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Pharisaïsme et renouveau chrétien
John T. Pawlikowski
D'après la conférence donnée en novembre 1973, à Dayton (Ohio), à la première réunion nationale des Etats-Unis sur les relations judéo-chrétiennes.
D'une étude approfondie du judaïsme peuvent se dégager les éléments essentiels d'un authentique renouveau chrétien. L'examen attentif du phénomène pharisien revêt, dans cet ordre d'idées, une importance particulière, les pharisiens ayant introduit au sein du judaïsme des innovations qui ont eu leur répercussion sur l'enseignement même de Jésus et les structures de l'Eglise primitive.
Au coeur de ce que certains ont appelé la révolution pharisienne se situe une perception nouvelle de la relation Dieu-homme, infiniment plus personnelle et plus directe que celle du judaïsme traditionnel. Ce changement d'optique était radical au point de faire découvrir aux pharisiens des aspects nouveaux en Dieu, de leur faire chercher des expressions adéquates pour les évoquer et de limiter l'usage de l'ancien vocabulaire aux citations scripturaires juives. Un des termes importants introduits alors pour désigner Dieu fut celui de Père. De nos jours ce mot a perdu toute sa saveur révolutionnaire, mais l'image Père-Fils, telle qu'elle est adoptée et développée par les pharisiens, marque un changement important dans la mentalité juive. La relation entre Dieu et la personne humaine devient directe et intime et sape en quelque sorte l'ancienne démarche religieuse soumise à l'intermédiaire du prêtre en vigueur dans le système héréditaire et élitaire du Temple saducéen. Chaque individu, quelque soit sa qualité, peut approcher Dieu directement et le rôle des médiateurs dotés d'un statut privilégié auprès de Dieu s'en trouve considérablement diminué. Cette évolution conceptuelle entraîne inévitablement une restructuration globale de la vie liturgique, ministérielle et institutionnelle du judaïsme pendant la période du Second Temple.
Dans la pensée des pharisiens, il était de leur devoir de traduire dans la réalité de la vie quotidienne les idéaux que les prophètes avaient légués au peuple juif. Les pharisiens se considéraient en effet les héritiers des prophètes. C'est dans cette attitude intérieure qu'il faut chercher le sens des changements introduits de leur temps.
Tout d'abord, le déplacement, vers la synagogue, de l'accent mis autrefois sur l'importance du Temple comme institution religieuse, centrale, de la vie juive. L'écrivain juif contemporain, Stuart Rosenberg, définit très exactement la signification de ce glissement lorsqu'il parle de maison de Dieu et de maison du peuple de Dieu. Le Temple avait été essentiellement un lieu de sacrifice et de culte. La synagogue, elle, allait au-devant des besoins du peuple. A la synagogue on priait, on étudiait, on assistait les pauvres, on logeait les sans-abris, on hébergeait les voyageurs, c'était l'endroit où se côtoyaient la justice et la miséricorde, comme le demandait la religion authentique de l'alliance. A une époque où les chrétiens s'appliquent à réfléchir sur la nature de l'Eglise, une étude du concept pharisien de synagogue, complémentaire à celui de temple, pourrait les aider dans leur recherche d'autant plus que le Concile Vatican II a expressément parlé de l'Eglise en termes de peuple de Dieu.
Un changement caractéristique de même nature fut l'importance attribuée à la personne du rabbin jusqu'ici restée dans l'ombre. Le rabbin était un laïc et un ministre qui n'avait pas de fonction liturgique proprement dite. Il était reconnu pour chef directement par le peuple lorsqu'il avait, à la synagogue, témoigné de sa connaissance de la Torah, et, dans la vie quotidienne, exercé la miséricorde et obtenu des guérisons. N'est-ce pas l'image que nous trace le Nouveau Testament du ministère de Jésus? Pour une meilleure compréhension du ministère chrétien dans l'Eglise d'aujourd'hui, il serait utile d'étudier le passage d'une structure essentiellement sacerdotale à l'organisation rabbinique de la vie religieuse, qui est caractéristique de l'époque des pharisiens.
Le fait que les rabbins n'étaient responsables d'aucune fonction liturgique en particulier, entraîna un autre changement: le transfert de la vie religieuse de base du peuple juif du Temple à la maison paternelle. La signification de ce changement réside dans l'abandon de la liturgie sacrificielle des époques précédentes en faveur d'un culte adapté au cadre de la vie familiale: famille naturelle ou fraternité religieuse. Puisqu'il est probable que Jésus présidait à la dernière cène en qualité de chef d'une fraternité de style pharisien (les apôtres), une étude attentive de l'influence pharisienne sur l'évolution de la liturgie pourrait éclairer les chrétiens sur le sens de l'Eucharistie dans la communauté chrétienne.
Au sein du mouvement pharisien, une attention particulière fut donnée à la transmission orale de la Torah. La Torah écrite, surtout les cinq premiers livres de la bible hébraïque, avait été rédigée à une époque et dans un milieu culturel très differents de ceux des pharisiens. Il s'agissait pour eux maintenant d'extraire les principes de vie spirituelle de ces livres et de les faire revivre dans des situations sociales nouvelles. La Torah orale était donc un moyen de développer la Torah écrite et de l'adapter aux exigences de l'époque. La Torah orale est en quelque sorte à l'origine de la notion chrétienne de Tradition comme source de la Révélation, et il faut regretter que les chrétiens aient trop souvent mis l'accent sur l'aspect restrictif de la Tradition; il y aurait eu avantage à la considérer bien plus comme un véhicule pour l'adaptation de la parole transcrite dans un texte figé. Dans le judaïsme, la Torah n'a en soi rien qui puisse être assimilé à la force restrictive de la loi dans les sociétés occidentales; ses préceptes sont plutôt l'expression de la réponse que les hommes devraient donner au Dieu présent en eux.
Un autre élément de la révolution pharisienne, important pour les chrétiens, c'est la notion de résurrection qui se fait jour à cette époque. Dans le Nouveau Testament le concept de résurrection se présente comme point de contention majeur entre les pharisiens, qui y croyaient, et les saducéens, qui ne l'admettaient pas. Ce sont réellement les pharisiens qui ont introduit le terme dans le langage religieux et qui ont été des précurseurs dans l'élaboration d'un concept qui devait être pour les chrétiens d'une importance capitale. Chez les pharisiens l'idée de résurrection procède directement de leur sens de respect pour l'homme, être plein de dignité. Cette approche est éclairante et instructive pour ceux qui s'intéressent à la théologie de la mort.
Quant à la morale pharisienne elle est très voisine de celle de Jésus et le Sermon sur la Montagne pourrait être le sujet d'un essai sur cette corrélation. L'attitude des pharisiens face au pouvoir politique serait, elle aussi, à mettre en parallèle avec celle de Jésus, parfois dramatique. Bien des éléments de la morale pharisienne se retrouvent aujourd'hui dans les théologies de libération des pays d'Amérique latine.
D'autres aspects du judaïsme sont susceptibles d'être étudiés avec profit par les chrétiens. En voici une liste rapide, proposée sans commentaires:
— La bonté foncière de la création et le rôle de l'homme co-créateur et responsable.
— Le sens juif d'appartenance à un seul peuple et à une seule communauté.
— La valeur positive donnée au sexe, au point de le considérer comme un moyen d'expérimenter la présence de Dieu.
— Le rapport entre la prière et l'action souligné surtout dans la tradition mystique traditionnelle.
— Le sens de la création, expression visible et lieu de la présence divine.
— Le dynamisme et la liberté d'expression religieuse: vocabulaire et symboles nouveaux, musique renouvelée.
Pour conclure, une constatation d'ordre général: Il n'existe pas de tradition judéo-chrétienne unique. En dépit de leurs origines communes, les deux communautés de foi ont évolué selon leur éthique propre. La reconnaissance de ce fait est une condition indispensable pour assurer aux deux groupes le type de croissance préconisé dans les contacts entre religions aujourd'hui.