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Revista SIDIC XV - 1982/2
Image de l’Autre (Pages 17 - 20)

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Perpectives: images de l'autre
D. Hartman

 

Introduction

Nous avons présenté dans les premières pages de cette revue, en les traduisant de l'anglais, deux des principales conférences du Colloque de Happenheim (1981): la conférence d'ouverture donnée par D. Hartman et reproduite ici dans son entier, et celle de E. J. Fisher dont nous n'avons reproduit que deux sections essentielles. Des autres conférences, nous ne pouvons présenter ici qu'un résumé ou des extraits; nous voulons parler de:
— la conférence magistrale donnée par Mme Judith Hershcopf Banki et intitulée: a Chrétiens et christianisme d'après les livres scolaires juifs »,
— l'allocution de Mgr J.M. Lustiger, invité d'honneur d cette rencontre, appelant juifs et chrétiens à relever les défis du monde moderne,
— enfin la conférence de clôture, donnée par le Peso/. P. van Buren, mettant en évidence certains points de théologie qui sont encore à approfondir si nous voulons, par delà l'image, reconnaître l'Autre dans sa réalité, dons toute sa richesse.

CHRETIENS ET CHRISTIANISME DANS LES LIVRES SCOLAIRES JUIFS

Judith Hershcopf Banki est, au sein de l'American Jewish Committee, l'Assistante du Directeur du département pour les affaires inter-religieuses aux U.S.A. Elle relève, dans son exposé, certaines ressemblances et des différences qu'on peut remarquer dans les livres scolaires chrétiens et juifs.

Ressemblances

Inévitablement, dans une société pluraliste surtout, les livres de ce gente tendent à mettre en relief les traits caractéristiques d'une religion donnée; mais le danger est qu'en décrivant l'histoire de cette religion dans ce qu'elle a d'unique, ses richesses, sa doctrine, on ne développe en même temps une attitude défensive ou polémique.

Même s'il est difficile pour tout groupe humain de présenter l'histoire de ses martyrs sans nommer en même temps les oppresseurs, cela est particulièrement vrai pour le peuple juif « qui a vécu pendant 2000 ans dans des pays chrétiens où il était une minorité, soumis la plupart du temps à la sévère législation de PEglise ou à la politique de souverains chrétiens ».

Différences

Pour J. Banki, ce qui est le plus différent entre les deux religions dans le domaine de l'éducation, c'est que si le christianisme ne peut échapper à la rencontre du judaïsme et aux problèmes théologiques que cela lui pose, le judaïsme peut, lui, être présenté sans référence aucune au christianisme. Cependant, même si en ce dernier cas cela est possible, Mme Banki ne pense pas que ce soit la meilleure route à suivre, et elle cite à ce sujet l'opinion de E.J. Fisher qui rejoint la sienne:

« Pour le meilleur ou pour le pire, dit-il, le judaïsme est lié au christianisme parce que ce dernier est le don le plus pur qu'il ait offert au monde... S'il est vrai que le judaïsme biblique peut être compris sans référence au christianisme, le judaïsme rabbinique du premier siècle de notre ère s'est développé, lui, à côté du christianisme et parfois même en milieu chrétien. La manière dont le judaïsme s'est défini par la suite a été profondément marquée par ces relations et il ne peut vraiment se comprendre sans qu'il y soit fait référence.
Je voudrais suggérer ici que les juifs sont peut-être plus intéressés dans le dialogue théologique avec les chrétiens qu'il n'y paraît à première vue. Pouvoir échanger sur des sujets aussi essentiels que l'Alliance, la mission, l'appartenance au peuple de Dieu, le Royaume etc..., cela devrait présenter un intérêt plus que provisoire pour des juifs désireux de mieux comprendre leurs propres traditions, car dans le christianisme se touvent incorporés certains aspects particuliers de ces croyances juives essentielles »
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Dans les livres scolaires chrétiens, les juifs sont désignés le plus souvent par le terme de « juifs », tandis que les chrétiens sont désignés d'après leur nationalité ou leur ethnie: Polonais, Ukrainiens, Français, Espagnols etc..., si bien que la persécution de juifs par des non-juifs n'est pas présentée d'abord comme une confrontation entre juifs et chrétiens.

« On voudrait pouvoir écrire que la domination du catholicisme a contribué à établir une civilisation fondée sur le doux enseignement de Jésus; mais ce n'est pas la vérité. La vérité est qu'aucun groupe humain ou aucune nation n'a jamais persécuté le peuple juif aussi fréquemment et aussi brutalement que l'Eglise catholique romaine; et cette persécution a pris une forme officielle et classique au Moyen Age et à la Renaissance, au moment précisément où l'Eglise était la plus puissante et tenait sous son contrôle, pour le meilleur ou pour le pire, l'esprit et le coeur de l'Europe.
Ce qu'on ne doit pas non plus ignorer ni considérer comme de "l'histoire ancienne", c'est que l'enseignement anti-juif donné par l'Eglise a contribué à créer en Europe un type de société où l'Holocauste devenait possible. Et, en fait, certaines lois antisémites nazies furent reprises directement des lois de l'Eglise médiévale. C'est une lourde accusation, que je porte avec tristesse, mais l'histoire que nous allons présenter maintenant ne pourra qu'en témoigner ».

(Abba Eben, My People, vol. I)

Ces réflexions ne doivent pas se limiter à la seule Eglise catholique, car l'histoire nous présente d'autres persécuteurs comme Mohammed et Martin Luther. Et cette image négative de l'Eglise ne doit pas nous empêcher de reconnaître ceux qui, dans l'Eglise, ont protégé les juifs au temps des nazis, comme en témoignent certains survivants de cette période tragique.
En guise de conclusion, J. Banki note entre autres: Le livre scolaire n'est bon que dans la mesure où l'est le maître qui l'utilise. Il est nécessaire de former les maîtres, et aussi de tendre à une prise de conscience toujours plus profonde et à une information sérieuse sur toutes les questions discutées à ce Colloque sur l'éducation...
Nous avons avant tout la tâche d'éveiller la conscience, de persuader ceux qui, dans nos communautés respectives, ont la responsabilité de l'éducation, que développer une attitude positive et la compréhension mutuelle entre chrétiens et juifs n'est pas une option facultative, de second ordre, mais qu'elle est cruciale, essentielle à la construction du Royaume de Dieu sur la terre ».


REPONDRE ENSEMBLE A UNE VOCATION UNIVERSELLE

Guérir d'une maladie mortelle


Dans la première partie de son allocution, Mgr Jean Marie Lustiger, Archevêque de Paris, qualifie la relation entre chrétiens et juifs en Occident de «névrotique », une sorte de « pathologie spirituelle » dont n'a pu venir à bout le rationalisme éclairé du 19e siècle et dont seule la reconnaissance mutuelle pourra nous guérir.

« Nous le voyons bien, nous ne pouvons être fidèles à l'héritage dont nous sommes redevables que si nous guérissons de cette maladie mortelle. Il faut que les chrétiens cessent de dénier aux juifs leur existence, se déniant ainsi eux-mêmes. Il faut aussi que, par le pardon et la reconnaissance mutuelle, les juifs découvrent que les chrétiens font partie de la bénédiction qui leur a été confiée et qu'ils en admettent la cohérence interne.
Seule la reconnaissance mutuelle de la fidélité juive et de la fidélité chrétienne peut permettre à chacun d'exister pour ce qu'il est réellement, s'approchant dans l'obscurité de l'histoire de la relation messianique entre Israel et les Nations. N'en soyons donc pas surpris: en développant les relations entre juifs et chrétiens, vous dévoilez des résistances historiques qui mesurent le péché des hommes, vous mettez au jour une pathologie historique mortelle ».


Les défis de l'avenir

Dans une seconde partie, Mgr Lustiger présente ce qu'il appelle « les défis de l'avenir », ceux du monde moderne, auxquels ensemble, juifs et chrétiens, nous avons à faire face:
— la crise de la sécularisation, qui va à l'encontre de cette catégorie fondamentale de la tradition judéo-chrétienne qu'est le sens du sacré,
— la tentation totalitaire et celle du scepticisme qui s'opposent à notre conscience commune du caractère eschatologique du Royaume de Dieu,
— le danger d'une reconnaissance de la dignité et des droits de l'homme fondée sur la convention humaine du Droit et non sur la véritable nature de l'être humain créé à l'image de Dieu.
En guise de conclusion, l'Archevêque de Paris appelle tous les croyants qui se réclament de la tradition judéo-chrétienne à regarder ensemble vers l'avenir et répondre il la vocation universelle qui est la leur:

« En cette fin du second millénaire chrétien, nous sommes mis, comme Occidentaux, face à des peuples dont nous n'avons découvert l'histoire que depuis peu de siècles. Maintenant les peuples d'Afrique, d'Asie, d'Amérique, nous mettent à une épreuve de vérité. La tradition juive et la tradition chrétienne ne sont-elles que la forme du sacré de l'Occident ou ont-elles une vocation universelle?
Finalement, devant la Parole que Dieu nous a adressée dans le concret de l'histoire, quelle est notre vraie vacation? Est-elle une histoire particulière, ethnique et périssable? Ou bien est-elle universelle? Si c'est une histoire particulière, nous ne sommes que des impérialistes. Mais si elle est universelle, alors nous avons à en donner la preuve qui est le don de l'Esprit Saint...
lm tichkah Yerouchalaïm! »


CONFERENCE DE CLOTURE DU COLLOQUE

Cette conférence finale qui présente une vue d'ensemble de la rencontre a été donnée en anglais par le Prof Paul van Buren, théologien protestant de Temple University (département des Religions) à Philadelphie.

Accueillir l'Autre tel qu'il est

P. van Buren fait d'abord remarquer que «l'image de l'Autre » que nous rencontrons en premier lieu est celle de notre voisin le plus proche, et qu'en ce domaine il y aurait eu déjà beaucoup à dire au cours du Colloque:

« Quelques-unes des remarques les plus intéressantes que nous trouvions dans nos deux traditions sont celles qui sont faites par des juifs sur leur comportement envers d'autres juifs et par des chrétiens sur leur comportement envers d'autres chrétiens. Le premier "sens de l'Autre" dont nous ayons fait l'expérience a été celui de l'Autre au sein de notre propre communauté. Puis un second "sens de l'Autre" s'est développé dans nos
traditions au long de l'histoire, mais ce n'a pas été pour le chrétien le sens du juif ni pour le juif le sens du chrétien, non, cela a été le sens du tout autre, quel qu'il soit. Et je pense qu'il est bien dommage que nous n'ayons pas partagé ce que nous aurions eu à dire sur cet Autre le plus proche, car cela est important dans nos deux traditions. Je passe une bonne partie de mon temps avec mes étudiants, tant juifs que chrétiens, à essayer que les juifs restent juifs et les chrétiens, chrétiens; car la tentation est grande de se laisser séduire par les pâturages qui semblent plus verts de l'autre côté de la clôture. Je leur enseigne à aimer leur propre tradition... tradition que nous devons aimer, je le crois, parce que, en dépit de tous ses défauts, elle est aimée de Dieu ».


Dans la nouvelle phase de l'histoire où nous nous trouvons, nous devons, pense l'auteur, prendre une option fondamentale: Allons-nous considérer cette divergence des voies entre judaïsme et christianisme comme un événement conforme à la volonté de Dieu? Ou allons-nous, au contraire, y voir un acte d'apostasie de la part des uns, ou même des deux parts? Selon P. van Buren, les deux voies parallèles sont conformes à la volonté de Dieu, même si ne l'est pas l'animosité qui s'est manifestée par la suite. Il n'est pas impossible à Dieu, pense-t-il, de mener en même temps deux histoires d'amour.

Le sujet proposé pour le Colloque: « Images de l'Autre parait à P. van Buren impossible à traiter, en ce sens qu'aucune de nos deux traditions ne s'est encore intéressée à l'Autre dans sa réalité, dans toute sa richesse:

« Le judaïsme n'a pas vu dans le christianisme cet Autre avec lequel il a à entrer en relation; on a pas mal parlé des racines juives du christianisme, ce dont, je crois, la tradition chrétienne est restée toujours consciente; mais lorsque cette dernière a regardé le juif en face (si tant est qu'elle l'ait fait), elle n'a pas reconnu en lui l'Autre dans toute sa réalité et avec toute sa richesse ».

En fait, pense van Buren, il n'y a qu'un seul véritable dialogue, celui qui se prolonge à travers le temps entre les mêmes interlocuteurs, dans la confiance mutuelle et la vérité. Ce n'est pas en parlant de leurs racines juives que les chrétiens contribueront à ce changement auquel nous aspirons, mais seulement en parlant face à face avec leurs frères juifs.

Quelques questions théologiques

P. van Buren souligne ensuite queqlues points théologiques qu'il aurait aimé voir approfondir dans les discussions de groupes:

La personne de Jésus Christ

«Une question difficile, du point de vue théologique, c'est que le peuple juif se présente comme une négation continue, perpétuelle, du message théologique central du christianisme..
La pensée que Jésus soit une fin en soi me parait en contradiction avec les concepts les plus élevés de la christologie élaborée par le christianisme. Par contre, penser que Jésus ait été envoyé pour amener les chrétiens à la Thora me semble également erroné, car s'il est quelque chose de clair dans les récits évangéliques c'est, me semble-t-il, ce que nous pourrions exprimer par cette formule très simplifiée: Jésus est pour le christianisme ce qu'est la Thora pour le judaïsme...
Mais nous devons, me semble-t-il, interroger les chrétiens sur ce qu'en réalité ils affirment. Quel est ce message auquel le judaïsme a dit: "Non" et que les chrétiens estiment devoir affirmer comme chrétiens, qu'ils ont à proclamer de toutes leurs forces du fait même qu'ils sont chrétiens? Je crois que la réponse est la suivante: les chrétiens ont à témoigner qu'ils ont été appelés des ténèbres à la lumière, la lumière du Dieu d'Israël, cette lumière et non pas une autre; et que cette lumière a brillé pour eux sur la face du Christ Jésus »...

La mission de l'Eglise

Une autre question abordée ensuite dans cette conférence est celle de la « mission » de l'Eglise, mot difficile à employer actuellement parce que susceptible d'interprétations erronées:

« ...L'Eglise est missionnaire et ne peut pas ne pas l'être. Elle a une mission envers tous les peuples, donc une mission envers les juifs; mais je dirai aussi que l'Eglise a, avec le peuple juif, une relation particulière, différente de celle qu'elle a avec tout autre peuple, ce qui signifie que sa mission auprès des juifs est différente. Elle n'entre pas simplement dans la ligne générale de la mission de l'Eglise. Le terme de "mission" est chargé, de par l'histoire, de toutes sortes de connotations négatives; je voudrais que nous trouvions un autre mot, mais je ne puis trouver pour le moment que l'expression: "ce que nous devons" (owe), "cc que nous avons à apporter". Ce que nous avons à apporter au monde païen, c'est le message de Jésus Christ, car je crois que le Christ a été donné par Dieu aux païens comme une voie par laquelle ils peuvent parvenir à la connaissance du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob; mais je pense que notre mission, en ce qui concerne la relation au peuple juif, "ce que nous avons â lui apporter", est tout différent. Nous lui devons notre soutien et notre coopération dans la tâche qu'il a à accomplir et qui lui a été confiée bien avant la nôtre, celle d'être dans le monde une lumière dont bénéficieront toutes les créatures de Dieu »...

La conférence se termine sur une note positive. Nous ne sommes, certes, qu'au début d'un long chemin qui nous reste à parcourir, mais « nous avons, au cours des années écoulées, commencé à nous prendre mutuellement au sérieux v, et ce colloque de Heppenheim nous a permis, à notre pauvre manière, de nous comprendre les uns les autres et de contribuer à mettre un peu plus d'amour dans la création de Dieu si menacée.


Voir: aA Roman Catholic Perspective: The Interfaith Agenda, Eugene J. Fisher, Ecumenical Bulletin — The Episcopal Church Center — Ecumenical Office; N° 44. Special Jewish-Christian Edition, Guest Editor: Lawrence McCombe, nov.-déc. 1980.

 

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