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Notre mission de réconciliation avec le peuple juif - Intervention au Synode des évêques
Roger Etchegaray, Card.
Itália (1985/10)
Judaïsme et christianisme
"A temps et à contretemps" (2 Tim. 4,2)
Au cours de ce Synode, ma pensée se porte particulièrement vers le peuple juif ; car c’est bien lui qui, parmi tous les peuples, doit être le premier bénéficiaire de la double mission de réconciliation et de pénitence de l’Église dans une démarche proprement religieuse, du fait du lien original qui unit judaïsme et christianisme.
1. Notre mission de réconciliation avec le peuple juif
Nous lisons déjà dans Isaïe (19, 25) cette promesse extraordinaire du Seigneur : « Bénis soient l’Égypte mon peuple, l’Assyrie œuvre de mes mains, et Israël mon héritage ! ». Et nous voyons cette prophétie accomplie au-delà de toute espérance, quand saint Paul donne aux Ephésiens le signe le plus éclatant d’une réconciliation qui est le Christ lui-même : « II a voulu, à partir du juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, et les réconcilier avec Dieu tous deux en un seul corps, au moyen de la croix » (« Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions morts par nos offenses, nous a rendus à la vie avec Christ -c’est par grâce que vous êtes sauvés- ; il nous a ressuscités ensemble, et nous a fait asseoir ensemble dans les lieux célestes, en Jésus-Christ, afin de montrer dans les siècles à venir l’infinie richesse de sa grâce par sa bonté envers nous en Jésus-Christ. » Eph 2,5 ).
L’image paulinienne, dans l’épître aux Romains (II, 16-24), de l’olivier franc qu’est Israël sur lequel ont été greffés les rameaux de l’olivier sauvage que sont les païens, permet de mieux saisir le caractère privilégié de nos relations avec le judaïsme : « Ne fais pas le fier, ce n’est pas toi qui portes la racine, c’est la racine oui te porte » (Rm 11, 18). Il faut avouer que nous avons trop souvent oublié cette racine juive, qui demeure sainte, « car les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance » (Rm 11, 29).
La grande, l’inévitable question qui est posée à l’Eglise est celle de la vocation permanente du peuple juif, de sa signification pour les chrétiens eux-mêmes. Il ne suffit pas de découvrir la richesse de notre patrimoine commun. Peu à peu, à la suite du Concile de Vatican II, l’Eglise, sans rien perdre de son originalité, prend conscience qu’elle est d’autant plus verdoyante qu’elle vit de sa racine juive. La pérennité du peuple juif n’entraîne pas seulement pour l’Eglise un problème de relation extérieure à améliorer, mais un problème intérieur qui touche à sa propre définition.
Cette relation, qui ne peut être vécue que comme une tension sereine, n’est-elle pas l’un des éléments du dynamisme de l’histoire du salut ? Comme dans la parabole, elle rappelle qu’aucun des deux fils ne peut s’emparer de la totalité de l’héritage : chacun est pour l’autre, sans jalousie, témoin de la gratuité de la miséricorde du Père. Elle est aussi une exigeante émulation entre celui qui attend un Messie à venir et celui qui attend son retour. Franz Rosenzweig, après avoir cité le midrash qui dit : « A la mort du juif, il ne lui sera posé qu’une seule question : as-tu espéré en la rédemption ? », ajoutait : « Toutes les autres questions sont pour vous chrétiens. D’ici là ensemble préparons-nous dans la fidélité à comparaître devant le Juge Céleste ! ».
De telles perspectives sont encore peu familières à nos mentalités, voire à notre ecclésiologie. Mais c’est de ce côté-là, me semble-t-il, qu’il nous faut avancer sur un terrain exégétique difficile à explorer. Sinon, le dialogue judéo-chrétien demeurera superficiel et plein de restrictions mentales. Tant que le judaïsme restera extérieur à notre histoire du salut, nous serons à la merci de réflexes antisémites. Nous devons aussi regarder la rupture des origines entre Israël et l’Église comme le premier schisme, le « prototype des schismes » (Claude Tresmontant) au sein du peuple de Dieu.
2. Notre mission de pénitence pour notre attitude à l’égard du peuple juif
Après avoir défini jusqu’où devrait aller notre mission de réconciliation avec le peuple juif, il nous faut tout autant prendre au sérieux notre mission de pénitence, de repentance pour notre attitude séculaire à son égard. Aucun calcul d’opportunisme, aucun risque de récupération politique ne peut nous faire dérober à ce devoir de justice qui, bien assumé, doit au contraire nous aider à être aussi solidaires de tous ceux qui se réclament de la même filiation d’Abraham. Comme évêque d’une ville qui contient un nombre égal et important de juifs et de musulmans (80.000 juifs et 80.000 musulmans dans un port d’ un million d’habitante), je puis témoigner que les uns et les autres vivent en bonne convivialité et qu’avec les deux communautés j’entretiens de bonnes relations humaines et pastorales.
Que nous sachions demander pardon au Seigneur et à nos frères qui ont été si souvent abreuvés de « l’enseignement du mépris » (Jules Isaac) et plongés dans l’horreur de l’holocauste.
Que nous mettions tout en œuvre pour que soit réparé ce qui doit être réparé.
Que nous nous souvenions des prophètes et des psalmistes, de tous les pauvres du Seigneur, qui dans une longue suite de générations, aboutissent à Marie, fille de Sion.
Mais que nous nous souvenions aussi de leurs descendants actuels : de ceux qui, par leur connivence charnelle et spirituelle avec l’Ecriture, par leur refus aux idoles et si souvent par leur martyre, soutiennent notre propre foi au Dieu trois fois saint.
Que nous devenions nous-mêmes avec Dieu consolation pour l’Israël de Dieu, son « fils premier-né » (Ex. 4, 22) et que, par notre fidélité, nous obtenions la grâce de hâter le jour de sa plénitude - et de la nôtre - qui sera comme « une résurrection des morts » (Rm 11, 15).
Et vous-mêmes, frères et sœurs qui m’écoutez ici, pardonnez-moi de vous entraîner si loin et avec autant d’audace dans « le mystère d’Israël », entrouvert par un juif devenu l’Apôtre des païens. « O abîme de la richesse et de la sagesse de Dieu... Tout est de Lui et par Lui et pour Lui. A Lui soit la gloire éternellement ! Amen » (Rm 11, 33-36).