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Face au Saint: Lire Jean 8 avec un regard devenu plus sage
Knight , Henry F.
Jean 8 est introduit par une scène familière que la plupart des exégètes traitent d’histoire importée, d’origine non johannique. Une femme surprise en flagrant délit d’adultère est amenée pour être jugée par les chefs religieux (scribes et pharisiens, d’après le texte) devant Jésus qui se trouve enseigner dans le Temple. On demande à Jésus ce qu’il ferait, comment il réglerait la question selon la Loi ; il répond que celui qui est sans péché peut lui jeter la première pierre. Le texte alors se poursuit avec le récit d’une série de rencontres entre Jésus et les chefs religieux que le texte, dans le reste du chapitre, identifie, de façon positive, comme « les Juifs ». La tension monte, l’accusation se durcit, jusqu’à ce que Jésus condamne ses accusateurs (« les Juifs ») en leur disant qu’ils ont le diable pour père et qu’eux-mêmes ensuite le regardent, lui (leur accusateur) comme ayant un démon. Ce durcissement de l’accusation fait contraste ironiquement avec l’histoire du début, celle de la femme amenée devant Jésus.
Quand nous faisons du texte une lecture critique, nous reconnaissons que sa polémique reflète un état de choses qui correspond davantage au conflit existant entre les adeptes plus tardifs de Jésus (vers la fin du 1er siècle de notre ère) et les autres chefs juifs de l’époque, au moment où chacun des deux partis, aux prises avec les conditions de vie qui avaient suivi la destruction du second Temple, s’interrogeait sur la forme que prendrait à l’avenir la fidélité à l’alliance pour le peuple de Dieu : resterait-elle centrée sur la halakha et un dialogue incessant avec la Tora ou se tournerait-elle vers Jésus comme vers la nouvelle image d’une existence d’alliance allant au-delà de la Loi, et, plus profondément, dans le monde des Gentils ?
Comprendre ainsi le texte est aidant, voire nécessaire – mais seulement jusqu’à un certain point. Car la polémique et le jugement cinglant porté sur les juifs demeure dans le texte canonique. Mais j’essaie de le montrer, cette conclusion a beau me mettre mal à l’aise, elle ne me permet pas d’abandonner le texte, puisqu’en tant que chrétien, je dois répondre devant lui de mon identité. Quelle est alors ma démarche, ou celle d’autres que moi ?
Il y a une attitude de violence envers l’autre qui fait corps avec le texte, et la polémique est l’expression d’un problème plus profond que je suis forcé d’aborder même si j’accorde de l’autorité au texte porteur de violence. Redevable que je suis en partie aux intuitions d’Emmanuel Levinas, recourir aux stratégies du midrash me permet d’étreindre le texte avec plus de rigueur encore, dans l’espoir de lui arracher un coin midrashique où me tenir pour discuter ce qui maintenant n’est que trop clair pour moi. Face au texte et face à la part que je prends à sa violence, je suis forcé de demander : qui est accusé, et de quoi ?
Alors que la plupart des exégètes voient dans le caractère importé de la scène d’ouverture une raison de l’isoler et de la lire séparément, je suis une stratégie différente, en traitant cet épisode comme un coin de midrash placé là pour exposer l’accusation et les problèmes qui s’en suivent. Dans ces versets : des voyageurs sur le chemin d’alliance s’accusent mutuellement d’infidélité à l’alliance. Dans le texte biblique, l’infidèle est une femme prise en adultère et amenée devant Jésus et d’autres qui viennent lui demander son avis. Dans le texte sous-jacent que les exégètes de Jean appellent le second niveau, les adeptes de Jésus sont confrontés avec d’autres juifs, chefs de synagogues à une époque plus tardive, alors qu’ils accusent la femme d’infidélité. Il reste que pour les générations suivantes de témoins chrétiens, comme dans les versets qui suivent, ceux qui sont amenés devant Jésus et sont accusés d’adultère, ce sont toujours « les Juifs ». Si on réfléchit à l’histoire future, « les Juifs » de Jean 8 sont dépeints comme se joignant de façon toujours plus intime à l’ennemi de la création entière. Ils sont pris, pris au piège pour ainsi dire, accusés de commettre un adultère spirituel depuis le tout premier commencement.
Et le Jésus qui donne ce témoignage toujours plus négatif semble bien différent du Jésus qui plus haut mettait n’importe quel représentant de Dieu au défi de jeter sur la femme prise en adultère les pierres meurtrières d’une condamnation à mort.
A la manière d’un midrash
Quand Jésus se trouve face à face avec la femme et que les accusateurs de celle-ci lui demandent son avis, il se penche et dessine ou écrit sur le sol. Ce que Jésus dessine/écrit sur le sable, le texte naturellement ne le dit pas. Beaucoup d’exégètes ont spéculé là-dessus, tirant parti du silence du texte pour suggérer des interprétations christologiques des Ecritures hébraïques. Certains sont allés jusqu’à faire un lien entre le doigt de Jésus écrivant sur le sable avec Dieu gravant d’un doigt céleste les dix commandements sur la pierre ! Ce qui me frappe, au contraire, c’est le fait d’un texte absent et je me demande ce qu’il pouvait bien y avoir de significatif dans ce texte pour qu’il ne soit pas rapporté. Quel qu’il fût, ce texte est temporaire, tracé sur le sable. Mes promenades midrashiques personnelles m’amènent à rappeler que dans un conflit la médiation d’un texte temporaire peut souvent servir à donner à une conversation accusatrice un autre centre d’intérêt, un objet ou un problème commun, ce qui permet aux interlocuteurs de retirer leurs accusations, de sauver la face et de se désengager d’un conflit mal parti. Le problème est séparé de la personne et la voix accusatrice est libre de devenir une voix qui pose un problème, une voix indicatrice. Les lignes finales de l’épisode suggèrent que quelque chose comme cela est arrivé après que Jésus ait fait ses remarques en dessinant, en griffonnant ou en écrivant sur le sable. Son doigt, c’est amusant de le noter, était pointé vers ce qu’il dessinait et non vers ceux qui étaient venus le trouver. La dynamique accusateur-accusé qu’ils lui proposaient se trouvait restructurée. Et alors la femme était renvoyée, une fois ses accusateurs précédents dispersés. Peut-être que le texte temporaire du midrash peut offrir une occasion semblable.
Face à « JE SUIS »
Avec cela en tête, nous nous tournons vers les « Je suis » de Jésus dans Jean, reconnaissant, spécialement dans le cas de plusieurs phrases de Jean 8, qu’ils forment un texte très délicat, lié intra-textuellement à des références variées du Nom divin qui apparaissent dans les Ecritures hébraïques. Derrière chacune d’elles se trouve l’histoire d’Ex 3 et le don du grand « Je suis » dans et par le buisson ardent. Elles nous rappellent en conséquence que la structure de convocation du « JE SUIS – vous êtes » qui est pour Israël, pour d’autres se trouve derrière les « Je suis » de Jésus. Cela signifie que si nous allons identifier Jésus avec le « JE SUIS – vous êtes » de la création (c’est-à-dire la parole de vie constituante qui ponctue le prologue de Jean et le reste de son évangile), nous devrions alors le faire d’une manière cohérente avec la manière dont cette convocation s’exprime dans et par le buisson ardent. Le buisson ne se consume pas. Le « Je suis » qui convoque parle en lui et par lui. C’est là un point crucial. La façon dont les chrétiens identifient la relation de Jésus à cet appel à la vie constitutif de la création peut être décrite de deux manières. Jésus peut être considéré comme celui qui pour d’autres re-présente cet appel à vivre. Autrement dit, Jésus dans et par sa vie et sa passion brûlante pour la vie et pour les autres devient le buisson ardent des chrétiens. Mais Jésus peut être aussi perçu comme identique au « Je Suis –vous êtes » constitutif, de telle manière que celui qui rencontre Jésus rencontre en fait Dieu. Quand il est ainsi perçu, nous voyons comment la visée christologique première de Jean a conduit le récit. La difficul-
té est que cela réduit Jésus et les autres à des symboles, à des catégories, à des figures de sens. Ils ne sont plus des personnes réelles. Ou, pour employer le langage d’Exode 3, le buisson ardent se consume dans la convocation qui révèle.
De bonne heure, la théologie chrétienne a reconnu les dangers du monophysisme et a essayé de mettre en garde contre eux. Si nous sommes attentifs aux problèmes soulevés ici, nous reconnaissons que le danger est encore présent et même qu’on le rencontre dans l’Ecriture. Toutefois, les « Je suis » du Jésus johannique, parce qu’ils mettent des lecteurs responsables en lien avec le Nom divin, nous donnent une autre manière de lire et d’aborder ces questions. Ils nous donnent un moyen, pour peu que nous le choisissions, de prendre par rapport à la voix accusatrice de Jean 8 une distance qui guérit – moyen de grâce auquel, j’espère, nous pouvons faire face au Saint de manière responsable.
Il va de soi que cette tâche n’est pas terminée et qu’il y a encore du travail à faire au plan confessionnel. Néanmoins, en se tournant vers le récit du buisson ardent pour confronter Jean 8, les chrétiens comme moi trouvent où se situer au plan confessionnel en ayant avec Jésus une relation qui ne nous force pas à regarder comme nos ennemis ceux qui ont sur Jésus un autre regard. Bien plus, je prétends que je peux même faire une telle confession de foi en m’appuyant sur la parole constitutive « JE SUIS-vous êtes » qui a voulu la création comme une vie vécue en relation de responsabilité depuis le commencement – comme Jean a cherché à la faire. Mais, si j’espère me situer sur cette terre sainte, le buisson ne pourra jamais être consumé pendant qu’une telle histoire se raconte et pendant qu’on répond à son appel.
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* Texte traduit de l’américain par B. Brumelot