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Le Catechisme de l'Eglise Catholique - Une lecture juive interreligieuse
Léon Klenicki
Le Catéchisme de l'Eglise Catholique (CEC) a été publié officiellement en français le 15 novembre 1992, à Paris. S. Exc. Mgr Edward T. Hughes, évêque de Metuchen, New Jersey, s'exprime ainsi dans la Présentation qu'il en fait aux évêques américains:
Le CEC est destiné essentiellement aux évêques en tant qu'éducateurs de la foi et pasteurs de l'Eglise. Il leur est proposé comme un instrument pour l'éducation du peuple de Dieu. Par l'intermédiaire des évêques, il s'adresse aux rédacteurs de catéchismes, aux prêtres, aux catéchistes et à toutes les personnes responsables de la catéchèse. Il constituera une lecture utile pour tous les croyants.
Le nouveau Catéchisme (qu'on pourrait qualifier de « guide de contenu » pour l'élaboration de catéchismes locaux), constitue un effort pour présenter la pensée catholique, et particulièrement l'enseignement de Vatican IL dans un manuel qui aura de l'influence sur l'enseignement donné dans l'avenir à des générations de catholiques. Mgr William Levada, archevêque de Portland (Oregon), a pu affirmer que ce Catéchisme « façonnerait la pensée catholique pour des décades, peut-être même pour des siècles ». S'adressant à des éditeurs de catéchismes, lors d'un symposium qui se tenait à Washington D.C., le 21 février 1992, il faisait remarquer:
« L'intention du CEC n'est pas d'être l'unique catéchisme pour l'ensemble du monde; il est une matière-ressource qui servira de référence pour juger de l'orthodoxie de tout matériel catéchétique... Je veux dire que ce catéchisme sera un document d'importance majeure — par son texte même — pour la formation des responsables religieux, depuis les prêtres jusqu'aux catéchistes, appelés à proposer le contenu de la foi ».
Depuis des siècles, l'Eglise catholique a toujours eu comme souci primordial l'enseignement du catéchisme, tout comme les autres confessions de foi (et particulièrement le judaïsme) ont le souci de transmettre leur tradition. Le Pape Jean-Paul II affirme dans son exhortation apostolique Catechesi Tradendae (D.C. n° 1773 (4 Novembre 1979) (La catéchèse dans notre temps, le 16 octobre 1979):
La catéchèse a toujours été considérée par l'Eglise comme l'une de ses tâches primordiales, car avant de remonter vers son Père, le Christ ressuscité donna aux Apôtres une ultime consigne: faire de toutes les nations des disciples et leur apprendre tout ce qu'il leur avait prescrit. Il leur confiait ainsi la mission et le pouvoir d'annoncer aux hommes ce qu'ils avaient eux-mêmes entendu, vu de leurs yeux, contemplé, touché de leurs mains, du Verbe de vie. Il leur confiait en même temps la mission et le pouvoir d'expliquer avec autorité ce qu'il leur avait appris, ses paroles et ses actes, ses signes et ses commandements. Et il leur donnait l'Esprit pour accomplir cette mission. Très vite on a appelé « catéchèse » l'ensemble des efforts entrepris dans l'Eglise pour faire des disciples, pour aider les hommes à croire que Jésus est le Fils de Dieu afin que, par la foi, ils aient la vie en son nom , pour les éduquer et les instruire dans cette vie et construire ainsi le Corps du Christ. L'Eglise n'a cessé d'y consacrer ses énergies.
Parce qu'il est si central dans le christianisme, l'enseignement catéchétique a une importance particulière pour les non-chrétiens, et spécialement pour les juifs, car le christianisme est étroitement lié au judaïsme du premier siècle. La présentation par l'Eglise de cette période peut être faite d'une manière négative qui éveille les préjugés et le mépris envers les juifs. Telle a été pendant des siècles la tradition chrétienne, une tradition dont triomphe peu à peu le dialogue interreligieux, découvrant l'appel de Dieu à une reconnaissance mutuelle.
Une lecture interreligieuse du document
Le CEC est un document catholique, écrit par des spécialistes catholiques et adressé à des catholique. Notre approche juive veut être respectueuse des concepts théologiques et sensible aux différences. Nos commentaires sont faits dans un esprit d'ouverture au dialogue, mais aussi avec une préoccupation bien compréhensible pour la manière dont les juifs et le judaïsme y sont présentés.
Jusqu'au concile Vatican Il, une très ancienne tradition de mépris envers le judaïsme persistait, et cela à bien des niveaux de l'éducation catholique. Même si le portrait négatif qu'on en faisait a été rejeté par l'enseignement de Vatican II, quelques traits de celui-ci se retrouvent encore dans certains recueils de textes et documents ecclésiastiques. Le dialogue, la réflexion commune et la reconnaissance des uns par les autres sont les étapes nécessaires de ce long processus de rencontre et d'acceptation mutuelles. Mon commentaire voudrait contribuer à cette évolution, qui est source d'espérance et inspirée par Dieu.
Changer d'attitude, cela implique que l'on reconnaisse l'autre en tant que personne de foi appartenant à Dieu; que l'on voie en elle non un objet, mais un sujet de foi. C'est une attitude qui vous pousse à comprendre l'autre, par-delà le triomphalisme. Il faut accueillir la présence de Dieu comme partie intégrante de ce processus de reconnaissance de l'autre, pour saisir le caractère sacré de cette autre personne, et de l'alliance que Dieu noue avec elle à travers son expériencedu divin. Tel était l'esprit du document de janvier 1975: « Orientations et suggestions pour l'application de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate n° 4 » (D.C. n° 1668 (19 Janvier 1975)). Ce texte du Vatican affirme: « En vérité, les relations entre juifs et chrétiens, quand elles existaient, n'ont en général guère dépassé le monologue: il importe désormais d'établir un vrai dialogue ».
En ce sens, le dialogue se définit comme un échange respectueux entre égaux qui partagent une même foi en Dieu, et qui reconnaissent ce qu'a d'unique l'engagement de foi de l'autre. Les « Orientations » soulignent ce point en faisant remarquer:
Le dialogue suppose le désir de se connaître mutuellement, et de développer et approfondir cette connaissance. Il constitue un moyen privilégié pour favoriser une meilleure connaissance mutuelle et, particulièrement dans le cas du dialogue entre juifs et chrétiens, pour approfondir les richesses de la tradition propre à chacun. La condition du dialogue est le respect de l'autre tel qu'il est, de sa foi surtout et de ses convictions religieuses.
Gardant cela à l'esprit, notre lecture n'interfère en rien dans l'affirmation que fait ici le christianisme de ses convictions théologiques; elle vise plutôt à clarifier une terminologie et certains concepts qui, parce qu'ils enseignent le mépris, ont nui et continuent à nuire au peuple juif. Il s'agit d'un enseignement qui refuse aux juifs et au judaïsme tout rôle dans le plan divin depuis que Jésus est venu et a accompli sa mission. Le judaïsme des siècles après Jésus est alors présenté comme s'il était, dans sa vocation même, rejeté par Dieu et par l'histoire. On a vu dans la destruction du Temple par les Romains, en 70 de notre ère, le premier signe de ce rejet du peuple par Dieu. La catéchèse, la prédication et les autres enseignements concernant les juifs et le judaïsme ont nié toute signification à l'alliance conclue par Dieu avec le peuple juif, après la venue de Jésus. Cette approche théologique est celle qui a prédominé non seulement au Moyen-Age, mais pendand tout le 19 siècle- et pour le peuple juif, cela signifiait l’excluion sociale, des cités aussi bien que des nations, la création de ghettos, l'expulsion, le port d'insignes distinctifs... Des disputes théologiques ont eu lieu, que ce soit à Tortose, à Barcelone ou à Paris: des savants juifs et des rabbins ont été contraints de discuter sur des passages de la Bible où l'on voyait des allusions à la venue de Jésus, le Messie promis.
Les textes de Vatican 11 concernant les juifs et le judaïsme ont révisé cette triste histoire du passé, et ils recommandent aux prêtres et aux enseignants de supprimer des textes catéchétiques tout ce qui peut donner une image négative du judaïsme. Le CEC contribue à cette révision théologique en insistant sur certains points qui peuvent favoriser, chez les catholiques, une meilleure compréhension du judaïsme et du peuple juif:
— l'Alliance de la Bible hébraïque n'a pas été révoquée;
— Jésus est né juif;
— la liturgie chrétienne est liée à la liturgie juive;
— les juifs ne sont pas collectivement responsables de la mort de Jésus.
L'enseignement catéchétique et le judaïsme
Bon nombre de représentants officiels du Vatican s'intéressent à ce que les juifs et le judaïsme soient présentés d'une manière pédagogique. Le Cardinal J. Willebrands exprimait cet intérêt dans une étude sur « Catéchèse chrétienne et judaïsme » présentée en 1977 (D.C. n° 1731 (D Décembre 1977)), au Synode romain des évêques qui avait pour thème: « Les catéchismes notre époque ». Voici ce qu'il disait:
Il semble important que, dans un échange sur les catéchismes, et particulièrement sur ceux qui s'adressent aux enfants et aux jeunes, comme c'est le cas dans cette assemblée du Synode, soit soulevée la question de l’image donnée du judaisme dans l’enseignement catéchétique. Il y a à cela une double raison : d’une part parce qu’il est impossible, théologiquement et pratiquement, de présenter le christianisme sans se référer au judaïsme, au moins tel qu'on le découvre dans les pages de l'Ancien Testament, et aussi tel qu'il était réellement à l'époque du Nouveau Testament. D'autre part, parce que l'image donnée du judaïsme quand on présente le christianisme et l'enseignement chrétien est rarement exacte, fidèle et respectueuse de la réalité théologique et historique du judaïsme... Le concile Vatican H, après une présentation générale des relations entre le christianisme et le judaïsme, déclare: « Que tous aient donc soin, dans la catéchèse et la prédication de la parole de Dieu, de n'enseigner quoi que ce soit qui ne soit conforme à la vérité de l'Evangile et à l'esprit du Christ » (Nostra Aetate).
Cette préoccupation du Cardinal Willebrands se reflète partiellement dans le texte du CEC; mais certaines affirmations, par contre, semblent transmettre des concepts qui sont ceux de l'enseignement traditionnel du mépris envers les juifs. Celles-ci pourraient bien dérouter certains éducateurs ou ceux qui, dans l'avenir, élaboreront des manuels catéchétiques. Elles exigent qu'une réflexion commune se fasse entre juifs et catholiques, et elles sont aussi pour le lecteur juif, source de préoccupation.
La Bible hébraïque et le Nouveau Testament
Au n° 121, le CEC fait remarquer que la Bible hébraïque, appelée Ancien Testament, fait partie de la Sainte Ecriture et ne doit pas être négligée. Il note aussi que les livres sont d'inspiration divine et conservent une valeur permanente parce que « L'ancienne Alliance n'a pas été révoquée ». Cependant, le n° 122 affirme que le but de l'économie ancienne était « de préparer l'avènement du Christ, Sauveur du monde ». Cette notion théologique peut conduire à une intelligence negative du texte: elle fait apparaître le judaïsme comme une religion de caractère temporaire; elle néglige le développement continuel de l'interprétation rabbinique (et cela encore de nos jours), qui explique la signification des préceptes divins, et la manière de les observer dans la vie individuelle et communautaire. C'est cependant une méthode similaire que Jésus a suivie en traduisant l'unique réalité de ce premier siècle.
Le CEC recommande la typologie, l'étude des symboles, comme méthode permettant de déchiffrer et comprendre le sens du texte original. La typologie a été utilisée pendant des siècles, à la fois par les juifs et les chrétiens. C'est un outil utile pour expliquer le texte, connaître sa spiritualité. Elle a cependant une tendance — dangereuse pour nos deux traditions religieuses — à user (et abuser) du texte, y trouvant un prétexte pour ne voir dans les événements antérieurs que des réalités provisoires, de simples préparations. Le CEC, au n° 130, dit:
La typologie consiste finalement à s'orienter vers l'accomplissement du plan divin quand « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15,28). La vocation des Patriarches, de l'Exode de l'Egypte, par exemple, ne perdent pas leur valeur propre dans le plan de Dieu du fait qu'ils en sont en même temps des étapes intermédiaires.
11 nous faut étudier ensemble la typologie pour comprendre nos spiritualités respectives: il s'agit là d'un processus de croissance spirituelle, et non pas d'une confrontation. C'est une tâche qui devrait s'insérer dans l'ensemble des efforts de dialogue interreligieux, une tâche qui va au-delà des rencontres courtoises autour d'une tasse de thé, et qui doit aboutir à une réflexion en profondeur sur les vocations juive et chrétienne et sur les réponses à donner à ces deux alliances distinctes.
Le CEC souligne l'unité entre la Bible hébraïque et le Nouveau Testament, insistant sur le fait que ce qu'on appelle Y« Ancien Testament » (n° 140) « prépare le Nouveau, alors que celui-ci accomplit l'Ancien ». « Les deux s'éclairent mutuellement, les deux sont vraie Parole de Dieu ».
Au n° 134, le Catéchisme rappelle les vues de Hugo de Saint Victor:
L'ensemble de la Sainte Ecriture est un seul livre, et ce seul livre est le Christ, car l'ensemble de la Sainte Ecriture parle du Christ, et l'ensemble de la Sainte Ecriture s'accomplit dans le Christ.
Cet accent mis sur l'unité typologique des Écritures et sur le fait que « l'Ancien Testament » prépare la voie au Nouveau et à la venue de Jésus n'est pas sans nous préoccuper; cela réduit, en effet, l'importance de la Bible hébraïque, faisant apparaître son texte comme incomplet. Paradoxalement, on peut remarquer que les rabbins des premiers siècles ont ressenti le besoin d'expliquer le sens de la Bible hébraïque par le moyen de la Tradition orale, la complétant par les explications des Pharisiens et des Maîtres rabbiniques. Ces derniers ne rejetaient pas le texte original, mais ils expliquaient le sens de l'Ecriture pour approfondir la Parole de Dieu. L'explication donnée par le CEC semble, au contraire, rejeter la racine dont une branche, le christianisme, est issue. Le ler siècle a été une période d'intense spiritualité. Divers courants théologiques (esséniens — pharisiens —sadducéens, avec les divisions internes à chaque groupe) ont contribué à la riche diversité de cette époque. La vocation de Jésus, profondément enracinée en son temps, ne fait pas exception, et elle exigerait une réflexion commune de chrétiens et de juifs dans le respect des Ecritures respectives. Les Lettres aux Hébreux et aux Romains, tout comme les documents de la Mer Morte et la littérature rabbinique auraient besoin de cette étude commune qui enrichirait les deux spiritualités, et cela en dépit de l'histoire passée. Reconnaître et accepter la Bible hébraïque et l'alliance du Sinaï ne signifie pas qu'on refuse au christianisme un espace théologique: ce serait là un refus présomptueux de l'autre et un danger pour un peuple engagé dans sa foi, le prélude à une éventuelle confrontation théologique.
Le CEC tend à souligner la valeur temporaire de la Bible hébraïque. Le n° 1334, par exemple, explique la signification du pain et du vin dans la Bible hébraïque, particulièrement dans leur relation à la libération pascale; cependant, il note à la fin que Jésus, en instituant l'Eucharistie « a donné un sens nouveau et définitif à la bénédiction du pain et de la coupe ». La théologie et le rituel rabbiniques (que Jésus a connus) avancent une opinion différente.
La même démarche se retrouve dans l'explication du sacerdoce juif, tel qu'il est décrit dans la Torah, l'ensemble des cinq premiers livres de la Bible hébraïque. Le CEC déclare que le sacerdoce biblique « reste impuissant à opérer le salut » (n° 1540), et que « seul Jésus peut accomplir une sanctification définitive ». La question est de savoir si, dans la Bible hébraïque, le sacerdoce était réellement intéressé au salut, ou s'il n'était pas plutôt soucieux de maintenir la relation d'alliance entre Israël et Dieu, la pureté des offrandes sacrificielles et l'importance centrale de l'Unicité divine.
Jésus et Israël
Les n° 574 à 576 définissent la relation de Jésus à Israël. Le n° 574 fait une généralisation en affirmant que, depuis le tout début du ministère public de Jésus, « des Pharisiens et des partisans d'Hérode, avec des prêtres et des scribes, se sont mis d'accord pour le perdre » (Mc 3,6).
Le CEC, suivant Marc dont le texte a été composé des années après les événements, donne l'idée que Jésus, même s'il a suivi la tradition juive, a été accusé par les autorités juives de son temps d'être un blasphémateur. Reste encore à préciser qui sont ceux qu'on appelle ici « autorités juives ». Une lecture attentive du texte du Nouveau Testament montrerait que Jésus, lorsqu'il critiquait les autorités religieuses établies, suivait jusqu'à un certain point une pratique courante à son époque. Le professeur David Flusser, de l'Université hébraïque, insiste sur ce point dans son livre: Jewish Sources in Early Christianity (David Flusser: Jewish Sources in Early Chrislianily, New York, Adama Books, 1987.), même s'il a certaines réserves quant au fait de considérer Jésus comme faisant partie du mouvement spécifiquement pharisien:
Les critiques des Sages envers ce type négatif de Pharisiens étaient identiques à celles de Jésus envers les Pharisiens. Jésus dit qu'ils aiment se faire des phylactères bien larges et occuper les premiers sièges dans les synagogues pour se faire voir et être appelés « Rabbis ». De même, comme nous l'avons déjà dit, Jésus compare les Pharisiens à des sépulcres blanchis à l'extérieur, mais pleins de vermine à l'intérieur. En Mt 23, Jésus déclare à sept reprises; « Malheur à vous .... Pharisiens! »; et dans le Talmud, on trouve la liste de sept types de Pharisiens, dont cinq sont qualifiés d'« hypocrites ».
Cependant, Jésus avait aussi des choses positives à dire sur les Pharisiens. Il était conscient, certes, qu'il existait une certaine hypocrisie, mais il était en même temps bien conscient des aspects positifs chez ceux-ci: en d'autres termes, il y avait une ambiguïté voulue dans son emploi du mot « Pharisien ». Jésus déclare aussi: « Les scribes et les Pharisiens occupent la chaire de Moïse; faites donc et observez tout ce qu'ils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes; car ils disent et ne font pas » (Mt 23, 2-3). Il fait là une nette distinction entre les types négatifs de Pharisiens et le reste de ceux-ci: il parle des Pharisiens en général, mais insére dans son discours une polémique, (que nous trouvons dans les sources talmudiques) contre les types négatifs de Pharisiens.
Jésus met l'accent sur le fait que les Sages doivent guider ses propres disciples puisque, comme il l'affirme, ils occupent la chaire de Moïse; et lui, ainsi que ses disciples, sont liés par leurs décisions. Jésus exige aussi de ses disciples que leur justice surpasse celle des Pharisiens (Mt 5,20). Il voit en ces derniers les héritiers de Moi: se, et donc les interprètes authentiques de la Torah; mais il les critique aussi, parce qu'ils ne font pas ce qu'ils disent.
Le premier siècle de notre ère demande à être abordé avec plus de prudence, en se gardant de généraliser ou de répéter des stéréotypes du genre de ce que nous trouvons dans le CEC, qui qualifie de « casuistique hypocrite » l'interprétation donnée par les rabbins sous forme de discussions. Les Sages de l'époque rabbinique débattaient de l'observance des préceptes rituels et liturgiques afin de traduire dans les rites et dans la prière la relation d'alliance avec Dieu. Il s'agissait d'un débat libre: aucune autorité ne sanctionnait leurs conclusions, si ce n'est le désir de vivre au jour le jour la volonté de Dieu. Et Jésus ne fait pas exception, utilisant lui-même la méthode rabbinique de sanctification. Il a sûrement critiqué certains traits de la spiritualité du premier siècle et suivi l'exemple d'autres Maîtres de son temps (tels qu'on les connaît par les sources rabbiniques). Mais toutes les généralisations reflètent une mentalité qui est celle de l'époque où furent compilés les textes du Nouveau Testament, et non pas nécessairement celle de l'époque même de Jésus.
Jésus et le Pharisaïsme
Jésus est très lié au judaïsme du premier siècle, et le sens religieux de diverses écoles se reflète dans ses paroles, entre autres un ou deux courants de la pensée pharisienne. Cependant, les compilateurs des textes du Nouveau Testament n'ont pas fait de telles distinctions, et ils se réfèrent au groupe des Pharisiens comme s'il constituait un tout. Le CEC suit la même ligne. Dans ce document, en effet, le pharisaïsme apparaît comme un mouvement monolithique, celui des leaders d'un système légal sophistiqué.
Un texte de la Commission de liturgie de la Conférence épiscopale des Etats-Unis, datant de 1988, aborde de manière plus claire la question du pharisaïsme et de la critique qu'en fait Jésus. Il est bien dommage que ce document, intitulé: « La miséricorde de Dieu demeure à jamais. Orientations pour la présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication catholique » (National Conference of Catholic Bishops: God's Mercy Endures Forever, Guidelines on the Presentation of Jews and Judaism in Catholic Preaching, Washington D.C.; Bishops' Committee on the Liturgy, Septembre 1988.), n'ait pas été pris en considération lors de l'élaboration des paragraphes du CEC concernant Jésus et ses relations avec les autorités religieuses juives de son temps. Voici un passage de ce texte:
Dans sa vision religieuse, Jésus était peut-être plus proche des Pharisiens que de tout autre groupe existant à son époque. Les Notes de 1985 suggèrent que cette proximité des Pharisiens est peut-être la raison de bon nombre de ses controverses avec ceux-ci.. Bien des savants pensent que Jésus n'argumentait pas tant contre « les Pharisiens » en tant que groupe, mais qu'il condamnait plutôt les excès de certains d'entre eux, genre d'excès qui peuvent se rencontrer aussi bien chez certains chrétiens... Quand l'Eglise eut pris ses distances par rapport au judaïsme, elle eut tendance à télescoper le long iprocessus historique au cours duquel les Evangiles furent mis par écrit, des générations après la mort de Jésus. Ainsi certaines controverses, qui ont pu en fait avoir lieu entre les autorités de l'Eglise et des rabbins vers la fin du ler siècle, ont-elles été « relues » dans le cadre de la vie de Jésus...
La réalité historique doit être prise en considération par les catéchistes, afin que soit évité un « enseignement du mépris » qui non seulement dénigre le judaïsme, mais qui est aussi absolument infidèle au message de Jésus.
Jésus et la Loi
Les n° 577 à 582 traitent des rapports de Jésus avec la Loi. Le mot « loi » demande à être darifié, car il a été longtemps source d'incompréhension et de polémiques entre chrétiens et juifs. Les interprètes des enseignements bibliques, depuis l'époque d'Esdras jusqu'aux premiers siècles de notre ère, ont eu le souci de la Parole de Dieu et de sa mise en pratique dans la vie quotidienne d'Israël. Dans cette ligne, les autorités religieuses et les Sages ont interprété la Parole de Dieu et en ont actualisé le sens pour la vie quotidienne. La mission de ces interprètes était de trouver les moyens de faire de la relation d'Alliance — de l'élection d'Israël — une réalité dans la vie du peuple élu, une concrétisation continuelle de l'amour de Dieu. Cette préoccupation s'est traduite dans un ensemble de règles et de recommandations quant à la manière de mener une vie de sainteté. C'est une méthode de sanctification que les rabbins appellent « Halakha », mot que l'on traduit habituellement, et à tort, par « loi ».
Le mot Halakha est généralement considéré comme venant du verbe halakh (= aller). La Halakha est une manière d'être et de se conduire, une manière de vivre et de revivre la révélation et les préceptes de Dieu. Vivre selon la Halakha, c'est faire de la Présence de Dieu une réalité dans tous les domaines de la vie: c'est remercier Dieu de nous redonner le souffle de vie au moment du réveil, le matin; le remercier pour les aliments, pour le commandement qui nous est fait d'étudier; le remercier pour sa Présence. La Halakha, c'est la joie de conformer sa vie à l'expérience de l'Alliance, en se laissant guider par la tradition.
La Halakha est un processus constant d'actualisation de la Révélation et de son contenu éthique; entrer dans ce processus, c'est donner une réponse à l'histoire. Le livre de l'Exode est un bon exemple de spiritualité halakhique: l'Exode est, en effet, bien plus qu'« une délivrance de l'esclavage du péché »; on découvre dans ces récits l'expérience de l'Exil et du Retour, le passage du néant spirituel à une expérience nationale et individuelle riche de signification. L'esclavage en Egypte n'a pas été une punition pour les fautes commises par le peuple juif; il a été imposé à celui-ci par des persécuteurs qui suivaient les impératifs d'une idéologie politique.
Le peuple juif s'est débarrassé de l'esclavage d'Egypte et a pris sur lui les obligations de la liberté, celles du Mont Sinaï, les dix commandements et l'engagement à une vie de pureté et de sainteté. L'Alliance du Sinaï n'implique pas seulement une relation entre Dieu et Israel; elle implique aussi qu'on accepte le contenu de la Révélation: les prescriptions morales et éthiques. Les 18 premiers chapitres de l'Exode rapportent le récit d'une libération politique, et tout le reste (22 chapitres) offre une discipline pour la vie de foi. Il s'agit là, selon la définition donnée précédemment, d'une Halakha, d'une manière de vivre sa religion. De cette conception, le CEC ne tient pas compte, reprenant la vieille accusation de « casuistique » pour parler de la spiritualité des rabbins. Le n°-577 cite Mt 5,17-19 où Jésus est présenté comme observant la Halakha, et non comme l'abolissant: Jésus a observé les prescriptions religieuses de son temps comme un juif vraiment religieux. Le CEC insiste sur cette fidélité halakhique de Jésus, mettant l'accent sur sa prière et sur les rites. Le texte montre Jésus en désaccord avec les Maîtres religieux (réalité assez commune dans le monde pluraliste de son époque): celui-ci, en effet, s'opposait à toute distinction exagérément subtile, mais il soutenait le point de vue moral. En ce qui concerne le divorce, il était aussi strict que l'Ecole de Shammaï (Mt 5,32; 19,3-9): celle-ci s'intéressait à la situation de la femme, à l'opposé de celle de Hillel qui manifestait son libéralisme spirituel et rituel en faveur des hommes.
Jésus, en interprétant la Torah (selon la méthode midrashique) a contribué à faire comprendre les préceptes divins d'une manière qui n'était pas nécessairement si différente des modes de l'interprétation rabbinique, si variée dans ses aspects. La littérature halakhique recouvre deux domaines de la spiritualité juive: l'un est celui de la Mishna, commentaire rituel et liturgique sur les divers aspects de la vie de foi, de prière, d'une spiritualité du quotidien, des relations humaines, du bien-être social; l'autre, celui du Midrash, qui est une explication littéraire existentielle du texte biblique, une interprétation du texte original dans ses dimensions éthiques. Les deux méthodes étaientconnues de Jésus qui était profondément influencé par la spiritualité du 1er siècle. Le Midrash a été utilisé par les auteurs du Nouveau Testament: il faisait partie de leur tradition juive et de la réalité de leur temps. Après quelques dizaines d'années, judaïsme et christianisme vont apparaître comme des voies religieuses différentes. Elles se sont malheureusement trop souvent définies en termes d'opposition. La décision de Constantin d'imposer le christianisme en Occident va marquer une séparation socio-politique, un triomphalisme du pouvoir que les chrétiens remettent en question de nos jours: c'est là une manière d'adoucir une souffrance séculaire, et cela exige aussi de reconsidérer les premiers siècles.
C'est cet esprit qui se manifeste en partie dans la section sur « Jésus et la Loi », mais il nous semble que le CEC aurait dû être plus attentif à la réalité juive si complexe du 1er siècle, évitant de mettre de nouveau en opposition la Loi et l'Amour: il s'agit là d'une tradition plutôt moyenâgeuse.
Le n° 593 note l'amour de Jésus pour le Temple et pour ses rites. Le Temple y est cependant présenté de manière typologique, comme « préfigurant son Mystère », sans aucune référence à la valeur de cette institution pour la spiritualité juive, et même judéo-chrétienne, de l'époque. Ce problème, et bien d'autres, exigeraient une réflexion commune entre juifs et chrétiens afin d'éviter certaines incompréhensions qui ne peuvent qu'encourager l'enseignement du mépris envers le judaïsme.
Le procès et la mort de Jésus: rejet du déicide
Les n° 595 à 598 traitent de la mort de Jésus. Celle-ci y est décrite, selon la méthode typologique, comme déjà annoncée par la Bible hébraïque en tant que mystère de salut universel. Selon le CEC, la mort de Jésus accomplit, en particulier, la prophétie du Serviteur souffrant d'Isaïe (53,7-8). Le n° 595 souligne que les autorités de Jérusalem n'ont pas été unanimes dans la conduite à tenir vis-à-vis de Jésus. Il souligne aussi que quelques Pharisiens, tels que Nicodème et Joseph d'Arimathie, étaient « en secret disciples de Jésus ». Cela permettra d'éviter toutes les généralisations qui aboutissent finalement à la condamnation du peuple juif.
Le n° 596 note que « les Pharisiens ont menacé d'excommunication ceux qui le suivraient ». Ceci est à relativiser, étant donné les divisions existant au sein du mouvement pharisien, (reconnues précédemment par le CEC). Ce numéro note encore que le Sanhédrin a déclaré Jésus « blasphémateur » et donc « méritant la mort ». Le grec peut être traduit aussi par « passible de mort »; et c'est cette dernière traduction que suit l'édition française du Catéchisme, tandis que l'espagnole dit que le Sanhédrin a « condamné Jésus à mort ». Le CEC précise que les autorités rabbiniques n'avaient pas le droit de condamner à mort, et qu'elles ont renvoyé Jésus aux Romains, l'accusant de fomenter une révolte politique (selon Luc 23,2): cette affirmation devrait être considérée plus attentivement. 11 faudrait, quand on traite de cette période, tenir sérieusement compte du rôle joué alors par le Sanhédrin, des droits qu'il avait et du contrôle exercé sur lui par les Romains. Il aurait été important que le texte rappelle aux lecteurs que le Grand prêtre était nommé par les Romains et qu'il agissait comme un « collaborateur », critiqué à la fois par les autorités religieuses juives et par le peuple.
Le CEC rejette l'accusation de déicide en précisant que « les juifs ne sont pas collectivement responsables de la mort du Christ ». Ceci se trouve sous forme de titre au n° 597; suit, immédiatement après, au n° 598, l'affirmation: « Tous les pécheurs furent les auteurs de la passion du Christ ». Ces deux rappels sont un excellent moyen d'éduquer les fidèles: ils marquent une rupture avec cette accusation qui est à l'origine du mépris du judaïsme, et des persécutions endurées pendant des siècles par le peuple juif.
Réflexions finales
La lecture du texte que je viens de faire l'a été dans un esprit d'amitié et avec un grand intérêt porté à l'enseignement catholique et à la présentacon que celui-ci fait du judaïsme, présentation qui marquera de son influence d'innombrables générations de catholiques et, finalement, les relations entre catholiques et juifs.
Le Pape Jean-Paul II a ouvert la voie à cette présentation dans son discours du 6 mars 1982, à Rome, lors d'une rencontre avec des représentants de Conférences épiscopales et des experts du dialogue judéo-chrétien. (D.C. n° 1827 (4 avril 1982)) Ses paroles auraient pu inspirer les auteurs du CEC dans leur édition finale du document. Nous les citons ici:
Oui, la clarté et le maintien de notre identité chrétienne sont une base essentielle, si nous voulons nouer des rapports authentiques, féconds et durables avec le peuple juif. Dans ce sens, je suis heureux de savoir que vous déployez beaucoup d'efforts, en étudiant et en priant ensemble, afin de mieux saisir et de mieux formuler les problèmes bibliques et théologiques, parfois difficiles, qui sont suscités par les progrès du dialogue judéo-chrétien. En ce domaine, l'imprécision et la médiocrité nuiraient énormément à un tel dialogue. Que Dieu donne aux chrétiens et aux juifs de se rencontrer davantage, d'échanger en profondeur et à partir de leur propre identité, sans jamais l'obscurcir d'un côté comme de l'autre, mais en cherchant vraiment la volonté de Dieu qui s'est révélé!
Ce sont de tels rapports qui peuvent et doivent contribuer à enrichir la connaissance de nos propres racines, et à mieux mettre en lumière certains aspects de cette identité dont nous parlions. Notre patrimoine spirituel commun est considérable. En faire l'inventaire en lui-même, mais aussi en tenant compte de la foi et de la vie religieuse du peuple juif, telles qu'elles sont professées et vécues encore maintenant, peut aider à mieux comprendre certains aspects de la vie de l'Eglise. C'est le cas de la liturgie, dont les racines hébraïques sont encore à approfondir, et surtout à être mieux connues et appréciées des fidèles. Ceci vaut également au plan de l'histoire de nos institutions qui, dès le début de l'Eglise, ont été inspirées par certains aspects de l'organisation communautaire synagogale. Enfin, notre patrimoine spirituel commun est surtout important au niveau de notre foi en un seul Dieu unique, bon et miséricordieux, qui aime les hommes et se fait aimer d'eux (cf. Sg 11,24-26), maître de l'histoire et du destin des hommes, qui est notre Pére et qui a choisi Israël, « l'olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l'olivier sauvage que sont les gentils » (Nostra Aetate, n °4: cf. aussi Rm 11, 17-24).
Il nous semble que le CEC a suivi pour une part la voie critiquée par le Pape Jean-Paul II. Le nouveau document requiert donc une réflexion en commun des catholiques et des juifs sur la manière d'utiliser le CEC au niveau de la base, en tenant le plus grand compte de l'appel commun au dialogue interreligieux. Au stade actuel, le dialogue entre catholiques et juifs a fait des pas importants dans le domaine de l'éducation, spécialement pour l'enseignement du Nouveau Testament et pour la présentation des juifs et du judaïsme. Il reste cependant beaucoup à faire de part et d'autre: du côté juif, nous avons besoin d'une réflexion sur le christianisme, sa signification et sa mission dans le plan de Dieu. C'est là une entreprise difficile du fait de l'enseignement séculaire du mépris, de la part des chrétiens, un enseignement qui a favorisé l'antisémitisme, et qui transparaît encore dans certains courants de la théologie chrétienne et dans certains textes théologiques. Du côté chrétien, il s'agit de venir à bout d'un enseignement presque classique du mépris envers le judaïsme. Les deux communautés ont beaucoup de différends à régler: cet effort commun devrait approfondir leurs vocations respectives.
Les temps actuels exigent que nous fassions une réflexion commune sur nos missions respectives, celle des juifs et celle des catholiques, sur les appels de Dieu, et cela particulièrement de nos jours, en cette aube du 21 ème siècle qui est un temps de renouveau dans l'espérance. Et notre espérance estcelle de pouvoir témoigner ensemble, dans le respect de nos engagements mutuels, face à un monde qui aspire à l'Alliance avec Dieu et qui a faim de la Parole. Les documents théologiques devraient aider dans cette ligne prophétique, et nous voudrions pouvoir faire une étude commune du CEC, catholiques et juifs ensemble, dans le cadre du dialogue interreligieux et de ses implications pour l'éducation, la liturgie et la prédication.
Conclusion
Nous citerons ici quelques points positifs pouvant aider les catholiques à comprendre le judaïsme:
— l'Alliance de la Bible hébraïque n'a pas été révoquée;
— Jésus était juif;
— la liturgie chrétienne est liée à la liturgie juive;
— les juifs ne sont pas collectivement responsables de la mort de Jésus;
et quelques points importants à approfondir ensemble, juifs et catholiques:
— la présentation des Ecritures juives (« Ancien Testament ») comme une préparation à la mission de Jésus;
— une présentation partiale du judaïsme du ler siècle, ignorant la richesse spirituelle et la diversité de cette période;
— la typologie dont on use et abuse dans la description des épisodes de la Bible, et dans la présentation de Jésus en tant qu'accomplissant les promesses faites par Dieu à Israël;
— la nécessité d'étudier la « Loi » juive ou Halakha, en tant que réalité de l'histoire du ler siècle, cela pour éviter l'opposition entre Loi et Amour qui a été un élément typique de l'enseignement du mépris, entraînant le mépris envers la religion juive.