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Revista SIDIC XXXIII - 2000/2
Amérique Latine. Rélations interreligieuses: l'aube d'une ére nouvelle (Pages 5-7)

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Le dialogue interreligieux en Amerique latine: l'aube d'une ère nouvelle
Skorka, Abraham

 

D’après la tradition, le début d’un nouveau millénaire ne revêt pas de signification particulière pour les juifs ; selon notre calendrier, il reste encore 240 ans avant que ne s’ouvre un nouveau millénaire. Toutefois, la perception commune à l’ensemble du monde occidental, selon laquelle cette date marque un tournant dans l’histoire de l’humanité et non pas simplement un changement numérique, est partagée non seulement par les juifs mais aussi par la grande majorité des êtres humains. Les progrès scientifiques et technologiques considérables de ce siècle, les réalisations qui ont amélioré la communication et le savoir appellent les hommes à s’accorder un temps d’introspection et de réflexion pour discerner comment continuer à vivre. L’humanité n’a pas encore vécu cette expérience purificatrice consistant à se demander comment, après une quête de civilisation et de spiritualité de plusieurs milliers d’années, la Shoa et toutes les autres atrocités ont pu être commises en ce siècle spirituellement enténébré. L’homme aimerait laisser derrière lui les ombres et les fantômes du passé et les remplacer par un nouveau commencement. Or, s’il ne procède pas à une introspection rigoureuse et authentique, le changement risque de se borner à un changement de date.

Pour les chrétiens, l’an 2000 marque également le grand Jubilé et tout ce qu’il implique de réflexion et de teshuva ; or, pour les juifs, tous les moments sont bons pour faire teshuva. Tel est le premier point commun qui peut ouvrir un dialogue nouveau entre juifs et chrétiens. Le deuxième point s’applique au dialogue lui-même. Tous ceux dont la foi s’enracine dans la Bible hébraïque se doivent de connaître le véritable sens du mot dialogue. En effet, le dialogue n’est pas un simple échange de paroles, ni même d’idées. Le dialogue biblique suppose un authentique effort de la part de deux partenaires pour comprendre et partager la souffrance ou la joie de l’autre. Le dialogue est le moyen par lequel on prend conscience du sens de la vie en s’apercevant que l’on n’est pas seul en face des autres hommes et de Dieu. Dieu lui-même est le premier à avoir recherché le dialogue. C’est lui qui a commencé à parler à l’homme après l’avoir créé. C’est lui qui s’est lancé à la recherche d’Adam, désespéré d’avoir mangé du fruit défendu, et de Caïn qui avait tué son frère. Dieu n’a pas abandonné ses créatures à leur silence oppressant. Il a appelé sa créature, capable du pire et du meilleur à entrer en dialogue avec lui. « Et Dieu dit à Adam ; ‘Où es-tu ?’ »

Le dialogue va au-delà des déclarations ; son objectif ultime est le compromis. Les déclarations qui ne s’accompagnent pas d’actes prouvant la ferme volonté de parvenir à un renouvellement du compromis ne sont pas conformes à l’esprit de la Bible. Le grand maître Martin Buber avait conscience de l’importance du dialogue dans la pensée juive. Il enseignait que l’on pouvait considérer toute la Bible comme un dialogue entre le ciel et la terre et que notre rôle d’hommes était précisément de faire de notre existence un dialogue. Le défi à relever pour l’ère nouvelle, si nous voulons réellement en faire advenir une, consiste à créer les conditions du dialogue définies plus haut, afin d’éclairer les véritables causes de la misère humaine et de découvrir ainsi les moyens de la contrer.

Au cours d’une conférence donnée en 1966 à l’Union Theologal Seminary de New York, le rabbin Abraham Joshua Heschel, éminent penseur juif de ce siècle et rescapé de la Shoa, affirmait : « Dans son essence même, le nazisme était une rébellion contre la Bible et contre le Dieu d’Abraham. Sachant que l’attachement au Dieu d’Abraham et l’enracinement hébraïque dans le cœur de l’homme occidental étaient l’œuvre du christianisme, le nazisme avait pris la double résolution d’exterminer les juifs et d’éliminer le christianisme, et d’instaurer en échange un renouveau du paganisme teutonique. Le nazisme a échoué, mais le processus consistant à effacer la Bible de la conscience du monde occidental se poursuit. C’est au maintien de l’influence de la Bible hébraïque sur l’esprit humain que juifs et chrétiens sont appelés à collaborer. Ni les uns ni les autres ne peuvent y parvenir seuls. Les uns et les autres doivent reconnaître qu’à notre époque, l’antisémitisme est de l’antichristianisme et l’antichristianisme est de l’antisémitisme». (1)

C’est là une description exacte de la tâche que les juifs et les chrétiens doivent s’efforcer d’accomplir ensemble. Selon Maïmonide(2), il faut placer l’islam sur le même plan que les religions chrétiennes et, par conséquent, le laisser prendre une part active au dialogue avec tous ceux qui considèrent que la vie de tout homme est sacrée et qu’elle a un sens.

Il n’est pas facile d’engager un tel dialogue de nos jours. Si le vingtième siècle a été le siècle des idéologies, le vingt-et-unième semble annoncer un retour à la religion, lequel n’est d’ailleurs ni la conséquence d’un cheminement spirituel profond ni la résurgence du vieux fantasme. Ce retour résulte de l’incapacité de toutes les idéologies du siècle à offrir à l’homme le salut. Voilà pourquoi l’homme revient aujourd’hui à une religion conçue comme mode de vie.

La réalité qui est la nôtre est celle d’un matérialisme sans pitié, dans lequel la plus grande richesse coexiste avec la plus radicale pauvreté. Pour les riches, la religion est l’un des moyens d’acheter l’éternité et le bonheur ; pour les pauvres, c’est une merveilleuse manière d’échapper à leur pauvreté. En même temps, les vieilles réactions d’intolérance - que l’on croyait avoir bannies - refont surface . Pour commencer une ère nouvelle et différente, il faut qu’une nouvelle voix se fasse entendre, une voix capable de réactiver l’ancien message biblique parmi les nations. Cependant l’Occident, l’Amérique latine est appelée à relever ce défi, en plus des siens propres. La démocratie en tant que principe n’est pas encore enracinée dans l’esprit des sud-américains. Une longue histoire féodale a façonné les mentalités et les compromettant dans cette région du monde. En dépit des régimes démocratiques actuels, le peuple n’a pas encore accédé à la conscience démocratique - ce qui est en fait l’essentiel. Les Argentins et les Chiliens souffrent toujours des blessures ouvertes que leur ont infligées les gouvernements militaires tyranniques des années 70. Dans toute l’Amérique latine, il existe des populations isolées qui sont pour la plupart exploitées et ne retirent rien des immenses progrès technologiques.

L’activité interreligieuse en Amérique latine doit d’abord consister à poursuivre un effort commun pour lever les préjugés qui créent les divisions. Les peuples n’ont pas encore vraiment conscience de l’existence d’une véritable égalité à tous les niveaux de la société. La foi doit être un ferment d’union, de considération et de respect envers les peuples et non un instrument de discrimination. Un antisémitisme à base de fanatisme pseudo-religieux teste une maladie spirituelle endémique en Argentine. Les activités interreligieuses dépendent toujours, en Argentine, des initiatives prises par un petit nombre de pasteurs pour ‘chanter une autre chanson’. Depuis ses débuts, le Seminario Rabinico Latinoamericano (Séminaire rabbinique latino-américain), fondé par le rabbin Marshall T. Meyer voici une quarantaine d’années, s’est joint à d’autres institutions pour faire avancer l’oecuménisme. Il y a quelques années, la Conférence des évêques d’Argentine a ouvert un département pour les relations avec le judaïsme et les autres confessions religieuses. L’association Bnei Brit a récemment décerné un prix à Sœur Marta Bauchwitz nds, pour ses efforts en faveur de l’instauration de liens significatifs entre juifs et chrétiens.

Ces progrès récents, très modestes, ont également affecté d’autres secteurs de la vie en Argentine qui réclament eux aussi de spectaculaires changements. Depuis quelques années, l’Argentine prépare l’avènement de la démocratie. Avec l’accession à la présidence de M. Fernando de La Rùa, le 10 décembre 1999, a commencé le quatrième régime présidentiel depuis la dictature militaire. L’élimination de la corruption de tous les secteurs d’activités est l’un des défis que doit affronter le nouveau gouvernement. L’absence d’un système judiciaire ferme et indépendant, capable d’intervenir à tous les niveaux de la société, a, ces dernières années en Argentine, érodé l’adhésion aux valeurs spirituelles et accru la violence. Pour forger une conscience mûre et profondément religieuse, il faut s’appuyer sur une solide sensibilité spirituelle. Si, après dix-sept ans de démocratie, le nouveau gouvernement parvient à éliminer au moins une partie de la corruption actuelle, on peut espérer voir la société argentine se rallier à nouveau à des valeurs spirituelles. C’est alors que les quelques chefs de file qui ont cherché à instaurer un véritable dialogue interreligieux dans le pays verront leurs efforts couronnés de succès.

L’histoire de la spiritualité humaine suit une évolution très différente de celle des progrès scientifiques et technologiques. Ces derniers représentent toujours plus ou moins une marche en avant, lorsque l’histoire de l’humanité est jalonnée de mouvements assez spectaculaires de progression et de régression. Il est impossible de prédire ce que sera l’avenir au plus profond de l’humanité. Nous considérons que l’homme dispose d’une liberté de choix. Voilà pourquoi le Tout-Puissant a placé devant nous le bien et le mal, la vie et la mort. Sa voix s’adresse éternellement à chacune de ses créatures : « choisis la vie afin que toi-même et ta descendance viviez »(3). Le premier et ultime devoir de tous les êtres religieux dont la foi a la Bible pour pierre angulaire est de sanctifier la vie en faisant le bien. Le faire pour soi-même et les siens ne représente qu’une partie de la mission de l’homme. La partie la plus importante est constituée des bonnes actions que nous accomplissons envers ceux qui sont au-delà de nos frontières. Engager le dialogue avec eux n’est qu’une première étape de la bienveillance à leur égard. Dialoguer consiste non pas à convaincre l’autre mais à le connaître et à le laisser découvrir qui nous sommes. En hébreu biblique, connaître équivaut souvent à aimer(4).La vision eschatologique de Sophonie 3, 9 nous révèle : « Oui, je ferai alors aux peuples des lèvres pures, pour qu’ils puissent tous invoquer le nom du Seigneur et le servir sous un même joug ». Or, seul un dialogue sincère peut donner des « lèvres pures » et c’est ce que cherchent les hommes depuis le paradis perdu.


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* Le rabbin Abraham Skorka est recteur du Séminaire rabbinique latino-américain M.T. Meyer et rabbin de la communauté Bnei Tiqva.[Traduit de l’anglais par C. Le Paire]
1. Parue dans l’Union Seminary Quarterly Review, vol. 21, n̊ 2, 1e partie (janvier 1966), pp. 117-134.
2. Yad, Hilhot Mela’im, 11, 4
3. Dt 30, 19.
4. Cf, par exemple Os 2, 20.

 

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