fois écartée comme nullement décisive, sinon comme fallacieuse, la question des droits et des faits, la danse (P« ombre dansante ») et le chant évoquent les identités des partenaires, identité de celui qui parle, identité de l'interlocuteur à venir, identité à laquelle l'interlocuteur est invité à venir, identité dans laquelle l'interlocuteur devra, on le lui dit d'avance, reconnaître le sujet de sa destinée. Je ne sais si ce ballet d'identités peut avoir un effet incantatoire sur son « dédicataire »; je ne crois pas qu'il puisse tenir lieu d'invitation au dialogue, à un dialogue qui se voudrait marqué au coin de la fraternité.

Parfois semble-t-il, on s'approche du point aveugle, sans qu'il soit repéré, ce qui avive plutôt l'espoir que la lumière s'y fera. Voici un passage qui illustre ce « parfois »; en Israël où, contrairement à ce que pense l'Occident, on a — et nous avons vu que c'était un complexe juif fondamental — plutôt trop tendance à se mettre à la place d'autrui que pas assez, on voit notamment Pérès, chef actuel du parti travailliste, écrire que « la grande erreur des Palestiniens a toujours été d'ignorer l'existence... d'Israël. Il ne faut pas que nous répétions la même erreur en ignorant le problème palestinien » (pp. 154-155). Malgré une pointe de narcissisme et l'aveu involontaire de l'ignorance première du sionisme par rapport aux populations arabes de Pales- tine, ce texte éveille un intérêt qu'on aurait cru interdit. Hélas! un paragraphe vraiment inouï nous montre, dans les dernières pages du livre de Madame Amado, à quoi peut mener l'incantation. « Arabe, le Palestinien peut-il sérieusement nous contester nos quelques arpents de terre? L'étendue de ses territoires, de ses richesses, le nombre de ses hommes l'en dispensent. Il se ressource au contraire dans le retrait — comme Dieu lui-même dans le Tsimtsoum qui fait place au monde créé — qui laisse à Israël le lieu de leur double mémoire et de leur double filiation. Abraham « base du monde » s'affermit en Isaac et Jacob dont le texte dit qu'il n'est jamais mort et qui, par l'entité Israël, ramène à leur propre voie tous les peuples de la terre » (p. 241). Ainsi, le Palestinien, identifié aux peuples arabes, doit se retirer pour laisser libre le lieu de sa propre mémoire, puisque cette mémoire est couplée avec la mémoire que garde Israel de sa genèse. Quel dialogue est possible, quand l'un des interlocuteurs signifie de cette manière qu'il sait d'avance a d'où » l'autre interlocuteur aura à parler? Et quand on invite l'autre à parler, ou à se taire, comme Dieu, comme Dieu lui-même parle ou se tait, l'honneur qu'on lui fait n'est-il pas un peu lourd, n'est-il pas un peu suspect? Retire-toi pour que je sois moi-même et puisse t'apprendre à te souvenir de toi-même, comme se retire le Créateur qui a se contracte » (c'est le Tsimtsoum de la Kabbale) pour laisser place à la créature!... Entre la terre, dans laquelle les racines s'entrecroisent et s'entravent les unes les autres, et les étoiles des promesses et des rêves, des nuages n'ont pas fini de crever. Le jour où ce sont des nuages de mirages et d'illusions qui crèveront, la pluie sera ce qu'elle est appelée à être au Proche-Orient: une bénédiction.

 

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