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Entretien du pape Benoît XVI accordé aux journalistes au cours du vol

Benoît XVI, Pape (Ratzinger, Jospeh) 1927-
(2009/05/08)

 

Père Lombardi :

Très Saint-Père, nous vous remercions beaucoup de nous donner cette fois encore l’occasion d’une rencontre avec vous au début d’un voyage si important et si exigeant. C’est pour nous l’occasion de vous souhaiter un bon voyage et de vous assurer que nous nous attacherons à faire connaître les messages que vous chercherez à délivrer. Comme d’habitude, les questions qui sont posées ont été collectées auprès des collègues qui sont ici présents. Je les pose moi-même pour des raisons de commodités logistiques, mais elles sont bien le résultat d’un travail commun.

Q. – Sainteté, ce voyage arrive dans une période très délicate pour le Moyen-Orient : il y a de fortes tensions – à l’occasion de la crise de Gaza, on avait aussi pensé que peut-être vous y renonceriez. En même temps, peu de jours après votre voyage, les principaux responsables politiques d’Israël et de l’Autorité Palestinienne, rencontreront aussi le président Obama. Pensez-vous pouvoir apporter une contribution au processus de paix qui semble actuellement s’enliser ?

R. – Bonjour ! Je voudrais tout d’abord vous remercier pour le travail que vous faites et nous souhaiter à tous un bon voyage, un bon pèlerinage, un bon retour. Concernant la question, je cherche certainement à contribuer à la paix non en tant qu’individu mais au nom de l’Église catholique, du Saint-Siège. Nous ne sommes pas un pouvoir politique, mais une force spirituelle et cette force spirituelle est une réalité qui peut contribuer aux progrès du processus de paix. Je vois trois niveaux. Le premier : comme croyants, nous sommes convaincus que la prière est une vraie force : elle ouvre le monde à Dieu. Nous sommes convaincus que Dieu écoute et qu’il peut agir dans l’histoire. Je pense que si des millions de personnes, de croyants, prient, c’est réellement une force qui influence et qui peut contribuer à faire progresser la paix. Le deuxième niveau : nous cherchons à aider à la formation des consciences. La conscience est la capacité de l’homme à percevoir la vérité, mais cette capacité est souvent entravée par des intérêts particuliers. Et libérer de ces intérêts, ouvrir le plus possible à la vérité, aux vraies valeurs est un grand engagement : c’est une tâche de l’Église d’aider à connaître les vrais critères, les vraies valeurs, et à nous libérer des intérêts particuliers. Et ainsi – le troisième niveau – nous nous adressons également – c’est ainsi ! – à la raison : justement parce que nous ne sommes pas une partie politique, nous pouvons peut-être plus facilement, aussi à la lumière de la foi, discerner les vrais critères, aider à comprendre ce qui contribue à la paix et parler à la raison, appuyer les positions réellement raisonnables. Et cela nous l’avons déjà fait et nous voulons le faire aussi maintenant et à l’avenir.

Q. – Merci, Très Saint-Père. La deuxième question. En tant que théologien, vous avez particulièrement réfléchi sur l’unique racine qui unie chrétiens et juifs. Comme se fait-il que, malgré les efforts de dialogue, il y ait souvent des malentendus ? Comment voyez-vous l’avenir du dialogue entre les deux communautés ?

R. Ce qui est important est que nous ayons la même racine, les mêmes livres de l’Ancien Testament qui sont - aussi bien pour les juifs, que pour nous – Livre de la Révélation. Mais, naturellement, après deux mille ans d’histoire distinctes, et même séparée, il n’y a pas à s’étonner qu’il y ait des malentendus, parce que ce sont créées des traditions d’interprétation, de langage, de pensée très diverses, pour ainsi dire, un « univers sémantique » très différent, si bien que les mêmes paroles pour l’une et l’autre parties ont une signification différente ; et avec l’usage de ces termes, qui au cours de l’histoire ont pris des sens différents, naissent évidemment des malentendus. Nous devons faire tout ce qui est possible pour apprendre les uns et les autres le langage de l’autre, et il me semble que nous faisons de grand progrès. Aujourd’hui, existe la possibilité que les jeunes, les futurs enseignants en théologie, puissent étudier à Jérusalem, à l’Université hébraïque, et les juifs ont des contacts académiques avec nous : ainsi, ces univers sémantiques peuvent-ils se rencontrer. Apprenons les uns des autres et allons de l’avant sur le chemin du vrai dialogue, apprenons l’un de l’autre et je suis sûr et convaincu que nous accomplissons des progrès. Cela favorisera la paix et mieux, l’amour réciproque.

D. – Sainteté, ce voyage revêt deux dimensions essentielles dans le dialogue interreligieux, avec l’islam et avec le judaïsme. Ces deux orientations sont-elles totalement séparées l’une de l’autre ou existe-t-il aussi un message commun concernant les trois religions qui remontent à Abraham ?

R. – Il existe bien sûr aussi un message commun et nous aurons l’occasion de le souligner. Malgré la diversité de nos origines, nous avons des racines communes car, comme je l’ai déjà dit, le christianisme commence avec l’Ancien Testament et l’Écriture du Nouveau Testament, sans l’Ancien n’aurait pas eu lieu, car le Nouveau Testament se rapporte sans cesse à l’ « Écriture », c’est-à-dire à l’Ancien Testament. De même, l’islam est né dans un milieu où se trouvaient aussi bien le judaïsme que les différentes branches du christianisme : le judéo-christianisme, le christianisme-antiochien, le christianisme byzantin. Toutes ces circonstances se reflètent dans la tradition coranique, c’est pourquoi nous avons un grand nombre de choses en commun depuis les origines et aussi dans la foi en l’unique Dieu. Par conséquent, il est important d’avoir, d’une part, un dialogue bilatéral – avec les juifs et avec les musulmans – et de l’autre, un dialogue trilatéral. J’ai moi-même été le cofondateur d’une fondation pour le dialogue entre les trois religions, dans laquelle des personnalités comme le Métropolite Damaskinos et le Grand Rabbin de France René Samuel Sirat, etc., œuvrons ensemble et cette fondation a même publié une édition des livres des trois religions : le Coran, le Nouveau Testament et l’Ancien Testament. Le dialogue trilatéral doit donc continuer. Il est très important pour la paix et aussi – disons – pour que chacun vive bien sa propre religion.

D - Une dernière question. Très Saint-Père, vous avez souvent attiré l’attention sur le problème de la diminution des chrétiens dans le Moyen-Orient et plus particulièrement en Terre Sainte. Il s’agit d’un phénomène lié à des causes de divers ordre, politique, économique et social. Concrètement, que peut-on faire pour aider la présence chrétienne dans cette région ? Quelle contribution espérerez-vous apporter à cet égard par ce voyage ? Y-a-t-il pour l’avenir des perspectives d’espoir pour ces chrétiens ? Donnerez-vous un message particulier pour les chrétiens de Gaza aussi qui viendront vous rencontrer à Bethléem ?

R – Sans aucun doute, il y a des espérances, car, comme vous l’avez souligné, nous nous trouvons dans un moment difficile, mais c’est aussi un moment d’espérance, espérance d’un nouveau départ, d’un élan renouvelé sur le chemin vers la paix. Nous voulons surtout encourager les chrétiens en Terre Sainte et dans tout le Moyen-Orient à rester, à apporter leur contribution dans leurs pays d’origine : ils représentent une composante importante de la culture et de la vie de ces régions. Concrètement, l'Église, outre les encouragements et la prière commune, a surtout des écoles et des hôpitaux. Il s’agit en ce sens d’une présence dans des réalités très concrètes. Nos écoles forment une génération qui aura la possibilité d’être présente dans la vie d’aujourd’hui, dans la vie publique. Nous sommes en train de créer une Université catholique en Jordanie : il me semble que c’est là une grande perspective, là des jeunes – qu’ils soient musulmans ou chrétiens – se rencontrent, apprennent ensemble; là se forme une élite chrétienne qui se prépare à travailler pour la paix. D’une manière générale, le passage dans nos écoles est un temps décisif pour ouvrir un avenir aux chrétiens, et les hôpitaux mettent en évidence notre présence. Enfin, il y a de nombreuses associations chrétiennes qui soutiennent les chrétiens de diverses manières et par des aides concrètes les encouragent à rester. Ainsi, j’espère vraiment que les chrétiens pourront trouver le courage, l’humilité et la patience pour rester dans ces pays, et offrir leur contribution à l’avenir de ces pays.

P. Lombardi :

Merci très Saint-Père, par ces réponses, vous nous aidez à mettre notre voyage dans sa juste perspective spirituelle, et culturelle et je renouvelle tous nos vœux, ceux de tous les collègues qui sont sur ce vol, ceux des autres qui sont en route vers la Terre Sainte en ce moment, pour participer et apporter leur contribution dans le domaine de l’information à la bonne réussite de votre mission si importante. Bon voyage à Vous, Sainteté, et à tous vos collaborateurs, et bon travail aux collègues !

© Copyright 2009 - Libreria Editrice Vaticana

Vendredi 8 mai 2009

 

 

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