| |

Revista SIDIC XVIII - 1985/2
Donne-nous notre pain (Páginas 15 - 18)

Outros artigos deste número | Versão em inglês | Versão em Francês

Le pain quotidien dans la prière et dans le monde
Monika Hellwig

 

Nous vivons à une époque où la famine sévit en de nombreuses régions du monde et où cette situation nous est sans cesse rappelée par la presse et par la télévision. La demande du pain, dans la prière enseignée par Jésus à ses disciples, nous pose certaines questions qui ne se posaient pas avec la même urgence aux générations passées. Si nous exprimons notre confiance et notre reconnaissance à Dieu pour le don de la nourriture et de tout ce qui est nécessaire à notre subsistance, cette démarche doit certainement être mise en relation avec celle des chrétiens qui s'engagent au service de leurs frères humains dans le besoin.

Comme tous les peuples du monde, au cours d'une longue histoire, les chrétiens ont eu la tentation, et l'ont encore souvent, de refuser cette relation. Il serait plus facile en effet, que notre religion, avec ses exigences, ne consiste qu'enobservances rituelles, en une piété privée; mais en ce cas, nos propres Ecritures et notre tradition viendraient démontrer notre inconséquence. Car il existe des relations entre les deux attitudes, Il y en a toujours eu, et même si nous voulons les ignorer, elles ne cesseront de nous poursuivre; aussi avons-nous meilleur compte à nous demander honnêtement quelles sont ces relations. Si nous réfléchissons bien, chacun des points notés par S. Sabugal dans son article (p. 11), a quelque relation avec le problème de la faim dans le monde.

Attitude de fond: Reconnaître notre dépendance

Le pain que nous demandons dans la prière du Seigneur nous est d'abord présenté comme une manière imagée d'évoquer ce qui est nécessaire à la vie. Ceux qui ont renoncé aux sécurités que peut offrir le monde, afin de ne mettre leur confiance qu'en Dieu seul à la suite de Jésus, reconnaissent que leur vie dépend totalement de Dieu; et cela signifie reconnaitre que chacun a sa place dans la création par laquelle Dieu confie la terre, comme un don, à toute la communauté humaine. Cela signifie aussi reconnaître notre dépendance, en tant que créatures, dépendance de Dieu notre créateur, mais interdépendance aussi des personnes humaines et interdépendance écologique avec notre milieu de vie: la terre et l'univers. Nous demandons à Dieu ce qui est nécessaire à notre subsistance, affirmant que nous mettons notre confiance en Lui seul... mais cela signifie sûrement aussi que nous acceptons l'ordre divin de la création et que nous sommes prêts à y coopérer et à nous y engager, autant que cela dépend de nous. Pour dire cela plus clairement, en priant ainsi pour le « pain », nous ne sommes pas totalement passifs: cette demande inclut une disponibilité, un engagement en ce qui concerne notre manière de posséder et d'user des biens, notre façon d'exploiter et de distribuer les ressources de la création qui est bonne. Cette demande du pain implique que nous agissions de façon responsable, que nous respections les ressources matérielles. Elle est un appel à la reconnaissance, une reconnaissance envers Dieu que nous exprimons justement par notre sollicitude, notre attention au prochain, parce qu'il est aimé de Dieu, qui nous a créés dépendants les uns des autres pour notre subsistance, notre vie même et le développement de notre esprit.

Vivre de la parole de Dieu, cela concerne la totalité de l'existence

Comme le remarque justement S. Sabugal, il y a dans la demande du pain un leu subtil de mots, d'images et d'idées. Le contexte évangélique où est insérée cette demande nous rapporte aussi des paroles de Jésus affirmant que notre existence humaine n'a pas besoin seulement de pain ou de biens matériels, mais qu'elle a besoin surtout de la parole de Dieu. C'est par cette Parole que tout a été créé, par cette Parole que la personne humaine est animée d'un souffle de vie. C'est cette Parole transmise par les Prophètes qui convoque le peuple de Dieu, le peuple de l'alliance, appelé à achever la création par une vie de justice et de piété, dans la solidarité; parole de Dieu transmise par les Prophètes et qui revient continuellement sur les mêmes thèmes: la fidélité envers Dieu et la justice envers le pauvre ou le faible, envers celui qui est dans le besoin ou qu'on ne connaît pas, envers la veuve et l'orphelin, l'esclave et l'étranger. Quand finalement la parole de Dieu nous est transmise par Jésus, elle vient à nous comme une parole de compassion embrassant à la fois tous ceux qui souffrent de privations et de souffrances physiques et tous ceux qui sont opprimés, méprisés, rejetés. La communauté de Jésus est marquée en fait dès ses débuts par le souci de n'exclure personne, de répondre aux nécessités de tous, de ne laisser aucun de ses membres dans le besoin. Et nous savons que, dans les derniers temps du paganisme romain, les défenseurs des religions anciennes se trouvèrent assez embarrassés par le fait que la charité chrétienne s'étendait aux besoins non seulement des chrétiens, mais aussi des non-chrétiens.

On constate cependant, au cours des siècles qui suivirent, une tendance à oublier cette interprétation première, à comprendre de manière plus éthérée, plus « spirituelle », cette demande du Pater pour le « pain », et ce que cela signifie de vivre « de toute parole qui sort de la bouche de Dieu »; une tendance à penser que l'on peut se préoccuper du salut de son prochain tout en ignorant ses besoins quotidiens les plus urgents, besoins à la fois matériels, sociaux et politiques. Un sens religieux fidèle à la Bible et à la tradition ne peut accepter cette séparation du corps et de l'âme. car les personnes humaines ne sont pas des esprits désincarnés, ni même des esprits « prisonniers » de leurs corps comme le pensaient les Gnostiques des premiers siècles.

Selon la manière biblique de concevoir la personne et la condition humaines, vivre de cette parole de Dieu, qui est notre véritable nourriture. concerne la totalité de notre être, toute notre existence à la fois physique, sociale et historique, notre existence concrète de tous les jours avec l'ensemble de ses besoins et de ses tâches. Et cela implique, bien sûr, que nous acceptions notre responsabilité devant les besoins des autres. Les peuples qui meurent de faim, souffrent depuis des générations de la malnutrition et des maladies qui en résultent, ne sont guère en mesure de voir plus loin et de porter leur esprit, leur désir, au-delà des besoins immédiats: ces besoins sont tout simplement trop urgents. Il y a en nous un instinct de préservation, les insfincts paternel et maternel aussi, régissant un ordre de priorité qui tient compte non de ce qui pourrait être finalement le plus important, mais plutôt de ce dont nous avons désespérément besoin pour survivre; et c'est seulement lorsque nous n'avons plus besoin de rien de trop urgent pour survivre, lorsque nos besoins essentiels sont satisfaits, que nous sommes assez libres pour regarder au-delà des nécessités immédiates. Il existe certaines exceptions, mais il s'agit toujours de personnes qui ont su, à quelque moment de leur vie, ce que c'était que d'être libérées d'une lutte constante, lancinante, pour simplement survivre; il s'agit souvent, en fait, de personnes qui ont joui, à un autre moment de leur existence, d'une vie très privilégiée et de grands avantages sociaux.

Célébrer l'Eucharistie... Recevoir le Pain pour le partager

Faire de la parole de Dieu notre nourriture essentielle, c'est certainement avoir le souci du pauvre. Le grand philosophe russe Nicolas Berdiaev disait que le pain des autres est toujours une affaire spirituelle. De cela les chrétiens doivent avoir bien conscience, d'autant plus que l'acte central qui les rassemble et qui exprime leur identité est l'Eucharistie. Nous retrouvons là encore le jeu des mots, des symboles et des idées qui sous-tend la demande du pain quotidien, une demande qui a certainement pour objet ce qui est nécessaire à notre vie physique, mais aussi le pain de l'Eucharistie.

Le sens de cette Eucharistie se fonde sur plusieurs niveaux de symboles: la bénédiction juive de la table, celle sur le vin le vendredi soir, le Seder pascal et le souper d'adieu pris par Jésus avec ses plus proches disciples. Célébrer l'Eucharistie, ce n'est pas seulement manger le pain, c'est aussi le partager. Chaque fois que nous mangeons, nous sommes comme re-créés: Réciter les grâces, c'est reconnaître cela; mais quand nous nous mettons à table pour un repas, nous le faisons généralement en compagnie d'autres personnes. Réciter ensemble les grâces, c'est toujours, dans une certaine mesure, reconnaître combien il est bon (et donc nourrissant pour nos coeurs et nos esprits) de prendre ce repas avec d'autres, ensemble. De plus, lorsque nous prions ensemble au moment de rompre et de partager le pain, nous remercions non seulement Dieu notre Créateur, mais aussi tous ceux qui par leur travail ont permis de cultiver. récolter, moudre le grain, puis de cuire et de transporter le pain: C'est donc reconnaître que nous dépendons de Dieu et, en même temps, du labeur et de la bonne volonté des autres dont, à tout instant, nous avons besoin pour vivre. Nous trouvons encore, dans ces grâces récitées à table, différents niveaux d'images et de sens. Elles célèbrent les liens qui nous unissent au niveau de notre existence, de notre identité et de notre espérance.

Le pain utilisé pour l'Eucharistie en Occident est habituellement le pain azyme, ce qui exprime bien la continuité entre l'Eucharistie et le Seder pascal du peuple juif. Nous utilisons le « pain de l'affliction », qui est en même temps le pain de la nouveauté radicale, celui qui nous fait entrer dans le peuple de Dieu et dans la réconciliation, le pain d'un repas d'alliance. Le pain sans levain du Seder pascal est semblable au pain des pauvres, celui des nomades dans le désert et, de nos jours, celui des populations du Tiers Monde; c'est le pain de ceux qui fuient en hâte, celui des réfugiés, des déplacés, de ceux qui sont sans maison. déracinés. Mais, parce qu'il est un « pain nouveau », non contaminé par le levain des cuissons précédentes, comme cela se fait dans certains pays, il devient le symbole d'un nouveau départ, d'une nouvelle espérance. L'utilisation de pain sans levain pour l'Eucharistie peut suggérer aussi que le partage de nos modestes moyens est dans l'intention divine sur le monde, qu'il est l'acte propre de la communauté de salut dans un monde défiguré par le péché. Elle suggère que seul le partage de nos modestes ressources peut apporter le bonheur, et non pas l'accumulation d'inutiles richesses.

L'Eucharistie n'est pas seulement le partage d'un pain symbolique: elle est le partage du don que Jésus a fait de lui-même dans sa vie et danssa mort. Répondant à la question traditionnelle sur ce que signifie le pain sans levain lors du souper pascal, Jésus a voulu mettre pour toujours ce pain en lien avec sa mort et avec son amour: « Ceci est mon corps rompu dans la mort; partagez-le avec moi ». Il s'agit de bien autre chose que de recevoir et de manger: il s'agit de partager, et ce que nous avons à partager est le don que Jésus fait de lui-même, se faisant pain pour les autres. Nous pouvons partager, certes, en recevant pour nous-mêmes ce don que Jésus fait de lui-même: mais il ne s'agit là que d'un aspect; l'autre, inséparable du premier, c'est que nous avons à partager ce que Jésus fait lui-mème, c'est-à-dire le don de soi pour la vie des autres, et cela a de nombreuses implications.

Nous pouvons devenir pain pour les autres de façon matérielle ou spirituelle: en produisant de la nourriture ou en la distribuant, en gagnant de rai-gent et en payant pour cette nourriture, par des services rendus et par l'amitié, et de bien d'autres manières encore; mais la manière essentielle d'agir comme Jésus le fait, et par là de partager totalement l'Eucharistie avec lui, c'est de partager ce que nous avons avec le pauvre. L'Eglise primitive savait bien cela, comme en témoignent les Actes des Apôtres et les Lettres de Paul. Cependant, au long des âges, on a eu tendance à l'oublier, à séparer la célébration eucharistique de la vie quotidienne, des soucis terrestres de notre existence humaine et sociale; et c'est pourquoi, sans doute, nos communautés chrétiennes se sont alourdies; c'est pourquoi aussi les pauvres semblent si loin, si à l'écart de la communauté de culte. Et pourtant, ils forment tous le « peuple de Dieu », au sens le plus large et essentiel du terme: Dieu s'intéresse à chacun d'eux; avec eux, nous ne sommes qu'un, de par notre création et par un destin commun, et nous sommes appelés à nous intéresser à chacun d'eux.

L'Esprit de Dieu anime toute la vie

Il est intéressant de remarquer que Luc met aussi le « pain quotidien » en lien avec le don de l'Esprit Saint, cet Esprit qui nous fait naître à une vie nouvelle et nous rend capables d'y persévérer. Le souffle de Dieu est, d'après les récits de la création rapportés par la Genèse. le premier soutien de la vie humaine; c'est par le souffle de Dieu que le message prophétique continue de se transmettre et que l'ordre divin se rétablit dans les communautés humaines. Quand nous prions de nos jours pour le pain quotidien, nous demandons donc à Dieu non seulement ce qui est nécessaire à notre existence physique, mais aussi le don de l'Esprit.
Et que savons-nous de cet Esprit communiqué par Dieu aux créatures humaines? Les prophètes d'Israël et le Nouveau Testament nous disent qu'il est un esprit de sagesse et d'intelligence, de crainte de Dieu et de générosité; qu'il est bonne nouvelle pour les pauvres, guérison pour ceux qui sont écrasés et opprimés, libération pour les captifs, un passage du désespoir à la louange pour les affligés. Là encore, au long des siècles, on constate une tendance à «spiritualiser », à concevoir un Esprit Saint comme détaché ou éloigné de la réalité quotidienne, des choses ordinaires de ce monde et de ses habitants. On a conçu pour ainsi dire deux histoires juxtaposées, l'histoire sainte et l'histoire profane, comme si des populations entières pouvaient souffrir de terribles famines dans le monde, sans que cela n'ait rien à voir, ou si peu!, avec l'histoire sainte. Si nous revenons à la Bible et, particulièrement, aux paroles de Jésus et à la prière qu'il a enseignée à ses disciples, nous pouvons constater qu'une telle séparation entre le sacré et le profane n'a jamais existé dans sa vie ni dans son enseignement. La création entière, sous tous ses aspects, est le domaine où s'exerce l'autorité de Dieu, son oeuvre salvifique.

Quand Jésus enseigne à ses disciples à demander le pain, nous devons voir là une prière confiante, reconnaissante, et aussi la volonté de coopérer au dessein divin sur le monde, ce qui signifie le partage de nos modestes ressources et aussi, pour les chrétiens, a une option préférentielle pour le pauvre » et un intérêt immédiat pour ceux qui souffrent de la faim dans le monde.


Dr Monika Hellwig est professeur de théologie à Georgetown University, à Washington. Elle est l'auteur de nombreux livres dont: rc The Eucharist and the Hunger of the World u (Paillis( Press et: « Jésus the Compassion of God (Michael Glazier, Inc.)
Elle développe dans cet article quelques-uns des points soulevés par le P. Santos Sabugal dans l'article précédent.

 

Home | Quem somos | O que fazemos | Recursos | Prêmios | Vem conosco | Notícias | Contato | Mapa do site

Copyright Irmãs de Nossa Senhora de Sion - Casa Geral, Roma - 2011