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De la théorie à la pratique - Comment faire passer dans l'éducation les nouvelles perspectives ouvertes au dialogue judéo-chrétien
Eugene Fisher
Il nous est malheureusement impossible de reproduire ici intégralement l'excellente conférence du Dr Fisher: «De la théorie d la pratique»' Nous avons d4, avec son autorisation, en résumer la première partie, afin d'être à même de vous présenter le texte intégral de la seconde partie qui traite:
— du rôle important de la liturgie dans l'éducation de la foi et
— de quelques orientations pour les chrétiens soucieux de promouvoir le dialogue judéo-chrétien.
Introduction
Sans entrer dans le détail d'une pénible histoire longue de 2000 ans, l'auteur s'y réfère néanmoins pour tenter d'éclairer les difficultés auxquelles nous nous heurtons dans le dialogue judéo-chrétien, et particulièrement ce fait que ni l'une ni l'autre de nos traditions n'a vraiment une perspective doctrinale homogène, ou uniforme, dans son regard sur l'autre, et qu'aucune des deux n'est en mesure d'affirmer la validité des croyances les plus profondes de l'autre. Nous sommes témoins, ces dernières années, d'une avancée remarquable dans la pratique du dialogue, et, parallèlement, l'aspect doctrinal du dialogue commence à se développer.
LA THEORIE: DEVELOPPEMENT DE LA DOCTRINE DE L'EGLISE
Comme le soulignaient les « Orientations et suggestions pour l'application de la déclaration conciliaire Nostra Aetate N° 4 (décembre 1974):
« Le problème des rapports entre juifs et chrétiens concerne l'Eglise en tant que telle, puisque c'est en scrutant son propre mystère qu'elle est affrontée au mystère d'Israël. Il garde donc toute son importance, même dans les régions où il n'existe pas de communauté juive. Ce problème a également un aspect oecuménique: le retour des chrétiens aux sources et aux origines de leur foi, entée sur l'ancienne Alliance, contribue à la recherche de l'unité dans le Christ, pierre angulaire. »
C'est en raison de l'aspect oecuménique de nos relations avec le judaïsme que la Commission vaticane pour les relations religieuses avec le judaïsme a été rattaché, non pas au Secrétariat pour les non chrétiens, mais au Secrétariat pour l'Unité des chrétiens.
Le christianisme étant, tout comme le judaïsme, une religion historique fondée sur la Révélation, il se doit d'être attentif aux « signes des temps » et, notamment, à ces deux événements historiques importants que sont le génocide nazi et la création de l'Etat d'Israël. Ces deux faits historiques ont ébranlé bon nombre de convictions ou de préjugés qui furent à l'origine de ce que Jules Isaac a appelé « l'enseignement du mépris ».
Depuis 30 ans environ, les chrétiens essaient de porter un regard nouveau sur le judaïsme. L'Eglise catholique, par exemple, lors de Vatican II, a promulgué la déclaration Nostra Aetate qui est bien connue pour ses injonctions sous forme négative (« L'Eglise réprouve »... « elle déplore »... ce qui a été commis pendant la passion ne peut être imputé »...) mais dont il faudrait approfondir davantage les affirmations positives, celles qui reconnaissent la permanence de l'Alliance mosaïque et sa validité pour le peuple juif contemporain. C'est ce qu'a fait, d'ailleurs, le Pape Jean Paul II lors de sa visite en Allemagne, le 17 novembre 1980 (cf. cette même revue pp. 25-26).
LA PRATIOUE: MISE EN OEUVRE DE LA THEORIE
La catéchèse
L'auteur donne ici les résultats d'une enquête menée par lui aux U.S.A. dans les livres de catéchisme, enquête dont le but était de vérifier les changement opérés dans l'enseignement catholique depuis Vatican II. Si certains points ont été nettement améliorés depuis le Concile, Eugene J. Fisher en relève d'autres qui laissent à désirer, et ce sont justement des points qui ne sont pas abordés ou qui restent implicites dans la déclaration conciliaire. A noter, par exemple, la manière encore négative de présenter les pharisiens ou le tâtonnement et le manque de clarté en ce qui concerne la responsabilité de la mort du Christ.
En fait, les attitudes négatives sont trop profondément enracinées en milieu chrétien pour qu'on puisse espérer les changer par de simples améliorations des manuels ou des méthodes catéchétiques. C'est une nouvelle attitude, une nouvelle vision, qu'il faut acquérir et développer, ce qui exige de reconsidérer la question de l'Alliance et de la relation entre nos deux peuples.
(En ce qui concerne la catéchèse, nous renvoyons nos lecteurs à l'article de E. J. Fisher intitulé: « Pour un programme d'enseignement du judaïsme et de la réalité juive dans les écoles secondaires catholiques w, qui paraîtra dans la prochaine revue SIDIC).
L'éducation par la liturgie
La liturgie est un moyen d'éducation aussi important, sinon plus, que l'école. Le choix des lectures du lectionnaire, la manière de les introduire, leur traduction, l'interprétation qu'on en propose, tout cela suppose une prise de position théologique par rapport à la communauté assemblée pour le culte (l'Eglise), mais aussi par rapport à l'autre communauté que nous savons avoir avec Dieu une relation d'alliance à laquelle notre alliance chrétienne est intrinséquement liée, même si elle l'élargit.
Ce problème se pose clairement dans le choix des textes, dans la juxtaposition de textes des Ecritures hébraïques à ceux du N.T. A la base de ce choix, il y a déjà une prise de position quant à cette relation tout autant qu'au « contenu » du message consciemment proclamé. Là se posent, de la façon la plus dramatique, toutes les vieilles questions concernant la relation entre les deux Testaments. Dans le discours qu'il a fait en Allemagne, le Pape Jean Paul II a bien montré l'interdépendance du problème biblique traditionnel et de la question des relations judéo-chrétiennes:
« La première dimension de ce dialogue, à savoir la rencontre entre le peuple de Dieu de l'ancienne Alliance, une Alliance qui n'a jamais été dénoncée par Dieu (Rom. 11,29), et le peuple de Dieu de la nouvelle Alliance, est en même temps un dialo' gue intérieur à notre Eglise et, poux ainsi dire, un dialogue entre la première et la deuxième partie de la Bible ».
Choix des textes du lectionnaire
Dans la liturgie, ce dialogue à la fois interne et externe prend une grande importance. Malheureusement, je crois pouvoir le dire sans erreur, le lectionnaire actuel a été à peu près entièrement élaboré sans référence consciente à aucun de ces deux problèmes. De même, ce qui est regrettable, nos liturgistes n'ont guère analysé les répercussions que peut avoir le choix actuel des textes sur l'attitude des chrétiens envers les Ecritures hébraïques et envers les juifs. Pat mon travail personnel en ce domaine, je n'ai fait qu'effleurer le sujet, et je me suis presque uniquement borné à soulever des questions qui mériteraient une étude plus approfondie.2
Dans quelle mesure, me suis-je demandé, le choix des textes manifeste-t-il un sens de la continuité entre les deux Alliances ou manifeste-t-il, au contraire, un sens de la discontinuité? C'est-à-dire, le choix proposé rapproche-t-il les textes pour les opposer, présentant le nouveau au détriment de l'« ancien »? Ou, au contraire, les textes se renforcent-ils, s'éclairent-ils mutuellement, comme le font les révélations dont ils sont l'expression? 3
La même question a été posée, mais dans un contexte différent, par un exégète catholique, Joseph Blenkinsopp, dans une remarquable étude qu'il a faite dans un recueil paru récemment et publié par L. Boedt, EL Croner et L. Klenicki: Biblical Studies: Meeting Ground between Jeun and Christians (éd. Paulist, Stimulus, 1980). Il note, là, que la question de la relation entre les deux Alliances reste bien souvent une des principales pierres d'achoppement dans les efforts que font les chrétiens pour tenter de formuler avec plus d'exactitude une « théologie de l'ancienne Alliance ». Vues entièrement travers le prisme du N.T. (ou, plutôt, de ce que nous percevons du message du N.T. lorsque nous le lisons à son tour è travers le prisme de la pensée chrétienne plus tardive et souvent asti-juive), les Ecritures hébraïques n'ont plus alors la possibilité de parler pour elles-mêmes. On pose des questions chrétiennes à un texte pour lequel, souvent, de telles questions ne se justifient pas. On en organise le contenu et le message selon des catégories ou des préoccupations chrétiennes, tout à fait étrangères aux intentions des auteurs. L'une des rares tentatives faites pour laisser le texte hébraïque nous parler directement, sans filtrage indû, a été, selon J. Blenkinsopp, celle de John L. Mckenzie dans son livre paru chez Doubleday (Image, 1976): A Theology of the Old Testament.
Entre le « déjà » et le « pas encore »
Plus brûlante encore, à mon avis, est la question des promesses et de leur accomplissement, thème prédominant dans les sélections faites de textes prophétiques, particulièrement pour l'Avent et pour le Carême. Le choix des textes que comporte le lectionnaire actuel oriente-t-il l'espérance de l'assemblée vers le Royaume prêché par Jésus, celui que nous sommes appelés à préparer et que visaient en premier lieu les prophètes eux-mêmes? Ou le choix qu'on en a fait vient-il, au contraire, épuiser totalement le sens, le dynamisme, de la vision prophétique en y juxtaposant une série de « textes-preuves » laissant supposer que le Royaume est déjà totalement advenu, hic et nunc, en Jésus? Là, sans doute, réside la tension essentielle qui structure le Nouveau Testament lui-même: tension entre l'espérance eschatologique « déjà réalisée » et le « pas encore » de cette réalisation pour laquelle nous devons encore prier en disant, selon l'enseignement de Jésus: « Que ton Règne vienne! ».
Le Règne de Dieu, c'est-à-dire que Sa volonté soit faite « sur la terre comme au ciel », est loin encore d'être « venu », au sens habituel du terme. Si nous voulons que la liturgie, en tant que moyen d'éducation, joue le rôle qui lui est propre, nous devons, dans nos assemblées, évoquer ces deux aspects: celui de l'accomplissetnent-d'une-certaine-manière-en-Jésus et celui de Paccomplissernent-auquel-Jésus-nous-appelle-à-contribuer.
Il s'avère alors que notre théologie exige un renouvellement de sa terminologie pour répondre aux taches que l'attendent: c'est-à-dire que, dans le dialogue judéo-chrétien, la théorie est un peu en retard sur la pratique, ce qui entraîne, pour la vie liturgique qui devrait rendre concrètes, sensibles, les perspectives du dialogue, une certaine difficulté à formuler des critères adéquats. C'est un point que soulèvent, avec grande prudence, les Orientations et suggestions de Vatican II dans le paragraphe sur la liturgie et, ce faisant, elles démontrent bien, je crois, la nécessité d'une clarification de notre théologie:
« Dans le commentaire des textes bibliques, sans minimiser les éléments originaux du christianisme, on mettra en lumière la continuité de notre foi avec celle de l'Alliance ancienne, dans la ligne des promesses. Nous croyons que celles-ci ont été accomplies lors du premier avènement du Christ; il n'est pas moins vrai que nous sommes encore dans l'attente de leur parfait achèvement lors de son retour glorieux à la fin des temps ».
Un « achèvement » tendant à un « parfait achèvement », c'est, permettez-moi de le dire, une distinction qui devra être précisée, clarifiée, si on veut la faire passer en milieu chrétien, tant par la catéchèse que par la prédication. Et c'est certainement le signe qu'un grand pas en avant a été fait dans le dialogue s'il nous a amenés, pour la première fois, à une telle distinction. C'est faute de l'avoir faite que nombre de « disputationes » du Moyen Age sont devenues l'exemple-type du manque de communication et la source d'une amertume bien inutile et même de violences entre nos deux communautés.
En 1263, par exemple, le grand penseur espagnol Rabbi Nahmanide fut convoqué par le roi d'Aragon pour répondre à toute une série de textes « probants » présentés par des théologiens chrétiens. Comment les juifs ne voyaient-ils pas que toutes ces prophéties bibliques étaient accomplies en la personne de Jésus? Se plaçant à un niveau tout différent, Nahmanide répondit à ceux qui l'interrogeaient qu'ils lui semblaient devancer les temps. Il cita les prophéties annonçant pour les temps messianiques la justice en ce monde et la paix universelle, et il fit remarquer que le monde, tel qu'il le connaissait, était infesté de guerres, de fléaux, d'actes d'oppression et de maux de toutes sortes. Bref, chacune des parties était dans une attitude de « non sequitur » par rapport à l'autre.
Cependant, concentrer nos regards sur le Royaume (l'ère messianique), c'est conserver cet espace théologique qui permet de reconnaître à la réponse juive sa valeur propre et qui donne à notre liturgie chrétienne une note de réalisme, une espérance, un désir spirituel plus intenses, attitudes qui sont bien authentiquement chrétiennes. Cela peut, en fait, nous aider à retrouver le sens de l'attente eschatologique dont nous venons de parler, sens que nous perdons si facilement lorsque nous ne regardons plus que ce Jésus que nous « avons », et que nous négligeons de répondre à Celui qui nous appelle à travailler de toutes nos forces à l'édification du Royaume de Dieu. Un dialogue authentique ne nous permet donc pas seulement de mieux connaître « l'autre », il nous permet de mieux nous connaître nous-mêmes et de découvrir dans notre propre tradition des valeurs spirituelles que, sinon, nous aurions ignorées.
Il nous faut encore, pour conclure ce chapitre, mentionner brièvement deux autres points, sans doute mieux connus: l'un, de caractère négatif, signe du chemin qui reste à parcourir pour sortir des ornières et des tragédies du passé; l'autre, essentiellement positif, est le mouvement qui se développe actuellement et qui, soigneusement entretenu, nous permettra d'apprendre beaucoup les uns des autres.
Les récits de la Passion
La première question est évidemment celle de la lecture des récits de la Passion pendant la Semaine Sainte, problème qui, on peut le dire, se pose depuis longtemps et attend toujours une solution plus actuelle. L'évidence historique prouve de façon accablante et sans l'ombre d'un doute que ces lectures, revenant chaque année au moment des fêtes les plus importantes du cycle liturgique et proclamées dans cette atmosphère d'émotion intense que la liturgie peut créer, n'éveillent pas seulement dans le coeur des chrétiens une grandevénération pour le sacrifice du Christ, mais aussi un certain nombre d'attitudes négatives envers les juifs et envers le judaïsme. L'Evangile de Jean, par exemple, emploie constamment l'expression « hoi Ioudaioi », qu'on traduit de façon habituelle (mais pas forcément exacte) par « les juifs », lorsqu'il parle du petit nombre de juifs qui, à titre individuel, furent impliqués historiquement dans la Passion de Jésus. En proclamant cet Evangile, on inculque presque inévitablement aux fidèles, ne serait-ce qu'inconsciemment, le sentiment d'une culpabilité collective.
L'Evangile de Matthieu, rédigé comme celui de Jean vers la fin du Ier siècle, reprend des récits plus anciens et y insère des éléments nouveaux tendant à accentuer le rôle joué par les juifs et à réduire la part, pourtant évidente, prise par les Romains tant dans le jugement que dans la mise à mort de Jésus. Une phrase telle que: « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants », par exemple, n'est attestée que chez cet Evangéliste.
Ici, le problème est double: Voilà, d'une part, qu'une liturgie dont le but est d'élever le coeur et Pâme pour les amener à répondre au don suprême de l'amour de Dieu y éveille des sentiments négatifs (et, dans le passé, souvent même violents), et voilà aussi que nous n'appliquons pas à qui de droit l'enseignement du Catéchisme de Trente, à savoir que nous, chrétiens, sommes coupables (de cette mise à mort de Jésus) du fait de nos péchés et que nous devons en assumer la responsabilité. Notre culpabilité de pécheurs, nous la projetons sur les juifs, atténuant et perdant l'intégrité de cette contrition à laquelle la liturgie nous invite à une telle occasion. Et pourtant nous ne pouvons pas ne pas lire ces passages, car ils sont essentiels pour notre foi.
On a fait des suggestions de toutes sortes pour essayer de résoudre ce problème. Peut-être ne s'agit-il que de les combiner. Sans doute de meilleures traductions tenant compte des dernières découvertes des sciences bibliques, comme le demandent avec insistance les Orientations et suggestions vaticanes de 1974, aideraient-elles pour ce cas comme pour d'autres passages problématiques du lectionnaire. Une autre suggestion, qui a aussi sa valeur, serait de faire un choix plus attentif des lectures. La tradition catholique choisit souvent quelques versets d'un passage donné de l'Ecriture et elle en omet d'autres, arrangeant la péricope de façon à ce qu'elle s'harmonise au mieux avec le thème ou le propos de la liturgie du jour. On devrait s'attacher avec plus de soin à l'élaboration de programmes d'instruction religieuse" du Carême, tant pour les jeunes que pour les adultes, qui assureraient aux croyants un fond de connaissances historiques et théologiques sur la Bible; cela les préparerait à écouter la lecture de ces textes sans nourrir dans leur coeur des sentiments de malveillance ou de haine envers les juifs.
Peutêtre, ce qui est plus important encore, les prédicateurs de l'Evangile devraient-ils être minu« formés.' Ils devraient bien comprendre ces passages et apprendre à composer Jeun homélies de façon à mettre en relief le message centra/ du texte, celui de « l'événement-Jésus Christ »; ils éviteraient ainsi de donner aux fidèles une idée fausse des juifs et du judaïsme, ce qui arrive lorsqu'on ne fait pas dans ce sens d'efforts sérieux. Il faut rappeler de nouveau que nous n'avons pas affaire à une tradition « neutre », mais à une tradition terriblement marquée par deux mille ans de déviation, d'une attitude négative pour tout ce qui touche aux juifs. La vérité et l'intégrité même de la liturgie exigent ce que les Orientations et suggestions vaticanes de 1974 appellent « une préoccupation primordiale », celle de s'assurer que ce temps le plus saint de l'année ne soit pas l'occasion d'encourager chez les chrétiens une attitude négative envers les juifs.
Célébration chrétienne de fêtes juives
Il nous faut mentionner, pour terminer, le phénomène actuel de la célébration chrétienne de fêtes juives. C'est une pratique qui va se développant et qui devrait être encouragée pour sa valeur éducative, ceci particulièrement pour Pessah (la Pâque) et pour le Yom HaChoah (le mémorial du génocide nazi).6
Cependant, il faut rester circonspects. En ce qui concerne le Seder pascal, notons qu'il faudrait éviter tout syncrétisme. Certains chrétiens tendent à utiliser le Seder comme point de départ de la liturgie eucharistique, fusionnant nos deux traditions en une seule et en respectant pas ce que chacune a d'unique. Même si le Seder et la Messe sont liés spirituellement et !historiquement, ils célèbrent cependant deux événements distincts et ils témoignent de la foi collective de deux peuples dont chacun a son caractère propre. Le Triduum de la Semaine Sainte est le temps où l'Eglise, chaque année, fait le mémorial de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus. Quant au Seder, nous devrions le célébrer pour ce qu'il est, une fête juive, en cherchant à communier aux sentiments de ceux dont cette fête est la fête propre. Il est cependant bien préférable, pour cela, d'être invité dans un foyer juif ou, du moins, de prier des amis juifs de venir diriger le déroulement de la célébration de façon à ce qu'il n'y ait pas d'ambiguïté.7
Dans les paroisses catholiques ou protestantes des Etats-Unis, on célèbre de plus en plus de services commémoratifs pour les victimes du génocide nazi ou « Yom HaChoah ». Dans ce cas encore, il est préférable d'organiser des services inter-religieux. Si les chrétiens se joignent aux juifs pour commémorer les victimes de la folie exterminatrice d'Hitler, cela implique de leur part un sens de solidarité avec les victimes des camps d'extermination, et c'est un moyen pour nous d'affirmer publiquement que nous sommes aux côtés de ceux qui, de nos jours, travaillent à éliminer tout ce qui pourrait conduire à des actes aussi monstrueux. « Jamais plus », ce devrait être le cri des chrétiens aussi bien que des juifs, car les chrétiens ont été impliqués dans les massacres nazis, à la fois comme victimes et comme bourreaux.
LES TACHES FUTURES
Je crois avoir fourni, dans ma conférence, une matière plus que suffisante pour nous permettre de ne pas chômer dans les jours à venir et de continuer dans la ligne du dialogue. Je voudrais seulement, en guise de conclusion, faire ici trois brèves remarques concernant l'action à venir:
La théorie
Pour consolider les progrès déjà accomplis et assurer une base qui permette au renouveau de se pousuivre, il sera d'une importance capitale que nos grands penseurs chrétiens apportent leur contribution dans les domaines traditionnels de la recherche théologique. Nous avons vu combien les problèmes qui se posent touchent au coeur même des études bibliques comme de la théologie systématique, de la liturgie comme de la catéchèse. D'autres domaines,. très importants, sont touchés implicitement et exigent un renouveau de la pensée: ainsi l'ecclésiologie (comment pouvons-nous être le « peuple de Dieu » s'ils le sont eux aussi?); l'eschatologie (la tension entre l'accomplissement et le « pas encore »); l'histoire de l'Eglise (à la fois histoire de l'antisémitisme dans l'Eglise — dont on ne parle à peu près pas dans nos études de niveau supérieur — et histoire du judaïsme se développant parallelement au christianisme pendant des siècles — question fort peu étudiée de part et d'autre); et même la missiologie (le message de salut que l'Eglise doit annoncer au monde doit-il nécessairement être annoncé à un peuple qui est déjà en relation d'alliance avec Dieu?).
Ce sont des questions qui ne sont, généralement, pas abordées dans la plupart de nos traités de théologie. Et pourtant ces derniers continueront à ne pas répondre aux questions essentielles que se pose l'Eglise d'aujourd'hui tant que le dialogue ne sera pas pris sérieusement en considération et ne sera pas à la base du renouveau doctrinal.
La pratique
Il est urgent d'introduire cette ouverture au dialogue dans tout le programme de formation de nos séminaires,cela non seulement en préparant les futurs prêtres à savoir surmonter les malentendus du passé, tant en eux-mêmes que dans leurs communautés, mais aussi en leur faisant découvrir la pensée et la tradition juives comme une source d'enrichissement spirituel; c'est cette ouverture à l'autre qui convient et qui, en fait, s'avère nécessaire de nos jours.
Le dialogue
La grande leçon que nous avons à apprendre, tant du côté chrétien que du côté des juifs intéressés au dialogue, c'est celle de la patience. L'Eglise s'est mise, à une vitesse et avec une efficacité presque miraculeuses, à extirper de son enseignement les racines de l'antisémitisme et à les remplacer par une attitude positive de compréhension et de respect authentiques. Cependant, comme nous l'avons dit plus haut, il nous a pris deux mille ans pour frayer les voies et sortir du pétrin où nous nous trouvions, nous chrétiens, encore au milieu de ce siècle, tant pour la théorie que pour la pratique. Même guidés par l'Esprit qui, comme je le crois profondément, aide nos efforts, il nous faudra sans doute un certain temps pour en sortir. Le seul chemin qui s'offre à nous est celui du dialogue, d'une attention pleine de cordialité, tandis que nous ne cesserons de regarder plus haut, vers la réalité ultime de Celui qui, au long des âges, nous appelle à proclamer son Nom, et lui seul.