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Le peuple élu de Dieu: réponse chrétienne au rabbin L. Klenicki
Eugene Fisher
La teshuva chrétienne
L'un des sept middot ou règles d'interprétation halakhique conçues par le pharisien Hillel au cours du siècle précédant Jésus de Nazareth (et souvent utilisée par ce dernier dans son enseignement) est le principe du qal vahomer, l'argument a fortiori. Par exemple, si Dieu se soucie de nourrir le moindre petit oiseau et, dans Son amour, compte le moindre cheveu, combien plus a-t-Il de sollicitude et de tendresse pour 'être humain.
Le Rabbin Klenicki conclut ses réflexions sur l'élection en lançant au peuple juif un appel émouvant à la teshuva, à un "réexamen de notre chemin vers Dieu", ce qui inclut la repentance mais va au-delà. Je serais tenté de dire que, si cela est vrai du peuple juif, à combien plus forte raison est-ce vrai de nous autres, chrétiens, qui avons compté dans nos rangs tant de persécuteurs et d'oppresseurs du premier peuple choisi par Dieu, celui d'Israël.
Un examen de conscience comparable est, me semble-t-il, implicite dans la déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II, et plus ou moins explicite dans certaines déclarations des Conférences épiscopales de divers pays 1, du Pape actuel 2 et dans les déclarations officielles du Saint Siège 3
Aussi significatifs peut-être sont les événements qui se sont déroulés dans certaines paroisses ou synagogues, au niveau diocésain ou local, tel cet office commun de réconciliation qui a eu lieu il y a quelques années, le dimanche des Rameaux, à la cathédrale du diocèse d'Albany, dans l'Etat de New York.
Même si elle la dépasse, la teshuva doit commencer par la repentance, qui consiste à reconnaître son péché et à se détourner résolument du mauvais chemin pour reprendre le chemin de Dieu. Comme le rappelait le Cardinal Etchegaray au Synode des évêques, qui s'est tenu à Rome sur ce même sujet, la repentance est la condition préalable nécessaire aussi bien à la réconciliation du peuple de Dieu avec son Dieu qu'a celle des membres du peuple de Dieu,juifs etchrétiens, entre eux. J'ai la conviction que c'est seulement dans la mesure où nous serons réconciliés entre nous en tant que peuple de Dieu que nous pourrons espérer la pleine réconciliation avec Dieu, qui appelle chacun de nous à l'existence en tant que peuple de Dieu.
Attitude de l'Eglise face à l'élection d'Israël
Ce que l'Eglise catholique affirme officiellement sur le peuple juif en tant que peuple de Dieu peut se résumer en peu de mots, mais il faut se rappeler en même temps que le caractère succinct des déclarations officielles ne saurait masquer le fait que, dans ses diverses incidences théologiques, le "oui" de l'Eglise à l'auto-revendication juive de l'élection est tout autre que simple. A ce jour, ces incidences ne font pas encore l'objet d'un consensus dans l'Eglise.
J'ai dit que la position de l'Eglise pouvait se réduire à une simple affirmation. Quelles sont les sources de cette affirmation? Tout d'abord, bien sûr, l'Ecriture sainte où l'élection essentielle d'Israël, depuis Abraham et à travers tous les renouvellements d'alliance, est sans équivoque et inconditionnelle. Sans doute le peuple est-il pantois puni pour s'être écarté de son "chemin", mais l'alliance elle-même est permanente et, en vérité, "éternelle".
Néanmoins, selon l'Apôtre, les juifs restent encore, à cause de leurs pères, très chers à Dieu, dont les dons et l'appel sont sans repentance. (Nostra Aetate, n. 4)
C'est ainsi que le 17 novembre 1980, à Mayence, en Allemagne, le Pape Jean-Paul II (se référant au même verset, Romains 11, 28-29, cité par Nostra Aetate) a parlé d'un "dialogue interne à notre Eglise, pour ainsi dire, c'est-à-dire entre l'Eglise en tant que peuple de la Nouvelle Alliance et le peuple juif en tant que peuple de l'Ancienne Alliance que Dieu n'a jamais révoquée. Par la suite le Pape a souligné en diverses circonstances, tout particulièrement lors de sa visite à la synagogue de Rome au cours de laquelle il s'est également référé à Lumen Gentium (Constitution dogmatique sur l'Eglise, n. 16) que "les juifs sont les bien-aimés de Dieu qui les a appelés d'un appel irrévocable" (Jean-Paul II - 13 avril 1986).
Certes, il n'appartient pas à l'Eglise de définir le contenu de la vocation spécifique du peuple juif en tant que 'am segulah en ses lieu et place, comme l'indique le Rabbin Klenicki dans son chapitre "la teshuva après Auschwitz"; toutefois, la manière dont l'enseignement officiel catholique présente la question depuis le Concile est intéressante dans la mesure où elle ouvre nettement la voie à la reconnaissance dune vocation contemporaine spécifique du peuple juif, une vocation qui perdure selon le dessein de Dieu et ne s'enracine pas seulement dans l'histoire biblique ancienne (bien qu'elle soit, bien sûr, en continuité directe avec cette histoire, que nous chrétiens considérons également comme notre "préhistoire"), mais aussi dans des événements de l'histoire juive contemporaine, tels que la Shoah ou la renaissance d'un Etat juif en Eretz Israël.
Le Pape Jean-Paul II a pour la première fois ouvert cette piste de recherche spirituelle, si riche en potentialités, dans un discours spontané adressé à la petite communauté juive de Varsovie: "Aujourd'hui, cette nation d'Israël est devenue un clair avertissement pour toute l'humanité. C'est précisément vous, plus que quiconque, qui constituez cet avertissement de salut. En ce sens, vous poursuivez votre vocation particulière en vous montrant toujours héritiers de cette élection à laquelle Dieu est fidèle. Telle est votre mission dans le monde contemporain .... et au sein de cette Eglise, peuples et nations se sentent unis à vous dans cette mission" (14 juin 1987).
A la question spirituellement si riche de sens du Rabbin Klenicki:"Suisle élu?", l'Eglise, tout comme le judaïsme répond: "Oui, bien sûr, vous l'êtes". L'Ecriture sainte et la tradition de l'Eglise enseignent que les juifs sont le peuple élu de Dieu, peuple à la mission duquel l'Eglise, de par sa vocation propre, se trouve "liée Là encore ce "oui" n'est peut-être pas aussi simple dans ses implications que dans son énoncé initial. Mais nos dialogues, officieux et officiels, ont précisément pour but, à mon sens, de sonder ces nouveaux mystères. Nous devrions nous rappeler que l'initiative en ce domaine est non pas la nôtre, mais celle de Dieu.
L'universalisme juif et le particularisme
chrétien: les lois noachiques et les relations entre juifs et chrétiens
Le "oui' chrétien à l'auto-revendication de l'élection par le Rabbin Klenicki répond à la particularité du fait qu'il est juif. En revanche, la réaction du Rabbin Klenicki, aussi admirable et ouverte qu'elle soit au sens de l'élection de l'Eglise est, d'une certaine manière, plus générale que particulière. Une bonne partie de ce qu'il dit pourrait s'appliquer à n'importe quel groupe religieux non juif. De même son assertion: "Je crois que tout peuple qui mène une vie religieuse, qui a choisi Dieu, est à son tour peuple de Dieu" n'exige qu'une bonne volonté individuelle, mais non pas une communauté religieuse véritable.
L'attitude ouvertedu Rabbin Klenicki s'appuie sur le passage biblique de Genèse 9, c'est-à-dire l'alliance universelle de Dieu avec l'humanité à travers Noé. Les sept lois qu'il évoque représentent chacune une traduction rabbinique de l'interdit biblique relatif à la consommation de viande non saignée. C'est cette notion d'alliance noachique développée par la tradition rabbinique qui, selon mon expérience, est habituellement reprise par les délégués juifs quand on leur demande ce que le judaïsme dit ou peut dire de positif sur le christianisme. C'est assurément une réponse positive mais, là encore, une réponse largement dépourvue de sens spécifique. C'est, en fait, une sorte de retournement de l'irritante formule napoléonienne à propos des juifs, au XVlllème siècle: "Aux chrétiens en tant qu'êtres humains au sens général du terme, tout; à l'Eglise en tant que communauté religieuse spécifique se réclamant d'un lien particulier avec le peuple juif, rien". La référence à l'alliance noachique est universelle et individuelle, mais elle ignore les aspects historiques et communautaires spécifiques de l'identité propre aux chrétiens.
Il est vrai que la notion rabbinique traditionnelle d'une alliance noachique universelle avec toute l'humanité a représenté en son temps une véritable avancée quant au fond, par rapport à l'interprétation étroite et exclusive si souvent formulée par les dirigeants chrétiens: "Hors de l'Eglise, point de salut". Elle reconnaissait à Dieu la liberté de faire alliance au-delà des frontières d'Israël, permettant ainsi au judaïsme d'adopter à l'égard des chrétiens une attitude théologique plus ouverte et plus tolérante que celle manifestée dans la pratique par l'Eglise vis-à-vis du judaïsme jusqu'au concile Vatican II.
De même, le témoignage de Actes 15, selon lequel les Apôtres eux-mêmes, sous l'impulsion de St Paul, semblent avoir réduit la liste des lois noachiques pour l'admission des Gentils dans l'Eglise (c'est-à-dire, de leur point de vue, dans le peuple élu par l'intermédiaire du Christ) montre que le recours à l'alliance noachique répond alors aux besoins des chrétiens venus de la gentilité. Je soutiens cependant que, du point de vue chrétien, nous prétendons précisément ne plus être "gentils" (goyim) mais être, une fois baptisés, les adoptifs" d'Abraham, non pas certes à la place, mais aux côtés du peuple juif. C'est cette revendication propre, cette conception très particulière que nous avons de nous-mêmes, que la notion d'alliance noachique ne prend pas en compte.
Il faut féliciter le Rabbin Klenicki de poser à sa tradition des questions telles que: " Nous, juifs, reconnaissons-nous la participation des chrétiens au projet divin? Les juifs peuvent-ils voir en Jésus le messager d'une alliance avec Dieu comportant une mission spécifique envers les peuples qui ne sont pas en relation d'alliance avec Dieu? ... Ne devrions-nous pas commencer à voir dans ce double engagement d'alliance comme un élément constitutif du peuple de Dieu?"
Telles sont, je pense, les questions que les juifs doivent se poser à eux-mêmes, tout comme nous, chrétiens, avons dû revoir tant de nos hypothèses théologiques concernant les juifs. Le judaïsme n'a jamais eu d'enseignement du mépris" comparable à la polémique chrétienne contre le judaïsme. Mais, sans doute du fait de la persécution chrétienne contre les juifs, le judaïsme n'a jamais eu lui non plus à aborder directement la question d'une Eglise se considérant comme un peuple de Dieu lié spirituellement au peuple de Dieu qu'est Israël. En aidant à formuler les questions du côté juif, le Rabbin Klenicki a apporté une contribution significative et, je dirais, positive, môme courageuse à la réconciliation tant souhaitée entre nos deux peuples.
1 Voir: H. Croner, ed. Stepping Stones to Purifier Christian-Jewish Relations (2 vol., New York, Stimulus Foundation and Paulist Press, 1977 and1985); M.Th. Hoch et B. Dupuy: Les Eglises devant le judaïsme -Documents officiels 1948-1978, éd. du Cerf 1980; L. Sestieri et G. Cereti: Le Chiese cristiane e febraismo, 1947-1982, ed. Marietti 1983.
2 E.Fisher and L. Klenicki, ed.: John Paul ll on Jews and Judaism (Washington,D.C.: U.S. Catholic Conference, 1987; and E.Fisher: John Paul ll on the Holocaust (1988).
3 Les principaux textes se trouvent dans: Fifteen Years of Catholic-Jewish Dialogue, 1970-1985 (Libreria Vaticana/Lateranense, 1988) 289-325.
Plus récemment, voir le Document de la Commission "Justice et Paix": l'Eglise face au racisme. Pour une société plus fraternelle, D.C. 1979, p. 226-239.