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Directives du ICCJ sur la façon de présenter les juifs et le judaïsme dans l'éducation et le matériel éducatif
Amitièes judéo-chrétiennes internationales (ICCJ)
Alemanha (1983/04/10)
Ces Directives ont été élaborées lors d'une Rencontre des membres de l'ICCJ (Amitiés judéo-chrétiennes internationales) qui s'est tenue du 7 au 15 avril 1983 à la Maison Martin Buber, à Heppenheim (R.F.A.). Elles ont été présentées, avant leur adoption définitive, à la Rencontre annuelle de l'ICCJ des 25-26 août 1983 à Amersfoot (Hollande) et publiées en anglais dans le bulletin cc From The Martin Buber House d'août 1983, N. 4.
Leur but est de donner des orientations aux enseignants, éditeurs et auteurs de manuels, et elles concernent tous les niveaux d'enseignement: primaire, secondaire et universitaire, qu’il s'agisse d'enseignement général ou spécifiquement théologique.
Ce travail est celui d'un groupe mixte composé de chrétiens et de juifs; il est le fruit d'une recherche faite en commun dans un esprit de respect et d'estime mutuels; il est un appel pour que la formation des jeunes générations se fasse avec plus d'objectivité, plus de vérité dans la présentation des faits; un appel aussi à dépasser les frontières nationales et religieuses pour comprendre le point de vue des autres; un appel tout simplement à plus de justice, particulièrement envers ceux que l'enseignement chrétien a discrédités pendant des siècles.
Les manuels en général
Introduction
Un grand travail a été accompli dans le domaine des manuels, particulièrement au cours de ces dernières trente années; et l'un des objectifs essentiels de la Rencontre de 1983 a été, en fait, de rassembler tout cela et de le prendre comme point de départ pour aller de l'avant.
On sait bien que les manuels, pour être accueillis dans le domaine éducatif, doivent tenir compte des recherches ou des connaissances les plus sérieuses et les plus récentes.
Ils doivent inciter à une attitude de respect envers tout être humain.
Ils doivent reconnaître et bien saisir les relations particulières historiques et théologiques existant entre juifs et chrétiens. Ces relations doivent être reconnues et davantage étudiées tant dans les livres scolaires que dans les procédés et les méthodes éducatifs.
Remarques historiques
C'est à la lumière de la réalité présente que l'on acquiert le sens de l'histoire, un sens qui se dé-veloppe lentement au cours de l'enfance et de l'adolescence, évoluant normalement sans cesse vers une vie adulte, mais exigeant, particulièrement pendant les années de la formation, l'aide spécifique concrète d'éducateurs.
L'étude de l'histoire doit permettre d'acquérir certaines valeurs fondamentales, et surtout donner une orientation pour l'avenir.
Les dimensions du temps, le passé, le présent et l'avenir, se trouvent comme ramassées dans ces moments où juifs et chrétiens célèbrent leurs fêtes respectives, selon des rituels qui ont traversé les siècles et sont suivis encore de nos jours.
Au cours de l'histoire de l'Europe, la présence des juifs s'est maintenue dans tous les pays (mises à part les époques où ils furent expulsés). La contribution qui fut la leur à cette histoire est considérable, même si ce fait, qui est significatif, a été négligé. Leur expérience a été, sous bien des aspects, radicalement différente de celle des chrétiens, et elle mérite de retrouver sa place dans le champ de l'histoire: la ségrégation dans les ghettos, la persécution sélective, la limitation des moyens économiques, éducatifs et sociaux. ce qu'on a appelé a la solution finale », la création de l'Etat d'Israël enfin et ses conséquences.
Des études récentes, chrétiennes plus encore que juives, ont eu pour objet la vie du Christ et les premières années de l'ère chrétienne. Elles ont démasqué, en ce qui concerne les juifs et le judaïsme, bon nombre de fausses représentations et d'inexactitudes qui, ayant été longtemps présentées comme des vérités, ont envahi les livres de classe et l'enseignement. Ces études ont mis en relief la nécessité d'examiner et de réviser le matériel éducatif, de rédiger de nouveaux textes et de repenser nos méthodes d'éducation.
Considérations théologiques
La théologie vise toujours à une meilleure compréhension. Certains théologiens juifs et chrétiens s'efforcent de nos jours de promouvoir une meilleure compréhension mutuelle des liens qui existent entre les deux religions. Il ne faut pas sous-estimer la complexité des textes bibliques et des enseignements qu'on en a tirés. Pousser trop loin la simplification peut conduire à des inexactitudes et môme à de fausses interprétations. Tout enseignement donné à des enfants exige, il est vrai, que l'on simplifie dans une certaine mesure la matière enseignée en omettant des éléments ou des concepts que l'enfant n'est pas encore à même, intellectuellement ou psychologiquement, de saisir. En ce qui concerne l'éducation, la simplification suppose une connaissance approfondie de la matière à simplifier, et c'est une responsabilité qui incombe particulièrement au professeur.
Les enseignements de Jésus et l'évolution de la pensée chrétienne primitive, tels qu'ils sont rapportés par les Ecritures chrétiennes, peuvent être mieux compris s'ils sont éclairés par une connaissance exacte des valeurs juives de l'époque et des principes moraux consignés plus tardivement dans les Midrashim, la Mishna et le Talmud. Ces textes sont difficiles; nous devons les aborder en utilisant avec prudence les méthodes historico-critiques qui conviennent.
Lorsqu'il était fait référence à la Bible à l'époque de Jésus, il ne s'agissait en fait que de ce que les chrétiens appellent « l'Ancien Testament » (ou mieux « les Ecritures juives»). Il est important de reconnaître que ce livre demeure pour les juifs un texte cohérent et complet, la source d'une tradition vivante. Il garde une validité, indépendante et toujours actuelle, en temps que document de base et source de la tradition juive et de son enseignement. Son intégrité doit être respectée, et son importance ne saurait se limiter à la signification qu'il a prise dans l'enseignement chrétien.
Pour décrire la vie et les usages juifs de l'époque de Jésus, et plus encore ceux des juifs d'aujourd'hui, on ne peut se limiter à de simples références bibliques. Au cours des siècles, et jusqu'à nos jours, le judaïsme a créé un ensemble important d'oeuvres littéraires dont le développement se continue de nos jours, et qui offre cerfaines perspectives théologiques dont on ne doit pas négliger la valeur.
Le christianisme aussi s'est développé au long des âges et, comme dans le cas du judaïsme. cette évolution a conduit à la diversité. Il y a dans la manière dont les deux traditions ont évolué un net parallélisme, faisant bien saisir les origines qui leur sont communes et aussi le mémo idéal, les mêmes espérances nourries de part et d'autre.
Conclusion
Le but de ces Orientations est d'encourager la parution et l'utilisation d'ouvrages n'acceptant pas les inexactitudes et les fausses représentations qui furent dans le passé la source de préjugés et de persécutions. Elles veulent aussi encourager la poursuite des travaux scientifiques, de la recherche et du dialogue.
L'enseignement et l'histoire
Dans ce domaine, comme en tant d'autres, le contact avec certaines méthodes éducatives, avec certains manuels et, bien sûr, avec certaines personnes contribue à former une attitude Intérieure.
Dans divers pays, certains critères ont été établis permettant d'analyser la manière dont sont présentés les juifs et le judaïsme dans les manuels d'instruction religieuse ou de catéchèse. En ce qui concerne l'enseignement de l'histoire, de tels critères existent déjà, dans un pays du moins, l'Allemagne Fédérale (Cf. le livre de Chaïm Schatzker: « Die Juden in der deutschen Geschichte Büchern » (Les juifs dans les livres d'histoire allemands), 1981.
Se basant sur l'analyse des manuels faite par Schatzker, le ICCJ ou le Deutscher Koordinierungsrat der Gesellschaften fur Christlich-Judische Zusammenarbeit (l'équivalent de l'Amitié judéo-chrétienne en R.F.A.) devrait soumettre aux autorités ministérielles allemandes ainsi qu'aux maisons éditrices de livres scolaires, aux auteurs, aux historiens et aux journaux compétents une proposition de révision des manuels d'histoire. Des propositions analogues devraient être faites aux autorités compétentes dans d'autres pays.
Il faudrait avoir pour principe essentiel qu'aucun événement ne doit être présenté comme isolé de son contexte historique, qui inclut le judaïsme, la vie juive et les relations entre chrétiens et juifs.
Les juifs dans l'Antiquité
Les traits spécifiques de la vie et de la foi juives, ce qui inclut aussi l'idée que les juifs ont d'eux-mêmes, doivent faire l'objet d'une sérieuse anlyse. Il ne faut pas présenter les juifs de façon négative, en inculquant des idées toutes faites sur leurs relations avec le christianisme naissant. On ne doit pas non plus, pour les présenter, utiliser des images stéréotypées telles que: « Les pharisiens étaient les ennemis mortels de Jésus »; « Le peuple juif a été responsable de la mort de Jésus »; « Le christianisme seul, à l'inverse du judaïsme dont le Dieu est celui de la Loi, connaît le Dieu d'amour »; « Le christianisme a pris la place du judaïsme; lui seul a une vision universaliste ». Il faut montrer au contraire que la communauté chrétienne est née dans le cadre du judaïsme (comme en témoignent le fait que Jésus et ses disciples aient été des juifs, et le rapide développement du christianisme au sein du judaïsme de la Diaspora etc...).
Les divergences entre le christianisme primitif et le judaïsme doivent être présentées dans le cadre d'une description détaillée de leurs relations au tout début de l'ère chrétienne.
La destruction du Temple en l'an 70 de l'ère chrétienne et celle de Jérusalem en l'an 135 ne doivent pas être considérées comme marquant la fin du judaïsme et du peuple juif. La restauration religieuse et culturelle du judaïsme, dont l'initiative est venue du mouvement pharisien et rabbinique, ayant permis au peuple juif de conserver son identité et sa vitalité au cours d'une existence vécue toujours davantage dans la Diaspora, mérite une attention qu'on ne lui a guère accordée jusqu'ici.
Les juifs au Moyen Age
On a souvent persécuté les juifs en les accusant d'être des usuriers (prêteurs à gage), mais il faut remarquer que presque toutes les autres professions leur étaient interdites; et aussi que d'autres qu'eux, par exemple les Lombards, pratiquaient le prêt d'argent à intérêt, sans être pour autant l'objet d'un semblable opprobre.
L'histoire des juifs du Moyen Age ne doit cependant pas se limiter au récit de ce qu'ils ont souffert. Il est juste de mentionner aussi leur apport dans les domaines économique, social et spirituel à la vie mondiale, apport dont les pays chrétiens d'Occident ont largement bénéficié tant pour la philosophie que pour l'astronomie, la médecine, la linguistique, la théologie etc...
Le judaïsme au cours des derniers siècles
L'évolution du judaïsme et de la vie juive au cours des derniers siècles ne peut être bien comprise sans la vue historique globale de divers facteurs, et particulièrement les suivants:
— l'attitude de Martin Luther et de la Réforme envers les juifs;
— le siècle des Lumières avec l'Emancipation, posée en principe d'abord, puis réalisée;
— l'assimilation des juifs et sa relation avec l'antisémitisme raoial et la naissance du mouvement sioniste qui suivit;
— la contribution des juifs à la vie culturelle, économique et sociale de chaque pays;
— la persécution et l'extermination des juifs sous le régime nazi, conséquences extrêmes d'une tradition anti-juive longue de vingt siècles;
— l'Etat d'Israël à la lumière de l'histoire et des problèmes du monde moderne, et ses conséquences pour le peuple juif et pour le monde.
Le judaïsme, le peuple juif et l'activité intellectuelle des juifs n'ont pas disparu à !événement de Jésus, sortes de fantômes relégués dans les limbes pendant dix neuf siècles pour réapparaître soudainement au 20e siècle. Le sens de leur continuité doit être remis en valeur dans l'enseignement de l'histoire. Il est bon de faire remarquer que souvent les manuels reprennent et reproduisent des jugements théologiques ou religieux sans les soumettre à la critique.
Les professeurs d'histoire ont la délicate responsabilité de transmettre avec objectivité l'information historique et son analyse. Cela est encore plus vrai quand il s'agit de l'histoire juive; il nous faut, en ce cas, être particulièrement attentifs à la dimension humaine.
Conclusion
Les manuels scolaires actuellement en usage pour l'enseignement de l'histoire ont besoin d'une révision soigneuse et objective. Il est vrai que les leçons d'histoire données ex cathedra ne sont pas les seuls facteurs pouvant influer sur nos attitudes; mais pour ce qui est particulièrement des jeunes, ils doivent être aidés, sous cette forme ex cathedra du moins, à reconnaître et à comprendre les racines historiques des préjugés, et à s'orienter vers le respect et l'amitié envers tous. Le ICCJ devrait créer un comité compétent pour poursuivre les travaux commencés à la Rencontre de 1983, ce qui supposerait aussi d'appliquer les considérations qui viennent d'être faites aux diverses sciences sociales.
Enseignement dans les Séminaires
Il est important, et même essentiel, d'insérer des cours spécifiques de judaïsme et d'histoire juive dans les programmes des séminaires; mais l'intérêt pour les relations entre chrétiens et juifs au niveau théologique touche, sur certains points, d'autres disciplines essentielles dans les séminaires comme l'Ecriture Sainte, le théologie systématique, la liturgie, l'histoire de l'Eglise et la morale.
Recommandations générales
Les séminaristes chrétiens, et le corps enseignant également, devraient pouvoir profiter de cours donnés par des maîtres juifs, particulièrement pour l'Ecriture Sainte et l'histoire de l'Eglise, mais aussi en d'autres domaines. La présence dans les instituts d'un au de plusieurs maîtres juifs à plein temps serait l'idéal; sinon, on pourrait du moins faire appel à des chargés de cours juifs pour traiter certains sujets particuliers.
On devrait par ailleurs encourager (et aider financièrement) les étudiants chrétiens en théologie qui en seraient capables à poursuivre dans des institutions juives de haut niveau l'étude du rabbinisme ou d'autres sujets spécifiquement juifs.
Des chaires d'études juives devraient être créées dans les universités tant chrétiennes que non confessionnelles.
On devrait prévoir des programmes d'éducation continue à l'usage des medias (des publications religieuses par exemple), et élaborer le matériel nécessaire pour une série de cours sur « les grandes religions du monde».
Les Ecriture juives (« Ancien Testament »)
La Bible hébraïque doit être comprise pour elle-même, en tant que Parole de Dieu. La méthode historico-critique, quand elle est utilisée avec objectivité, peut permettre cette première approche dutexte pour le comprendre tel qu'il fut écrit en son temps.
Les étudiants chrétiens en théologie doivent connaître et savoir utiliser les sources juives de l'interprétation biblique, tant classique (rabbiniques et médiévales) que contemporaines.
Ces bases une fois établies, les implications et conséquences d'une telle approche devraient être évaluées dans le contexte de la théologie systématique.
Pour « l'Ancien Testament», on ne saurait se satisfaire d'aucune méthodologie organisant la pensée biblique autour des seules catégories théologiques issues du christianisme.
Les étudiants chrétiens en théologie doivent être capables de lire et d'étudier les Ecritures juives en hébreu; aucune traduction, aucune étude basée sur une traduction, n'est plus acceptable de nos jours.
Les Ecritures proprement chrétiennes (« Nouveau Testament »)
Les étudiants doivent acquérir les compétences nécessaires à une lecture ordinaire, complète et aussi critique des textes, et ils doivent toujours garder le sens de leur développement historique.
Ils doivent être toujours davantage à même de comprendre les Ecritures chrétiennes dans le contexte si complexe et mouvant du judaïsme de l'époque du Second Temple, avec son large éventail de points de vue, depuis ceux de l'Apocalyptique jusqu'à ceux du mouvement pharisien et rabbinique. La littérature juive contemporaine a aussi une grande richesse à offrir.
L'identité juive de Jésus est importante, non seulement en ce qui concerne son héritage juif ou sa manière juive de vivre, mais aussi pour situer correctement son enseignement dans le cadre de la pensée juive de son temps.
L'enseignement doit s'appuyer sur les résultats les plus récents et les meilleurs des sciences tant chrétiennes que juives; ces dernières sont moins bien connues de la plupart de chrétiens.
On rencontre des difficultés pour certains textes qui « font problème » « antijuifs ») tant au point de vue de l'herméneutique qu'à celui de l'homilétique. Il faut les aborder honnêtement. Le caractère polémique de ces textes ne doit cependant pas être considéré comme celui qui convient de nos purs pour une réflexion chrétienne authentique sur les juifs et le judaïsme.
On doit reconnaître que les Ecritures sont conditionnées par l'histoire. Certains éléments, d'origine relativement tardive et que l'on peut penser ne pas être d'authentiques « logis » de Jésus, sont donc à considérer comme valables pour l'époque et dans le contexte où ils ont été rédigés (question complexe en soi), mais non comme des critères qui s'imposeraient aux chrétiens d'aujourd'hui pour une approche proprement chrétienne du peuple juif. Certains passages des Ecritures chrétiennes doivent être lus dans le contexte de l'ensemble dont ils font partie, et dans cet esprit d'amour et de vérité qui sous-tend tout le massage évangélique.
Histoire de l'Eglise
Pour de grands événements (comme les croisades, l'Inquisition etc...), on devrait lire des recueils d'histoire juive et d'autres sources juives importantes en même temps que les récits faits par des chrétiens. Un tel regard, «à double foyer», sur les événements est d'une importance particulière pour bien comprendre l'histoire.
L'histoire de l'Eglise tend à être avant tout celle de conclusions, de débats et de controverses théologiques, et elle tend aussi à mettre en relief ce qu'on estime positif dans la tradition de chaque confession religieuse; mais si l'on ignore « le revers plus obscur de la médaille », ces éléments positifs eux-mêmes ne peuvent être bien saisis. Ainsi, pour comprendre l'enseignement des Pères de l'Eglise, il est essentiel d'avoir travaillé aussi, et de manière approfondie, le u Adversus Judaeos » qui a joué un rôle central (même s'il fut négatif) dans le développement de la théologie patristique. Il peut ëtre instructif de mettre en parallèle de tels éléments, en les confrontant à des présentations plus « pures » (ou idéalisées) du développement de la foi.
Ce qui est également très important pour bien comprendre la pensée patristique et médiévale, c'est de connaître les développements parallèles de la pensée rabbinique, de la philosophie scolastique et de la réflexion biblique juive. Il y eut, par exemple, au cours de ce qui a été appelé (par les juifs) « l'Aga d'Or » de l'Espagne, à l'époque où s'achevait le premier millénaire, et particulièrement à Tolède. une remarquable période d'échanges entre penseurs musulmans, juifs et chrétiens. De telséchanges eurent une profonde influence sur le développement de la pensée scolastique d'abord, puis sur celle de la Renaissance, et finalement sur celle de la Réforme dans l'Europe chrétienne. Il n'est donc pas possible de saisir avec justesse les liens qui existent entre ces divers mouvements dans la tradition chrétienne occidentale, du seul point de vue des penseurs chrétiens. Nous ne pensons pas seulement à Raymond Lulle (au 13e siècle, à Barcelone), mais aussi à la critique textuelle juive et à l'influence de la philosophie arabe sur l'Occident par l'intermédiaire des savants juifs qui en firent la traduction. A une époque de caractère aussi « international » que la nôtre, ces moments privilégiés de rencontre entre religions et cultures méritent d'être soulignés lorsque nous présentons l'histoire chrétienne au long des âges. De plus, si l'on veut comprendre les mouvements juifs du 20e siècle, il est nécessaire de connaître leur origine: la « Haskala » (ou période juive des « Lumières ») au 18e siècle. C'est un fait inquiétant que l'intérêt général pour l'histoire de l'Eglise diminue dans le cadre de la formation théologique.
Liturgie (« Théologie pratique»)
Il est important que se fassent et se poursuivent de sérieuses études sur les racines juives de la liturgie chrétienne, particulièrement en ce qui concerne les sacrements et aussi les structures ecclésiales et communautaires.
Il est indispensable d'expliquer dans quel sens des termes comme « les juifs » sont employés dans le Lectionnaire; cela est particulièrement important lorsqu'on enseigne comment faire des homélies.
Les étudiants chrétiens en théologie devraient être mis en contact avec la liturgie juive, et l'on devrait leur donner l'occasion de participer à des cérémonies religieuses juives à la synagogue ou dans des familles.
La relation qui existe entre la Loi juive et le Droit canon, et le concept de « halakha » en tant qu'orientation de vie et de culte, offrent un champ d'études relativement nouveau. Cela est particulièrement important pour la théologie sacramentelle et celle du mariage.
Théologie systématique
La notion d'accomplissement des promesses utilisée pour préciser la nature des relations entre le peuple juif et l'Eglise, ainsi que la question des Alliances, sont actuellement le sujet d'études qui pourront conduire à une ré-interprétation. De telles études méritent d'être soutenues, et elles exigent la collaboration de biblistes et de théologiens.
Le problème essentiel est de préciser le sens de l'événement « Christ » de tacon à laisser un « espace théologique » au judaïsme, c'est-à-dire de concevoir le « locus theologicus » convenable pour ce qui concerne le judaïsme et la relation entre l'Eglise et le peuple juif à l'intérieur du plan divin. Il s'agit, comme on le dit si bien, d'un « mystère » théologique qui n'a pas encore été approfondi et qui se situe au coeur de l'identité de l'Eglise.
Reconnaître que l'Alliance juive n'a pas été abrogée implique certaines conséquences qui doivent, elles aussi, être approfondies et qui remettent en question sur certains points essentiels les affirmations traditionnelles de la doctrine chrétienne. Là encore, biblistes et théologiens doivent travailler ensemble.
Une série de questions très complexes se posent à nous et appellent notre réflexion en ce qui concerne « mission et dialogue ». Ces questions doivent être examinées, elles aussi, du point de vue de l'ecclésiologie.
Pour ce qui est de l'eschatologie, il faut prendre en considération la tension qui existe dans la théologie chrétienne entre le « déjà» et le « pas encore ». Chrétiens et juifs, les uns et les autres selon leur tradition propre, attendent le «total accomplissement » des promesses messianiques, lors de l'avènement final du Royaume (« Malkhut ») à la fin des temps.
Certains documents officiels de l'Eglise parus récemment, comme les «Considérations oecuméniques sur le dialogue entre juifs et chrétiens» du C.O.E. et les « Orientations et suggestions» du Vatican pour l'application de la Déclaration conciliaire « Nostra Aetate » (No 4) de 1975, posent de sérieuses questions qui demandent à être étudiées de façon approfondie dans les cours de théologie systématique (dogme, doctrine) des écoles supérieures de théologie.
Remettre l'accent sur l'absolue suprématie du « Père » (1 Co 15, 28) dans la prière et dans la formation spirituelle pourrait aider à éviter desmalentendus. Mise à part la prière pour la paix, la liturgie romaine s'adresse généralement au Père. Mettre l'accent sur le témoignage rendu au même Dieu, le Dieu Un, celui d'Israël, peut être d'une importance vitale pour un dialogue authentique (Ac 12,14).
La relation entre l'Eglise et le peuple juif, de par son caractère unique, mérite qu'on y prête davantage d'attention, particulièrement parce qu'elle touche à l'unité des chrétiens et aussi au dialogue avec l'islam. Rares sont encore les lieux où existe de nos jours un « trialogue » (juifs, chrétiens, musulmans), mais ce dialogue à trois mérite qu'on lui prête plus d'attention au niveau universitaire.
Il faudrait étudier systématiquement les diverses manières dont on a apprécié les Ecritures hébraïques. Il est essentiel à l'intégrité de la foi chrétienne qu'on ait une égale estime pour les deux «Testaments », en tant que Parole de Dieu.
Problèmes qui subsistent
Les manifestations actuelles d'antisémitisme constituent un problème pastoral à part auquel les étudiants auront à faire face au cours de leur ministère.
En abordant honnêtement, dans le cadre d'une éducation chrétienne, le problème de l'Holocauste, on se trouvera confronté aux questions théologiques, morales et sociologiques qu'impliquent de tels événements.
Conclusion
En chaque pays, et même dans chaque communauté, hommes et femmes de bonne volonté doivent rechercher inlassablement les possibilités de dialoguer et de se comprendre mutuellement, et ils doivent, par leur influence, chercher à faire progresser la société dans laquelle ils vivent.