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La question prophétique à l'époque de la destruction du second temple - Crise et mutation
Daniel Ben Rafael Stawsky
Vouloir faire une étude approfondie du phénomène prophétique au moment de la naissance du christianisme et de la chute du Second Temple (désastre qui entraina, en même temps que l'exil et la dispersion du peuple d'Israël, des mutations importantes pour le monde oriental et occidental en formation, et pour le peuple théophore dont le périple prit des formes nouvelles), cela exige inévitablement que nous réexaminions les racines d'un tel 'phénomène.
C'est seulement en relisant les textes prophétiques eux-mêmes, à la lumière des développements talmudiques qui éclairent le contexte historique, qu'il est possible d'arriver à une compréhension vitale de ces textes.
PROPHETE ET PROPHETIE
Qu'est-ce qu'un prophète? C'est la question à laquelle il nous faut répondre, à partir de l'étymologie avant tout. Le mot hébreu original qui le désigne est celui de nabi, correspondant au passif singulier de l'infinitif lavo (venir) et signifiant « être amené », « être apporté »2- La prophétie, nevuah en hébreu, serait donc un avènement. Celui qui est « attiré », « apporté », l'est pour ses frères, afin de leur porter la parole d'Adonaï et d'exiger d'eux le retour à la Loi, à la justice et à l'unité, ou pour leur apporter des signes de destruction ou de rédemption qui sont fonction du comportement humain face au Plan divin, et pour les porter aussi à la Parole d'Adonaï.
La prophétie est proximité avec Dieu
Cependant, avant d'être « porté » vers ses frères, le prophète a été reporté» à la Parole divine, à la proximité spirituelle avec YAWH, sans laquelle la prophétie ne peut exister. Sous sa forme classique, le prophète est le lien entre deux forces vitales: entre le Créateur (vers Lequel il est « venu» pour accueillir sa Parole et l'accomplir) et les créatures (vers lesquelles il «vient » et à QUI il apporte cette Parole). Nous trouvons un exemple de ce lien en Abraham, le premier prophète de la Bible, dont il est dit:
...parce qu'il est «porté » (prophète), il priera !pour toi et tu vivras (Gn 21/1,7).2
Cet exemple montre bien en quoi le prophète (porté) diffère des autres prophètes: c'est par sa proximité avec VHWH. On a la preuve que la prophétie se « mesure » au degré de proximité du prophète avec VHWH, son Créateur, dans l'affirmation que Moïse, qui a transmis la révélation de la Loi au Mont Sinaï est s le père de tous les prophètes»:
Il ne s'est pas levé en Israël de prophète (porté) pareil à Moïse, lui que YHWH connaissait face à face (Dt 34,10).
Lorsqu'il décrit la prophétie des temps futurs en Israël, le texte biblique dit:
YHWH. ton Elohim, suscitera de ton sein un prophète (porté) parmi tes frères, comme moi. Entendez-le...
Je susciterai pour eux un prophète (porté) parmi leurs frères, semblable à toi. Je donnerai ma Parole en sa bouche; il leur dira tout ce que p lui prescrirai (Dt 18,15.18).
Là, le lien entre les deux puissances. Créateur-créatures, se renforce et devient essentiel à la prophétie; mais la manière d'être « porté » à la Parole et de la « porter » diffère dans le cas de chaque prophète, Comment est-il possible de « mesurer » ou de comparer les prophéties, leurs différents niveaux et caractères (inspiration, contemplation, visions, songes, transes etc...)? Disons-le de nouveau: seulement en fonction de la proximité du prophète (porté) avec la Source du contact prophétique, VHWH. qui fixe les différences:
Il dit: a Entendez donc mes paroles: moi. VHWH, je me ferai connaitra à lui dans une vision, je parlerai en lui dans un rêve. Il n'en est pas ainsi de mon serviteur Moïse. lui, le plus fidèle de toute ma maison. Je lui parle de bouche à bouche, par vision, non par énigme. Il voit l'image de YHWH...» (Nb 12,6-8).
Du fait de cette proximité avec Dieu, qui le différencie des autres prophètes de l'époque des ter et 2e Temples, qui portèrent la Parole divine au peuple, Moïse put libérer le peuple, le porter de l'esclavage d'Egypte au seuil de la Terre promise, conclure une Alliance éternelle entre VHWH et le peuple; il reçut aussi la révélation de la Torah, le Plan cosmique de Dieu Créateur, qu'il transmit et enseigna au peuple après être descendu du Sinaï.
Moïse représente la proximité prophétique la plus totale avec la Source, ce qui le rend éternellement proche de la conscience de son peuple. Face à lui, au contraire, se dressent les faux prophètes qui portent au peuple des messages divins erronés, lui faisant perdre le contact et la proximité qu'il a avec Lui, ce qui éloigne finalement ces prophètes de la conscience du peuple et les fait tomber dans l'oubli.
La prophétie dépend des situations historiques
La prophétie n'est ni une profession. ni une liturgie; elle se différencie nettement du sacerdoce et, bien souvent au cours de l'histoire, les deux pouvoirs se sont même opposés. La prophétie classique de la période du ter Temple, telle qu'elle se présente à nous dans les Ecritures, apparaît comme se manifestant toujours en temps de crise éthico-nationale; elle comporte des appels à la conversion et des invectives visant à amener les interlocuteurs aux changements qu'exige la Révélation divine. De ce fait, la prophétie est toujours dépendante des situations historiques objectives qui s'insèrent, elles, dans le déroulement de l'Histoire divine, c'est-à-dire dans le Plan de rédemption et de retour de la création à son Créateur. Lorsque cette marche régresse ou que, au contraire, son rythme s'accélère, se produisent des périodes de crise: le Seigneur transmet alors son message à des prophètes « portés» vers sa Parole, et ceux-ci sont ensuite portés vers Son peuple comme porteurs de la Parole divine.
Ce phénomène variera, cependant, en fonction du contexte objectif dans lequel se trouvera le peuple théophore. Avec la chute du Second Temple et la dispersion d'Israël, une mutation se fait jour qui, finalement, interrompra pour 2.000 ans le phénomène de la prophétie individuelle pour laisser place à la prophétie collective, qui n'est pas moins importante.
LA PROPHETIE PASSE AUX SAGES D'ISRAEL
Moise lui dit: « Es-tu jaloux à cause de moi? Puisse tout le peuple de YHWH être prophète! Puisse YHWH donner sur eux son souffle!» (Nb 11,29)
A la suite de la destruction du Second Temple par les Romains, la prophétie telle que nous l'avons présentée plus haut cesse et fait place à une mutation collective. La lumière divine, tout comme la Parole, ne se manifeste plus alors, de manière individuelle et verticale, à l'un des fils du peuple appelé à la transmettre aux autres peuples; elle va accompagner désormais la nation d'Israël dispersée dans les divers lieux de son exil, en une sorte d'inspiration collective, dont la tradition consciente va être la tàche des grands sages et des grands maîtres d'Israël.
Au moment où disparaît le Temple, point de contact essentiel entre la maison d'Israël et le Créateur, et où le peuple perd sa souveraineté physique et spirituelle, l'envoi de prophètes individuels pour remettre le peuple sur le chemin de la rectification, et éviter ainsi la catastrophe, n'a plus sa raison d'être: ce qui importe alors, selon le processus descendant-ascendant du Plan de Dieu pour son peuple, c'est le passage à l'inspiration collective des sages d'Israël. Ce transfert doitpréparer le peuple à sa tâche de dispersion, puis de regroupement et de rassemblement, processus comparable à des semailles au grand vent suivies de la récolte, et qui s'étendra sur près de 2,000 ans, jusqu'au retour d'Israël sur sa terre.
Relation entre la prophétie et le Temple
La prophétie telle qu'on la connaissait auparavant, lorsque le peuple d'Israël se trouvait rassemblé et maintenait sa souveraineté nationale et spirituelle, ne reparaît en fait que lorsque celui-ci retrouve son contexte geographico-national 1 ainsi que les activités du Temple. Ce dernier facteur est fondamental pour comprendre la relation qui existe entre YHWH et son peuple, entre l'Esprit Saint (Ruah haKodesh)4 et la maison d'Israël, le Temple étant l'organe actif et dynamique de ces contacts. Les sages du Talmud ont eu conscience du changement vital qui se produisait dans le contact du peuple avec YHWH. Il disent en effet:
Le livre des Lamentations, qui pleure la destruction de Jérusalem et du Temple, dit que la cité est devenue « comme une veuve »; et Rabbi Yehudah commente ainsi: « Comme une veuve, mais non comme une veuve réelle... Elle est comme une femme dont le mari est parti en voyage dans un pays lointain, mais qui reviendra tôt ou tard vers elle » (cf. Taanith 20a).
Ainsi, au moment où se rompt l'instrument de contact avec le Créateur et où le peuple part en exit, le Créateur lui aussi « part en exil ». La manifestation extérieure de la prophétie va changer, en fonction de l'état où se trouve celui qui en est le dépositaire: Israël n'est pas le même selon qu'il est sur sa terre ou loin d'elle (il n'y a pas de prophétie en dehors d'elle, à quelques exceptions près), et selon que le Temple est encore debout à Jérusalem ou que cet Instrument divin se trouve détruit:
Rabbi Abdimi de Haïfa a dit: « Depuis le jour où le Temple a été détruit, l'inspiration divine a été reprise aux prophètes et donnée aux sages». Est-ce à dire qu'un sage ne peut pas être prophète? — Ce qu'il voulait dire, c'est que l'inspiration divine, même si elle a été retirée aux prophètes, n'a pas été retirée aux sages.
Amemar a dit: « Un sage est même supérieur à un prophète, comme il est dit: Et un prophète a un coeur de sage (Ps 90.12) ». Oui est comparé à qui? N'est-ce pas le plus petit qu'on compare au plus grand?
Abaye a dit: « La preuve (que la prophétie n'a pas été retirée aux sages) est qu'un grand homme donne une interprétation qui se trouve avoir déjà été énoncée au nom d'un autre grand homme ».
Et Rabba a dit: « Qu'y a-t-il là d'extraordinaire? Peut-être étaient-ils nés tous les deux sous la même étoile...
Rabbi Vohanan a dit: « Depuis la destruction du Temple, l'inspiration divine a été retirée aux prophètes et a été donnée aux fous et aux enfants » (Baba Bathra 12a).
Les sages et la transmission de la prophétie
Affirmer qu'« un sage vaut mieux qu'un prophète » individuel, dans la nouvelle situation historique où se trouve le peuple, implique un changement de « tacfique » lié au changement de situation objective du peuple théophore par rapport à sa terre, à lui-même et à son Créateur. Les sages de Yavneh, conscients de ce fait, adoptent la transmission ordonnée et « décodifiée » de la Loi, pour ne pas perdre cette dernière et pour regrouper les cellules perdues et dispersées du corps, arraché maintenant à la Judée. Ils adoptent en cela une stratégie diverse de celle adoptée avant la chute (et ayant échoué lamentablement), qui consistait à amplifier la voix du Seigneur afin de prévenir la désagrégation de ces cellules du fait de leur éloignement de la Loi.
La prophétie se continue donc ainsi, après la destruction du Temple et la catastrophe, mais elle change de modalité lorsque la situation théologique du peuple théophore se modifie dans sa relation à lui-même et au Créateur. La prophétie ne se « termine » donc pas avec Zacharie et Michée. au moment de la chute du Temple, mais elle devient différente, l'attitude psychologique du peuple changeant devant la direction nouvelle que prend son périple.
Si la prophétie change, se manifestant sous des formes nouvelles et étant transmise aux sages de Vavneh, (ce qui représente un changement vital dans la réception et la transmission de la prophétiel, les prophètes individuels eux-mèmes se « convertissent » en sages et se mettent à transmettre la Loi, adaptant leur activité prophétique à la situation nouvelle:
Moïse a reçu la Torah du Sinaï
et l'a transmise à Josué,
et Josué aux Anciens,
et les Anciens aux prophètes,
et les prophètes l'ont transmise
aux hommes de la Grande Assemblée (Avot 1,1).
La Loi (Torah) a été transmise par la bouche de Aggée, Zacharie et Malachie, les premiers à avoir transmis la Loi orale (Hullin 137b)5
Le changement stratégique dans la transmission de la Loi divine, cette transmission passant d'une « prophétie verticale » (individuelle et liée au Temple) à une «prophétie horizontale » (collective, méta-géographique et populaire) amène alors le peuple d'Israel à se réfugier dans la Loi, dans «les quatre murs de l'interprétation de la Loi ». Il n'a désormais plus de Temple, la convergence géographico-nationale n'existe plus, l'Esprit Saint s'est exilé loin de lui, il n'a plus de contact « direct» individuel ou de prophétie verticale:
Nos maîtres ont enseigné: « Depuis que sont morts les prophètes (du Second Temple), Aggée, Zacharie et Malachie, l'esprit prophétique s'est retiré d'Israel, mais on n'en a pas moins eu recours à un écho de la voix céleste ».
Plusieurs maîtres étaient, un jour, réunis à l'étage supérieur de la maison de Gouda, à Jéricho, et ils perçurent comme un écho de la voix céleste disant: « Il s'en trouve un, ici, qui est digne que la Présence divine repose sur lui comme sur Moise, notre maître, mais c'est N génération présente qui ne le mérite pas» (faute de Temple et de contact du peuple d'Israël avec celui-ci, qui lui permette de recevoir activement un tel enseignement! (Sanhedrin Ila).
Mais pourquoi l'existence du Temple de YHWH est-elle essentielle au contact dynamique et actif du peuple avec « l'Esprit de Sainteté »? Quelle relation peut-il y avoir entre le fonctionnement du Temple et le phénomène prophétique?
LA PROPHETIE COLLECTIVE, PRATIQUE ET DYNAMIQUE
Si la création d'un microorganisme national dans le corps organique de l'humanité ré-pond à des lois internes établies par le Créateur même du corps, il est nécessaire d'étudier cette « Constitution cosmo-biologique ».8 On accédera ainsi à la connaissance des inter-relations historiques visibles entre ce microorganisme et le système organique général, et entre ces deux derniers et Celui qui les a mis en relations: en d'autres mots, il est nécessaire de faire une étude objective des lois qui régissent la dynamique des- relations entre le peuple d'Israël. l'humanité et YHWH, dans leurs divers développements et selon les époques.
Le système énergétique hé au Temple
Dans cette Constitution objective, cosmobiologigue, que représente la Torah, les relations Créateur-création-créatures tiennent une place prépondérante du fait que, dans le processus de communication et de rédemption, la connaissance active se concentre dans les lois du Temple et dans son fonctionnement. Il est donc nécessaire, de nos jours, de revivifier l'étude approfondie du système énergétique du Temple et de son -influence sur la communication humano-divine. La Bible et les textes ésotériques ne sont pas seuls à souligner constamment l'importance de ce système: le Talmud lui-même s'élabore à partir de la reconnaissance de ce fait. Les sages de Vavneh présentent le Temple, non comme un objet de culte ou un facteur d'union nationale, mais comme le réceptacle et l'instrument de l'Energie de YHWH; celui qui permet de communiquer avec la Lumière cosmique et le Centre d'irradiation, et de mettre le Seigneur en contact avec son peuple et, grâce au rôle rempli par ce dernier dans le Temple, avec toute l'humanité.
-La sagesse (ou science) du Temple qui harmonisait les relations humaines et les relations entre l'humain et le Divin, comportait aussi la connaissance du « Nom ineffable» 7 que les prêtres initiés apprenaient à prononcer et à méditer; elle impliquait aussi la « connaissance d'Adonaï». L'a Unité du Nom ineffable du Seigneur » (discipline étudiée au Temple) comporte une communion consciente de l'homme avec r« Unité divine». Con-naître le Nom, c'est connaître le Seigneur.
La révélation incessante de l'Unité divine, et la communion avec elle et en elle, est le degré le plus élevé de la prophétie, (car toute prophétie tend à la révélation et à la conscience lumineuse de la révélation, -non seulement celle de la Parole de YHWH, mais aussi celle de son Unité et de notre communion avec Elle), une prophétie qui cesse d'être seulement un phénomène individuel pour devenir alors un héritage national collectif et une aspiration universelle à la vie. Lorsque fonctionnait le Temple, le peuple d'Israël revivait» et « accomplissait » la prophétie dans un contact vital avec le Créateur et avec ses Lois.
Le choc de la destruction du Temple
Avec la destruction du Temple, ce contact cesse et la sagesse (la science) du Nom prend fin, le Nom ineffable « s'exile» loin du peuple d'Israël; la communication verticale et directe s'interrompt du fait de la dispersion du peuple récepteur de cette communication, et cela iusqu'à ce que, dans l'avenir, celui-ci soit rassemblé sur sa terre et que le Temple de YHWH soit rétabli.
Etant donné le traumatisme que fut une telle rupture, nous pouvons essayer de comprendre la souffrance qui accompagna cette mutation, pour tout le peuple, pour la maison d'Israël qui se sentait comme « une veuve, une femme dont le mari est parti en voyage dans un pays lointain », Depuis lors, le contact humano-divin va prendre une forme toute différente, et ceux qui s'employèrent à maintenir ce lien furent les sages de Vavneh et les autres sages du Talmud, et cela pendant environ 800 ans, au cours de cette nouvelle et pénible étape du peuple d'Israël qu'on a comparée à la « descente d'Abraham et de Joseph en Egypte pour un exil temporaire » ou à l'expulsion du premier homme du paradis terrestre, attribuant par là à la catastrophe une signification et des conséquences cosmiques.
L'oeuvre prophétique collective, au service du Projet divin
Dorénavant le peuple et les sages d'Israël s'emploient à l'oeuvre prophétique pratique de la « reconstruction », annoncée déja par le Pentateuque et les prophètes individuels.' De la manifestation publique de la prophétie, (premier degré du phénomène prophétique), le corps entier du peuple d'Israël passe à l'action prophétique qui consistera à amener le Projet divin (révélé par la prophétie individuelle au reste du corps) à son achèvement par une action commune de réintégration. La prophétie, dans cette perspective, se présente comme la lumière du Projet divin, révélée, active et établie sur terre par l'intermédiaire du peuple théophore, dans l'action et la vie quotidienne d'un peuple. La Loi (Torah. Bible), en effet, avec le Plan cosmique d'action qu'elle propose et le comportement qu'elle exige en ce monde, est en elle-môme une révélation prophétique donnée à Moïse au Sinaï et le fondement de toute prophétie postérieure.
Face à la conception réductrice et « minimisante » d'une prophétie vue comme une voix I nel iv i - duelle annonçant au reste de l'humanité la Parole divine, à certains moments-clés de l'histoire, et cela sous forme d'invectives ou de menaces devant le châtiment ou bien d'exhortations et de promesses avant la récompense divine, s'élève une autre vision: C'est la vision large et totalisante d'une prophétie collective, incitant l'ensemble du corps organique d'Israël à agir en harmonie avec le Plan cosmique divin de YHWH. La prophétie ne serait plus alors seulement la voix annonçant le Plan divin et les détails qui le concernent dans un contact direct avec la Parole de THWEI, mais elle serait la réception de celle-ci et l'accomplissement dynamique de l'objectif qu'elle découvre; et ceci implique la coopération active de toutes les cellules qui composent le corps de la vision prophétique consciente, ce qui est déjà le désir exprimé par Moïse:
« Puisse tout le peuple de YHWH être pro-phète! » (Nb 1129).
APPARITION DU PROPHETISME CHRETIEN
Aux moments de crise et de mutation cependant, dans les purs qui précédèrent la destruction du Second Temple, apparurent des prophètes individuels:
De nombreux prophètes ont apparu en Israël... Mais seules les prophéties qui contenaient une leçon pour les générations à venir ont été mises par écrit; les autres, non» (Megillah 14a).
Les prophéties qui se limitaient à cette période historique d'Israël, revenant sur ce qui avait déjà été dit par les prophètes antérieurs, ne furent pas conservées par écrit, parce qu'elles n'offraient pas aux générations à venir un enseignement qui leur serait utile dans les nouvelles vicissitudes que le peuple allait avoir à subir dans la diaspora. Ce sont les sages de Yavneh qui firent ce travail, eux dont l'enseignement demeure jusqu'à nos purs, condensé dans le Talmud.
De cette rupture historique est né aussi le phénomène prophétique du christianisme, qui fut à l'origine de deux visions différentes du messianisme et du rôle messianique dans le processus de la rédemption; à la suite de quoi se produisit la rupture entre le judaïsme et le christianisme.
Jésus et Paul
Avant que la prophétie juive n'ait pris un chemin nouveau, dans les jours qui précédèrent la chute du Temple, le cas prophétique de Jésus de Nazareth, issu de la maison de Juda et envoyé à la maison dispersée d'Israël, se présente comme différent dans ses objectifs et dans ses causes. Jésus a été éduqué dans une mentalité et une ambience pharisiennes; il partage les comportements et les croyances vitales pharisiennes reçues par la majorité des juifs de son temps, à l'exception des Sadducéens et de certaines sectes extrémistes comme celles des Esséniens, des zélotes et des « apocalypticiens », qui représentent des manifestations extrêmes de l'une ou l'autre tendance de l'enseignement pharisien. On ne peut concevoir l'enseignement de Jésus sans cette base pharisienne, en ce qui concerne par exemple la résurrection des morts (cf. Talm. Babyl., Berakhot, Sanhedrin, Hagigah etc...), lie Messie et le règne de Dieu (cf. Talm. Babyl., Avot, ainsi que les proph. Isaïe, Jérémie, Zacharie et Michée), la place prépondérante donnée au commandement de l'amour du prochain (Lv 19,18: base doctrinale pour Hillel le Sage, dans le Tain de Babyl. et de Jérusal.)," éléments sans lesquels le christianisme ne peut se concevoir. Les exhortations et les reproches, s'exprimant par les voix de la « prophétie individuelle » et citées dans les textes chrétiens, ne diffèrent pas substantiellement de ce que prêche la « prophétie collective », se manifestant sous forme conjointe chez les sages d'Israël qui ne cessèrent de dénoncer, dans tous leurs enseignements, la corruption morale et politique de leur époque.
Paul de Tarse, vivant dans une ambiance totalement différente de celle de Jésus, se décrit lui-même comme «pharisien, fils de pharisien » (Ac 23,6), affirmant ainsi sa solidarité avec le judaïsme rabbinique, source où prit naissance le christianisme.' Pourtant il faut constater le fait que les parallèles entre les sources juives rabbiniques et les sources chrétiennes sont plus nombreux et profonds dans le cas des Evangiles synoptiques que dans le cas de l'Evangile de St Jean ou des Eipitres. On doit ajouter à cela, depuis la découverte des rouleaux de la Mer Morte à Qumran, l'influence multiforme de la secte juive des Esséniens, par exemple sur l'interprétation chrétienne postérieure du messianisme et sur l'approche chrétienne des Ecritures et des textes prophétiques.
Points communs au prophétisme judéo-chrétien
Tous les textes et documents du judaïsme normatif, de la Mishna au Midrash, comme aussi ceux des petits courants sectaires juifs de l'époque, attestent l'existence d'un mouvement prophétique collectif, propre également au christianisme primitif, né dans l'ambiance concrète d'une époque en crise totale, qui portait en elle-même la destruction. la rupture, l'exil et la dispersion du peuple d'Israël.
De ce fait, et du fait de la nature de la révélation et de la prophétie, ainsi que de leur importance pour un peuple qui « accomplit» la prophétie par ses actes, en vivant en harmonie avec le Code révélé et la Parole de YHWH, et se mettant activement au service du Projet divino-cosmique de la création. l'univers judéo-chrétien se distingue du monde gréco-occidental selon Ms paradigmes essentiels que voici:
univers judéo-chrétien univers grec
révélation spéculation philosophique
prophétie philosophie
conscience doute
certitude hypothèse
Dans la culture juive originelle comme dans la culture chrétienne, la révélation et la conscience de l'Unité conduisent à l'harmonie de l'action quotidienne, dont le but est la rédemption. L'interprétation théologique de ce point, à l'époque de la destruction du Second Temple, va amener la rupture et une nouvelle conception messianique.
RETOUR A LA TERRE D'ISRAEL ET PROPHETIE
Les sages d'Israël et la reconstruction du peuple
Les sages de Yavneh, qui vont permettre la continuité historique de la révélation de YHWH et de son Plan, prévoient et prédisent la catastrophe et ia rupture, et ils commencent à préparer le peuple à son destin historique imminent: mais ce n'est pas le peuple tout entier qui va les suivre: il existe d'autres groupes, d'autres sectes, d'autres visions, d'autres leaders, ce qui amène à une confrontation entre les deux types de prophétie: l'individuelle, celle de la protestation, et la collective, celle de l'organisation commune par l'étude systématique, l'accomplissement de la Loi et la « reconstruction » du peuple dispersé.
tes sages de Yavneh se prononcent alors: Le temps des reproches est passé, il est maintenant trop tard, le Temple a été détruit et la prophétie « épique », celle des invectives, n'a plus sa raison d'être, puisque les prophéties individuelles se sont accomplies avec la destruction du Temple et l'exil physique et métaphysique, du peuple et de la Divinité. C'est le moment de prise de conscience de la prophétie collective, positive, au souffle puissant, qui va former le cadre permettant, pendant de nombreuses générations, au peuple d'Israël dispersé de trouver sa sauvegarde à l'intérieur de la Loi divine. La prophétie collective organisée, pour toute la maison d'Israël, par les pharisiens ayant à cette époque pour guide Rabbi Vohanan Ben Zakka!, tint bon pendant 2.000 ans, maintenant le peuple uni à sa Loi: et, preuve indubitable de triomphe, il le ramena à sa terre et clôtura par là un cycle long et amer entre tous.
Le point de vue des sages de Yavneh est clair: La Loi révélée devrait suffire au peuple pour accomplir la prophétie (la révélation de Moïse au Sinaï, la Torah elle-mérne) et rédimer le monde. Les fautes et les transgressions entraînent le contrecoup des reproches et la venue de prophètes envoyés au peuple pour le rappeler à la Loi:
Rabbi Adda, fils de R. Hanina a dit: « Si Israel n'avait pas péché (et si le Temple n'avait pas été détruit), seuls les cinq livres du Pentateuque et celui de Josué lui auraient été donnés (et non pas les Prophètes et les Perds). ('Nedarim 22b)
Cela signifie que d'autres prophètes n'auraient pas été nécessaires, vu que la Révélation, la prophétie active générale, était virtuellement suffisante pour amener à son terme le Projet divin universel. Les écarts humains dans le processus de rédemption ont conduit à ce qu'on appelle, en fin de compte, « l'histoire du judaïsme », ceci jusqu'au moment de notre retour à la base spirituelle de l'agir théophore, la terre .disrael, où commence à se réactiver le processus universel de rédemption.
Après une expérience millénaire des divers types de prophéties et de contacts entre le peuple juif et son Créateur, nous voilà témoins de la renaissance des deux types de prophétie dont la confrontation avait eu lieu il y a 2.000 ans, sur cette même scène, mais cette fois dans un mouvement inverse: de la dispersion au rassemblement, de la destruction à la construction, de la rupture à l'Unité.
Retour à la Terre, contact renouvelé avec les Sources
Avec le retour du peuple d'Israël à sa terre et son contact renouvelé avec les sources, au centre même où se recueillent ces eaux, un espace vital nouveau s'ouvre à la conscience de toute l'huma- nité, perspective qui donnera lieu à une prophétie consciente de l'Origine et de notre contact vital avec cette Cause première qui nous a créés et nous a fait retourner. Chaque cellule humaine du corps organique du monde deviendra .consciente de son rôle dans le système général de la création. sachant respecter le rôle de son prochain et apprécier celui des autres organes et membres. Elle se mettra aussi en relation, de façon consciente et harmonieuse, avec la Pensée centrale qui ordonne et engendre l'activité du corps entier, établissant un contact dynamique entre le Créateur et sa création par l'intermédiaire de ses créatures conscientes. Un tel processus inclura le système du Temple et la connaissance lumineuse de la Loi objective qui régit le corps entier. Cela devrait être le sujet d'une étude plus approfondie et pourrait se résumer dans l'affirmation millénaire du prophète Joël:
Après quoi, je répandrai mon souffle sur toute chair:
vos fils et vos filles seront inspirés,
vos anciens rêveront des rêves,
vos adolescents verront des contemplations. Sur les esclaves et sur les servantes même, en ces jours je répandrai mon souffle (JI 3,1-4). Puisse tout le peuple de YHWH être prophète! Puisse YHWH donner sur eux son souffle!
1. Note de l'Ed.: I/ s'agit d'une étymologie populaire du genre de celles qu'on trouve dans la Bible. Il est difficile, par ailleurs. de rendre en français le leu de mot de l'auteur sur la racine du verbe espagnol traer » qui signifie à la fois « apporter, amener, attirer r Nous traduirons, chaque fois que ce sera possible, par un verbe de la racine « porter ».
• DaniEl Ben RataEl Stawsky, né à Montévideo, vit actuellement à Jérusalem. Directeur de la revue et société d'édition Marhot, il se distingue par ses études dans le domaine de la littérature hébraïque du M.A., de la philosophie grecque, des religions comparées, de la tradition-juive et des doctrines mystiques orientales. D. Stawsky est connu aussi pour sa production poétique et ses oeuvres littéraires, en espagnol et en hébreu. L'article présenté ici est traduit de l'espagnol.
2. Les citations bibliques de cet article sont faites d'après la traduction de André Chouraqui, éd. Desclée De Brouwer 1974.
3. Voir Midrash Tanhuma, sect. « Ve Ha'alotkha Dt 30: le 27.49.54; Ez 10.36.37 et 40-45; JI 3; Za 8.
4. Littéralement: « le souffle de Sainteté » de YHWH qui demeure au sein du peuple, comportant le contact direct et la prophétie.
5. En ce qui concerne l'activité des prophètes dans /a transmission légale de la Torah, comparer avec le texte de Maimonide: Mishneh Torah, prologue au Sefer Ha Mada, qui affirme: «Bien que la Loi Orale n'ait pas été écrite, Moïse. notre maitre, l'a enseignée toute entière dans son tribunal aux 70 Anciens. Et Eléazar, Pinhas, Josué fils de Nun la reçurent de Moïse... Esdras et son tribunal la reçurent de Baruch. fils de Neriah et de son tribunal. Le tribunal d'Esdras, ce sont ceux qu'on appelle "les hommes de la Grande Assemblée", à savoir: Aggée, Zacharie et Malachie, Daniel et Ananias, Misa& et Azarias, et Néhémie... et beaucoup de sages avec eux, un total de 120 Anciens. Le dernier d'entre eux est Siméon le juste: il faisait partie des 120 et il reçut la Torah Orale de tous les autres, et il fut grand-prêtre après Esdras...»
6. Voir mes livres: Fteyelacinn, Reyolucign y Rebeli6n (esp. 1985) et: De La Revuelta De Sodoma A La Revolaci6n De Ninive (hébr. Jérus. 1985), chap. Il.
7. Sur l'oeuvre des prêtres concernant l'arrangement et le sens des Noms divins, voir -faim. Babyl.. Kiddushin 71a.
8. Voir Talm. Bab., Ta'anit 20a et Baba Batra 12a.
9. Cf. Note 3.
10. Voir Talm. Bab.. Baba Batra 15a et le commentaire de Rashi sur ce texte.
11. Voir Talm. Bab. Shabbat XXX, Avot 112, II 4, III 14 et Midrash Bereshit Rabbah XXIV.
12. N. de l’Ed. : Du point de vue chrétien, la source première du christianisme est l'expérience de foi de la mort et de la résurrection de Jésus Christ, faite par les Apôtres et relue dans le contexte des divers courants juifs de l'époque, le courant pharisien étant certainement le plus important.