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L’avenir des relations entre juifs et chrétiens, à la lumière de la visite de jean paul ii en terre sainte
Edward Idris cardinal Cassidy
Le 13 mars 2001, le cardinal Edward I. Cassidy, jusqu’alors Président du Comité pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens et Président de la Commission pontificale pour les relations religieuses avec le judaïsme, s’adressait à Jérusalem aux participants de la 10e réunion générale annuelle du Conseil de coordination interreligieux d’Israël (Interreligious Coordinating Council).
Après avoir rappelé les étapes du pèlerinage du pape Jean Paul II, son impact sur l’opinion publique en Israël et sur ceux qui y avaient participé, le cardinal a exprimé sa conviction personnelle que «tout ce qui avait été fait dans cette seconde moitié du dernier siècle pour réparer les murs cassés et souillés de sang existant entre juifs et chrétiens avait reçu le sceau de la bénédiction de Dieu et ne pourrait plus jamais être défait ».
Il a ensuite rappelé quelques-unes des étapes de ces 35 dernières années qui ont permis d’en arriver là, et notamment la contribution de Jean Paul II qui, comme jeune évêque de Cracovie, avait signé la déclaration Nostra Aetate au Concile Vatican II. Mais les progrès entre nous, chrétiens et juifs, n’auraient jamais pu être réalisés sans la réponse positive d’organisations et de dirigeants de la communauté juive. Il reste cependant encore beaucoup à faire.
Ci dessous, des extraits de sa conférence * .
3. L’avenir des relations entre juifs et chrétiens
* Considérons maintenant l’avenir. Notre but premier doit être, bien sûr, de faire que les choses aillent de l’avant. Rester immobile, c’est risquer de reculer – et en toute confiance je peux affirmer qu’il n’y aura pas de retour en arrière de la part de l’Eglise catholique. Nous pouvons cependant nous trouver devant une baisse d’enthousiasme, une indifférence croissante ou même une résurgence d’esprit de suspicion et de méfiance chez les membres de la communauté catholique si nous relâchons nos efforts.
(…)
Dans sa Lettre-encyclique Ecclesiam suam, le Pape Paul VI décrivait le dialogue comme un « simple échange de dons ». C'est cette approche du dialogue qui permettra de progresser, et non les polémiques et les jugements unilatéraux. La visite du successeur de Paul VI, le Saint Père actuel, à Jérusalem en mars de l’an dernier a été certainement un tel échange de dons, une manifestation d’estime et de confiance profonde de la part du responsable ultime du monde catholique envers le peuple de l’Alliance.
Je voudrais à ce propos redire à tous ceux et celles qui se sont engagés dans le dialogue entre chrétiens et juifs de ne pas oublier que nous sommes deux communautés de foi distinctes. Il y a des questions fondamentales sur lesquelles nous ne pouvons être d’accord, et nous devons respecter la conscience de nos partenaires sur ces points. Nous avons, de plus, hérité d’une longue histoire au cours de laquelle le peuple juif « alors qu’il rendait son témoignage unique au Seul Saint d’Israël et à la Tora, le peuple juif a grandement souffert à diverses époques et en de nombreux lieux » (1)1.
Il n’est que naturel que l’histoire du passé influence la poursuite du dialogue et l’affecte parfois de façon dommageable. J’ai été très ému d’entendre certaines paroles de la bouche du rabbin Raymond Apple, Grand rabbin de la Grande Synagogue de Sydney, alors que nous passions ensemble une soirée dans cette ville pour étudier le texte Nous nous souvenons, en juillet 1999 :
« Il faut pardonner au juif de demander à la communauté chrétienne tout entière, de comprendre que l’expérience juive a bien souvent été l’écho des paroles de Jérémie ; ‘Regardez et voyez s’il est une douleur comme la mienne’. Plus de cinquante ans ont passé depuis l’Holocauste, mais nous ne pouvons rien y faire : ceux mêmes qui n’ont pas été là-bas, ceux mêmes qui sont nés après cet événement, font partie d’un peuple blessé. La douleur ne nous lâchera pas(2)2.
Nous ne pouvons ni ne devons oublier le passé. Au mausolée de Yad Vashem, le pape Jean Paul II disait : « Nous voulons nous souvenir. Mais nous voulons nous souvenir dans un but : assurer que jamais plus le mal ne prévaudra comme cela s’est produit pour des millions de victimes innocentes du nazisme ». Nous nous souvenons, mais nous refusons d’être liés au passé par des chaînes qui nous empêchent d’instaurer un avenir nouveau, un partenariat nouveau entre juifs et chrétiens, un avenir fondé sur la confiance et la compréhension mutuelles.
4. Ce que nous avons en commun
Alors que se concluait la rencontre historique entre les deux Grands rabbins d’Israël et le pape Jean Paul II au Hechal Shlomo, non loin d’ici, le 23 mars 2000, le pape n’hésita pas à affirmer :
« Nous avons beaucoup de choses en commun. Nous pouvons faire tant de choses pour la paix, la justice, pour un monde plus humain et plus fraternel. Puisse le Seigneur du Ciel et de la Terre nous guider vers une ère nouvelle et féconde de respect et de coopération mutuels, dans l’intérêt de tous »(3)3.
Plus on est engagé dans les relations entre chrétiens et juifs, plus on réalise combien nous avons en commun. Dans le passé l’accent était mis généralement sur ce qui nous divise, et davantage même sur « des interprétations erronées et injustes du Nouveau Testament »(4)4. Quand nous ouvrons les livres les plus sacrés pour les juifs comme pour les chrétiens, les Saintes Ecritures, nous les ouvrons souvent à la page même qui se présente. Nous regardons ce qui se propose là à notre lecture, cherchant à y trouver des pensées et des inspirations pour les prières que nous adressons chaque jour à Dieu. Nous n’avons qu’un seul Dieu ; et nous nous considérons comme engagés nous-mêmes dans un même type de relation d’Alliance avec le Dieu unique. Notre conception des questions fondamentales de la vie est la même, fondée sur la révélation reçue de Dieu ; notre code moral s’appuie solidement sur les mêmes commandements. Nous partageons une même conception de la dignité spéciale qui appartient de droit à tout être humain, celle-ci découlant du fait que cet être humain a été créé à l’image de Dieu. Comme l’a affirmé le Concile Vatican II, nous chrétiens « nous nous nourrissons quotidiennement de la racine de l’olivier franc des Ecritures sur lequel l’Eglise a été greffée(5)5.
Tout cela ne nous a pas été donné pour nous-mêmes seulement ou pour notre sanctification personnelle. Nous sommes appelés à être une lumière pour les nations ou, comme le disait le pape Jean Paul II :
« Comme chrétiens et juifs, qui suivons l’exemple de la foi d’Abraham, nous sommes appelés à être une bénédiction pour le monde. Telle est la tâche commune qui nous attend. Il nous est donc nécessaire, à nous chrétiens et juifs, d’être tout d’abord une bénédiction les uns pour les autres »(6)6.
Certainement, le monde a besoin, de nos jours, de notre témoignage commun envers les vérités que Dieu nous a fait connaître. Juifs tout autant que chrétiens, nous sommes affrontés à une sécularisation croissante qui refuse ou simplement ignore l’existence de Dieu. Les progrès technologiques et les conséquences énormes de la globalisation sur le commerce et sur la vie portent de nouveau la créature à l’orgueil et à l’auto-suffisance, comme au temps où nos ancêtres avaient commencé à construire une tour « dont la cime atteignait le ciel », tour qui fut nommée Babel (Gn 11,4-9).
C’est à nous, juifs et chrétiens, de trouver les moyens d’être les contre-témoins d’un tel orgueil, et cela par le moyen d’un partenariat. Le plus important est d’être les uns avec les autres, mais il y a des démarches que nous avons à faire ensemble, partout où cela est possible. A ce propos, je rappelle le magnifique concert qui a eu lieu au Vatican en 1994 pour commémorer la Shoa, l’allumage des lumières de la Menorah dans les jardins du Vatican pour le 50e anniversaire de l’Etat d’Israël, l’installation d’une Menorah au Collège nord-américain de Rome à l’occasion du Yom Hashoa en 1999.
Ce ne sont là que quelques-unes des démarches qui ont été faites pour consolider le bon travail fait pour établir de nouvelles relations entre juifs et chrétiens. Il y a encore beaucoup à faire, spécialement dans les domaines de l’éducation et de la formation, pour faire avancer une cause aussi importante. Nous avons pris conscience, pendant la visite du pape en Israël, de l’ignorance qui existe encore dans nos communautés en ce qui concerne nos relations mutuelles. Cette visite a beaucoup contribué à l’information des catholiques et des juifs, partout dans le monde, sur la situation actuelle et sur les changements qui se sont produits.
Beaucoup d’entre nous, dans l’Eglise catholique, ont trouvé un grand encouragement dans la publication en septembre dernier, de la Déclaration juive sur les chrétiens et le christianisme : Dabru Emet (Proclamez la vérité), signé par un grand nombre de savants juifs et de rabbins des Etats-Unis d’Amérique, texte manifestant une nouvelle ouverture à ce que nous pourrions appeler des discussions théologiques. Dans Dabru Emet, un groupe d’érudits juifs de diverses dénominations désirant répondre aux changements réalisés dans l’enseignement chrétien, ainsi qu’aux déclarations publiques de repentir pour les violences des chrétiens contre les juifs et le judaïsme, présente « huit brèves déclarations concernant la manière dont les juifs et les chrétiens pourraient être en relations réciproques ». J’indiquerai seulement ici le titre de ces déclarations :
• Juifs et chrétiens adorent le m me Dieu
• Juifs et chrétiens s’en remettent l’autorité du m me livre – la Bible (que les juifs appellent Tanakh et les chrétiens « l’Ancien Testament »)
• Les chrétiens peuvent respecter le droit des juifs la terre d’Israël
• Juifs et chrétiens acceptent les principes moraux de la Tora
• Le nazisme n’était pas un phénom ne chrétien
• La différence humainement inconciliable entre juifs et chrétiens ne sera pas abolie jusqu’ ce que
• Dieu ait racheté le monde entier comme promis dans l’Ecriture sainte
• Une nouvelle relation entre juifs et chrétiens n’affaiblira pas la pratique juive
• Juifs et chrétiens doivent uvrer ensemble pour la justice et la paix.
Juste au moment où était publié Dabru Emet, un texte important de la Congrégation pour la doctrine de la foi causa malheureusement une grande tension au sein de la communauté juive et consterna bon nombre de nos partenaires dans le dialogue. Une partie du problème fut causée par la manière dont le texte était présenté dans les media, et beaucoup de réactions négatives du début vinrent du fait qu’on n’avait pas lu le texte lui-même, mais plutôt ce que les media en avaient dit.
En fait, la déclaration Dominus Iesus ne traite nullement des relations entre la révélation chrétienne et la foi d’Israël, mais entre celle-ci et les autres religions du monde. L’Eglise catholique ne considère pas la foi d’Israël comme une des autres religions du monde ; celle-ci a au contraire une relation absolument spéciale avec le christianisme, et le texte lui-même précise que les Ecritures juives sont considérées par l’Eglise catholique, en même temps que le Nouveau Testament, comme inspirées par Dieu dans le sens strict du terme.
Je voudrais mentionner, dans ce contexte, l’article publié par le cardinal Joseph Ratzinger en première page de l’Osservatore Romano du 29 décembre 2000, sous le titre : « L’héritage d’Abraham – un don de Noël ». Le Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi fait la remarque suivante :
« Il est évident pour nous que notre dialogue avec les juifs se place sur un plan différent que celui avec les autres religions. La foi témoignée dans la Bible hébraïque n’est pas pour nous une autre religion, mais le fondement de notre foi ».
Dans ce bref mais très important article, Son Eminence donne ce qu’il appelle « une nouvelle vision de la relation entre l’Eglise et les juifs ». Après avoir brièvement retracé l’histoire des relations de Dieu avec le peuple juif, le cardinal exprime « notre reconnaissance envers nos frères et sœurs juifs qui, en dépit de la dureté de leur histoire, ont maintenu leur foi en ce Dieu jusqu’à nos jours et en sont les témoins aux yeux des peuples qui, ne connaissant pas le Dieu unique, ‘sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort’ (Lc 1,79) ».
On trouve dans cet article un intéressant commentaire concernant les relations entre juifs et chrétiens au long des siècles. Le voici :
« Certainement, depuis le début, la relation entre l’Eglise naissante et Israël a eu souvent un caractère conflictuel. L’Eglise a été considérée par sa mère comme une fille dégénérée , tandis que les chrétiens considéraient la mère comme aveugle et obstinée. Dans l’histoire de la chrétienté, les relations déjà difficiles ont dégénéré ultérieurement, donnant même naissance dans de nombreux cas à des attitudes d’antijudaïsme, qui ont produit au cours de l’histoire des actes de violence déplorables. Même si le dernier événement horrible, la Shoa, fut perpétré au nom d’une idéologie anti-chrétienne qui voulait atteindre la foi chrétienne dans sa racine abrahamique, dans le peuple d’Israël, on ne peut nier que l’insuffisance d’une certaine résistance de la part des chrétiens à cette atrocité peut s’expliquer par l’héritage d’un antijudaïsme dans les cœurs de beaucoup ».
Pour le Cardinal, c’est peut-être justement cette dernière tragédie qui est à l’origine des nouvelles relations entre l’Eglise et Israël qu’il définit comme : « une volonté sincère de dépasser les formes d’antijudaïsme et de commencer un dialogue constructif, fondé sur la connaissance mutuelle et la réconciliation ». Pour qu’un tel dialogue soit fécond, « il doit commencer par une prière à Dieu pour qu’il nous donne, avant tout à nous chrétiens, une plus grande estime et un plus grand amour envers ce peuple, le peuple d’Israël, ‘à qui appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses, les patriarches et de qui est issu selon la chair le Christ (Rm,4-5)’ et cela non seulement dans le passé, mais encore aujourd’hui, ‘car les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables’ (Rm 11,29) ».
Le cardinal Ratzinger suggère aux chrétiens de prier Dieu à leur tour, de « donner aux enfants d’Israël une connaissance plus profonde de Jésus de Nazareth, qui est leur fils et le don qu’ils nous ont fait ». La conclusion qu’il tire ensuite nous rappelle la 6e déclaration de Dabru Emet : « Puisque nous attendons les uns et les autres la rédemption finale, écrit le cardinal, prions pour que les chemins que nous suivons puissent converger ».
Je voudrais terminer cette réflexion sur cette note profonde et optimiste, félicitant de nouveau le Conseil de coordination interreligieux d’Israël pour le travail accompli au cours des dix dernières années, et lui faisant mes meilleurs vœux pour les activités des années à venir.
Pour conclure, je peux vous assurer que le pape Jean Paul II se rappelle avec joie et satisfaction sa visite de l’an dernier en Israël. Je vous transmets ses salutations les plus cordiales et l’assurance de ses prières. Dans la Lettre apostolique Tertio Millenio Ineunte, publiée le 6 janvier de cette année, le pape Jean Paul II, repensant à cette visite en Terre Sainte, écrivait :
« J’ai pu faire l’expérience d’un accueil extraordinaire non seulement de la part des fils de l’Eglise mais aussi de la part des communautés israélienne et palestinienne. Grande a été également mon émotion lors de la prière auprès du Mur des Lamentations et de la visite au mémorial de Yad Vashem, terrible souvenir des victimes des camps d’extermination nazis. Ce pèlerinage a été un moment de fraternité et de paix, que j’ai plaisir à considérer comme l’un des dons les plus beaux de l’événement jubilaire. En repensant au climat dans lequel j’ai vécu ces jours-là, je ne peux pas ne pas exprimer le souhait ardent d’une solution rapide et juste pour les problèmes encore existants dans ces lieux saints, également chers aux juifs, aux chrétiens et aux musulmans »(7)
Notes* Texte traduit de l’anglais par M. Gilles.
1 Nous nous souvenons, II. D. C. n̊ 2179, 5 avril 1998.
2 Rabbin Raymond Apple, A.M., R.F.D., A Remembrance and Reflection on the Holocaust (Shoah), Sidney, 29 juillet 1999.
3 D. C. n. 2224, 16 avril 2000.
4 Nous nous souvenons, II.
5 Cf. Nostra Aetate, IV.
6 Jean Paul II à l’occasion du 50e anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie, Service d’information du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, n̊ 84 (1993/III-IV).
7. Jean Paul II, Lettre apostolique Tertio Millenio Ineunte, 6 janvier 2001. D. C., n̊ 2240, 21 janvier 2001.