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La tradition chrétienne et la femme
Sandra M. Schneiders
Il y a environ un an, j'avais accepté de rédiger un article sur la place et le rôle de la femme dans la tradition chrétienne. Aujourd'hui, il me semble évident qu'un travail de ce genre consisterait surtout en une compilation superficielle de l'énorme quantité de matériaux sérieux publiés sur le sujet et que le lecteur intéressé peut facilement repérer. Cet article, par conséquent, va examiner un autre aspect de la question féminine, un aspect qui, tout en limitant le sujet de l'étude, fera ressortir des questions qui sont d'une importance primordiale pour la pastorale moderne, à savoir: quelle a été l'action exercée par la tradition chrétienne sur le mode d'interpréter la Révélation biblique lorsqu'il est question de la femme et quel a été l'effet de cette action sur l'expérience religieuse des femmes elles-mêmes. Après avoir traité ces deux sujets, je voudrais faire quelques suggestions, basées sur l'Ecriture, au regard de ce qui peut et doit être fait dans la communauté chrétienne (surtout catholique romaine) par rapport à la situation qui s'est créée peu à peu. Cette situation commence à devenir critique du point de vue pastoral, puisqu'un nombre croissant de femmes chrétiennes abandonnent l'Eglise qui les a repoussées.
En parlant de la « tradition » chrétienne, je n'emploie pas le terme dans son acception technique pour indiquer l'Esprit de Vérité « transféré » (paradoken) à l'Eglise par Jésus (cf. Jn. 19,30) et de l'action dans l'Eglise du même Esprit qui conduit la communauté chrétienne vers la vérité, à travers le cours de l'histoire (cf. Jn. 16, 13). Je l'emploie pour indiquer les traditions humaines de la Communauté chrétienne, les idées, les attitudes et les comportements qui se sont developpés dans la communauté et qui n'ont aucun lien essentiel avec la Révélation divine, même si la communauté dans son ensemble les a reçues dans un contexte religieux et en tant que basées sur les Ecritures. En effet, certaines traditions « religieuses », se sont développées en opposition radicale à la Révélation, p.ex. l'acceptation de l'esclavage et la promotion de l'anti-sémitisme. Un des traits caractéristiques, vraiment diabolique, de ces fausses traditions est qu'elles font en général appel à l'Ecriture pour se justifier et deviennent ensuite de fausses normes pour une interprétation de cette même Ecriture dans le sens de leur propre vision déformée. C'est précisément ce qui porta Jésus à condamner ses propres coreligionnaires: « vous avez annulé la parole de Dieu au nom de votre tradition » (Mt. 15,6). C'est ce genre de traditions concernant la femme qu'il nous faut maintenant examiner. Il me semble, que, pour ce qui regarde la femme, la tradition chrétienne a déformé la Révélation dans deux domaines principaux, l'un concernant Dieu, l'autre l'humanité.
DIEU DANS LA RÉVÉLATION
Sans avoir jamais émis une définition explicite à ce sujet (ce qui aurait été offensant même pour une personne théologiquement peu préparée), la tradition chrétienne a implicitement attribué à la Révélation biblique l'affirmation que Dieu est un être mâle.2 Cette position, évidemment fausse, n'est d'ailleurs pas sans avoir de fondements dans l'Ecriture. Comme dans la plupart des traditions erronées, l'erreur vient d'un processus inévitable qui consiste à lire les Ecritures à travers un contexte culturel particulier. Ceci mène presque inévitablement à ignorer certains faits bibliques et à en interpréter d'autres faussement.
Dans le cas que nous étudions, ce qui est complètement laissé de côté, c'est l'affirmation claire des deux Testaments, hébreu et chrétien, que Dieu est esprit, et qu'en tant que tel, il transcende complètement la catégorie de sexe, laquelle prend sa racine dans la matière. Le Dieu de la Révélation juive est catégorique par rapport à la transcendance divine. Dieu s'affirme en tant que celui que est (Ex. 3,15). Les jugements de Dieu confondent l'esprit des hommes, précisément parce que Dieu n'est pas un être humain. Dans Samuel, 1,16,17, Dieu dit clairement qu'il ne voit et ne juge pas les hommes ('adam), car Yawhé regarde le coeur. 'Adam, signifie en hébreu, « être humain », ce qui en français est équivalent au terme général « homme ». Job déclare que Dieu « n'est pas un homme ('ish) comme lui » (Jb. 9,32). 'Ish, signifie en hébreu « être humain mâle ». On pourrait multiplier les citations, mais ce qui est parfaitement clair dans la Bible juive, c'est que Dieu n'est pas un « homme » dans le sens général du mot et encore moins dans le sens de « mâle ». Dans le Nouveau Testament, Jésus affirme nettement que « Dieu est esprit » (Jn. 4,24). Le Dieu de la Révélation chrétienne n'est pas moins transcendant que le Dieu des Ecritures juives. Le sexe est une catégorie qui est tout à fait étrangère à la notion de Dieu.
Néanmoins, en raison de la nature même des Ecritures juives et chrétiennes — les documents littéraires de communautés historiques — ces énoncés théologiques précis sont relativement peu nombreux, et, à cause de leur caractère abstrait, moins significatifs et marquants que beaucoup de passages exprimés dans la langue figurative. La différence quantitative et qualitative des deux catégories de textes, ne correspond pas à la réelle importance théologique des énoncés. Elle dit cependant beaucoup sur ce qui est appréhendé spontanément par les lecteurs des Ecritures et sur ce avec quoi ils s'identifient au niveau de la signification-sentie. C'est ici que se situe la racine de l'interprétation erronée, persistante, des faits bibliques sur la femme.
L'interprétation erronée se rapporte au langage anthropomorphique sur Dieu, langage spontané et adéquat comme moyen d'expression au sein d'une société patriarcale. Dieu, qui est très justement considéré comme une personne, est indiqué à l'aide de pronoms personnels qui, dans une société dominée par les mâles, sont, par la nature des choses, logiquement les suivants: il, lui, le. A Dieu, très justement aussi, considéré comme être suprême, on assigne des titres et des rôles qui, dans une telle société, sont représentés par des termes imagés illustrant la suprématie: roi, père, mari, etc. Les Ecritures juives et chrétiennes appartiennent toutes les deux à un type de littérature propre à la société patriarcale, même si la domination masculine fut radicalement questionnée et, en principe, abolie, par le Christ. Quoique la chose soit facilement compréhensible, il est tout de même malheureux que le langage anthropomorphique masculin ait exercé, et exerce encore, une influence si profonde sur ceux qui l'emploient, qu'ils trouvent presque impossible de penser à Dieu ou de le sentir autrement qu'en être masculin. Au lieu de relativiser le mot « mâle », nous tendons à relativiser l'expression « être humain », nous imaginant Dieu comme une sorte de « super-homme ». Le « super » nie, ou au moins relativise l'élément « humain » en tant qu'attribut implicite de Dieu. Mais le mot « homme » laisse intacte l'assertion virtuelle de sa masculinité.
La quantité surabondante des termes antropomorphiques masculins et leur qualité affective, ne sont pas suffisamment compensées, dans les Testaments hébreu et chrétien, par les quelques rares exemples de langage figuratif féminin: Dieu représenté comme une mère dont la tendresse infinie déborde sur Israël, son enfant (cf. Is. 49,15; 66,13), et Israël qui établit avec Dieu, sa mère, des relations filiales (cf. Ps. 131); Jésus, dans le Nouveau Testament, qui évoque son rôle transcendental et salvifique, en se servant, non seulement de l'image du pasteur qui va à la recherche de la brebis perdue, mais aussi de la femme qui cherche la drachme égarée et de la poule qui rassemble la couvée sous ses ailes. Un langage féminin de cet ordre ne signifie nullement que Dieu soit une femme, comme la terminologie masculine ne signifie pas que Dieu soit un homme mâle; mais en soi, ce langage prouve que les termes féminins sont tout aussi appropriés pour parler de Dieu que les termes masculins.
Il n'en reste pas moins qu'une culture dominée par les hommes utilise très rarement le langage féminin pour parler de Dieu et que le langage figuratif se rapportant à la personne de Dieu est surtout masculin. Ce fait entraîne des conséquences regrettables dans une société religieuse qui commence à rejeter la domination mâle, non seulement parce qu'une telle domination devient culturellement inacceptable, mais aussi parce qu'on la voit de plus en plus comme l'institutionalisation d'un état existentiel de péché qui s'exprime dans l'oppression.
Néanmoins, même si nous devons admettre que la Bible, telle qu'elle a été utilisée jusqu'ici par les hommes, et l'est encore, fournit une base pour penser à Dieu en tant que mâle, la Bible dans ce qu'elle dit réellement de Dieu, ne justifie pas une opinion aussi évidemment fausse. Il est temps que nous commencions à mettre en évidence ce que nous avons choisi d'ignorer, à savoir que Dieu n'est ni un être masculin, ni un être féminin. Et nous devons aussi commencer à interpréter correctement ce que nous avons habituellement interprété faussement. Tout simplement, le langage figuratif au sujet de Dieu ne doit pas être pris littéralement. De même que Dieu n'est pas un rocher ou une forteresse, Il n'est ni un roi, ni un berger. Et le fait que la Bible emploie plus d'images masculines que féminines pour Dieu, ne veut pas dire que nous devions maintenir cette proportion qui a été déterminée par une culture. Ceci nous amène à notre second point, à bien des égards plus important.
LA RÉVÉLATION CONCERNANT L'HUMANITÉ
La conséquence la plus désastreuse de l'interprétation erronée traditionnelle de la Révélation biblique (l'affirmation sous-entendue: Dieu est un mâle) consiste dans ses implications pour l'humanité, notamment en ceci que la manière mâle d'être humain est en quelque sorte normative. Si Dieu est mâle, être mâle veut dire être plus semblable à Dieu. En conséquence, les hommes sont considérés supérieurs aux femmes non seulement du point de vue humain, mais surtout religieux. Si Dieu n'est pas un être mâle, il devient évident qu'il n'existe plus aucun fondement pour cette ligne de raisonnement. Néanmoins, la déformation traditionnelle de la Révélation qui a conduit au concept d'un Dieu mâle, et l'autre déformation traditionnelle qui consiste à promouvoir l'idée de la supériorité mâle, prennent toutes les deux leur source dans la méconnaissance de certains faits bibliques et dans leur interprétation erronée.
Dans tel cas, ce que l'on a laissé de côté de nouveau, ce sont de brefs énoncés théologiques qui, dans leur caractère abstrait, manquent de frapper l'imagination. Le Testament hébreu, rédigé bien des siècles avant Jésus-Christ, et encore plus de siècles avant que le 20ème eût pris conscience du problème de l'égalité humaine, est extraordinairement clair dans ses affirmations dogmatiques concernant l'égalité parfaite de l'homme et de la femme. Créés directement par Dieu, l'homme et la femme constituent ensemble l'image de Dieu dans ce monde.
Dieu dit: Faisons l'homme ('adam et non 'ish) à notre image... Dieu créa l'homme à son image; à l'image de Dieu Il le créa; homme et femme Il le créa. (Gn. 1,26-27)
On se demande, comment en face d'un texte aussi peu équivoque et non figuratif Augustin est arrivé à penser que
la femme seule n'est pas l'image de Dieu, tandis que l'homme seul l'est aussi pleinement et complètement que lorsque la femme lui est unie.3
Selon toute évidence, la réponse réside dans le fait que Saint Augustin, tout homme de génie qu'il fût, interprétait l'Ecriture dans les termes de sa propre expérience culturelle conditionnée. Dans se culture, les femmes n'étaient considérées comme êtres humains complets (et, par conséquent, comme image de Dieu) que si elles étaient unies à leur mari, car aux femmes n'était attribué qu'un seul rôle significatif, la maternité, et l'accomplissement de ce rôle requérait la collaboration de l'homme. Les hommes, au contraire, étaient considérés comme des êtres humains complets en eux-mêmes. Il nous faut tout simplement constater qu'Augustin était dans l'erreur lorsqu'il interprétait l'Ecriture sur ce point, et que son interprétation, malgré l'énorme influence qu'il a exercée sur les générations chrétiennes suivantes, ne vide pas de son sens le clair enseignement scripturaire sur l'égalité parfaite de l'homme et de la femme, ni sur la source de cette égalité, la divine volonté créatrice.
L'enseignement du Nouveau Testament sur ce sujet ne comporte par moins d'ambiguïtés. Dans la Révélation chrétienne, le critère fondamental au regard de la valeur humaine se situe au niveau de la relation personnelle de l'homme à Jésus dans une foi obéissante. L'Eglise primitive, en admettant les femmes au baptême et par conséquent à une pleine identité et mission chrétiennes, institutionalisait simplement depuis les débuts, et apparemment sans discussions, la manière de faire de Jésus qui, durant sa vie, permettait aux femmes de participer pleinement à la communauté des disciples (cf. Lc. 8,1-3; Jn. 11,5), reconnaissait la validité de leur activité apostolique (cf. Jn. 4,39-42) et ne se reférait pas au sexe pour établir un critère d'appartenance à cette communauté ou pour l'exercise des ministères apostoliques (cf. Lc. 10,1-16). Dans l'enseignement de Jésus, les qualifications physiques, raciales, de couleur, de sexe et familiales sont strictement étrangères au domaine religieux. Seule la foi obéissante décide de l'identité chrétienne: (Mt. 12,4650; Mc. 3,31-35; Lc. 8,19-21; Jn. 15,14). En conséquence l'énoncé dogmatique explicite de Paul: « Il n'y a ni juif, ni grec, il n'y a ni esclave, ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme, car tous vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus (Ga. 3,38) représente, dans le cadre du mystère chrétien, le développement authentique de ce qui fut établi par Dieu au moment de la Création, la complète égalité naturelle et religieuse de l'homme et de la femme.
Cet enseignement très clair sur l'égalité de l'homme et de la femme en tant que créatures et chrétiens, est non seulement ignoré d'habitude ou peu mis en valeur mais beaucoup de ce qui est dit à ce sujet dans les Ecritures juives et chrétiennes est interprété faussement. Cette interprétation inexacte prend deux formes principales: l'interprétation erronée des évènements bibliques en fonction de préjugés culturels; la transformation de simples constatations culturelles en énoncés théologiques. L'événement de la Bible juive qui a été interprété par la tradition chrétienne d'une manière désastreuse et avec le plus de persistance, est certainement celui du péché de nos premiers parents. La conclusion de St. Jean Chrysostome « la femme a enseigné une fois, et a tout ruiné; à cause de cela... qu'il ne lui soit pas permis d'enseigner... Toute la race féminine a péché... n'est malheureusement pas une idée fantastique exprimée par un Père de l'Eglise légèrement déséquilibré au regard des problèmes sexuels. Elle est typique d'une longue tradition qui a commencé avec les Pères et qui fut canonisée par la loi de l'Eglise dans des textes comme celui-ci:
Adam fut séduit par Eve et non Eve par Adam. Il est juste que celui qui fut induit en tentation par la femme l'ait sous sa direction, de manière à ce qu'il ne succombe pas une seconde fois à cause de la légèreté féminine.5
On est tenté de se demander pour quelle raison l'histoire racontée par la Genèse n'a jamais suggéré aux hommes l'idée que l'homme devrait lui-même se soumettre à sa propre direction, comme il conviendrait à tout être humain doté d'une volonté libre, de façon à ne plus succomber en raison de sa propre légèreté. La tendance de reporter la responsabilité de ses fautes sur d'autres n'est pas propre au genre masculin. Mais la projection qu'effectue l'homme sur la femme de son propre manque de contrôle, surtout dans la sphère sexuelle, constitue une forme particulièrement virulente de la maladie commune et s'infiltre dans toute l'histoire du double critère en morale et dans celle de la femme présentée comme « séductrice ». Les membres du « sexe faible » ont toujours été considérés comme beaucoup plus forts que les hommes; ceux-ci semblent être absolument impuissants devant la tentation et ont, pour cette raison, en cas de transgression, un droit plus grand à la pitié (ou à l'admiration!) qu'au blâme. La femme, cependant, doit être tenue pleinement et strictement responsable et punie sévèrement et sans merci. Cette double approche dans le domaine de la moralité, n'est pas basée sur le récit de la Genèse. Ce récit est plutôt utilisé pour justifier en termes religieux des coutumes culturellement conditionnées en usage dans une société dominée par les hommes, laquelle ne pouvait encourager la promiscuité ou l'infidélité, mais désirait éviter de pénaliser trop sévèrement le transgresseur mâle. En tenant la femme pour responsable (malgré l'évidence physique qu'une femme ne peut pécher sexuellement avec un homme sans le consentement et la coopération de celui-ci!) la société pouvait exprimer son opposition à un comportement socialement nuisible sans entraver sérieusement le plaisir mâle. En d'autres termes, le récit de la chute dans le livre de la Genèse représente clairement un homme et une femme, tous les deux agents libres et responsables, qui ont choisi individuellement de désobéir à Dieu et qui portent une responsabilité égale devant Dieu pour leurs péchés. Ce récit a été faussement interprété et avec persistance par la tradition, sous l'influence d'une tendance culturelle qui faisait peser sur la femme la responsabilité majeure de la moralité dans une société dominée par les hommes.
Certains épisodes du Nouveau Testament on été interprétés dans la même ligne. L'histoire de la femme adultère (Jn. 7,5-3; 8-11) présente un cas typique. Non seulement l'idée est rarement venue aux commentateurs de noter que si la femme a été réellement saisie en flagrant délit, un homme a dû être saisi en même temps dans le même péché, mais encore l'un des aspects principaux de l'histoire a été passé sous silence en faveur d'une longue méditation sur le grave péché de la femme et la miséricorde extraordinaire de Jésus qui lui pardonne une offense aussi répugnante. Dans ce récit, par la force des choses, chaque personne en dehors de Jésus est présentée comme étant pécheur. Le pardon est accordé à un seul pécheur, la femme. Elle seule parmi toutes les personnes présentes, est repentante sans hypocrisie, dans un silencieux appel au pardon. Ses accusateurs sont condamnés par Jésus, comme l'avaient été par Daniel les vieillards débauchés qui avaient essayé de séduire Susanne (Dn. 13). Ils se retirèrent dans leur dureté de coeur, sûrs d'eux-mêmes, n'admettant rien et ne cherchant pas le pardon. Le point crucial de l'histoire est que nous sommes tous pécheurs. Ce qui nous différencie, c'est notre aptitude à recevoir le pardon dans une humble reconnaissance de nos fautes. Du point de vue religieux, la femme est infiniment supérieure aux hommes mauvais qui l'entourent et elle est présentée à chacun de nous, femmes et hommes, comme modèle de l'unique sainteté accessible, car nous sommes tous une « génération adultère ».
Une lecture erronée des textes du Nouveau Testament encore plus grave apparaît dans la réduction traditionnelle à une simple anecdote du rôle de Marie-Madeleine comme témoin du mystère pascal et bénéficiaire de la première christophanie de la Résurrection. (Jn. 20, 11-18; cf. Mt. 18,9-10; Mc. 16,9). Malgré l'évidence du contraire, la christophanie a été interprétée traditionnellement comme une apparition privée, non officielle et sans importance apostolique. Cette interprétation ne dérive pas du texte mais lui est imposée en fonction de la conviction conçue à priori par une Eglise dominée par les hommes que rien de ce qui touche la femme ne peut avoir de signification apostolique.
Ces deux exemples ne constituent pas les seuls cas d'interprétation erronée des matériaux évangéliques au détriment de l'authentique Révélation biblique, laquelle reconnaît la parfaite égalité des femmes et des hommes à l'intérieur du mystère chrétien. Mais ils indiquent bien les deux domaines que cette interprétation inexacte, conditionnée par une culture, touche de près: la morale et le ministère.
Le second type d'interprétation fausse que nous avons indiqué plus haut, identifier le domaine culturel à la Révélation dogmatique, apparaît avec évidence dans les textes pauliniens. Si nous laissons de côté les passages anti-féministes (ex. 1 Cor. 14,34-35) que les exégètes reconnaissent généralement pour être des interpolations post-pauliniennes,' le problème le plus sérieux est rattaché au chapitre 5,21-24 de la lettre aux Ephésiens:
Soyez soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ. Que les femmes le soient à leurs maris comme au Seigneur: En effet, le mari est le chef de sa femme, comme le Christ est chef de l'Eglise, lui le sauveur du Corps; or l'Eglise se soumet au Christ; les femmes doivent donc, et de la même manière, se soumettre en tout à leurs maris.
Ce texte a été traditionnellement interprété comme une assertion dogmatique concernant la nature des relations interpersonnelles dans le mariage, institution divine qui subordonne la femme à l'homme. Ce texte est aussi utilisé pour identifier implicitement le mari au Christ renforçant ainsi la conception erronée que la masculinité est la norme de vie valable non seulement pour l'humanité mais aussi pour la chrétienté.
La preuve évidente que ni l'une ni l'autre de ces interprétations traditionnelles ne sont correctes vient de la même épître, Eph. 6,5-8, dans laquelle Paul exhorte les esclaves à obéir à leurs maîtres « comme au Christ ». Aujourd'hui, le sens moral chez les hommes s'est élevé à un niveau où très peu de chrétiens d'aucun des deux sexes voudraient soutenir que l'esclavage est d'institution divine. Et, il faut l'espérer, personne ne penserait qu'être propriétaire d'esclave est une forme d'assimilation au Christ!
Dans la société de Paul, la dominance mâle dans le mariage était indiscutable et l'esclavage une institution acceptée. Paul, dans la lettre aux Ephésiens, ne juge ni l'une ni l'autre de ces institutions — quoiqu'il pose des questions au sujet de la première dans Gal. 3,28 et de la seconde dans 1 Cor. 7,21-23. Il essaie plutôt de suggérer de quelle manière deux situations humaines douloureuses, l'oppression de la femme dans le mariage et celle de l'esclave par son maître, peuvent être supportées et même sanctifiées en- étant acceptées dans la foi et intégrées à l'expérience chrétienne des personnes opprimées. Il exhorte le chrétien à transformer chaque état de servitude et d'oppression extérieures, en un service intérieur du Christ: servir le Christ plutôt que l'oppresseur extérieur. Il ne néglige pas non plus d'essayer de christianiser l'oppresseur en lui rappelant que lui aussi devrait imiter le Christ, en exerçant l'autorité de la même manière que le Christ, c'est-à-dire avec amour et considération. Ceci n'est la canonisation d'aucune des deux formes d'autorité, celle exercée par le mari dans le mariage, ou celle du maître dans l'esclavage, et encore moins de ses abus tyranniques. C'est un essai de christianisation des institutions hiérarchiques déjà existantes retranchées derrière des remparts culturels.
J'ai essayé à l'aide de ces quelques exemples d'illustrer comment la tradition chrétienne, en ignorant les enseignements théologiques majeurs des deux Testaments et en interprétant d'autres passages d'une manière erronée en raison d'à priori culturels étrangers à la Révélation, a sérieusement déformé la Révélation Biblique sur Dieu et l'humanité. Dieu a toujours été considéré comme un être mâle; la masculinité a été érigée en norme dans la chrétienté. La femme a été présentée comme auteur du péché et comme être tout particulièrement dépravé. La volonté de Jésus l'a privée de la participation aux ministères chrétiens et, par institution divine, elle est subordonnée à l'homme.
L'EFFET DE LA TRADITION CHRÉTIENNE SUR LES FEMMES
La déformation traditionnelle de la Révélation biblique a exercé une influence néfaste sur l'expérience religieuse de la femme. Par un enseignement explicite (p. ex. que les femmes sont intrinséquement incapables du sacerdoce uniquement parce qu'elles sont femmes) et par d'innombrables formes implicites non-verbales de rejet et de dégradation (p. ex. l'exclusion des rôles publics dans les célébrations liturgiques; l'assujettissement aux hommes et la dépendance dans le domaine sacramentaire, l'impossibilité da participer à l'élaboration de décisions au sein de l'Eglise, la discrimination en matière d'éducation théologique, etc.), les femmes chrétiennes ont appris à se considérer elles-mêmes comme essentiellement aliénées par rapport à Dieu. Une femme devient sainte dans la mesure où elle approche de la masculinité (cf. l'oraison dans le vieux missel romain en l'honneur d'une femme martyre dans laquelle on loue Dieu pour avoir donné une vertu d'homme même aux membres de sexe faible.)
En conséquence, les femmes voient leur féminité comme un obstacle à leur union à Dieu et non comme une manière privilégiée de l'expérimenter. Même l'assimilation traditionnelle des femmes à Marie, la Mère de Jésus, a été plutôt négative dans son évolution. Elle a servi à idéaliser les femmes, à les écarter d'une participation active à l'engagement chrétien communautaire et à sacraliser leur rôle domestique, instrument le plus efficace de domination dans une société mâle. De temps à autre il y a eu des notes positives dans le traitement traditionnel chrétien des femmes, comme la possibilité d'administrer le Baptême (largement contestée en raison de leur exclusion des Saints Ordres), l'exaltation de la monogamie (largement contestée, elle aussi, en raison du double critère en morale) et la reconnaissance du droit de la femme à la vie religieuse (très limité, du reste, par le refus d'accorder aux religieuses toute forme d'auto-détermination et par leur sujétion totale à l'autorité ecclésiastique masculine). Mais la tradition chrétienne est amoindrie dans son ensemble, si l'on considère l'enseignement sublime de Jésus sur ce que veut dire être un disciple. Un seul jugement honnête peut être émis, c'est que la communauté chrétienne a réellement annulé la parole de Dieu, pour ce qui regarde la femme, en fonction de ses traditions culturelles.
En ce moment de l'histoire, où la prise de conscience des chrétiens, hommes et femmes, mûrit rapidement, malgré (ou peut-être à cause) des efforts constants de Rome pour maintenir les femmes assujetties aux hommes dans l'Eglise et malgré l'exclusion effective des femmes de la pleine participation à la vie chrétienne, le problème crucial est le suivant: que peut-on faire au regard d'une situation que l'on reconnaît être mauvaise?
Pour un nombre croissant de femmes, la réponse consiste à abandonner le christianisme qui constitue pour elles une expérience dégradante. Mais une telle attitude signifie participer à l'annulation de la Révélation en admettant qu'une tradition faussement établie est plus importante que la vérité de Dieu. Si c'est un péché de lier la Parole de Dieu par nos traditions, c'est aussi une faute que d'abandonner la communauté de la Révélation parce que celle-ci se trouve être enserrée dans la poigne de fer d'une tradition pécheresse. La seule réponse réside, il me semble, dans la réforme de la tradition et dans un effort pour libérer la Révélation de la poigne déformatrice d'une interprétation fausse.
Cette réforme n'est pas facile à effectuer, tout d'abord parce que les femmes sont officiellement exclues (par les hommes) de toutes les positions dans la communauté chrétienne qui leur permettraient d'exercer une influence réelle sur la vie institutionnelle de l'Eglise. Cette impuissance s'accompagne du fait que les femmes chrétiennes demeurent elles-mêmes les victimes de cette oppression prolongée en raison d'un résultat final des plus dévastateurs: leur haine d'elles-mêmes est projetée sur leurs compagnes de la même classe opprimée. Ce sont les femmes elles-mêmes, qui, dans une large mesure, considèrent les autres femmes comme impropres à une pleine participation chrétienne, qui désirent être dirigées par les hommes, être représentées et vivre sous des lois élaborées par eux. Avec ce double handicap: manque de droits institutionnels, et infirmité sociologique, de quelle manière les femmes peuvent-elles participer à la réforme de la tradition chrétienne et exercer une influence libératrice sur une conscience communautaire culturellement emprisonnée?
Il me semble qu'il faut engager la lutte sur trois fronts. D'abord celui de la spiritualité; les femmes doivent affronter consciemment le mystère de la croix qui, pour elles, est l'appartenance chrétienne à une Eglise masculine. La souffrance qu'une femme doit assumer quand elle commence à se rendre compte de ce qui lui a été fait au nom du Christ et continue à l'être, est difficile à comprendre pour ceux qui ne l'ont pas expérimentée. La femme chrétienne du 20e siècle ne peut d'aucune manière éviter l'agonie d'une lutte spirituelle qui lui enseignera à prier pour ses frères qui la crucifient, tout en pensant qu'ils rendent gloire à Dieu: « Père, pardonne leur, car ils ne savent ce qu'ils font; Seigneur Jésus ne leur impute pas ce péché ». Et tant que cette identification au Christ qui est mort pour ses persécuteurs (que nous sommes tous) n'est pas commencée, la femme chrétienne n'est pas équipée pour la lutte avec l'Eglise institutionnelle.
Ensuite dans le domaine du savoir non-raisonné. Les femmes (et les hommes) doivent commencer à ébranler la conviction profonde, rebelle à toute argumentation rationnelle, que la position de l'Eglise au regard de la femme est juste et représente la tradition chrétienne authentique. La tradition chrétienne concernant la femme n'est ni plus authentique ni plus valable que la tradition persistante d'anti-sémitisme et du rejet des Noirs. Hommes et femmes ont besoin d'étudier les passages de l'Ecriture qui portent sur cette question afin de modifier l'interprétation traditionnelle et faire valoir l'enseignement authentique de la Révélation, et aussi d'intérioriser cette vérité dans la prière et l'application pratique.
Enfin, une forte pression doit être exercée pour que la communauté chrétienne transforme la situation présente de rejet et d'oppression de la femme en une situation de pleine acceptation. Il faudra aussi envisager prudemment l'opportunité d'actes de désobéissance bien choisis et loyaux. Une attitude courageuse sera nécessaire. La participation responsable et active des hommes dans cette lutte pour la justice et la sainteté est indispensable. De même que les Chrétiens n'ont d'autre choix que de lutter contre l'anti-sémitisme et les Blancs que de se prononcer contre l'oppression des Noirs, ainsi les hommes n'ont pas d'autre alternative morale que de rejoindre leurs soeurs dans la lutte pour la justice dans l'Eglise.
L'homme a réellement désuni ce que Dieu avait créé et sauvé ensemble, et notre tradition a rendu inopérante la Parole de Dieu sur lui-même et sur nous. En reconnaissant que la situation présente dans l'Eglise, en ce qui concerne la femme, est coupable, nous ne pouvons pas ne pas reconnaître notre propre péché. Nous ne pouvons choisir qu'entre l'attitude de la femme adultère repentante devant le Christ et celle de ses oppresseurs doublement adultères.
Soeur Sandra Schneiders, RCIM, a fait son doctorat en théologie à l'Université Grégorienne de Rome. Elle est membre du corps professoral de l'Institut de Spiritualité et de Liturgie de l'Ecole Jésuite de Théologie, et donne des cours sur le Nouveau Testament et la Spiritualité à la « Graduate Theological Union, Berkeley, California ».
1. Voir, p.ex., la bibliographie de 69 pages intitulée Woman, A Theological Perspective: Bibliography and Addendum, compilé par C.B. Fischer et R. Gadin (Berkeley, California: Office of Women's Affairs of the Graduate Theological Union, 1975). Une autre bibliographie est disponible dans le numéro spécial de Theological studies 36 (Decembre 1975) intitulé: Woman: New Dimensions.
2. Consulter C. Miller et K. Swift, « Women and the Language of Religion », The Christian Century (14 Avril 1976), pp. 353-358, pour une demonstration excellente de cette affirmation.
3. Le texte est tiré de : Augustin, Sur la Trinité XII, 7,10 (P.L. 42, 1003-1004). Il est cité à la p. 142 d'une collection de textes sur la femme historiquement très informative, intitulée: Not in God's Image: Women in History, ed. J. O'Faolain et L. Martines (Glascow: Collins/Fontana, 1974).
4. Jean Chrysostome, Homélies sur la première Epître à Timothée IX, 1 (P.G. 62, pp. 543-545).
5. Corpus Pais Canonici I, Pt. II, C. 33, Q. 5, c. 18. Cf. aussi au c. 12,13 et 17! Personne aujourd'hui ne ferait appel à ce texte du Decretum Gratiani mais l'esprit en est encore très vivant, comme en témoigne le fait que malgré des demandes réitérées de Religieuses, aucune femme n'a été admise à participer comme consulteur au Comité de Consulteurs pour la Commission Pontificale de Révision du Droit Canon concernant la vie religieuse. Quoique les Religieuses dépassent de beaucoup en nombre celui des Religieux, les femmes ne sont pas autorisées à contribuer officiellement à la loi qui gouverne leurs vies. La position officielle de l'Eglise Catholique Romaine est encore qu'il appartient aux hommes de déterminer tout ce qui doit guider la vie des femmes.
6. Le passage en question est en général reconnu par les exégètes comme une interpolation tardive et n'a aucun parallèle dans les Synoptiques. Néanmoins, comme le fait remarquer R.E. Brown dans The Gospel according to John, Vol. I (Anchor Bible 29), (Garden City/New York: Doubleday, 1966), pp. 335-336, il y a des bonnes raisons pour considérer ce passage comme ancien. Il pourrait remonter aux temps apostoliques.
7. Cf. A. Lemaire, Les Ministères dans l'Eglise (Croire et Comprendre, Paris: Centurion, 1974), pp. 39-41.