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Revista SIDIC XXX - 1997/2
Hommage aux pionniers du dialogue judéo-chrétien (Pages 27 - 29)

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Frère Bruno Hussar O.P. un des pionniers du dialogue judéo-chrétien
Rina Geftman

 

Les Soeurs de Noire-Dame de Sion m'ont demandé d'écrire quelques pages relatant le rôle joué par frère Bruno Hussar O.P. dans le dialogue entre juifs et chrétiens. Au nom de l'amitié qui me liait à ce dernier et de notre collaboration de près de dix ans, j'ai cru devoir accepter. Ce n'est que lorsque je me suis mise à la tâche, que j'ai découvert que ce sujet comportait beaucoup d'implications et qu'il dépassait aussi bien ma compétence que l'espace qui m'est départi au sein de la revue. J'ai donc jugé que le mieux serait de vous présenter frère Bruno se mouvant au sein de ce vaste réseau que l'on appelle le dialogue judéo-chrétien. Comment est-il devenu cet ish shalom ( homme de paix) que nous avons tous connu?

La genèse d'une histoire

Frère Bruno (André Hussar) est né le 5 mai 191 / à Alexandrie (en Egypte) et il a quitté ce monde récemment, le 8 février 1996, donc après un long parcours de 86 années, riche en événements. On pourrait comparer ce parcours à celui d'un fleuve aux nombreux méandres, qui vient fertiliser de multiples espaces et fait jaillir des oasis là où il passe.

On peut vraiment dire que par sa naissance et son histoire, Bruno était préparé aux diverses tâches qui lui seraient confiées. Né en Egypte, d'une mère française et d'un père hongrois, tous deux juifs assimilés, il reçut une éducation très soignée en trois langues: français, anglais, italien qui, bien plus tard avec l'hébreu, devinrent des instruments de communication fort appréciés. Cette identité multiforme aurait pu être un handicap or, bien au contraire, elle ouvrit son coeur aux problèmes des autres. Il y futaidé par un caractère foncièrement gai et optimiste qui lui permettait d'affronter des situations difficiles avec hardiesse ou patience, selon le cas. 11 était doué d'une imagination débordante toujours à la poursuite d'un rêve. Mais l'essentiel chez lui était son amour des créatures. Ceux qui l'ont connu, se rappellent son sourire, son accueil chaleureux et bienveillant, la paix qui rayonnait de lui.

Il avait vingt ans quand, avec sa famille, il arriva en France. Au terme de ses études, il obtint le diplôme fort apprécié d'ingénieur de l'Ecole Centrale. A ceux qui ont fréquenté par la suite un Bruno se déplaçant surtout dans les zones spirituelles et qui s'étonnaient de cette formation technique, il disait en riant : "de mes études, je n'ai gardé qu'un souvenir : comment bâtir des ponts", et c'est ce qu'il fit toute sa vie.

En même temps qu'il suivait assidûment les cours de l'Ecole Centrale, il passait par une autre Ecole, celle de l'Esprit Saint qui ne lui laissera pas de répit, jusqu'à ce qu'il découvre l'ineffable présence de Celui qu'il cherchait, comme il l'a écrit dans son livre Quand la nuée se levait (Editions du Cerf) :
"...Tout d'un coup j'ai su qu'Il était là," Je ne puis m'arrêter plus longuement sur ce méandre de son parcours. /I le conduira, par delà le baptême, à la consécration religieuse dans la vie dominicaine et à l'ordination sacerdotale. Peu de temps après ses voeux perpétuels une nouvelle étape, tout à fait imprévue, va s'offrir à lui.

Israël "mon pays"

Le père Avril; provincial des dominicains et une des figures marquantes de l'ordre, rêvait d'établir à Jérusalem un centre d'études des sciences juives, similaire à celui qui existait au Caire pour l'Islam. Avec la fondation de l'Etat d'Israël le temps semblait enfin venu de concrétiser semblable projet. Pour le réaliser il pensa à ce frère juif qui s'appelait Bruno et, en 1953, l'envoya en Israël pour tâter le terrain. Cette période de recherche, qui devait durer un an, se prolongea en fait jusqu'en 1960. Les difficultés étaient innombrables, la solitude grande, mais pendant ce temps, frère Bruno défrichait le terrain et préparait les conditions pour les futures semences.

Pour commencer, Bruno avait à se préparer lui-même: prendre conscience de son identité juive et de ses implications, étudier non seulement l'hébreu, mais aussi l'histoire, la pensée, la spiritualité juives qui lui étaient jusque là inconnues. II avait à laisser son coeur se déchirer en apprenant, quelle avait été l'attitude des chrétiens vis-à-vis des juifs au cours des siècles; tout ce mépris, ces persécutions aboutissant à la Choah. Il découvrit ainsi et l'enseigna toujours plus tard, qu'un dialogue véritable exige une prise de conscience des blessures inscrites dans la mémoire de son interlocuteur.

Une autre tâche s'imposa à frère Bruno; c'était, dirions-nous, "la mission", non pas auprès des juifs, mais auprès des chrétiens du pays, en majorité arabes, et auprès des communautés religieuses. Il s'agissait de leur enseigner le respect et l'estime du "frère aîné" et les inviter à porter dans leur prière son mystérieux destin.

Par ailleurs, il y avait également en Israël des chrétiens d'origine juive et des couples mixtes, arrivés avec les vagues d'immigration d'après guerre. Ils étaient comme des brebis errantes, Bruno fit partie du groupe de prêtre (1) qui furent leurs pasteurs. C'est ainsi que naquit en 1955 l'Oeuvre Saint Jacques au sein de l'Eglise catholique afin de répondre à leurs besoins spirituels et leur assurer une liturgie et une pastorale en hébreu.

La fondation de la Maison Saint Isaïe

C'est le 25 mars 1960 que tout le travail déjà fourni porta du fruit et que fut fondée la Maison Saint Isaïe à Jérusalem. Les débuts de ce centre d'études juives et de dialogue firent fort modestes. La communauté était composée de frère Bruno et de frère Jacques Fontaine. Ils.furent rejoints en 1962 par frère Marcel Jacques Dubois (qui avait été le jeune professeur de philosophie de frère Bruno au Saulchoir) et en 1967 par frère Gabriel Grossmann. Plusieurs frères étudiants passèrent dans la maison comme stagiaires. La vie était intense et studieuse, la petite communauté s'insérait de plus en plus dans la société israélienne et devenait comme une plaque tournante permettant à des gens très divers, juifs et chrétiens, de se rencontrer, d'être informés et guidés dans leurs études.

En ces années, Israël commençait à sortir de son isolement. En dehors de l'Eglise catholique, d'autres Eglises étaient intéressées par une rencontre avec le judaïsme. Le résultat en fut, entre autre, une étroite collaboration entre le pasteur anglican Peter Schneider (assistant de son archevêque à Jérusalem). En premier lieu, naquit l'Ecumenical studenis discussion group afin de donner la possibilité aux nombreux étudiants de langue anglaise séjournant à Jérusalem, de connaître le judaïsme, son histoire et ses traditions.

Ce premier groupe fin suivi du Rainbow (Arc-en-ciel) qui réunit pour une confrontation sérieuse et approfondie un nombre limité de représentants de diverses Eglises et de divers courants de la pensée juive.

Last but not least la Fraternité oecuménique de recherche théologique, qui s'adresse aux chercheurs chrétiens travaillant à Jérusalem dans les diverses disciplines bibliques. Il faudrait ajouter à ces groupes bien définis beaucoup de cercles informels et tout ce que la Providence envoie jour après jour (conférences, cours, interviews) et qui sont l'occasion non seulement d'un dialogue spontané et fécond, mais aussi d'amitiés profondes et durables.

Le Concile Oecuménique Vatican II

Malgré toutes ces activités, le dialogue entre juifs et chrétiens piétinait. Peu de fidèles catholiques paraissaient se sentir concernés car ta Hiérarchie n'avait pas pris de position officielle. Or, en 1959, le Pape Jean XXIII (appelé par les juifs Jean le Bon) annonça une nouvelle inouïe: la prochaine ouverture d'un concile oecuménique. Les frères de la Maison Saint-Isaïe et tous ceux qui partageaient leurs préoccupations, comprirent l'importance que cela pourrait revêtir pour les relations judéo-chrétiennes. Peut-être serait-ce l'occasion d'aborder des questions écrasantes, telles que la responsabilité de lEglise dans ta persécution des juifs et jeter enfin les bases d'une théologie fondée, non plus sur le mépris, mais sur l'estime. Mais était-on prêt pour cela ? Une intense activité fut déployée par les amis du peuple juif; des comités s'organisèrent, des réunions de théologiens eurent lieu , entre autres en Hollande, auxquelles frère Bruno prit part. Une supplique fut élaborée et envoyée à Rome en vue d'être présentée au Concile.

On se souvient, sans doute, des nombreuses péripéties par lesquelles passa ce que l'on appelait "le Document juif' qui, tantôt apparaissait, puis disparaissait, puis réapparaissait modifié, quelquefois affaibli, d'autres fois amélioré. Finalement, par Ja grâce de Dieu et la persévérance des hommes, il fut inclus dans le quatrième paragraphe de la Déclaration Nosrra Aetate traitant de l'attitude de l'Eglise envers les religions non-chrétiennes.

A plusieurs reprises frère Bruno fit le voyage de Rome. Parmi ses séjours il faut signaler plus spécialement celui de la troisième séance, en 1964, au cours de laquelle "notre texte" était en danger d'être complètement retiré des débats. Au moment le plus crucial, les prêtres de l'Oeuvre Saint Jacques et les frères de la Maison d'Isaïe déléguèrent Bruno à Rome et le Cardinal Ben l'invita en tant qu'expert, à participer aux travaux de /a Commission du Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens.

La tâche essentielle de frère Bruno consista à démontrer que le document n'avait aucune visée politique, que sa teneur était spirituelle et son but de réparer les injustices du passé. Ce ne fut pas facile, car les protagonistes étaient les évêques des pays arabes, qui craignaient des répercussions fâcheuses pour tes fidèles dont ils avaient la charge. Ace sujet, Bruno eut une rencontre mémorable, dont il aimait à évoquer le souvenir, avec le Patriarche Maximos IV, de l'Eglise grecque catholique, une des figuresmarquantes du Concile.

Il y a lieu de rappeler que dans ce combat frère Bruno n'était pas seul, il travaillait en équipe avec d'autres experts venus, eux aussi, à Rome. A Jérusalem, il était assisté par frère Marcel Dubois dont ta formation théologique et l'esprit clair, lui furent d'une grande aide, Comment ne pas nommer également les Soeurs de Notre-Dame de Sion qui, depuis des années, étaient déjà les collaboratrice des frères de la Maison Saint Isaïe, Au moment du Concile, elles participèrent à tous les stades du combat. Leur maison généralice était devenue l'état-major qui recueillait l'information et diffusait les messages.

Finalement la déclaration concernant les juifs, incorporée dans No.stra Aetaie sur l'attitude de l'Eglise envers les religions non-chrétiennes fut votée à une immense majorité. Ce fut lors de ta dernière séance du Concile le 28 octobre 1964, en la fête de Saint Simon et Saint Jude (patrons des causes désespérées!).

Pour donner suite à la déclaration conciliaire, un groupe de Pères du Concile et d'experts demandèrent que fut créé un Service international de Documentation Judéo-Chrétienne (SIDIC). Ce service fut plus spécialement confié aux Soeurs de Notre-Darne de Sion et il vint donner un nouvel élan à leur vocation.

Quant à frère Bruno il put enfin regagner Jérusalem et retrouver ses frères. Sa tâche de pionnier était terminée. Une porte s'était ouverte, un pas avait été franchi. Il s'agissait de poursuivre la route, de continuer le travail aussi bien au point de vue théologique, qu'existentiel. Comme toujours, autres sont ceux qui défrichent, autres ceux qui sèment et encore autres ceux qui récoltent,
Un dernier mot sur frère Bruno, Un autre rêve habitait déjà son esprit et drainait ses efforts, une autre forme de dialogue qui s'appelerait un jour Nevé Shalom oasis de paix qui sortit d'une terre aride et qu'il eut la joie de voir verdir avant de rejoindre lui-même les pâturages éternels.



Notes
Rina Geftman, d'origine russe, vit en Israël, Elle participe activement au dialogue judéo-chrétien, en aidant en particulier les pèlerins chrétiens à mieux comprendre le judaïsme. Elle est l'auteur de Guetteurs d'aurore, Editions du Cerf, 1985.

1. Ce groupe de prêtres comprenait: le père Joseph Stiassny, le père Jean Roger, le Petit frère Yohanan Elihai, le père Bruno Hussar, le père S.Stehmann. Ils furent rejoints plus tard par le père Daniel Rufeisen. Ils furent soutenus par Dom Rudloff Abbé de l'Abbaye de la Dormition.

 

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