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Quinzième anniversaire de Nostra Aetate
Cardinal Giovanni Willebrands
Le 25 octobre 1980, SIDIC a commémoré le 15e anniversaire de la promulgation de la Déclaration e Nostre Aetate » par le Concile Vatican II. Nous reproduisons ici l'allocution prononcée en italien par le Cardinal Giovanni Willebrands, à cette occasion
Commémoration ou Anamnèse
La célébration d'un anniversaire, d'un événement religieux, n'est pas seulement une • commémoration •, au sens ordinaire et habituel du mot. Nous nous trouvons réunis ici ce soir, à l'invitation du SIDIC de Rome, pour le 1$e anniversaire de la promulgation solennelle par le Concile Vatican II de la Déclaration • Nostra astate. sur les rapports de l'Eglise avec les religions non-chrétiennes. La section la plus élaborée, la plus riche en contenu, la plus marquante par son importance théologique dans l'ensemble du texte de /a Déclaration, est certainement celle qui a trait aux rapports avec le judaïsme. Nous ne voulons pas seulement la rappeler comme un événement historique et réaffirmer qu'elle a existé à un moment du passé. • Commémorer», au sens véritable du mot, va bien au-delà. Il signifie, au sens théologique et liturgique de l'anamnèse, faire revivre dans le présent le fait qu'on commémore et projeter son existence dans le futur. Ainsi, à chaque commémoration, cet évènement acquiert de nouvelles dimensions, il continue à exister dans le présent, enrichi de l'expérience des années passées, et il révèle des potentialités cachées, mais efficaces pour le futur. La mémoire, ainsi, n'est pas limitée au passé, mais elle doit informer le présent et engager l'avenir.
L'oeuvre de l'Esprit Saint
Si nous la regardons à cette lumière, comment la Déclaration • Nostra aetate •, paragraphe 4, nous apparaît-elle, quinze ans après sa promulgation? Il faut dire tout d'abord qu'elle ne se présente pas comme un simple texte, efficace et significatif, si vous le voulez, mais un parmi tant de documents publiés par des autorités ecclésiastiques diverses, que ce soit jadis ou tout récemment. Un texte conciliaire n'est pas, pour les chrétiens catholiques, (comme d'ailleurs pour bien d'autres chrétiens) un simple texte. Il est, en quelque manière, l'oeuvre du Saint Esprit. Il a donc une virtualité propre qui le rend vivant et agissant dans l'Eglise. Point n'est besoin que ce soit un texte • parfait •. De textes « parfaits », il y en a bien peu dans l'histoire de l'Eglise. Mais cette virtualité qui est en lui fait que son approfondissement constant et le reflux sur lui de nouvelles situations historiques nous aident à lire d'une manière nouvelle, et cependant en continuité avec leur sens fondamental, les documents que nous commémorons.
Comment ne pas rappeler aussi, en un tel moment, la figure de celui que j'ai vénéré et aimé comme un maitre et comme un père, le Cardinal Béa, qui a su convaincre les Pères conciliaires et, par le Concile, toute l'Eglise, des liens spirituels qui unissent les chrétiens aux juifs. Le Cardinal Béa a parlé de ces rapports judéo-chrétiens avec patience et sagesse, mais aussi avec un amour enraciné dans la foi et approfondi par ses études bibliques, enseignant et suscitant une compréhension nouvelle, plus profonde, de l'identité et des valeurs religieuses du peuple juif.
Depuis Vatican II Les documents
Le e paragraphe de • Nostra aetate » se présente, en ce jour où nous le commémorons, comme singulièrement enrichi par l'expérience des dernières années. Nous le lisons aujourd'hui à la lumière des • Orientations et suggestions • pour son application, parues au début de 1975. Dans ce texte, volontairement simple et général, texte • cadre • comme on dit en français, se trouvent précisément suggérés aux catholiques les modes d'application de •Niera aetate • dans les divers contextes de la vie pastorale de l'Eglise: liturgie, éducation, action en faveur de l'homme. Le texte conciliaire s'insère ainsi dans la réalité concrète de ces secteurs où passe la vie de l'Eglise, et il en est, du fait même, rénové et actualisé.
On pourrait et même on devrait en dire autant des commentaires de ce texte ou des références qui y ont été faites cette année soit par le Pape soit par les divers épiscopats. Si ce texte les inspire, les oriente, leur est un point de départ, de tels commentaires ou références, à leur tour, influent sur ce texte et nous permettent d'en faire une • relecture ». Ce n'est pas le lieu ici d'énumérer tous ces documents, rapportés par ailleurs en deux ou trois importants recueils, mais il est tout de même utile de mentionner quelques-uns d'entre eux, textes de valeur en tant qu'interprétations et actualisations de •Nostra aetate ». Parmi les documents pontificaux, rappelons le discours de Paul VI à la 5e réunion du Comité international de Liaison entre l'Eglise catholique et le judaïsme, le 10 janvier 1975, et celui de Jean Paul /I aux représentants du judaïsme mondial, le 12 mars de l'an dernier. A ces deux textes, il faudrait encore ajouter les discours du Saint Père aux communautés juives des divers pays qu'il vient de visiter, tels le Mexique, les Etats-Unis, la France, le Brésil. Parmi les textes émanant des Conférences épiscopales, nous connaissons tous ceux des évêques d'Amérique, de France, d'Allemagne, de la Conférence des évêques latino-américains réunis à Puebla au Mexique, des synodes de l'Archidiocèse de Santiago du Chili etc...
Dans la vie
Mais il ne s'agit pas seulement de textes. La vie elle-méme, c'est-à-dire le progrès du dialogue avec le judaïsme souhaité par le Concile, insère les documents écrits dans le contexte de la réalité vécue, réalité qu'on ne peut ignorer au cours d'une Commémoration comme celle d'aujourd'hui, En ce domaine aussi, le dialogue avec le judaïsme se développe un peu partout et à tous les niveaux, et il est impossible de mentionner tout ce qui se fait. Nous nous contenterons de citer, pour l'instant, la série des rencontres annuelles du Comité International de Liaison entre le Saint Siège et le Judaïsme mondial, inaugurées en 1971, dont la dernière s'est déroulée en octobre dernier à Regensburg, en Bavière. Ce même Comité s'était réuni aussi à Rome et à Jérusalem (1978), à Tolède et Madrid (1978), lieux qui, tous, sont significatifs pour notre histoire commune, en ses heures lumineuses ou obscures. Inutile de dire que ces rencontres ne sont pas des travaux académiques, purement théoriques. On y étudie, au contraire, des questions qui touchent l'identité, des uns et des autres et qui nous ont divisés pendant près de deux mille ans, comme par exemple la question si complexe de la mission universelle de l'Eglise et ce qui la distingue d'un prosélytisme ne respectant ni la dignité ni la liberté de l'homme. Lors de telles rencontres, un certain temps est toujours consacré à un échange sur les problèmes et les difficultés qui se rencontrent encore ou qui reviennent sans cesse dans nos relations mutuelles. Mais il nous faut souligner encore que de telles rencontres, au niveau international, ne sont qu'un aspect ou un élément, même s'il est le plus visible, d'un large réseau de rencontres, réunions, dialogues, échanges de toutes sortes qui se multiplient sous toutes les latitudes et dont il est désormais impossible de suivre la trace. Même ici, en Italie et a Rome, grâce à SIDIC qui nous accueille aujourd'hui et grâce a d'autres initiatives, les deux communautés se rencontrent, se parlent et commencent à entrer en dialogue; dialogue ayant des particularités et des exigences propres qui ne manquent pas de se refléter, comme nous l'avons dit, sur les textes eux-mêmes. Un fait surtout ne peut être ignoré, c'est que les juifs d'Italie, et particulièrement ceux de Rome, ont toujours été et sont restés les plus proches du Siège Apostolique, ce qui donne, sans aucun doute, un caractère tout spécial à ces relations.
Quelques pestes concrets
Dans le tissu de cette vie qui se développe et se répand comme un fleuve, tel celui décrit dans l'avant-dernier chapitre du livre d'Ezéchiel (cf. Ez. 47,1-121, qui guérit et purifie les terres qu'il traverse, certains actes prennent, pour notre commémoration, une valeur toute particulière. Nous pensons ici par exemple, à certains actes venus du côté catholique, et même du Saint Siège, comme la création par Paul VI de la commission pour les Rapports religieux avec le Judaïsme qui, pour la date, coïncide presque avec le ge anniversaire de • Nostra aetate • (22 octobre 1974). Un acte de ce genre a certainement une importance non seulement pratique mais surtout théologique et pastorale; nous n'en avons cependant pas encore tiré toutes les virtualités. Du côté juif aussi, on peut signaler des actes de ce genre. Les catholiques ne pourront oublier de sitôt les sentiments de fraternité et les condoléances pleines de compréhension qui leur ont été exprimés, de la part des juifs précisément, en automne 1978, à l'occasion de la mort et de l'élection de deux Papes dans le bref espace de deux mois. Les témoignages écrits de cette fraternité et de ces condoléances remplissent plusieurs pages de l'organe officiel du Saint Siège, les • Acta Apostolicae Sedis •, et de notre Service d'information. Mais ce qui a été exprimé par écrit n'est qu'un reflet de ces relations vraiment fraternelles et cordiales qui, è leur tour, créent un précédent et indiquent, pour nous catholiques, une route à suivre. Mais de tous les actes de ce genre, posés par les uns comme par les autres, il est bien impossible, comme nous l'avons déjà dit plus haut, de suivre la trace.
Quelques pistes importantes de réflexion
Si nous considérons, maintenant dans ce contexte le paragraphe 4 de • Nostra astate », quels sont les éléments qui apparaissent comme plus importants, plus actuels, plus urgents pour un approfondissement de la réflexion ou pour une actualisation plus résolue? Dans les limites de cette intervention, je voudrais attirer votre attention sur quelques éléments qui se présentent comme spontanément â mon esprit.
Racines juives du christianisme
Ce qui, d'abord, a ôté mis davantage en lumière, c'est l'affirmation initiale du paragraphe 4, crû il est dit que l'Eglise • en scrutant son propre mystère • découvre les liens qui l'unissent à la lignée d'Abraham. Ce qui signifie que les rapports entre l'Eglise catholique et le judaïsme ne sont Pas, pour ainsi dire, extrinsèques ou surajoutés à la réalité de l'Eglise même, mais qu'ils découlent au contraire naturellement de la conscience que l'Eglise a d'elle-même. Celle-ci, en effet, s'enracine dans le judaïsme, non seulement vétérotestamentaire mais aussi intertestamentaire, celui qui a été à la souche du judaïsme rabbinique, dont le judaïsme contemporain, dignement représenté ici, se présente comme l'héritier. Eh bien, ce principe théologique, fondamental pour le dialogue et pour les relations mutuelles, a été mie plus clairement en lumière, de part et d'autre, dans les documents comme dans les faits de ces quinze dernières années, Pour ne citer qu'un seul texte, je voudrais me référer à l'expression employée par le Saint Père Jean Paul II dans son discours du 12 mars 1979 aux représentants de la communauté juive. Il disait que les deux religions « sont liées au niveau même de leur identité religieuse », affirmation capitale qui a encore besoin d'être approfondie. Du point de vue pastoral, c'est-à-dire celui du ministère habituel de l'Eglise catholique, cela signifie qu'il est pour elle comme un impératif, lié à sa réalité propre, d'ètre en rapport avec le judaïsme et avec les juifs.
Foi chrétienne et antisémitisme
De mème, on a perçu, de façon plus claire que jamais, l'incompatibilité de toute forme d'antisémitisme ou de discrimination, qu'elle soit violente ou dissimulée, avec les exigences de la foi et de l'éthique chrétiennes. On pourrait dire que, pour un chrétien, être antisémite est, selon la formule scolastique, une contradiction « in adiecto », expression qui peut se traduire ainsi: c'est en même temps nier ce qu'on affirme. II peut arriver que dans un conflit où sont impliqués chrétiens et juifs l'élément religieux vienne envenimer le sentiment d'opposition, alors qu'au contraire il devrait, sur le plan humain, faciliter l'entente, le rapprochement.
Je voudrais rappeler que Pie XI, il y a environ 50 ans, le 6 septembre 1938, affirmait un groupe de pélerins belges que nous, chrétiens, sommes « spirituellement des sémites •. Cette affirmation de principe n'a pas perdu de sa valeur. Au contraire, l'expérience des quinze dernières années ne l'a rendue que plus solide et plus vraie. Paradoxalement, les tentatives de justifier idéologiquement l'antisémitisme ne font que mettre davantage en lumière cette affirmation, parce qu'elles provoquent, entre autres, la réaction des responsables de l'Eglise, comme on a pu le voir à l'occasion des récents événements de Paris, événements que je voudrais de nouveau condamner ici de façon absolue. Mais il ne suffit pas de réagir. Il s'agit d'un patient travail de formation et d'éducation, qui commence avec la catéchèse, se poursuit par l'enseignement religieux et dont le lieu privilégié est l'homélie de la célébration liturgique dominicale. C'est un chemin long et difficile à parcourir, où l'on se heurte non seulement aux préjugés, mais aussi à des problèmes de théologie et d'exégèse, à la fois nouveaux et anciens, et dont la solution n'est pas toujours facile. Nous savons qu'en bien des parties du monde, la communauté juive cherche aussi les moyens de présenter le christianisme sous un jour plus objectif et qui réponde à la réalité profonde de la foi. Nous apprécions de tels efforts, nous en suivons les développement avec intérêt et nous nous réjouissons vivement des résultats déjà obtenus.
Respecter l'identité propre
Ces dernières années nous ont fait redécouvrir, avec plus de force, l'importance, pour la conscience juive, de certaines données ou de certains événements qui concourent à la définir dans son identité propre. Il en est un d'une importance toute particulière, l'expérience terrible de la persécution et du massacre pendant l'époque du nazisme, ce qu'on appelle ordinairement « l'Holocauste C'est, en quelque manière, Ét partir de cette expérience que le judaïsme contemporain se définit et qu'il cherche à trouver la cause, certainement psychologique, mais aussi théologique, de son besoin vital de sécurité et de garantie de survie. Cela explique, du moins en partie, l'interférence continuelle entre les facteurs religieux et politiques (ces derniers au niveau national ou d'un Etat), réalité si typique du judaïsme actuel. Les chrétiens, de leur côté, s'efforcent de comprendre cette approche particulière, cherchant toutefois à distinguer entre ce qui, selon notre tradition, concerne les valeurs religieuses et ce qui, relevant de la politique, a la valeur de requêtes légitimes, sujettes constamment aux contingences de l'existence.
Témoigner ensemble, chemin d'avenir
Il me semble, en outre, que l'expérience de ces dernières années nous a amenés à mieux mesurer l'urgence et l'importance actuelle de témoigner, dans le monde contemporain, de la foi monothéiste et du comportement qu'elle exige; c'est-a-dire de proclamer un Dieu Père et Providence pour tous les hommes, qui les rend frères entre eux et fils de Dieu, jouissant tous d'une même dignité inviolable qui s'étend aussi à la communauté fondamentale d'où naît la vie humaine. Il me faut mentionner ici, entre autres, la famille à laquelle s'est longuement intéressée l'Assemblée Générale du Synode des évêques qui vient à peine de se terminer. Tant de valeurs communes nous lient, en ce domaine, au judaïsme. C'est dans ce contexte qu'il faut situer les valeurs de justice et de paix dont on parle tant actuellement mais qui, pour être vraiment respectées et fécondes, doivent retrouver leur inspiration originelle, c'est-à-dire la révélation faite aux Pares et, selon notre foi chrétienne, menée à terme par Jésus. Juifs et chrétiens, au nom même de leurs traditions respectives, peuvent et doivent collaborer pour le bien de tous ou, plus exactement, pour le bien de l'homme créé, selon notre foi commune, à l'image de Dieu (cf. Gen. 1,28).
Ainsi notre .commémoration., actualisant le passé, nous aide à interpréter le présent et nous indique le chemin à suivre pour l'avenir, un avenir menacé mais chargé d'espérance.
Que le Seigneur nous donne à tous, juifs et chrétiens ensemble, d'être à la hauteur de cet appel qui nous est réitéré et auquel l'anniversaire de ce jour nous invite à répondre.
Rome, Palais de la Chancellerie,
le 25 octobre 1980