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Revista SIDIC XVI - 1983/2
Le Témoignage: aspects juifs et chrétiens (Pages 08 - 10)

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Le Temoignage Chrétien rendu au Dieu un
David Burrell

 

« ... Par le dialogue avec le judaïsme, les chrétiens entrent dans une nouvelle attitude, où il est essentiel de vouloir et de savoir écouter les juifs livrer eux-mêmes leur propre conception des choses et se laisser enseigner par eux dans un esprit de reconnaissance ». Tommaso Federici, SIDIC XII:3 (1979), p. 28

Que signifie rendre témoignage au Dieu Un? Redire, à temps et à contretemps, que Dieu est Un comme s'il s'agissait d'une perfection doctrinale à annoncer et à célébrer? Cela paraît difficile à admettre, car cette perfection-là, si s'en est une, il y a bien longtemps qu'on l'a atteinte: quiconque croit en Dieu, pensons-nous, croit que Dieu est Un. Le témoignage n'est donc pas rendu à une croyance mais au Dieu qui révèle le Nom unique, au Dieu vivant. Aussi le témoin devra-t-il adopter une manière de vivre qui reflète cette Unité divine.

Un mot-clé: fidélité

Si nous voulons savoir en quoi consiste ce témoignage, nous nous tournons spontanément vers l'Israël biblique, peuple dont la vocation est avant tout de rester fidèle au Dieu qui l'a tiré de la condition commune de l'humanité et de l'esclavage d'Egypte, pour en faire son peuple particulier. Fidélité est devenu le mot-clé de la relation entre ce peuple et le Dieu Un qui lui a adressé un appel particulier: le Dieu d'Israël sans doute, mais aussi le Créateur du ciel et de la terre. C'est cette double réalité que nous affirmons en proclamant que Dieu est Un: il n'y a pas d'autre source ni d'autre but pour le projet humain.

Les prophètes ont spontanément choisi l'image des noces pour évoquer cette réalité: image d'un peuple épousé par le Dieu Un. Cela, peut-être, parce que Dieu a conclu une alliance avec Israël, et que l'alliance la plus naturelle, la plus naturellement féconde que l'homme connaisse est celle du mariage; une fécondité qui est don de la vie, don d'une vie nouvelle, à l'image de l'activité créatrice de Dieu. Ainsi la réalité familière est-elle devenue le symbole fondamental d'une relation autrement inimaginable, celle qui existe entre le Seigneur du ciel et de la terre et un peuple particulier. Cela ne s'est pas fait d'un coup, bien sûr, il s'est agi d'un processus graduel, particulièrement en ce qui concerne le respect accordé à la femme dont le statut a toujours été considéré comme inférieur. Si Israël était appelé à être une épouse fidèle, les femmes pouvaient, de leur côté, exiger le même respect.

Ainsi l'Unité divine appelait-elle de soi un mode de vie qui, sans doute, n'a été adopté que graduellement et par paliers successifs, mais qui est totalement en harmonie avec la révélation originelle. Ainsi en était-il à l'époque de Jésus, lorsque le peuple juif dut se soumettre à des puissances païennes. Il maintint la conscience de son identité grâce à la conviction inébranlable que son Dieu est le Seigneur du ciel et de la terre. Inébranlable, ou presque, car bien des juifs auraient préféré appuyer leur foi sur une victoire de Dieu contre les Romains. La réponse de Jésus, cependant, fut toute autre: Il ne fit qu'introduire ses disciples dans une connaissance plus profonde du Dieu Père. Cette connaissance, estimait-il, plus que l'action politique, pourrait entraîner une libération. Et c'est ce qui se produisit, car le Dieu Un d'Israël devait 'être prêché par la suite dans tout le monde gréco-romain et jusqu'aux extrémités de la terre.

Les juifs, habituellement, ne voient pas la chose ainsi, c'est sûr; en effet, la tension entre ceux qui crurent en jésus et le reste de la communauté juive fut grande et conduisit à la rupture après la victoire de Rome sur Bar Kokhba. Après cette défaite, le judaïsme ne pouvait que se démarquer de la nouvelle secte dont les adhérents étaient de plus en plus connus sous le nom de « chrétiens », doutant que le Dieu qu'on disait avoir ressuscité Jésus d'entre les morts puisse être aussi le Dieu d'Israël. Les disciples de Jésus n'ont pourtant jamais cédé sur ce point: le Dieu Père dans l'intimité duquel ils ont été introduits est bien le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, « non le Dieu des morts mais celui des vivants » (Le 20,38). Même si les Ecritures ont été désignées du nom d'Ancien Testament, par opposition au Nouveau qui était constitué par les écrits apostoliques, jamais elles n'ont été considérées comme dépassées en tant que révélation, encore que le Nouveau Testament ait souvent été présenté comme remplaçant l'Ancien. Les missionnaires chrétiens, par exemple, ont toujours recherché dans les Ecritures les récits de l'histoire de Dieu avec son peuple, et ils les ont utilisés pour faire connaître « de novo » ce Dieu et Père de Jésus. Leur recours aux Ecritures a été spontané, quelle qu'ait été leur théologie en ce qui concerne le christianisme et le judaïsme.

Le Dieu d'Israël et l'Evangile

On peut dire en toute vérité que prêcher l'Evangile a été depuis l'origine: porter témoignage au Dieu Un d'Israël, en tant que Père de Jésus. Ce fait a cependant été obscurci par une théologie qui jugeait qu'on ne pouvait confesser Dieu comme Père de Jésus sans dénigrer l'Alliance conclue par Dieu avec Israël. C'est cette théorie de la « substitution » qui a poussé les chrétiens à chercher la conversion des juifs. Qui donc pourrait s'en tenir à l'Ancien s'il existe un Nouveau? C'est cette attitude négative invétérée que le Concile Vatican II fustige dans le paragraphe 4 de la Déclaration Nostra Aetate: « Les juifs restent encore, à cause de leurs pères, très chers à Dieu dont les dons et l'appel sont sans repentance » (cf Rm 11,28-29). Mais, si c'est le cas, quelle forme devrait prendre pour nous un témoignage authentique au Dieu Un qui « ne se repent pas » quand Il a « appelé »?

Nous prenons certainement douloureusement conscience de la manière dont une théologie facile a exalté le si nouveau » au détriment de l'« ancien », en adoptant la théorie simpliste de la « substitution ». Cette théorie était si attirante, cette forme de théologie si répandue qu'il était à peu près impossible de la distinguer de la vraie doctrine de l'Eglise. Aussi l'affirmation toute simple de Vatican II a-t-elle semblé bien plus audacieuse qu'elle ne l'est en réalité. Après tout elle ne fait que redire la fidélité de Dieu aux alliances qu'Il conclut. Pourtant cette affirmation résonne haut et clair, après les longues années d'une histoire sanglante causée par l'intolérance chrétienne envers les juifs et le Ridais-me, lorsqu'elle relève cette note qui nous unit: le Père de Jésus n'est autre que le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, un Dieu fidèle jusqu'au bout à ses promesses et qui demeure dans un monde qui n'a pas de fin ». Amen.

Mais cette affirmation a une portée plus large. La théorie qui autorisait les fidèles de Jésus d'origine païenne à se considérer comme remplaçant les juifs provoquait une attitude similaire envers les autres grandes traditions religieuses. Les musulmans étaient appelés « infidèles », qualification qui reflète l'attitude propre de l'Islam envers les autres croyants, attitude que, d'ailleurs, les musulmans ont nuancée par rapport aux chrétiens et aux juifs qu'ils appellent « gens du Livre ». Les Hindous et les autres croyants étaient des « païens », considérés généralement comme dans l'erreur si l'Evangile ne leur était pas directement prêché. Et, ce qui est pire, cette attitude était cautionnée par la théologie, même si l'on devrait attribuer plutôt ce sentiment endémique de supériorité aux différentes civilisations et aux différents credos. Rien ne parait plus enraciné en nous que cette propension à nous grandir nous-mêmes en dénigrant les autres. Cette attitude nous confronte de nouveau à Vatican II, cette fois à la Constitution même sur l'Eglise: « Ceux qui, sans faute de leur part, ignorent l'Evangile du Christ et son Eglise, et cependant cherchent Dieu d'un coeur sincère, et s'efforcent, sous l'influence de la grâce, d'accomplir dans leurs oeuvres la volonté de Dieu telle qu'ils la connaissent par la dictée de leur conscience, ceux-là peuvent obtenir le salut éternel» (Lumen Gentium par. 16).

Ce que nous découvrons dans ces documents conciliaires, c'est un saisissant appel à réformer une attitude humaine invétérée et à renoncer à une vision théologique qui peut en avoir été faussée, et de le faire au nom même du seul vrai Dieu. Serait-ce trop facile de voir là comme un épanouissement de cette connaissance de Dieu dont Jésus nous a révélé particulièrement la Paternité? Sans doute, puisque le buisson a pris tant de temps h fleurir. Pourtant, quelque diverses qu'en soient les causes, cet épanouissement ne peut être que l'aube d'une époque nouvelle pour les fidèles de Jésus; et il est intéressant de remarquer que pareille attitude s'est élargie à d'autres religions, considérées comme d'authentiques voies menant à Dieu, elle correspond à une redécouverte de nos racines en Israël. Le prochain Concile ne devra pas être Vatican III, ni Chicago I, il devra être Jérusalem II. L'accès des nations au sein du Qahal Adonii, le «rassemblement dans le Seigneur » (Ac 15), ne sera totalement accompli que lorsque le témoignage, largement européen, rendu au vrai Dieu se répandra sur toute la face de la terre.

De ce rassemblement, il n'y a certainement pas de ville sur terre qui ne donne autant l'image que Jérusalem. Cela semble une ironie, puisque tant de constraction archaïques y reflètent la situation religieuse d'antan, reconnue officiellement comme le « statu quo ». Et ce rassemblement ne peut aussi y être que partiel, du fait que les vénérables traditions du sous continent et du sud-est asiatique ne s'y trouvent point représentées. Cependant une cité qui est sainte à la fois pour les juifs, les chrétiens et les musulmans nous donne à réfléchir: d'abord parce qu'elle est une ville, oeuvre de la culture humaine, mais toute pénétrée par le Transcendant; ensuite parce qu'elle reste un constant rappel de notre incapacité à répondre à cette présence de l'au-delà aussi bien qu'à la supprimer.

Notre incapacité se transforme en intransigeance, voire en violence, lorsque deux « justices » sont aux prises dans une lutte où chacune lèse l'autre en tentant de nier ses droits. La retour du peuple sur sa terre, après dix neuf siècles de désir ardent et de prières, né de cet idéalisme qui caractérise le socialisme moderne, est marqué par la peur et par une sorte de folie agressive. Les autres habitants du pays, de leur côté, tant chrétiens que musulmans, ne peuvent se résoudre à reconnaître officiellement une présence qui brise si radicalement leur mode d'existence traditionnel. Cette obstination serait-elle, elle aussi, la face obscure d'un témoignage rendu au Dieu Un? Car le polythéisme s'accommode plus facilement de chemins divers pour atteindre le sommet de la montagne, même s'il n'est pas sûr qu'ils conduisent au même sommet. L'intolérance a figé chacune des trois religions qui reconnaissent en Jérusalem une ville sainte, et cela pourrait bien ne pas être accidentel, être lié à leur proclamation du Dieu Un. Cependant, devons-nous nous en tenir à cette hostilité, comme à l'aspect humain du témoignage rendu au Dieu Un?

Le dialogue: un défi

Notre réponse sera « non », si nous savons reconnaître combien ce Dieu dépasse nos limites humaines et combien sa puissance agit au milieu de nous. Ce qui pourra nous amener à voir cela, ce n'est pas tant le dialogue que ce qui résultera du dialogue, l'aptitude à voir et à entendre le monde à travers la sensibilité de l'autre. Le chrétien qui a vécu en Israël et prié avec des amis juifs, chez eux ou à la synagogue, peut sentircela mieux que beaucoup d'autres; car la prière s'inscrit dans le contexte d'une oeuvre commune, le retour au pays, tandis que les conditions et les circonstances de ce retour informent la prière. Le retour régulier du repos sabbatique scande une politique agressive qui encourage les nouveaux colons à se saisir de terres qui, en justice appartiennent à d'autres, en sorte qu'une société entière gémit dans l'angoisse. Si ce même Dieu n'était pas invoqué pour sauvegarder d'anciennes garanties et n'était pas ainsi annexé à une volonté expansionniste, le temps de réflexion périodique assuré par le Shabbat devrait poser des questions quant à la direction que prend l'Etat. C'est dans la mesure où cela se fait qu'Israël rend témoignage au Dieu Un et véritable.

C'est ce témoignage et la manière dont il s'exprime qui amènera les chrétiens à reconnaître leur lien intime avec les juifs qui veulent être fidèles au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Et ces liens peuvent contribuer à aplanir les difficultés doctrinales évidentes touchant la personne du « Christ ». Ils nous amènent aussi à mieux saisir l'audace que nous avons à nous faire appeler « chrétiens ». Ne sommes-nous pas, nous aussi, des pèlerins, que notre foi en Jésus pousse à vouloir devenir ses disciples, et ne pouvant cependant affirmer que nous le soyons complètement? Nous devons admettre que le mieux que nous puissions faire, c'est de dire que nous essayons de devenir chrétiens, disciples du Seigneur; et ce que nous pouvons seulement nous demander, avec peur et tremblement, c'est si nous saurions Le reconnaître s'II venait parmi nous. Quant à notre prière, elle a toujours été en grande partie composée de psaumes, aussi la qualité de notre réponse à Dieu trouve-t-elle sa meilleure expression dans les paroles du roi David.

C'est cela que nous découvrons comme chrétiens en Israël, quand nous séjournons dans le pays où habitait Jésus, et où Il a vécu au sein de son peuple. Dans un tel échange, le témoignage que nous portons devient plus authentiquement nôtre, et il s'oriente toujours davantage vers la réconciliation. Le Dieu qui est éminemment Un nous rendra tels et, grâce à Lui, les efforts que nous faisons pour comprendre comment l'autre saisit la réalité porteront des fruits. Les résultats que nous avons obtenus dans le passé en tant que témoins de Dieu ont été si précaires que nous n'avons d'autre recours actuellement que la prière. Puissions-nous trouver le moyen de faire cette prière en commun!


* Le Rd Père David Burrell, C.S.C., est professeur de philosophie et de théologie de l'Université Notre Dame (Indiana). Il a été Recteur de l'Institut Oecuménique de Recherche Théologique de Tantour (Jérusalem) pendant les années 1980-1981. L'année dernière, il était l'hôte de la Maison Isaïe à Jérusalem et «Visiting Pro-'essor » à l'Université Hébraïque.

 

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