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Revista SIDIC XXVI - 1993/3
Repenser Jésus Juif (Pages 18 - 23)

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Les Evanglies et les Rabbins
David Daube

 

Certainement, le Nouveau Testament se comprend mieux si l'on en connaît l'arrière-fond, je veux dire le judaïsme palestinien de son temps. Bien des savants ont déjà travaillé dans ce domaine, mais il y a place pour de nouvelles recherches, et je voudrais en donner quelques exemples.

Ruth - un avant-goût d'accomplissement messianique

Dans l'Evangile de Luc, l'ange annonçant à Marie qu'elle enfantera un fils déclare: "La puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre"; et Marie répond: "Je suis la servante du Seigneur" (Le 1,35.38). L'emploi du verbe "couvrir de son ombre" semble étrange dans ce contexte et a donné lieu à bon nombre de théories chez les auteurs modernes, dont aucune n'est vraiment satisfaisante. Il s'explique par le fait que l'Evangile fait allusion à l'histoire de Ruth: Lorsque celle-ci s'approche de Boaz dans la nuit et lui dit: "Je suis Ruth, ta servante; étends sur ta servante le pan de ton manteau" (Rt 3,9), elle n'est pas encore mariée. Cela a créé un problème aux yeux des anciens rabbins: aucune imperfection ne devait ternir l'image de Ruth qui offre le modèle d'une véritable conversion, et qui est l'ancêtre de David et du Messie. Les rabbins arrivèrent tant bien que mal à la conclusion que la demande: "Etends sur ta servante le pan de ton manteau" était le signed'une exceptionnelle chasteté; même si les apparences étaient contre elle, Ruth était la plus pure de toutes les femmes. Dans la traduction araméenne, qui était la langue vernaculaire, "étendre le pan de son manteau" pouvait aisément devenir "couvrir de son ombre": les deux expressions sont très proches.

Luc, par son langage, par l'emploi du verbe "couvrir de son ombre", et par la manière aussi dont Marie se présente comme "la servante du Seigneur", veut suggérer un parallélisme entre la situation de celle-ci et celle de Ruth dans l'Ancien Testament, telle qu'elle est interprétée par les rabbins: Marie, fiancée à Joseph, est enceinte; cependant, malgré les apparences, cette deuxième Ruth est pure, elle est vierge. Il faut bien souligner le fait que l'évangéliste est pleinement conscient du caractère unique des événements qu'il relate; mais il se priverait d'un précieux moyen de les interpréter, s'il ne se référait pas à certains événements plus anciens de l'histoire d'Israël en tant que préfiguration et moyen d'éclairer le présent. La figure de Ruth, en particulier, a été souvent considérée comme annonçant d'avance par certains traits les événements messianiques.

Il y a au moins un autre récit du Nouveau Testament où cette figure est évoquée de manière subtile: celui du rassasiement miraculeux des foules. Il y en a cinq versions, dans les Evangiles de Matthieu, Marc et Luc, et toutes se terminent par une affirmation comme: "ils mangèrent, furent rassasiés et ramassèrent de quoi remplir douze paniers avec ce qui restait" (Mt 14, 13-21; 15, 32-38; Mc 6, 31-44; 8, 1-10; Le 9, 10-17). Nous avons là un écho de l'histoire de Ruth: celle-ci, en effet invitée par Boaz à partager son repas et celui de ses ouvriers dans le champ "après, qu'elle eut mangé à satiété, en eut de reste" (Rt 2, 14); mais alors c'est la communauté messianique chrétienne qui est comparée à Ruth; et le repas offert par Boaz à cette dernière est considéré dans les Evangiles comme préfigurant le repas offert à la foule par Jésus. Cela n'a rien de surprenant si nous considérons la place attribuée par les pieuses spéculations des rabbins au repas de Ruth. A leurs yeux, Ruth représente l'ensemble de ses descendants, David en particulier ou même le Messie, et Boaz qui l'accueille représente Dieu. Il y a même un rabbin qui voit là un repas miraculeux parce que, Boaz n'ayant donné que peu de choses, cela s'avéra plus que suffisant dans ses mains.

Un sommeil néfaste

La scène de Gethsémani, qui précède celle de l'arrestation, est généralement considérée de nos jours comme légendaire, présentant un certain contenu théologique, mais sans prétention à l'historicité. Les commentaires ne peuvent justifier de manière plausible ni la demande faite par Jésus à ses apôtres de rester éveillés, ne les conséquences graves que celui-ci tire du fait que finalement ils s'endorment réellement. Il est cependant possible de trouver une explication adéquate dans le cadre juif de ce récit. Selon les évangélistes, Jésus et ses disciples forment un groupe réuni pour célébrer la veillée pascale, comme cela se faisait couramment à cette époque: un peu partout en Palestine, des amis ou des personnes ayant une certaine affinité se réunissaient (en groupes de cinq, huit, dix personnes, peu importe) pour monter à Jérusalem et y célébrer le Seder pascal. La formation et la dissolution de tels groupes étaient régies par des règles, et certains cercles avaient des exigences plus strictes que d'autres. Selon l'une de ces règles, si l'un ou l'autre des membres du groupe s'endort, le lien qui existe entre eux tous se défait, et il ne peut être renoué; tandis que si l'un ou l'autre ne fait que s'assoupir, le lien subsiste; et il est dit que le fait d'être seulement assoupi se reconnaît à ce que "l'on répond" lorsqu'on est interrogé, "mais on est incapable de répondre de manière sensée".

Il est clair que lorsque Jésus demande à ses disciples de rester éveillés, c'est afin de retarder le moment où le groupe se défera. La remarque faite, lorsque Jésus revient pour la seconde fois après avoir prié: "leurs yeux étaient appesantis et ils ne savaient que lui dire" (Mc 14,40) signifie que pour le moment, bien qu'assoupis, ils ne sont pas complètement endormis; mais à son troisième retour, quand il les trouve endormis, il sait alors qu'il lui faut continuer seul. Il ne s'agit pas de minimiser la portée théologique de la scène, mais de constater que celle-ci est solidement enracinée dans les traditions rabbiniques de la veillée pascale. Dans le Manuel de Discipline de la secte de Qumran, l'un des rouleaux découverts près de la Mer Morte, le fait de s'endormir pendant l'assemblée est considéré comme une faute grave. Le récit de Luc, remarquons-le, est plus court que ceux de Matthieu et de Marc, et il est dépourvu de tous ces traits techniques de la tradition rabbinique. Ce n'est pas à nous de juger si c'est Luc lui-même qui n'y attachait pas d'intérêt, ou s'il a jugé que ses lecteurs ne s'y intéresseraient sans doute pas.

L'ensevelissement de Jésus sans "déshonneur"

Les concepts rabbiniques les plus souvent négligés sont ceux qui sont étrangers à notre manière de penser, ne sont pas encore établis dans l'Ancien Testament et ont perdu leur importance pour le judaïsme moderne. A l'époque du Nouveau Testament, les rabbins avaient une curieuse notion du "déshonneur" dont on peut discerner l'influence dans les comptes rendus de la mort de Jésus. Les adversaires de celui-ci semblent insister sur le caractère "déshonorant", "scandaleux", de sa fin; les évangélistes, eux, sans nier ses souffrances, sont néanmoins tout naturellement soucieux de réunir tous les faits de nature à atténuer le "déshonneur". Le "déshonneur" tel que les rabbins le conçoivent, peut affecter non seulement une personne vivante, mais aussi un cadavre. En général, après l'exécution, le corps d'un criminel était déposé d'abord dans une fosse publique et n'était transféré dans la tombe familiale qu'un an plus tard. Jésus, selon l'Evangile de Matthieu (Mt 27,60), a été enseveli tout de suite dans la tombe familiale de Joseph d'Arimathie, nouvellement creusée. Luc et Jean ne mentionnent pas que c'était une tombe de famille, mais ils disent au moins que c'était une tombe dans laquelle on n'avait encore déposé personne; ce ne pouvait donc pas être un terrain public ayant déjà servi en d'autres occasions. Ce point n'est pas du tout indiqué dans l'Evangile de Matthieu.

D'autre part, en règle générale, un criminel exécuté était enseveli sans aromates. Cependant, selon l'Evangile de Jean, Joseph d'Arimathie et Nicodème oignent d'aromates le corps de Jésus; Jean souligne d'ailleurs qu'ils se conforment ainsi à la coutume juive. Les Evangiles de Matthieu et de Marc ne contiennent pas cette scène. Mais chez eux aussi, le "déshonneur" est atténué: car le geste d'une femme de Béthanie oignant de parfum le corps de Jésus encore vivant est présenté comme une onction anticipée de son corps après sa mort (Mt 26,12; Mc 14,8). Le rite de l'onction était accompli, aussi peu orthodoxe qu'ait été le procédé. Jean, qui mentionne le rite de l'onction après la mort, selon l'usage, ne donne pas au geste de Marie de Béthanie le sens d'un rite funéraire. L'Evangile de Luc, lui, ne parle pas d'une onction après la mort et ne contient pas non plus l'idée d'un rite funéraire par anticipation.

Le "déshonneur" le plus grave aux yeux des rabbins était de subir une mutilation telle qu'elle pourrait empêcher la résurrection du corps. Vers l'époque du Nouveau Testament, la résurrection des corps était devenue une doctrine à laquelle les Pharisiens étaient très attachés. Ils lui donnaient une importance si grande qu'ils réalisèrent une réforme considérable dans les institutions du droit criminel consacrées par l'usage. Les anciennes méthodes de mise à mort par lapidation ou par le bûcher furent remplacées par de nouveaux procédés de soi-disant lapidation et de soi-disant bûcher qui, tout en étant aussi cruels, évitaient que le squelette soit visiblement endommagé, et la mort par strangulation devint la mode d'exécution le plus généralement admis.

C'est en gardant ces idées de l'époque présentes à l'esprit que nous devons lire, dans l'Evangile de Jean, le récit circonstancié (19, 32-34) soulignant le motif pour lequel les jambes de Jésus n'ont pas été brisées. Les chrétiens partageaient la foi des Pharisiens en la résurrection des corps; mieux encore, ils affirmaient que Jésus, après avoir été crucifié, avait réellement marché de nouveau sur la terre. Si les os avaient été brisés, cela aurait fait le jeu de leurs antagonistes. Jean cite la disposition prévue dans l'Ancien Testament que l'agneau pascal doit demeurer intact. Certains critiques pensent que l'affirmation dans le récit: "ils ne lui brisèrent pas les jambes" n'est pas fondée sur la tradition, mais vient du désir d'assimiler Jésus à l'agneau pascal. Si nous considérons le concept rabbinique de "déshonneur", il est beaucoup plus vraisemblable que le récit remonte à une étape ancienne de la controverse au sujet de Jésus ressuscité. Jean n'a pas pris comme point de départ la citation sur laquelle il aurait construit son récit, mais le récit lui-même, et il appuie celui-ci sur une référence à l'agneau pascal qui, par son intégrité, symbolise la confiance en la résurrection, tant individuelle que nationale.

Quatre catégories de questions

Parfois, la connaissance de la pensée rabbinique peut éclairer non seulement le sens d'un récit du Nouveau Testament, mais la composition d'un chapitre. Ainsi dans les Evangiles de Matthieu et de Marc, nous trouvons quatre questions discutées à la suite dans un même chapitre (Mt 22 et Mc 12):
(1) Est-il permis de payer l'impôt à César?
(2) Si un homme meurt sans postérité et que sa veuve épouse ensuite, successivement, chacun des six frères de celui-ci, cette femme ayant eu sept maris, de qui sera-t-elle l'épouse lors de la résurrection des morts?
(3) Quel est le plus grand commandement?
(4) Comment le Messie peut-il être fils de David alors que David, dans ses Psaumes, l'appelle son Seigneur?

A première vue, il semble que ces questions n'aient entre elles absolument aucun rapport. Le fait, cependant, qu'elles soient posées ensemble s'explique par une raison très simple. Les rabbins de l'époque divisaient les questions en quatre catégories: les questions de sagesse, dans lesquelles vous interrogez sur un point de la Loi; les questions de moquerie, par lesquelles vous raillez certaines croyances de la communauté, celle surtout de la résurrection des corps; les questions de conduite, dans lesquelles vous vous intéressez aux principes de la vie morale; et les questions d'exégèse, celles où vous cherchez une explication à certaines contradictions apparentes de l'Ecriture. Les quatre questions qu'on trouve dans Matthieu et Marc représentent les quatre catégories établies par les rabbins. "Est-il permis de payer l'impôt?" est une question de sagesse au sujet d'un point de la Loi. "Duquel des sept frères sera-t-elle l'épouse quand ils ressusciteront des morts?" est une question de moquerie, tournant en ridicule la résurrection des corps. "Quel est le premier commandement?" est une question de conduite, concernant le fondement de la vie morale. Et "Comment le Messie peut-il être en même temps le fils et le Seigneur de David?" est une question d'exégèse, portant sur une contradiction apparente dans l'Ecriture.

Nous pouvons spécifier encore davantage le modèle suivi par Matthieu et Marc dans l'élaboration de ce chapitre. On se rappellera que les trois premières questions (sur l'impôt à César, la veuve et le plus grand commandement) sont posées à Jésus par diverses personnes, tandis que la quatrième question, au sujet du fils et Seigneur de David, est posée par Jésus lui-même. La liturgie de la nuit pascale juive mentionne quatre types de fils et le genre d'instruction, approprié à chacun, qui est donné sur le sens de la fête de la Pâque. Un des fils pose une question de sagesse, un autre une question de moquerie et un autre une question de morale; mais dans le cas du quatrième, c'est le père lui-même qui ouvre l'instruction par une question. Cela ne peut pas être une coïncidence. Nous en concluons que ce chapitre du Nouveau Testament serre de près la liturgie de la vigile pascale juive, et qu'il a été composé en fait par un chrétien de la première heure qui célébrait encore la Pâque juive, et qui a remplacé ou développé une section traditionnelle concernant l'ancien Exode par une autre, de structure semblable, ayant trait au ministère de Jésus. Peut-être est-ce Marc, ou peut-être même Pierre. Dans l'Evangile de Matthieu, la nature originelle des quatre questions ne semble pas être mise autant en valeur que chez Marc, et chez Luc c'est la structure entière qui a été abandonnée.

La succession apostolique

Dans bien des cas, l'étude de la tradition rabbinique a pour résultat de permettre de faire des rapprochements avec certains problèmes de vie relatifs à la loi ou aux institutions chrétiennes. La dispute historique concernant l'Imposition des mains et la Succession apostolique a souffert de ce qu'on n'a pas su distinguer entre les deux sortes d'imposition des mains, désignées par des termes différents dans les sources hébraïques et araméennes: le fait de mettre doucement les mains sur une personne pour la bénir, ou celui de les appuyer fortement sur elle. L'imposition forte signifiait la communication de sa propre personnalité à un autre être vivant. Dans le judaïsme rabbinique du premier siècle, le rite consistant appuyer les mains était pratiquement limité à deux occasions: le culte sacrificiel, quand on appuyait les mains sur l'animal qu'on offrait, et l'ordination, quand un rabbin imposait fortement les mains sur un disciple, lui communiquant par là sa personnalité et créant un nouveau rabbin, un autre vrai successeur de Moïse. Jésus pratiquait l'imposition des mains en posant celles-ci avec douceur, pour bénir ou guérir; mais il n'a jamais pratiqué l'imposition en appuyant fortement, pour procéder à une ordination. En dehors du fait que lui-même n'a pas reçu l'ordination, l'idée que Jésus communique sa personnalité à un autre homme est impossible à admettre. Dans l'Eglise primitive cependant, le rite d'appuyer les mains a pris une extension bien plus grande que chez les rabbins, du moins dans les cercles considérés dans les Actes des Apôtres. Les responsables de la distribution des aumônes (Ac 6,6), même s'ils ne recevaient pas une ordination proprement dite, étaient investis par ce geste de leur fonction; de même Paul et Barnabé, quand ils reçurent de ceux qui étaient chargés comme eux de l'enseignement une mission spéciale, alors qu'ils étaient déjà des chefs de l'Eglise et qu'il ne pouvait s'agir de disciples promus au rang de maîtres. De cet usage plus étendu du rite de l'imposition des mains qui manifeste, au plan religieux, une énorme confiance en soi et un grand enthousiasme, et peut-être une certaine attirance pour ce qu'un tel geste peut comporter de magique, nous ne trouvons plus trace dans les Epîtres de Paul.

Cependant, l'équivalent chrétien de l'ordination rabbinique apparaît dans les Epîtres à Timothée. Il est clair que l'auteur de l'Epîtres a fait de Timothée un évêque en lui imposant les mains (2 Tm 1,6), et que Timothée avait le droit de faire de même pour créer d'autres évêques. Exactement de la même manière, à cette époque, n'importe quel rabbin ordonné avait le droit d'en ordonner d'autres. Un passage, dans la première Epître (1 Tm 4,14), a fait difficulté — celui où on dirait que Timothée est devenu évêque par "l'imposition des mains du collège des presbytres" — les presbytres et non l'auteur des Epîtres. Mais la traduction habituelle induit en erreur. Le grec traduit une expression rabbinique qui signifie "imposer les mains pour nommer un rabbin". Correctement traduit, le passage ne dit pas que Timothée a été ordonné par l'imposition des mains du collège des presbytres, mais par "l'imposition des mains en vue de la charge de presbytre", "en vue de la charge d'Ancien ordonné, de rabbin" ou, dans la nouvelle organisation chrétienne "par l'imposition des mains pour la charge de l'épiscopat". Ce texte est le témoignage le plus ancien que nous ayons de la nomination d'un évêque par son maître qui lui impose les mains; et l'expression rabbinique ne fait que souligner combien l'acte en question est proche du modèle de l'ordination juive. Il s'ensuit que le passage ne devrait pas être cité comme témoignage de l'existence, dans l'Eglise de cette époque, d'un groupe appelé "collège des presbytres".

Déclaration sur le divorce

La déclaration de Jésus sur le divorce (Mc 10, 2-12), telle qu'elle est rapportée dans l'Évangile de Marc, devrait être replacée pour être comprise dans le contexte de la pensée juive du temps. Jésus cite comme argument contre le divorce un verset de l'histoire de la création,du premier livre de Moïse (Gn 1,27): "Homme et femme il les créa". A première vue, on voit mal comment ce verset peut être cité à l'appui d'un refus du divorce; en fait on pourrait l'interpréter en faveur du divorce, puisque Dieu a créé un homme et une femme, deux être indépendants. La clé se trouve dans la doctrine des anciens rabbins, qui voyaient dans ce verset une allusion à l'Adam des origines, avant qu'Eve ait été formée à partir de lui. Aux yeux de ces rabbins "Homme et femme il les créa" implique l'enseignement qu'à l'origine Adam était androgyne. Peu importe que nous soyons ou non d'accord avec leur interprétation: Jésus a dû partir de là. Il est évident que, compris ainsi, le verset est un argument puissant contre le divorce. Dans la création idéale, l'homme et la femme ne formaient qu'un seul et même être vivant. Le mariage se rapproche de cet état de choses; le divorce suivi d'un remariage en est le total démenti; et cela vaut aussi bien si c'est la femme qui laisse son mari pour épouser quelqu'un d'autre ou — et là nous arrivons à une conséquence qui diffère de l'enseignement du judaïsme traditionnel — si c'est le mari qui laisse sa femme pour se remarier. Dans les deux cas, il s'agit de la brisure en deux de l'être unique des origines. C'est sur ce fond seulement que nous pouvons apprécier la force des paroles ajoutées par Jésus: "Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni". Une fois encore il y a référence au monde idéal, quand l'homme et la femme ne faisaient qu'un.

Quand nous considérons la controverse sur le divorce dans son ensemble, nous voyons qu'elleconfirme notre manière de comprendre la déclaration de Jésus. Ce sont les Pharisiens qui posent la question à Jésus Sa réponse est fondée, selon notre thèse, sur une interprétation rabbinique du verset qu'il invoque. Plus tard, à la maison, ses disciples lui demandent de nouveau son opinion sur le sujet, et à ce moment-là il leur dit explicitement que le divorce suivi de remariage est un adultère. Pourquoi les disciples l'auraient-ils interrogé encore en particulier si la réponse donnée publiquement à ses ennemis avait été tout à fait claire?. La réponse, citant "Homme et femme il les créa", doit comporter un enseignement mystérieux, ésotérique. C'est la doctrine rabbinique de l'Adam des origines, androgyne, dont les conséquences, au moins en ce qui concerne le mariage, n'étaient pas familières aux non-initiés. * Conférence donnée au Programme 3 de la B.B.C. et publiée dans The Listener,6 septembre 1956. Nous la reproduisons ici, traduit de l'anglais, avec l'aimable autorisation de l'auteur.



David Daube est professeur à la Faculté de droit de l'Université de Berkeley, Californie. 11 est bien connu pour ses écrits sur le judaisme rabbinique et le Nouveau Testament, cf The New Testament and Rabbinic Judaïsm, Université de Londres, 1956.

 

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