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L'importance de la référence à l'Ancien Testament dans l'évangélisation

Cardinal François Marty
Itália (1974/10/12)

 

Synode des évêques - Rome, 12 octobre 1974


Status quaestionis

Dans l'annonce de l'Evangile, pouvons-nous nous dispenser de la référence à l'Ancien Testament? Peut-on tenir que les cultures des peuples, ou les traditions vivantes des classes et des milieux sociaux constituent le seul terrain nourricier à partir duquel peut s'enraciner l'annonce de Jésus-Christ? Les valeurs de ces peuples ou de ces catégories sociales sont-elles déjà, en elles-mêmes, des valeurs pré-évangéliques, en sorte que l'apôtre n'ait qu'à reprendre à leur propos les déclarations qui ouvrent l'Epître aux Hébreux I, 1?

Eléments de discussion

I - On ne peut comprendre Jésus sans l'Ancien Testament


Les paroles, la vie, la mort et la résurrection de Jésus de Nazareth ne peuvent se comprendre que sur l'enracinement vétéro-testamentaire d'où elles ont pris forme et où elles trouvent leur exacte signification. C'est une des limites du rapport du Cardinal Wojtyla que de considérer Jésus Christ comme un point de départ sans antériorité, en lui-même tout constitué alors qu'il est un accomplissement, le parachèvement de la pédagogie divine déployée depuis Abraham. L'appréhension vraie (pratique et théorique) de la personne de Jésus est indissociable de la tradition biblique. Le sens de cette tradition est de révéler le Messie de Dieu: elle atteint sa plénitude avec cette révélation.

II - La foi chrétienne est fondée sur une révélation historique

La référence à cette tradition (qu'on peut identifier désormais comme celle de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament) inscrit le christianisme dans l'histoire comme un (ensemble de) fait (s). Ce fait est irréductible et désigne l'originalité même du christianisme. Enerver cette particularité historique de la foi chrétienne en tant que particularité, c'est énerver l'originalité même de la foi chrétienne. En effet, c'est tenter d'effacer l'acte (ou l'ensemble d'actes) par lequel le Dieu sans visage prend forme et figure humaine dans une langue, une tradition et un peuple particulier. La prise au sérieux de la particularité historique a de multiples conséquences qu'il importe de ne pas oublier.

1) Sens de la particularité de l'élection d'Israël

Cette particularité est le signe que l'homme ne se donne pas le salut à partir de lui-même, de ses valeurs si hautes soient-elles, mais qu'il le reçoit d'un Autre. Le salut chrétien ne tient pas d'abord dans la réussite des projets humains historiques, mais dans l'offre de divinisation qui n'a de sens que proposée par le Dieu d'amour. Cette initiative gratuite de Dieu a sa signature et son chiffre dans l'élection d'un peuple, puis d'un fils tiré de ce peuple. Né de la femme, il n'est cependant pas né de la chair et du sang, parce qu'il trouve son origine dans l'Esprit qui, en lui, élit l'homme.

2) Importance des cultures humaines

La particularité judéo-chrétienne a valeur universelle en tant que telle (valeur d'archétype d'Israël). Les anciens Pères disaient que les voies prises par Dieu pour s'approcher de nous sont celles que nous devons prendre pour nous approcher de lui. Que son initiative ait pris corps dans une tradition particulière indique que le chrétien n'entre pas dans la divinisation par l'obéissance à des commandements ou à une formule de foi, mais par la conversion de tout lui-même et de toute les structures sociales qui le constituent. L'achèvement de la tradition vétéro-testamentaire avec le Christ renvoie le croyant à sa propre particularité culturelle pour y vivre de l'Esprit de Jésus. Il a, en effet, à « s'approprier » cet Esprit à travers son langage, ses traditions, ses idéaux etc... dans lesquels l'Evangile doit prendre sa signification.

La tâche d'évangélisation n'est pas accomplie quand on se borne à annoncer Jésus de Nazareth (extrinsécisme). Elle doit, par le même mouvement, renvoyer l'homme à l'actualité de son histoire pour répondre ici et maintenant à l'Esprit de Jésus et discerner à quoi cet Esprit l'engage dans sa vie affective, familiale, économique, politique etc... L'évangélisation implique donc une double tâche: c'est par la contemplation de Jésus de Nazareth, lu dans les Ecritures et célébré dans les sacrements, que le croyant s'incorpore son Esprit; c'est cette même incorporation qui le renvoie à ses responsabilités au sein desquelles aussi il comprendra mieux le message de Jésus. La circularité des deux moments indique que, sans référence aux « valeurs » humaines qu'il porte solidairement, le croyant ne pourrait vivre de l'actualité de l'Esprit (littéralisme), mais que sans la référence au message livré par la tradition judéo-chrétienne, il s'enfermerait dans l'immanence de sa culture.

3) Permanence de la référence à l'Ancien Testament

Parler de dépassement et de renvoi à nos particularités culturelles n'équivaut pas à dire, que, désormais, la référence à la tradition vétéro-testamentaire n'a plus à jouer. Une telle conclusion aboutirait à la thèse d'une pluralité de révélations historiques, incompatible avec l'unicité de la révélation de Dieu en Jésus Christ. Elle engagerait chaque culture (et chaque classe sociale) à se comprendre et à se vivre comme une totalité auto-suffisante; alors que le christianisme, lui-même enté sur la tradition juive qu'il dépasse, vient montrer à chacune sa valeur et la nécessité de s'ouvrir aux autres. La logique de l'Incarnation veut que Jésus naisse de la femme pour être l'un de nous, mais qu'il soit conçu de l'Esprit parce que l'homme doit être recréé spirituellement comme fils adoptif. La même logique veut à la fois que nous prenions au sérieux la particularité de nos cultures et leur ouverture à un Autre qu'elles, qui équivaut à leur ouverture aux autres.

III - l'existence chrétienne ne peut éviter la tension

L'existence chrétienne dans l'histoire ne peut éviter la tension qui structure essentiellement la Révélation même: Dieu un et trine; Jésus, vrai homme et vrai Dieu, dans l'unité de la Personne du Verbe; ordre sacramentaire nécessaire au salut mais inefficace sans la foi. Cette même tension se retrouve au niveau des cultures: homme d'une catégorie sociale, d'une langue et d'une tradition, le chrétien témoigne par sa référence à la tradition juive qu'il ne reçoit le salut que de Dieu et cependant que c'est bien lui qui le reçoit dans la particularité de son humanité. Les hommes seraient aveugles sur leur destinée ultime sans la promesse de la Béatitude; cette promesse serait insignifiante s'ils ne l'accueillaient pas dans les valeurs humaines. La référence à l'Ancien Testament signifie donc que c'est bien notre humanité qui est appelée à la Béatitude, mais que c'est Dieu qui nous y appelle.

 

 

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