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La progression du pèlerin
Zev Garber
Je suis né dans le Bronx (New York) au cours des années de la guerre (die milhomeh yahren) et j’ai été élevé par des parents religieux (nés en Europe et parlant yiddish). Ils m’ont très tôt fait découvrir la manière de vivre traditionnelle, illustrée par l’enseignement et par les pratiques de la yeshiva. Je jonglais tous les jours avec le de-orayta (lois fondées sur la Tora), le de-rabanon (décisions des Sages) et le fait d’être Américain. Ils m’ont préservé en même temps de l’idéologie de la haine du juif.
Durant mes études supérieures, j’ai commencé à m’intéresser à la guerre contre les juifs (1933-1945). Une introduction plus savante à l’antisémitisme et à la Shoa me fut donnée au Hunter College, dans le Bronx. Le Conseil de Sécurité des Nations-Unies avait tenu ses premières réunions officielles sur le sol américain, à Hunter (25 mars – 15 août 1946) lorsqu’il créa une Commission préparatoire sur les Droits humains, dirigée par Eleanor Roosevelt. C’est là que j’ai lu Europe and the Jews de Malcolm Hay (1961) et The Conflict of the Church and Synagogue de James Parker (1961). Je découvris le rôle joué par l’antisémitisme chrétien (passages du Nouveau Testament, écrits des Pères de l’Église, de saints catholiques romains, de réformateurs protestants) en tant que soutien d’une haine des plus anciennes.
Le Second Testament et l’Histoire de l’Église furent parmi les sujets de mes recherches à l’Université de Religion du 3e cycle à l’USC1. Je fus amené à m’interroger sur la corrélation – s’il y en a une – entre l’histoire et la doctrine classique de l’Église et la Shoa. La Tora nous enseigne : « C’est la justice, la justice que tu poursuivras » (Devarim=Dt, 16, 20) et les prophètes avertissent que la religion, si elle ne veille pas constamment sur la justice et la droiture, est une imposture, odieuse à Dieu.
On peut se demander si les autorités chrétiennes ont suffisamment agi pour sauver les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Peu nombreux sont ceux qui refusent d’admettre que les relations entre catholiques et juifs se sont améliorées lorsque le pape Jean XXIII dirigeait le Concile Vatican II, lorsque le terme de « perfides juifs » fut supprimé dans la cérémonie du Vendredi Saint et que l’image du juif errant, maudit de Dieu, fut sujette à critique. En dépit de l’opposition des chrétiens arabes, de la crainte d’une réaction antichrétienne de la part du monde arabe, Vatican II publia le texte de Nostra Aetate (« En notre temps »), le premier texte catholique qui ait jamais désavoué la responsabilité collective des juifs dans la mort de Jésus. Le texte du Concile Vatican II sur les juifs incita bien des diocèses ou archidiocèses à mettre en application Nostra Aetate et à débarrasser l’enseignement chrétien des préjugés antijuifs.
Mais peu sont ceux qui puissent rivaliser avec les vingt-deux années de papauté du pape Jean Paul II pour ce qui est de l’élimination de l’antisémitisme dans l’Église. Plus que tous ces prédécesseurs, celui-ci a condamné « la haine, les actes d’antisémitisme dirigés par des chrétiens contre les juifs en quelque temps ou lieu que ce fut » (Yad Vashem, 23 mars 2000). Il a qualifié la haine des juifs de « péché contre Dieu », il a parlé des juifs comme d’un « frère aîné » des chrétiens, avec lequel Dieu a conclu une alliance irrévocable ; il a aussi établi des relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël (1994). Les textes du Vatican : Nous nous souvenons (1998) et la Confession des péchés envers le peuple d’Israël (Basilique Saint-Pierre, 12 mars 2000) sont des étapes très importantes dans l’effort que fait l’Église pour se réconcilier avec le peuple juif.
Le pèlerinage du pape Jean Paul II en Eretz Israël peut avoir été empreint de diplomatie ; il n’en reste pas moins que l’intention du pape était de se rendre en pèlerin aux lieux d’origine de l’Église. Ce que, surtout, l’on ne peut oublier, c’est ce qu’il a dit dans son puissant discours à Yad Vashem : « Nous voulons nous la (la Shoa) rappeler pour être sûrs que plus jamais le mal ne prévaudra, comme cela est arrivé pour les millions d’innocentes victimes du nazisme ». Sa profonde identification avec la souffrance des juifs causés par les chrétiens était aussi manifeste dans le billet qu’il a déposé au Mur occidental (26 mars 2000).
« Dieu de nos Pères, tu as choisi Abraham et ses descendants pour porter ton Nom aux Nations : Nous sommes profondément attristés par la conduite de ceux qui, au cours de l’histoire, ont été causes de souffrances pour tes enfants et, demandant votre pardon, nous nous engageons à une véritable fraternité avec le peuple de l’Alliance ».
A un instant sans précédent, sur une montagne sainte de Jérusalem, le pontife a pleuré, et j’ai eu la sensation d’une symbiose « post-shoa » de l’enseignement et de la parole : « Ce n’est pas avec nos pères seulement que le Seigneur a conclu cette alliance, mais avec nous qui sommes aujourd’hui vivants ; (et) le Seigneur a parlé avec (nous) face à face sur la montagne, du milieu du feu » (Dt, 5, 2-4).
Le rabbin Zev Garber est Directeur des Etudes juives au Los Angeles Valley College et rédacteur en chef des séries Studies in the Shoa (USA). Son article est reproduit avec la permission du Jewish Spectator, été 2000. [Traduit de l’anglais par M. Gilles].
1 University of Southern California. NDLR.