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Le miracle dans la tradition hassidique
Kurt Hruby
Ce qui frappe particulièrement dans la tradition hassidique, c'est l'importance qui y est accordée au phénomène miraculeux. En soi, cela n'a rien d'étonnant; mais cette impression est renforcée par le fait que la connaissance que nous avons du Hassidisme, au-delà de l'ère géographique où il s'est implanté avec une rapidité étonnante au XVIlle et au début du XIX° siècle, nous vient surtout des récits hassidiques, qui ont d'abord été publiés dans des traductions allemandes par des hommes comme Hayyim Bloch, Martin Buber, Alexandre Eliasberg et d'autres, pour ne citer que les plus connus. Or, à l'origine de ces récits, se trouvent les innombrables collections de « contes hassidiques », publiés en Europe orientale par des adeptes de ce mouvement spirituel. De telles publications se sont multipliées avec l'apparition de ce que l'on appelle le « tsaddigisme », c'est-à-dire l'apparition dans la plupart des villes et bourgades peuplées de juifs, de sortes de « coursa, des plus modestes aux plus somptueuses, autour de maîtres appelés Tsaddigim. Le Tsaddiq, le «Juste » par excellence, était considéré comme le médiateur indispensable (aspect absolument nouveau dans le judaïsme) entre ses « fidèles a et le monde divin. Ainsi apparurent de véritables « dynasties », à l'intérieur desquelles la fonction de Tsaddiq devint héréditaire. Et si. en règle générale, c'était le fils aîné qui, en cette qualité, prenait la succession de son père, les autres fils d'un maître quelque peu renommé essayaient, eux aussi, de fonder leur propre « cour ».
Deux sortes de récits hassidiques
Les recueils de récits hassidiques ont pour but de proclamer les hauts faits et les miracles opérés par tel ou tel maître. Le prototype en est la recueil des Shibhei ha-Besht, les « louanges » du fondateur du mouvement hassidique. R. Israël b. Eli'ezer (mort vers 1760) qu'on appelait le Besht (abréviation de ba'al Shem Tov, le « maître du bon Nom »), c'est-à-dire le thaumaturge capable d'opérer des miracles grâce à sa connaissance des secrets du Nom divin. Ce recueil a été publié pour la première fois en 1815, et il a connu d'innombrables réédifions.
Il existe en outre un très grand nombre de traités, composés par les maîtres hassidiques eux-mêmes ou par leurs disciples directs, dont le but est de présenter leur enseignement. Ces traités contiennent aussi des éléments miraculeux, mais cet aspect n'y est pourtant pas premier. Ils suivent souvent l'ordre des péricopes sabbatiques de lecture de la Torah, et cela pour la bonne raison que cet enseignement était dispensé habituellement dans l'après-midi du Sabbat, après le troisième repas (se'udah shelishit), quand le maître « disait la Torah » (rt Torah sagen » dans la langue populaire), c'est-à-dire lorsqu'il commentait la péricope lue le matin à l'office. Le modèle du genre se trouve dans les Toldot Yalachav Vossef, qui sont une présentation de l'enseignement du Besht par son disciple, R. Jacob Joseph de Polonnoyé, oeuvre publiée pour la première fois en 1780.
Le récit hassidique comme mode d'enseignement
Pour saisir l'importance de l'élément miraculeux dans l'enseignement hassidique, il faut se rappeler que cette inclination au merveilleux provient directement, sous une forme popularisée, du renouveau cabbalistique qui se fit jour au XVIe siècle autour de R. Isaac Lûria de Safed, appelé
« le saint ARI » (abréviation de « divin Rabbi Isaac »). A la suite des publications de son disciple préféré, R. Hayyim Vital Calabrese, (R. Isaac Ltûria, comme d'ailleurs le Besht, n'a pratiquement pas laissé d'héritage littéraire), le mouvement inspiré par Lùria, de tendance messianique fortement accentuée, s'est répandu rapidement dans l'ensemble du monde juif, et il a été également à l'origine de l'extraordinaire effervescence messianique qui accompagna l'existence de Shabbataï Tsevi, le célèbre faux Messie de Smyrne (qui se « manifesta » en 1648). Ansi, dans la vie de Lùria, le merveilleux est-il omniprésent. Il existe d'ailleurs. lié à sa personne, un recueil de récits miraculeux intitulé Shibhei ha-Art. Mais ce merveilleux était déjà un héritage de la Cabbale ancienne, et surtout de sa «Bible », le Sels, ha-Zohar (le « Livre de la splendeur ») dont la « découverte » se situe à la fin du %Hie siècle, en Espagne; et cette Cabbale ancienne. à son tour, était l'héritière des grands courants ésotériques et apocalyptiques de l'Antiquité.
Le « récit hassidique », qui nous transporte si souvent dans le monde du merveilleux qui fut celui des maîtres de ce mouvement spirituel, a été aussi l'un des modes préférés de leur enseignement. Renouant avec la méthode directe et populaire qui avait été celle des maîtres des temps anciens, et rompant avec une tradition fortement intellectualisée, basée exclusivement sur l'étude du Talmud, qui était devenue très e initiatique » et « élitiste », ils allaient vers le peuple, employaient la langue populaire au lieu de la langue « savante », truffée d'hébraïsmes et d'aramaïsmes, et ils présentaient l'essentiel de leur enseignement d'une manière simple, directe et immédiatement compréhensible.
Conditions historiques et goût du merveilleux
A la suite des bouleversements que le judaïsme polonais avait connus aux XVlle et XVIII° siècles, les conditions de vie n'avaient fait que se dégrader la plupart des académies talmudiques avaient dû fermer leurs portes faute de ressources, et les gens simples, les pauvres, sombraient toujours davantage dans l'ignorance. Ils étaient traités avec mépris par les savants talmudistes, et le fossé entre les deux groupes, celui des savants et celui des illettrés, se faisait de plus en plus profond. Le mérite du Besht et de ses disciples est d'être allés vers les pauvres, les humbles, les déshérités et les ignorants, pour leur annoncer le message consolant de l'omniprésence divine dans le monde et de l'amour sans bornes de Dieu pour son peuple.
Souvent, au cours de l'histoire juive, on a pour constater que des mouvements teintés d'ésotérisme se manifestaient à des périodes de grande détresse: pour échapper à la grisaille de la vie quotidienne, on était enclin à se tourner davantage vers le monde merveilleux de Dieu. Ce fut le cas pour l'apocalyptique ancienne, puis pour le mouvement cabbalistique qui prit son essor en Espagne, au moment où la situation des juifs devenait des plus difficiles. L'essor spirituel autour de Urie, à son tour, est à mettre en relation avec l'expulsion des juifs d'Espagne en 1492, événement que les auteurs de l'époque ont comparé à une troisième destruction du Temple. Quant au Hassidisme, il faut le comprendre en fonction de la profonde déception qui fut celle du monde juif après l'apostasie de Shabbataï Tsevi, en fonction aussi du désarroi des populations juives à la suite des massacres perpétrés en Pologne par les cosaques de Chmielnicki, et des conditions de vie de ces populations, devenues de plus en plus pénibles.
Est-il alors étonnant que des gens simples (mais pas uniquement eux, car dès le début le Hassidisme a attiré également des érudits comme R. Jacob Joseph de Polonnoyé et aussi R. Dov Baer de Meseritch, qui devait assurer la direction du mouvement après la mort du Besht), des gens désemparés aussi, aient été attirés par le halo de merveilleux entourant les grandes figures des maîtres hassidiques de la première génération, tels R. Elimelekh de Lisensk, R. Lévi Isaac de Berditchev, R. Sussya d'Anipoli et tant d'autres? C'est avec R. Elimelekh que commence d'ailleurs l'ers du « Tsaddiquisme », c'est-à-dire celle où tel ou tel groupe de Hassidim va accorder une confiance illimitée au maître qu'il a choisi pour guide spirituel. Homme 'de Dieu par excellence, en contact permanent avec le monde d'en haut et doté d'un pouvoir lui permettant de revoquer, à l'occasion, les décrets de la « cour céleste » eux-mômes (comme ce fut le cas de R. Lévi Isaac de Berditchev), capable aussi d'opérer des miracles, le Tsaddiq sera désormais considéré comme l'intermédiaire nécessaire dans les relations entre l'homme et la sphère divine.
Les Tsaddictim n'ont certes pas tous atteint à la même élévation spirituelle, et cela surtout dans les générations qui ont suivi celles des grands maîtres, quand la fonction de Tsaddiq est devenue pratiquement héréditaire. Qu'il y ait même eu parmi eux des charlatans, cela n'étonnera personne: nul mouvement spirituel, en effet, n'a jamais réussi à maintenir un même tonus spirituel pendant des générations. Il serait cependant injuste de porter un jugement négatif sur l'ensemble du mouvement, comme l'ont fait certains historiens tels que Simon Dubnow.
Aprement combattu par les autorités rabbiniques dans sa première génération, certains de ses aspects étant considérés comme fantaisistes » (par rapport à l'austère piété traditionnelle), le Hassidisme, avec son caractère « merveilleux » etsa foi en la puissance miraculeuse des maîtres. finit néanmoins par s'intégrer parfaitement au sein de la vie juive, et il fut une source d'inspiration et de consolation pour des générations de juifs pieux. Ayant survécu à la tourmente de la dernière guerre qui a anéanti l'ensemble de ses centres historiques, il continue actuellement son chemin sous d'autres cieux et reste, sous ses différentes formes, l'un des éléments spirituels indispensables du judaïsme contemporain.
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Le P. Kurt Hruby, bien connu pour sa compétence dans le domaine des études juives, a été longtemps proesseur de judaïsme à l'Institut Catholique de Paris. Connu comme conférencier et pour ses publications de ivres ou d'articles, il est aussi rédacteur des revues Judaica et L'Aml d'Israël.
Deux miracles hassidiques
Comment, par 'l'intercession du Besht, une femme stérile devint mèreParmi les femmes stériles qui venaient en grand nombre pour demander un miracle au Sa'al Shem Tov, il y en avait une qui venait régulièrement pleurer aux pieds du maitre et confier à son coeur ce qui était le désir de sa vie. Elle arrivait et disparaissait, sans beaucoup parler, mais avec une flamme brûlante dans les
[Après de longues années), alors qu'une fois encore elle inclinait sa pauvre tête devant le maitre, les yeux remplis de larmes silencieuses, dans un geste respectueux d'Imploration, celui-ci mit la main sur sa tète et resta ainsi un moment, pensif et silencieux. Il soupira ensuite profondément, jeta les yeux sur elle et lui dit doucement: «Rentre chez toi, femme: cette année, tu concevras le fils que tu désires de toute ton âme!»
Pendant sept ans, le maitre ne la vit plus. Un jour, cependant, il la découvrit parmi un groupe de visiteurs. tenant par la main un magnifique garçon. « Maitre, lut dit-elle, voici l'enfant que j'ai mis au monde selon ta parole!...»
M. Buber. The Legend of the Baal Shem, East and West Library, 1956, pp. 121-122Rabbi Elimelech, le Tsaddiq et le miracle du repasPour le Jour de l'an, rapporte la légende, quinze Hassidim étalent les habituels commensaux du Tsaddiq: et sa femme, qui préparait elle-même ce repas de fête, avait tout juste de quoi y suffire, car les ressources de la maison, à cette époque, étaient plutôt minces. Mais voilà, qu'une fois, au dieu de quinze, ce furent quarante convives qu'elle vit arriver à la dernière minute:
«Auras-tu assez pour leur donner à manger à tous?» lui demanda Rabbi Elimelech. « Comment veux-tu, protesta-t-elle, tu sais bien ce qu'il en est!» Avent l'office de Minha, Rabbi Elimelech lui posa encore la question: «N'y a-t-il vraiment pas moyen, maintenant que les voilà sous mon toit, de tirer 40 parts de ce qu'il Y a à manger? » — Mais, c'est à peine s'il y en avait pour quinze! », dit sa femme.
Pendant la prière du soir, Rabbi Elimelech s'adressa avec une grande ferveur à Dieu, lui qui nourrit toutes ses crétures. Et quand fut achevée la prière, Il pria tout le monde de passer à table. Les 40 invités mangèrent, et quand ils furent tous rassasiés, il y avait encore des Mats intacts sur la table.
M. Buber: Les Récits Hassidiques, éd. Pion 1949, p. 355