| |

Documents about the Jewish-Christian Dialogue

Catholic documents | Joint Jewish-Christian documents | Jewish documents | Joint Christian documents | Other Christian Churches

 

Celebration du 40e anniversaire de Nostra Aetate - Conférence du rabbin David Rosen

Rosen, David
Vaticano (2005/10/27)

 

Le Pape Jean-Paul II disait que la Déclaration Nostra Aetate promulguée par le Concile œcuménique Vatican II était « une expression de foi » et « une inspiration de l'Esprit-Saint, une parole de Sagesse divine».

Le Cardinal Walter Kasper, Président de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le judaïsme, a représenté l'impact de Nostra Aetate comme « une étonnante transformation ». En fait, en ce qui concerne le peuple juif, les implications étaient réellement révolutionnaires au sens le plus positif du terme. Avec la promulgation de cette déclaration, un peuple — jusque-là considéré au mieux comme un fossile, mais le plus souvent comme maudit et condamné à errer et à souffrir — était maintenant officiellement présenté comme un peuple aimé de Dieu et, d'une certaine manière, comme faisant toujours partie en tout et pour tout du plan divin pour le genre humain.

Au cours de sa visite à la synagogue de Rome en 1986, le Pape Jean-Paul II a appelé les juifs « nos frères préférés » et les « frères aînés » de l'Église. Il a développé cette idée dans une remarquable formulation personnelle du message essentiel de Nostra Aetate. Une des occasions où j'ai eu le privilège de rencontrer Jean-Paul II a été en janvier 1993 à Assise, lors de la réunion de prière qu'il avait convoquée pour la paix dans les Balkans. En nous recevant, mon collègue et moi, le Pape a déclaré: « J'ai dit que vous(les juifs) êtes les frères aîné préférés de l'Église de l'Alliance originelle qui n'a jamais été rompue, et ne le sera jamais ».

Ces paroles ne reflètent pas simplement une transformation dans l'attitude et dans la doctrine concernant les juifs, elles ont de profondes implications pour l'Église en termes de théologie. D'ailleurs, le Pape Benoît XVI lui-même a dit que l'Église n'a pas encore pleinement saisi toutes les implications pro- fondes de Nostra Aetate. C'est dû en partie à la nouveauté même de la Déclaration. À l'époque de la promulgation, le Cardinal Augustin Bea a souligné sa nature révolutionnaire. Le Cardinal Johannes Willebrands, ancien Président de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le judaïsme, a ultérieurement développé cette idée en affirmant que jamais auparavant une telle « présentation des juifs et du judaïsme, aussi systématique, positive, complète, attentive et courageuse, n'avait été faite dans l'Église par un Pape ou par un Concile ».

En outre, des théologiens catholiques comme Michel Remaud ont fait remarquer que « de tous les documents promulgués par le Concile Vatican II, celui sur les juifs est le seul qui ne contienne aucune référence à un quelconque enseignement — patristique, conciliaire ou pontifical — de l'Église ». Aussi trouve-t-on au paragraphe 4 de Nostra Aetate et dans les « Orientations et Suggestions pour l'application de la déclaration conciliaire Nostra Aetate », des élémentments innovateurs et, par conséquent, des changements radicaux. Comme. l'a dit un enseignant, le Père John Pawlikowski, en revenant à Romains 9-11 comme source scripturaire exclusive de Nostra Aetate, ce document dit en fait que « l'Église reprend à présent là où Paul s'était arrêté, en soulignant que les juifs, après la Résurrection, font toujours partie de l'Alliance, malgré l'ambiguïté théologique que cela comporte ». Cela n'est pas pour ignorer le fait que le texte lui-même, dans sa version finale, après bien des discussions et de nombreux compromis, était mal- heureusement loin du texte proposé à l'origine, lequel, nous le savons aujourd'hui, était ce qu'espérait et voulait le Pape Jean XXIII.

Comme on l'a souvent fait remarquer, les implications de Nostra Aetate ne peuvent être proprement comprises qu'à la lumière de l'enseignement successif du Magistère — en particulier avec les « Orientations » mentionnées plus haut, les Notes de 1985 sur une correcte présentation des juifs et du judaïsme, les déclarations du Pape Paul VI et surtout l'ensemble considérable des déclarations du Pape Jean-Paul II à ce sujet, ainsi que celles de diverses conférences épiscopales. Cette dynamique a cherché à éviter toute interprétation négative qui aurait pu naître lors de l'exposition du texte même de Nostra Aetate. Comme l'a fait remarquer le Dr Eugène Fisher, le Pape Jean-Paul II, dans sa formulation de l'Alliance de Dieu avec le peuple juif évoquée ci-des- sus, et dans son appel à une mission commune de témoignage du Nom du Dieu unique « des juifs et des chrétiens dans et pour le monde », cherchait à résoudre la question de l'abrogation/substitution en faveur d'une 'estime mutuelle', et à situer dans un cadre entièrement nouveau l'ancienne question de prosélytisme/conversion. D'ailleurs, plusieurs cardinaux et conférences épiscopales ont catégoriquement rejeté l'idée de la nécessité d'une « mission auprès des juifs ». Par exemple, dans ses Réflexions sur l'Alliance et la Mission (août 2002), le Comité des Évêques des États-Unis pour les questions œcuméniques et inter- religieuses, a déclaré que le témoignage distinctif des juifs doit être soutenu si l'on veut que catholiques et juifs soient réellement ce qu'imaginait le Pape Jean- Paul II, «un bienfait réciproque ».
Conformément aux déclarations du Pape Jean- Paul II, le Cardinal Walter Kasper, Président de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le judaïsme, dans un discours prononcé au Collège de Boston en novembre 2002, affirmait: « Cela ne signifie pas que pour être sauvés, les juifs doivent devenir chrétiens; s'ils suivent leur conscience et croient aux promesses de Dieu telles qu'ils les comprennent dans leur tradition religieuse, ils sont en accord avec le plan de Dieu, qui, pour nous, trouve son accomplissement historique en Jésus Christ ».

Il me semble que le document de la Commission biblique pontificale de 2001, intitulé "Le peuple juif et ses Écritures sacrées dans la Bible chrétienne ", publié avec l'imprimatur et une introduction de celui qui était à l'époque le Cardinal Joseph Ratzinger, est très conforme à cet esprit, là où il déclare que « l'attente messianique juive n'est pas vaine ... Comme eux, nous aussi nous vivons dans l'attente ».

Toutefois, le renoncement à inviter les juifs à se convertir au christianisme est une position qui a fait l'objet d'une critique sévère et qui reste, plus qu'aucune autre question dans l'Église, une pomme de discorde théologique au sujet des juifs.

C'est ce qui apparaissait déjà clairement dans le traitement du document de travail préparé en 1969 par un comité spécial pour le Bureau des relations catholiques-juives du Saint-Siège, intitulé « Réflexions et suggestions pour l'application des directives de Nostra Aetate». Ce document disait qu'en ce qui concerne les relations des chrétiens envers les juifs, « toute intention de prosélytisme et de conversion est exclue ». Cependant, cette directive explicite n'était pas contenue dans les Orientations publiées en 1975 par la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, récemment nommée par le Vatican sur la base du document de travail, bien que le Président de la Commission, le Cardinal Willebrands, se soit fait l'écho de cette opinion en plusieurs occasions. De la même façon, lors de l'importante réunion du Comité international de liai- son juif-catholique qui s'est tenue à Venise en 1978, le Professeur Tommaso Federici a présenté les grandes lignes de son étude sur 'La mission et le témoignage de l'Église', dans laquelle il appelle formellement à renoncer à toute action d'évangélisation à l'égard des juifs. Alors que les organisations juives ont traduit le texte de l'italien et l'ont publié dans sa forme originelle intégrale, dans la version officielle du discours de Federici publiée par le Saint-Siège quelques années plus tard, cet appel est considérablement mitigé. Évidemment, bien que l'Église ait répudié le prosélytisme et n'accorde plus de moyens maté- riels pour la conversion des juifs, la position théologique de l'Église attend toujours d'être pleinement clarifiée par le Saint-Siège.

Quelques spécialistes catholiques sont d'avis que s'il n'y a pas eu plus de réflexion théologique de l'Église sur la signification et le pouvoir de Nostra Aetate, c'est précisément parce que ce document oblige les théologiens chrétiens à repenser leur christologie et leur ecclésiologie conformément à l'idée de l'éternelle Alliance de Dieu avec les juifs. En effet, certains signes récents indiquent non seulement une aversion à un tel changement, mais également des tentatives de mini- miser cette idée et même la signification de Nostra Aetate. Par exemple, en mai 2003, la revue Zenit News Service publiait une interview accordée par une théologienne italienne (Illana Morelli), qui exprimait l'opinion selon laquelle Nostra Aetate, étant un document pastoral, n'avait aucune autorité doctrinale, et que vouloir lui en attribuer une serait une «grande ingénuité » et une « erreur historique ».

Cette attitude rappelle des positions que je trouve chez quelques théologiens et ecclésiastiques chrétiens en Terre Sainte et dans le monde arabe, qui affirment que Nostra Aetate n'était rien moins qu'un produit contextuel du sens de culpabilité chrétien européen au sujet de la Shoah, de sorte que pour eux, sa réévaluation des juifs et du judaïsme n'est pas vraiment importante.

En outre, le Cardinal Avery Dulles, qui avait critiqué les « Réflexions sur l'Alliance et la Mission » du Comité des Évêques catholiques américains, citées plus haut, déclarait à la conférence du 40e anniversaire de Nostra Aetate en mars dernier à Washington, qu'« il reste à savoir si l'Ancienne Alliance est encore en vigueur aujourd'hui », et il était d'avis que les catholiques ont toujours le devoir d'inviter les juifs à recevoir la foi chrétienne (son texte a récemment été publié dans la revue First Things).

En tant qu'observateur externe, je dirais que ces commentaires contredisent catégoriquement les instructions clairement formulées par le défunt Pape Jean-Paul II à ce sujet, ainsi que celles de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le judaïsme et diverses déclarations d'importantes Conférences épiscopales. Je dois admettre avoir été quelque peu déçu de l'absence de réfutation, de prise de distance, ou tout au moins d'éclaircissements de la part des autorités de l'Église à Rome à ce sujet.

Je pense qu'il est urgent qu'une claire réaffirmation du Magistère soit faite sur ce point. Sans quoi, il subsisterait non seulement une ambiguïté délétère malsaine dans nos relations, mais il nous faudrait continuer de nous occuper de regrettables et vaines tensions concernant certaines motivations, y compris la présence et le rôle dans l'Église de quelques personnalités dont l'activité passée se rapporte spéciale- ment à ces relations.

Dans de nombreuses parties du monde, l'internationalisation de la substance de Nostra Aetate dans l'Église à tous les niveaux, et son enseignement positif concernant les juifs et le judaïsme, sont l'histoire d'un grand succès. C'est surtout le cas, évidemment, là où les communautés catholiques vivent côte à côte avec des communautés juives dynamiques, avec lesquelles elles interagissent de manière positive - les États-Unis d'Amérique en sont l'exemple le plus frappant. Toutefois, dans certaines régions du monde où mes voyages me conduisent, je constate que le contenu même de Nostra Aetate est souvent inconnu des dirigeants responsables catholiques, sans parler des simples fidèles.

Une des plus importantes instructions aux évêques au sujet des relations entre chrétiens et juifs, a été publiée l'an dernier par la Congrégation du Saint-Siège pour les Évêques, dans son Directoire pour le Ministère pastoral des Évêques (Libreria Edi¬trice Vaticana 2004, p. 31, n° 19): « Le Concile Vatican II rappelle le lien spirituel unissant le peuple du Nouveau Testament à la descendance d'Abraham. En vertu de ce lien, le peuple juif occupe une place toute particulière dans l'attention que l'Église porte aux membres des religions non chrétiennes. A celui-ci `appartiennent l'adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et les patriarches, et [de lui] est né, selon la chair, le Christ' (Rm 9, 4-5). L'évêque doit promouvoir parmi les chrétiens une attitude de respect envers nos " frères aînés " afin d'éviter les risques d'antisémitisme et doit veiller à ce que les ministres ordonnés reçoivent une formation adéquate concernant la religion juive et ses relations avec le christianisme »."

Je félicite sincèrement la Congrégation du Saint-Siège pour les Évêques de cette importante directive et je prie pour qu'elle soit pleinement appliquée. Toutefois, à ma connaissance, Nostra Aetate et les importantes instructions ultérieures du Magistère concernant les juifs, le judaïsme et Israël, continuent toujours de n'être pas même un élément obligatoire du programme de formation des prêtres dans le monde catholique. Il me semble que veiller à ce que les fruits de Nostra Aetate soient plus concrètement intégrés dans la structure officielle de l'Église devrait être dans le futur une gageure fondamentale pour 1'Église.

Tout cela ne veut naturellement en rien minimiser les réalisations de la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le judaïsme, ni les importants documents qu'elle a produits. En réponse à l'établissement de cette Commission, un Comité juif international pour les consultations interreligieuses (IJCIC) a été créé pour représenter le judaïsme mondial auprès du Saint-Siège, et j'ai le privilège d'en être actuellement le Président. Ces deux organismes constituent le Comité international de liaison entre catholiques et juifs, que j'ai mentionné et qui a publié une douzaine d'importantes déclarations communes traitant un large éventail de défis contemporains, qui reflètent ce que Nostra Aetate indique comme notre « patrimoine commun », sans pour autant minimiser la considération et le respect des profondes différences qui font de nous deux communautés de foi séparées. Cette collaboration est le fruit béni et impressionnant de Nostra Aetate.

Toutefois, de même que le contexte sociologique a déterminé le degré d'intégration des fruits de Nostra Aetate dans le monde catholique, la mesure de compréhension et de réaction des communautés juives face à ces changements a également et inévitable- ment varié selon l'évolution des rapports vécus par ces communautés avec des voisins catholiques. Ainsi, nous avons constaté un profond changement d'attitude envers l'Église catholique dans la majorité des communautés juives américaines, au point qu'aux yeux de celles-ci, aucune autre communauté religieuse n'est sans doute aussi importante ni aussi compréhensive en ce qui concerne leur bien-être. En fait, en termes de programmation, de publications et de centres d'études judéo-chrétiennes en commun, le partenariat entre catholiques et juifs aux États-Unis est sans égal. L'American Jewish Committee (AJC) a eu le privilège d'avoir pu jouer un rôle clé dans ce dialogue et dans cette coopération à travers tout le pays - en particulier avec le Programme d'enrichisse- ment éducatif catholique-juif entrepris par l'AJC dans les écoles catholiques et juives, mis en place par l'AJC de la côte d'est à la côte ouest. On trouverait difficilement des programmes du même genre ailleurs dans le monde juif, où ils ne sont souvent même pas réalisables.

Les recommandations de Nostra Aetate et les instructions qui ont suivi ne concernent évidemment pas uniquement l'abandon d'anciens préjugés et l'élimination d'informations erronées sur les uns et les autres. Les Orientations de 1975 pour l'application de Nostra Aetate soulignent l'importance pour les catholiques de comprendre les juifs comme nous nous comprenons nous-mêmes. En effet, comprendre l'autre comme lui/elle se voit est une condition préalable essentielle pour un réel respect mutuel. Ce n'est évidemment pas toujours une tâche facile, surtout parce que nous avons tendance à interpréter les concepts à travers nos propres lentilles religieuses et culturelles, alors qu'ils peuvent être vus et compris de manière très différente par l'autre. Un concept que bon nombre de chrétiens ont eu du mal à comprendre pleinement est celui de la centralité de l'État Israël pour l'identité juive contemporaine. Cette centralité n'est pas en conflit avec la vision biblique et rabbinique d'universalisme — bien au contraire. C'est en s'efforçant de vivre comme un peuple qui observe la parole et la volonté de Dieu — idéalement, comme l'indique la Bible, dans le pays de nos ancêtres — que nous sommes appelés à témoigner de ces mêmes possibilités, mutatis mutandis, pour tous les peuples. Certes, le judaïsme enseigne que partout où il se trouve, le peuple juif rend témoignage à la présence divine qui 1'a préservé de toutes les adversités. Mais il est clair que l'idéal biblique est de faire connaître au monde les valeurs divines universelles, tout en s'efforçant d'être « un royaume de prêtres et une sainte nation », vivant en indépendance dans cette terre qui lui est bibliquement confiée.

Je crois que l'Église catholique, surtout sous Jean- Paul II, a gagné une compréhension significative de cette centralité de l'État d'Israël pour le judaïsme, et que le Pape Benoît XVI, alors qu'il présidait la Congrégation pontificale pour la Doctrine de la foi, a sans aucun doute joué un rôle clé dans ce processus.

En conséquence, l'établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et l'État d'Israël a généralement été perçu dans nos communautés à la fois comme une bénédiction et comme l'élimination d'un obstacle sur le chemin tracé par la Déclaration Nostra Aetate elle-même. Mais précisément à cause de ce que signifie Israël pour l'auto compréhension actuelle de l'identité juive partout dans le monde, l'établissement de ces relations bilatérales avait une grande importance, non seulement pour Israël, mais également pour la diaspora juive et, par conséquent, pour les relations catholiques-juives en général. Non moins important est le fait d'avoir facilité la visite d'État historique du Pape Jean-Paul II en Israël en l'an 2000, année jubilaire de l'Église, qui a eu un énorme impact également sur les rapports interreligieux bilatéraux.

En Israël, en particulier, l'absence de relations bilatérales officielles entre le Saint-Siège et 'État d'Israël signifiait, pour bon nombre de personnes, sinon pour la majorité, que 'Église avait encore des hésitations au sujet de l'autorité juive en Terre sainte, ce qui soulevait des doutes sur la sincérité de la nouvelle attitude de l'Église à l'égard du judaïsme. Surtout dans certains milieux religieux parmi les plus conservateurs d'Israël, mon propre travail et celui d'autres juifs orthodoxes dans ce domaine avaient été vus avec scepticisme, sinon pire. En fait, non seulement les changements spectaculaires intervenus dans le monde catholique étaient presque totalement ignorés, mais il y avait même une tendance à ne pas en entendre parler, en raison de préjugés profondément ancrés, conditionnés par les tragiques expériences historiques du passé. L'établissement de relations diplomatiques normales entre le Saint-Siège et 'État d'Israël, dont le point culminant a été la visite du Pape, qui personnifiait cette réalisation et la rendait visible, a eu un effet énorme sur la société israélienne en l'aidant à vaincre cette méconnaissance et cette résistance. En outre, le pèlerinage du Pape n'a pas seulement changé l'opinion publique en Israël, mais il a également facilité l'ouverture de nouvelles voies pour le dialogue catholique-juif.

Une des caractéristiques les plus remarquables du pontificat du Pape Jean-Paul II a été l'impressionnant usage de gestes imposants et éloquents avec lesquels il communiquait de profonds messages à un public mondial. Ce fut le cas lors de sa visite à la synagogue de Rome en 1986. Même ceux qui n'avaient jamais entendu parler de Nostra Aetate, des Orientations, des Notes sur la prédication et sur la catéchèse, ni même des homélies et des discours du Pape, pouvaient comprendre qu'il y avait là un rapport complètement nouveau et positif de la part de l'Église à l'égard des juifs et du judaïsme — et ce fut encore plus clair à l'occasion de sa visite en Israël en l'an 2000.

J'aime utiliser deux métaphores pour décrire la façon dont les événements sont perçus par les juifs d'Israël. La première est de montrer qu'on leur a tant rebattu les oreilles au cours de l'histoire qu'ils en ont les tympans abîmés au point d'être souvent incapables de distinguer les sons désagréables de la bonne musique. Si bien que, souvent, cette dernière n'est même plus reconnaissable, surtout si l'on a la conviction, à partir des expériences du passé, que les musiciens ne savent faire entendre que des sons hostiles et qu'ils continuent de le faire. Toutefois, c'est l'ouïe qui a été endommagée et non pas la vue. De sorte qu'une nouvelle réalité ne peut être entendue que si elle peut, pour ainsi dire, être vue. Cela, comme je l'ai dit, fait entièrement partie de la signification de la visite du Pape à la synagogue de Rome en 1986, et plus encore de sa visite en Israël, lorsqu'on 1'a vu en larmes exprimer sa solidarité avec la douleur et la souffrance des juifs à Yad Vashem au monument à l'holocauste, et en une attitude respectueuse de la Tradition juive au Mur des lamentations où il a placé sa prière empruntée à la liturgie de repentance qu'il avait présidée à Saint-Pierre quelque temps auparavant, demandant le pardon divin pour les péchés commis par des chrétiens contre des juifs au cours des siècles. En fait, les réceptions officielles à son arrivée, à son départ et à la résidence du Président, reflétaient à la fois la reconnaissance et le respect pour la nation juive souveraine, rétablie dans sa terre natale ancestrale.

L'autre métaphore dont j'aime me servir est celle d'un jardin entouré de hautes murailles. C'est le jardin des relations chrétiennes-juives qui, pendant la plus grande partie de l'histoire était un endroit désagréable, couvert de ronces et de mauvaises herbes, et plein de dangers menaçants. Au cours des quarante dernières années, ce jardin a été presque entièrement transformé en un site totalement différent. Ce n'est peut-être pas encore le jardin d'Éden et il y reste des zones de terrain rocailleux, mais dans l'ensemble c'est un endroit où il fait bon se trouver. Toutefois, la plupart des israéliens qui empruntaient la route à l'extérieur ignoraient en quelque sorte cette transformation, car ils n'avaient jamais regardé derrière ces hautes murailles. Ils pensaient que c'était toujours l'ancien endroit dangereux et désagréable. La visite du Pape a ouvert les portes et a révélé la nouvelle réa- lité des relations catholiques-juives à beaucoup de ceux qui n'avaient pas connu cette transformation ou qui n'y avaient pas cm, et qui ont découvert que le chef de 'Église était en fait lui-même un ami sincère du peuple juif, soucieux de leur bien-être dans le respect mutuel.

Mais les avantages de cette révélation ne furent pas uniquement une question de perception publique. La rencontre du Pape avec les Grands Rabbins a ouvert la voie au remarquable développement qu'a été la création d'un comité permanent du Grand Rabbinat d'Israël pour le dialogue avec le Saint-Siège. Pour bien apprécier toute la signification de cet acte, nous devons noter que l'engagement juif dans les relations interreligieuses de ces dernières décennies a surtout été le fait des courants libéraux du judaïsme. La participation des juifs orthodoxes et des rabbins orthodoxes était très faible dans ce domaine. En fait, dans le passé, la prédominance même de leaders juifs réformistes dans cette activité tendait à augmenter le désintérêt, sinon la désaffection des juifs orthodoxes à leur égard.

Il n'y a sans doute eu que peu de rabbins orthodoxes israéliens engagés sur ce front — surtout du fait que l'expérience plus limitée des rabbins israéliens, ainsi que le sentiment du poids de l'histoire tragique du passé, renforçaient leur méfiance envers cette activité.

La participation de personnalités de l'establishment religieux orthodoxe israélien à de nombreuses manifestations interreligieuses représentatives a commencé plus ou moins en même temps que les négociations bilatérales entre le Saint-Siège et 'État d'Israël.

Toutefois, l'idée que le Grand Rabbinat d'Israël créerait une commission permanente pour le dia- logue interreligieux avec le Saint-Siège aurait été considérée, il y a quelques années seulement, comme une fantaisie irréaliste. En effet, lorsqu'à la suite de la visite du Pape Jean-Paul II, la proposition a été sou- mise au Conseil du Grand Rabbinat, la question a soulevé un débat passionné et il y a encore des membres du Conseil qui y sont opposés et qui taxent ses partisans de naïveté. Il n'est pas surprenant de voir que les membres du Conseil du Grand Rabbinat qui font partie de ce comité permanent pour le dia- logue avec la Commission du Saint-Siège pour les relations religieuses avec le judaïsme, sont ceux qui, dans le Conseil, ont un meilleur niveau d'instruction et une expérience plus étendue. Les cinq réunions bilatérales tenues jusqu'à présent ont dépassé toute attente quant au contenu et aux relations personnelles créées en ces occasions, au point que ce cadre est à présent bien établi. En conséquence, l'opposition au processus s'est considérablement réduite, bien qu'on ne puisse nier qu'il règne encore un certain scepticisme dans quelques milieux. Cependant, la commission bilatérale n'est rien moins qu'un événement historique qui représente en outre le fruit remarquable de Nostra Aetate, ainsi que l'engagement personnel et la contribution du Pape Jean-Paul II à sa mise en pratique.

En Israël, l'orthodoxie religieuse ne représente pas la majorité du judaïsme israélien, mais elle exerce une forte influence sur de nombreux aspects de la vie publique et en particulier, évidemment, sur tout ce qui a un rapport direct, et même indirect, avec les sensibilités religieuses. En outre, tandis que le Rabbinat ne représente pas tous les juifs orthodoxes en Israël, sans parler de la société juive en général, il joue un rôle représentatif particulier, et le comité mentionné plus haut a déjà donné son soutien à l'introduction de matériel éducatif dans la société israélienne, qui illustrera le caractère actuel du christianisme et non seulement son nouveau rapport avec le peuple juif. Ce développement a également d'importantes conséquences pour la diaspora. L'ampleur et la détermination accrues de la participation juive au dialogue dans les dernières décennies, en particulier aux États-Unis, émanent naturellement des courants non orthodoxes du judaïsme, non seulement parce que ces derniers représentent quatre-vingt-dix pour cent des juifs aux États-Unis, mais parce qu'ils reflétaient, et reflètent toujours, une plus large ouverture envers un changement d'attitude et de réaction de la part des juifs. En fait, afin de se définir par rapport au judaïsme réformé et conservateur à ce sujet, l'orthodoxie américaine a adopté une directive compliquée, voire même contradictoire, qui est bien connue et qui a été empruntée à un article écrit par le feu rabbin J. B. Soloveitchik. Il s'agit toutefois d'une idiosyncrasie orthodoxe américaine particulière, pro- venant d'une communauté dans laquelle le rabbin Soloveitchik avait joué un rôle inhabituel.

Les leaders orthodoxes du judaïsme européen, par exemple, n'ont en général pas senti le besoin de formuler de telles contraintes. Ou bien on était opposé à tout contact avec les Églises, ou alors, si on y était favorable, il n'y avait aucune raison de craindre le contenu d'éventuelles conversations.

Toutefois, l'engagement même du Grand Rabbinat d'Israël dans un dialogue officiel avec le Saint- Siège représente une sorte de feu vert (ou tout au moins orange) à ceux qui y étaient peut-être intéressés mais étaient indécis, et renforce évidemment la position de ceux qui se trouvaient déjà en avance sur les autres. Pour les communautés juives européennes, guidées en grande majorité par des rabbins orthodoxes et où ces derniers se sont montrés prudents envers un engagement dans un dialogue juif- chrétien, la création de la commission bilatérale pour le dialogue entre le Grand Rabbinat d'Israël et le Saint-Siège revêt une très grande importance.

Mais cette création a été tout aussi importante pour l'orthodoxie aux États-Unis, et bien que celle-ci ne représente qu'une faible minorité parmi les juifs américains, elle exerce- une influence considérable. Malgré la force du judaïsme américain, aux États- Unis, comme dans tout le monde juif, l'orthodoxie suit en général la ligne fixée par le Rabbinat orthodoxe israélien. Cette réalité a inévitablement des effets sur le judaïsme dans le reste du monde égale- ment. En outre, dans la mesure où le Grand Rabbinat israélien exerce une influence sur la politique religieuse et publique en Israël, ses prises de position ont une influence sur 1'ensemble des juifs de la diaspora.

Cette collaboration a même porté des fruits qui sont d'ordre plus pratique. Dans les dernières années, les excellents rapports entre 'Église catholique et les communautés juives dans différentes parties de la diaspora — surtout aux États-Unis — a montré que chaque côté était parvenu à mobiliser l'autre pour intervenir en commun dans des situations qui affectaient l'un ou l'autre, tant au niveau international que local. C'est ainsi que les évêques des États-Unis, par exemple, ont pu s'assurer le concours efficace de dirigeants juifs américains lors de la crise de Nazareth, causée par l'invasion de radicaux musulmans dans l'enceinte de la basilique de l'Annonciation.

Permettez-moi ici une digression pour clarifier quelques questions concernant les causes d'une douleur compréhensible pour bon nombre de catholiques et de juifs soucieux du bien d'Israël et des communautés chrétiennes du pays. Depuis l'établissement de relations diplomatiques entre le Saint-Siège et 'État d'Israël, voici près de douze ans, quelques questions ont été à l'origine de tensions. L'une d'entre elles était la controverse de Nazareth; une autre a été l'échec des négociations entre Israël et le Saint-Siège concernant la loi sur les taxations. Pour certains, ces difficultés étaient dues à de l'animosité. Je puis vous assurer qu'il n'en n'est rien. Je ne veux pas dire par là que le comportement d'Israël est exempt de toute cri- tique, mais lorsque celle-ci est méritée, c'est pour d'autres raisons, comme par exemple une conception déplacée des intérêts politiques internes. Ce sont avant tout les incessantes pressions politiques et militaires auxquelles Israël doit faire face qui ont empêché d'accorder à ces questions et aux besoins des communautés chrétiennes la priorité et la majeure attention qu'elles auraient dû recevoir.

Cependant, les rapports entre le Saint-Siège et le Grand Rabbinat ont offert un moyen supplémentaire et efficace de bien faire comprendre aux autorités israéliennes l'importance de ces questions, et en ce qui concerne la solution de bon nombre d'entre elles, le soutien et l'intervention du Grand Rabbinat ont été un facteur significatif supplémentaire. Une autre conséquence secondaire importante a été, de la part de l'establishment religieux israélien, la croissante familiarité et l'interaction avec les communautés chrétiennes indigènes de Terre Sainte qui sont représentées dans cette commission.

À ce propos, je voudrais mentionner le remarquable développement que représente la création du Centre de Jérusalem pour les relations juives avec les communautés chrétiennes locales. Alors que le rôle exceptionnel joué par les chrétiens dans le mouvement interreligieux en Israël était principalement dû à l'action des expatriés, on a très peu souligné le travail des communautés chrétiennes indigènes. Cette nouvelle initiative a précisément pour but d'améliorer leur situation et de cultiver les relations entre ces communautés chrétiennes et la majorité de la société israélienne.

Un autre développement significatif de notre temps est la création officielle d'un Conseil des institutions religieuses en Terre Sainte, avec la participation du Grand Rabbinat d'Israël et du Patriarcat latin, des Cours Shaaria palestiniennes ainsi que d'autres Patriarches et Évêques chrétiens. On espère qu'à l'avenir cet organisme jouera un rôle important dans la communication et la réconciliation.

Les événements de Terre sainte se répercutent sans aucun doute sur les relations chrétiennes-juives partout dans le monde et, chose très importante à ce sujet, il est urgent qu'une solution pacifique du conflit israélo-palestinien soit trouvée, pour éviter qu'Israël doive se protéger contre la violence avec des murailles et des barrages routiers qui rendent la vie si difficile aux Palestiniens — et aux chrétiens qui vivent parmi eux. Je crois que les excellentes relations entre les communautés catholiques et juives, de même qu'entre le Saint-Siège et 'État et les autorités religieuses d'Israël, nous offrent des occasions d'intensifier la coopération dans tous ces domaines.

En fait, la coopération d'ordre pratique est devenue une nouvelle caractéristique des efforts du Comité international de liaison juif-catholique pour travailler ensemble et soutenir des initiatives philanthropiques et sociales. Le Cardinal Kasper a qualifié cette coopération de dialogue en action commune. J'ajouterais toutefois que pour qu'une action commune ne soit pas simplement le fruit d'une vision pluraliste du monde et des valeurs éthiques que nous partageons avec de nombreuses autres communautés de foi, elle doit être étayée par ce que son prédécesseur, le Cardinal Edward Cassidy, appelait une théologie de partenariat, issue de la conviction que nos rapports bilatéraux ont un caractère exceptionnel et non pas seulement historique.
Les quarante années écoulées depuis la promulgation de Nostra Aetate, ont vu l'Église engagée dans un remarquable examen spirituel et la redécouverte du caractère unique de son rapport avec le judaïsme et le peuple juif, celui-ci ayant lui-même entrepris une réévaluation de ce rapport. À cet égard, la déclaration « Dabru Emet » (dire la vérité) de 2001, sous-crite par des centaines de rabbins (encore que provenant principalement des courants libéraux du judaïsme), a certainement représenté un développe- ment notable. Cette affirmation d'une réévaluation religieuse du christianisme par les juifs a été chaleureusement accueillie par de nombreux responsables catholiques. Ses effets étaient incontestablement dus, dans une grande mesure, à sa large diffusion et à une publicité adéquate. Toutefois, à bien des égards, sa portée a été inférieure à celle, par exemple, de la composante juive du document de 1993 du Conseil international chrétien-juif sur les raisons en faveur d'une coopération entre chrétiens et juifs. Cependant, ce dernier document est loin d'avoir eu la même résonance, si bien qu'il n'a pas obtenu les mêmes résultats. En fait, quelques initiatives juives marquantes à ce sujet ont eu lieu dans les dernières années, et nous sommes témoins aujourd'hui, dans les milieux juifs, d'un effort croissant visant à discerner le sens pro- fond de nos rapports et ce que cela exige de nous, tant séparément qu'en commun.

En outre, nous ne devrions pas oublier les remarquables exemples d'une telle théologie positive du christianisme que l'on trouve dans la pensée juive pré moderne. L'éminent rabbin et commentateur juif du XVII° siècle, Moses Rivkes, avait observé, bien avant le commentaire de Martin Buber selon lequel juifs et chrétiens « ont un livre en commun — et ce n'est pas peu de choses! », que les juifs sont tout spécialement tenus de respecter les chrétiens, parce que ceux-ci partagent la foi dans l'Unique Créateur de l'univers et dans la Parole qu'il a révélée au Sinaï. Et le rabbin Jacob Emden qui a précédé Franz Rosenzweig de plusieurs générations, emploie le langage de la Mishnah pour décrire le christianisme comme « une assemblée pour le bien du paradis, qui a une valeur éternelle ». D'ailleurs, le terme hébreu pour « assemblée » est le même que pour «Église », et ainsi, Emden dit que l'Église a une validité et un but permanents! Aujourd'hui, il y a également des penseurs juifs qui déclarent, comme 1'a fait le Pape Benoît XVI, que nos deux héritages sont deux expositions d'un texte commun, rendues fondamentalement distinctes par nos expériences religieuses différentes. Non moins important est le fait, mis en évidence par plusieurs spécialistes juifs, que le devoir principal des juifs, qui est de sanctifier le Nom de Dieu dans nos vies et dans notre conduite, nous donne une responsabilité spéciale précisément envers ceux qui affirment ces valeurs et la source de celles-ci comme étant les leurs.

Ce processus de découverte et d'approfondissement de la nature et de la signification de nos rapports, est le fruit exemplaire de la transformation historique accomplie par Nostra Aetate, qui nous exhorte à travailler ensemble pour le progrès du monde tout entier.

Ainsi que 1'a dit le regretté Pape Jean-Paul II avec ces paroles aujourd'hui célèbres:
« En tant que fils d'Abraham, nous sommes appelés, chrétiens et juifs, à être une bénédiction pour le monde. Pour cela, nous devons avant tout être une bénédiction les uns pour les autres ».
Pour conclure, permettez-moi de synthétiser une bénédiction juive traditionnelle prononcée dans les plus grandes occasions, pour remercier le Dieu Unique, Créateur et Seigneur de l'univers, qui nous a préservés dans la vie pour parvenir à cette journée, pour lui rendre grâce de Son Esprit manifesté dans cette transformation historique que nous célébrons ce soir.

* Traduction non officielle du Service d'Information - Conseil Pontifical pour la Promotion de l'Unité des Chrétiens, 119/3 (2005)

 

 

Home | Who we are | What we do | Resources | Join us | News | Contact us | Site map

Copyright Sisters of Our Lady of Sion - General House, Rome - 2011