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Lire et vivre la Bible au pays de la Bible aujourd'hui

Michel SABBAH
Israel (1993/11/01)

 

Dans le contexte de dialogue qui s'est établi entre Israël et l'OLP à la suite des accords du 13 Septembre à Washington, Mgr. Michel Sabbah, Patriarche Latin de Jérusalem, a publié une lettre pastorale intitulée: « Lire et vivre la Bible au pays de la Bible aujourd'hui ». Cette lettre est une réponse aux questions des Palestiniens chrétiens face à la Bible, au moment où certains juifs appuient leurs revendications territoriales sur une lecture fondamentaliste des textes, un appel courageux aussi, fait à tous les croyants vivant en Terre Sainte, à trouver dans la Parole de Dieu une source de conversion et de réconciliation.
Le ler chapitre expose les questions que pose aux Palestiniens la lecture de la Bible.
Le 2e chapitre est intitulé: « Qu'est-ce que la Bible? »
Le 3e chapitre répond aux questions posées au chapitre 1.

Nous citons ici 5 des 9 paragraphes de la conclusion qui nous paraissent particulièrement significatifs (les paragr. 56 - 57-58 et 63-64).


Libérer la Bible des manipulations politiques

56. La Bible est donc la parole de Dieu. Si des politiciens ou des croyants fondamentalistes en abusent pour en faire une arme dans la bataille, cela ne signifie pas que la parole de Dieu n'est plus parole de Dieu. La valeur et la vérité de l'Écriture sainte dépendent de l'autorité même de Dieu, et non de ceux, amis ou ennemis, qui en usent ou en abusent.

Nous disons cela à tous, mais surtout à ceux qui, exaspérés par l'abus qui est fait de la Bible dans le conflit actuel, voudraient dire que l'Ancien Testament n'est qu'une simple histoire accumulée par les ancêtres du peuple juif, et que ce Livre n'a rien à faire avec les livres révélés. Ceci est premièrement un refus de reconnaître une partie des livres révélés et donc un reniement de la parole de Dieu. Deuxièmement, cette position dit tout simplement qu'on est tombé dans la même faute que l'on reproche à l'autre partie, à savoir le fait de prendre la Bible comme un livre d'histoire et de culture, en faveur d'un peuple contre l'autre. Et, abandonnant tous les témoignages exprès des livres du Nouveau Testament, de Jésus, des Apôtres, de la Tradition et de l'Eglise, on accepte l'idée déformée offerte précisément par ceux qui en abusent.

Par ce refus de la parole de Dieu, chers fidèles, vous vous faites complices et victimes de ceux que vous accusez. Et, déjà dépouillés de la terre même, vous vous laissez dépouiller de votre Ecriture Sainte, et de la lumière que contient la Bible pour vous aider à sortir de l'obscurité et à surmonter toute difficulté.

Témoignage des trois religions

57. D'ailleurs, en ce qui concerne la Bible révélée, les trois religions monothéistes, le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam, concordent, même si chacune a sa propre interprétation de la révélation. Pour les trois religions, la Bible ou la Torah est le Livre de Dieu. Donc la position saine, face aux abus, est de défendre la parole de Dieu et non de l'abandonner. La parole de Dieu doit être au-dessus de tout conflit humain. Elle ne peut pas alimenter un conflit entre peuples ou individus. Au contraire, il faut y trouver le message de salut, même pour la situation de conflit à laquelle nous voulons tous trouver une solution. Il faut y voir le Dieu Un et Unique ordonner à tous les croyants, malgré la différence de leurs religions, de pratiquer la justice, l'amour, le pardon et la réconciliation.

Accepter la Bible et y croire ne veut pas dire avoir Dieu pour adversaire, appuyant la partie adverse. Au contraire, y croire, c'est inviter les deux parties qui y croient à voir Dieu les appeler toutes les deux à se faire justice mutuellement et à se réconcilier. La Bible dans les circonstances actuelles est une parole de Dieu, parole de justice et de pardon adressée aux deux peuples, palestinien et juif.

La quête de la Bible, c'est la domination de soi-même, jamais la domination de l'autre. Chercher à dominer l'autre au nom de Dieu signifie se condamner soi-même. Tous les empires qui ont tenté de dominer les autres l'ont compris à leurs dépens.

Le courage d'accepter sa foi

58. Le croyant doit avoir le courage de comprendre la parole de Dieu et de lui être fidèle, quelles que soient les contingences politiques ou humaines. Il est temps de rentrer dans les profondeurs de la vérité religieuse et de la libérer des cadres sociaux qui l'étouffent. La religion ainsi libérée sera une force de libération; mais, assujettie à des positions sociales ou politiques, elle perd toute sa force libératrice, et elle devient instrument de lutte et d'hostilité. La religion devrait aider à se corriger, a se libérer soi-même, pour pouvoir dialoguer avec l'autre, et faire avec lui oeuvre commune de réconciliation et de construction.

Le chrétien doit s'accepter et accepter toute sa foi. Il ne peut en exclure aucune partie. L'attachement à la parole de Dieu, transmise dans les Saintes Ecritures, fait partie de notre plus profonde et solide tradition chrétienne. Elle est notre force et notre point de référence sûr, dans les circonstances bien dures qui nous préoccupent. Où irons-nous puiser lumière et force, sinon en Dieu qui se rend présent, parmi nous, par sa parole vivante et vivifiante?

Chaque communauté, civile ou religieuse, dans les moments les plus dramatiques de son histoire, se tourne vers son intérieur, son identité la plus profonde, et vers son origine et son but. C'est ce qui se passe avec notre communauté. C'est vers la Bible que nous nous tournons pour mieux nous comprendre nous-mêmes, et pour mieux comprendre notre situation et notre chemin...

En notre terre Dieu a parlé

63. En notre terre Dieu a parlé et de notre terre sa parole se répandit dans le monde. « De Sion vient la Loi, et de Jérusalem, la Parole de Dieu » fis 2,3).

Jérusalem était et reste l'Eglise Mère, le lieu de naissance de la première communauté chrétienne. Jérusalem, symbole de la Terre même, est appelée sainte (cf. Mt 4,5;27, 53), non seulement parce que des sites spécifiques confirment les récits bibliques et inspirent la foi, mais aussi parce que la cité et la terre ont expérimenté le divin qui touche à l'humain au milieu de la nature pécheresse, et invitent au dialogue révélé ou la conversation de Dieu avec nous. En effet, Jérusalem est le fruit du choix libre de Dieu et d'un acte de grâce (cf. Ps 78, 68; 87, I ss). Elle est un symbole qui garantit la puissance salvatrice de Dieu: « Jérusalem, les montagnes l'entourent, ainsi le Seigneur entoure son peuple » (Ps 125,2). Cette ville sainte, cette terre sainte est aussi la nôtre. Ce lieu est notre demeure. Nous y vivons et nous y enterrons nos morts. Et aujourd'hui, nous souffrons pour le simple fait d'être ici. Ici, dans la terre de la Bible, nous sommes les sujets de notre histoire même, Dieu nous appelle à prendre notre destinée dans notre intelligence, notre coeur et nos mains. Nous buvons des citernes de notre expérience unique et nous sommes nourris par la Parole de Dieu, qui nous appelle à être, à Jérusalem, et dans toute la terre, des témoins authentiques de l'Unique qui est le « Fidèle et le vrai témoin » (Ap 3,14).

Une grâce et un défi

64. Lire et vivre la Bible aujourd'hui dans la terre de la Bible est une grâce et un défi. Une grâce parce que, chaque jour, nous cheminons avec le même Jésus sur les mêmes routes où il marcha avec ses disciples, comme compagnon et ami. Un défi, parce que nous expérimentons aujourd'hui, en cette même terre de conflit, des souffrances qui sont le sujet de nos conversations avec le Seigneur. Et lui, rendant « notre coeur tout brûlant au-dedans de nous » quand il nous parle (Lc 24,32) sur notre route de pèlerins, « il nous ouvre les coeurs pour comprendre les Ecritures » et nous aide à discerner la volonté du Père dans la compréhension de notre histoire.

Nous avons conscience que cette réflexion sur la « Lecture de la Bible au pays de la Bible », et sur toutes les questions soulevées par cette lecture, a besoin d'être poursuivie. C'est pourquoi, comme nous l'avons déjà exprimé dans l'introduction de cette lettre, nous espérons voir des frères et des soeurs partager avec nous leurs réflexions à ce sujet. La Parole de Dieu, en effet, devrait être une cause de rapprochement entre les croyants, et une source de grâce qui les invite à prendre part à la construction du monde et à sa sanctification.

Nous demandons à Dieu de nous accorder sa grâce afin de comprendre sa parole, pour qu'elle soit « lumière sur notre chemin et guide pour nos pas » (Ps 118, 105). Nous lui demandons, par l'intercession de la Vierge Marie, Reine de la Paix, de nous rendre tous capables, par la force de la Bible, de contribuer à la nouvelle marche vers la paix, la justice et la réconciliation, qui a commencé en notre terre. Et que le Dieu Tout-Puissant nous comble tous de sa bénédiction divine. Amen.
Jérusalem. 1.11.1993
Mgr Michel SABBAH, Patriarche

(Texte original français du patriarcat Latin de Jérusalem)

 

 

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