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Revista SIDIC XV - 1982/1
Abraham, Père des croyants (Páginas 17 - 19)

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Perspectives trialogue: Juifs, Chretiens et Musulmans
Sr Margaret Simpherdn - N. Dame de Sion

 

Nous avons maints témoignages des efforts faits depuis Nostra Aetate pour promouvoir la compréhension entre juifs et chrétiens comme entre chrétiens et musulmans. La Déclaration a certes marqué un tournant; il reste que le dialogue entre ces différentes communautés avait commencé déjà longtemps auparavant et qu'il avait été fructueux. Ce qui est relativement neuf, et encore à l'état d'enfance, c'est le trialogue entre les trois monothéismes.

Qu'avons-nous de commun?
Je suis redevable pour cette partie de mon exposé (1) Monika Hellwig qui a exprimé ses vues à ce sujet au Congrès de Graymoor (2) Avant tout, notre foi en un Dieu unique, que nous adorons comme le Créateur et le Juge de l'humanité et de l'Histoire. Cette foi exige que nous reconnaissions tous les hommes comme nos frères, et que nous respections leur dignité et leur liberté. Une des conclusions que nous devons aux chrétiens qui participèrent au Congrès de Tripoli (février 1976) est formulée ainsi:
« Tous les fils d'Abraham ont l'obligation de veiller à ce que l'héritage religieux qui leur est commun les amène à redécouvrir une confiance réciproque, à se renouveler dans l'amour mutuel et à trouver le courage d'agir de manière à ce que, par leur vie et par leur travail, ils collaborent en frères au service de la famille humaine. »

Le second point commun est notre conviction que l'Histoire a un but. Nous travaillons tous en vue de la venue ultime du Règne de Dieu, un Règne de justice, de paix et d'unité. Un troisième point, en lien avec le précédent, c'est que nous croyons à la vocation particulière de chaque personne et à celle de la communauté, appelées par Dieu à s'unir avec Lui selon une manière de vivre particulière. Les trois religions insistent sur l'appel spécial adressé par Dieu à Noé, à Abraham et à Moïse, un appel qui n'est pas seulement personnel mais qui concerne aussi l'ensemble d'une communauté. Chaque religion, à la lumière de ces récits de vocations, forge sa propre interprétation du récit et considère l'appel comme adressé à elle-même. Un tel universalisme qui, en même temps, exclut apparemment les revendications de l'autre, devrait forcément conduire à un conflit et à une impasse. Toutefois, toute communauté qui se prétend choisie spécialement par Dieu comme instrument de la rédemption du monde, doit nécessairement se demander comment elle se situe face à celles qui ont une prétention analogue. C'est, pour chacune d'entre elles, le seul moyen de se comprendre et de se définir elle-même.
Enfin, un autre terrain d'entente est notre héritage commun: la connaissance de la Bible et les ancêtres de notre foi. Les histoires racontées dans la Bible constituent un fonds de symboles et d'archétypes qui nous est commun. Même si nos interprétations divergent, nous avons là une base de connaissances et un terrain d'entente solides qui nous sont communs.

Situation particulière de l'Europe
Dans le contexte du trialogue (juifs-chrétiens-musulmans), la situation de l'Europe présente un intérêt particulier. Alors qu'autrefois l'Europe était considérée comme chrétienne, comportant une minorité juive, réduite numériquement mais importante, elle présente de nos jours un éventail idéologique fort différent. L'Islam est entré en Europe. Il y a actuellement en France deux millions de musulmans, un million et demi en Allemagne de l'Ouest, un million environ en Grande Bretagne, et des dizaines de milliers dans les autres pays d'Europe. Les musulmans sont devenus nos voisins, même si juifs comme chrétiens n'ont souvent pas pris conscience de cette nouvelle réalité. La croissance de la communauté musulmane européenne souligne le fait que l'Europe a cessé d'être un terre chrétienne, qu'elle comporte un pluralisme d'idéologies et de religions. La situation des musulmans peut se comparer â celle des juifs ayant émigré de Russie vers l'Occident au début du siècle. Il leur a fallu, aux uns et aux autres, s'adapter à un environnement étranger.

Les trois communautés ont à s'engager dans cette voie difficile qui consiste à apprendre les unes des autres, à apprendre de tous, même si le dialogue présente le caractère angoissant de ce qui est nouveau et inconnu. Comme le dit le rabbin Lionel Nue, l'importance du contexte européen consiste en ce qu'il rend l'éducation mutuelle à la fois nécessaire et possible. Au Moyen Orient, il y a confrontation des divers groupes, en Amérique l'un des éléments est absent; ici, en Europe, ils sont tous là et la situation extérieure les force à entrer en dialogue, en trialogue, ne serait-ce que parce que, sinon, ils se sentiraient trop faibles.

Les chrétiens engagés dans le mouvement oecuménique ont découvert de plus qu'il était à la fois nécessaire et possible d'apprendre les uns des autres. Beaucoup ont réalisé au plan pratique que des positions telles que: « J'ai raison, et vous... oui, vous êtes de bonne foi, mais...» sont tout bonnement impossibles à tenir. Ils ont même reconnu que les différences ne doivent pas nous opposer, et que, si nous voulons survivre, nous ne pouvons rester isolés. L'expérience oecuménique chrétienne a ici beaucoup à nous apprendre. Une fois que l'oecuménisme nous a forcés à mettre en question nos propres certitudes, à savoir que, nous et notre communauté religieuse, nous avons devant Dieu une place privilégiée, unique, nous en venons alors forcément à nous interroger non seulement à l'intérieur des diversités du monde chrétien, mais au-delà même de ses frontières. Sur ce point encore, certains trouvent que les structures ne sont pas adaptées à la situation. Des pressions nouvelles se font sentir. La situation au M.O. ou les problèmes de l'Irlande du Nord, pour ne mentionner que deux cas qui nous sont familiers, nous rappellent cruellement que le dialogue interconfessionnel est nécessaire non parce qu'il est intéressant, non comme un luxe théologique, mais parce que y renoncer pourrait avoir des conséquences historiques fatales.

Quel dialogue est possible?
Le Conseil mondial des Eglises propose ici des orientations. S'adressant à des chrétiens, il signale que le dialogue ne consiste pas seulement en réunions et en congrès, mais qu'il est aussi une manière de vivre en relations avec nos voisins dans tous les aspects de notre vie. Il insiste sur le fait que c'est seulement en restant vigilants par rapport aux points particuliers de tension et de discrimination, et aux occasions qui se présentent de contacts et de coopération, dans leur propre contexte de vie, que les chrétiens et leurs voisins seront en mesure de créer les conditions propres au dialogue. Ils devraient être spécialement vigilants en ce qui concerne les violations des droits fondamentaux des minorités religieuses ou culturelles.

L'Evangile lui-même presse les chrétiens de vivre proches de leurs voisins. Si un esprit d'amitié imprègne les relations dans les circonstances ordinaires de la vie, le dialogue peut graduellement embrasser tous les aspects de l'existence. Musulmans, chrétiens et juifs se trouveront alors en mesure de répondre ensemble aux questions fondamentales que se pose tout être humain...

Ecouter l'autre avec respect et attention quand il exprime ses convictions religieuses peut être une expérience fructueuse, amenant notamment à un approfondissement de notre propre foi. Il faut insister, outre cela, sur le fait que le dialogue doit permettre aux participants, comme le précise le Conseil mondial des Eglises, d'exposer leur foi et d'en témoigner dans leurs termes propres, car les analyses que nous faisons nous-mêmes de la religion de l'autre peuvent être à la racine des préjugés, des clichés et d'une attitude de condescendance. Il faut faire silence en soi, écarter les idées préconçues, sachant que l'autre se montrera différent de ce qu'on le croit être. Entrer en dialogue, c'est accepter l'autre précisement tel qu'il se montre et s'exprime lui-même tel qu'il est et tel qu'il veut être._ Etre capable d'écouter et d'apprendre de l'autre est particulièrement vital pour le judaïsme, le christianisme et l'Islam, les trois religions proclamant l'universalité du salut, une conception du salut puisée aux mêmes racines bibliques mais s'exprimant selon des interprétations de l'Histoire totalement différentes...
Pour entrer en dialogue, il faut être sensibilisé à l'Histoire. Si l'on veut que les horreurs commises dans le passé par l'une ou l'autre communauté ne se reproduisent pas, il est essentiel que nous ayons une certaine connaissance des relations qui ont existé jadis entre nos trois communauté de foi. C'est la seule manière d'apprécier en même temps la profondeur de nos divisions et /e travail qui se fait en vue de la réparation et de la réconciliation. Nous devrions éprouver en présence des autres tristesse et regret, et ainsi arriver è l'humilité et au repentir. Il faut aussi que chacun de nous prenne au sérieux ce qui caractérise la situation historique actuelle des autres; c'est la condition de tout dialogue. Chacune de ces religions est une foi vivante, et leurs fidèles ne sont pas des pièces de musée. Chacune doit accepter la croyance de l'autre que la révélation n'est jamais terminée, jamais totalement achevée, mais qu'elle se poursuit dans le courant d'une tradition vivante.

Un élément précieux, qui fait partie intégrante du judaïsme, du christianisme et de l'Islam, c'est une vigoureuse tradition de prière et de culte. La tradition mystique elle-même se retrouve dans chacune des trois religions. Il est possible de partager ces trésors et de s'en enrichir mutuellement. Il nous faut aussi apprendre une nouvelle manière de prier, non plus tant pour les autres que avec eux, ce qui, bien sûr, n'est pas sans poser certains problèmes. Comme le dit Kenneth Cragg, le culte est un royaume que pénètre le mystère: «La crainte, celle de Moïse devant le buisson ardent, est l'attitude qui nous convient ».

Bendorf
En Europe, le travail le plus important a été réalisé par le Comité permanent juifs-chrétiens-musulmans en Europe, qui est reconnu comme jouant le rôle le plus actif en ce domaine. Il est intéressant de connaître comment a commencé ce mouvement. Il s'est agi d'abord d'un essai pour rétablir des liens entre les juifs et l'Allemagne d'après-guerre. Un rabbin anglais, Lionel Blue, et un pasteur luthérien, Winfried Maechler, décidèrent d'organiser un échange d'étudiants. Ils découvrirent qu'il était possible, à partir de la foi religieuse, de se rencontrer, de prier ensemble et de se faite confiance mutuellement. On commençait en même temps à se rendre compte que la population musulmane en Europe se situait de façon analogue à la population juive, en ce sens que les musulmans, constituant eux aussi une minorité religieuse, s'efforçaient de vivre selon les principes fermement établis par leur tradition et leur loi dans une société totalement ignorante de celles-ci et qui, en fait, tendait par ses exigences pratiques à enlever à ces croyants toute possibilité de remplir leurs devoirs religieux. Quant aux chrétiens, ils commencent eux aussi à se rendre compte qu'ils ne sont qu'une minorité dans une société qui refuse bon nombre de ses postulats.

Des Congrès se sont tenus en Hollande, puis à Londres, à Berlin et à Bendorf. Pendant trois ans j'ai participé aux journées organisées à Bendorf, près de Coblenz, par le Comité permanent, pionnier des rencontre entre juifs, chrétiens et musulmans en Europe. Les Séminaires qui réunissaient des étudiants en théologie ont donné l'occasion â ceux qui demain assureront le rôle de guidesspirituels dans leurs communautés, de faire l'expérience de religions différentes de la leur, et ceci dès le début de leurs études.

Un aspect de cette riche expérience est le partage de la prière entre les trois communautés. Au Congrès de Graymoor, le rabbin Zalman Schachter de a Temple University » affirmait que « juifs, chrétiens et musulmans ne prient pas, ne peuvent pas prier, ne prieront pas ensemble, même dans les moments de rencontres ». Notre expérience à Bendorf a été toute différente. Il y a eu bien sûr des problèmes, surtout d'ailleurs à l'intérieur d'une même confession de foi, mais la leçon que nous en avons tirée, c'est que la première question à poser n'est peut-être pas: « Quelle est la formulation exacte de ce que je crois » ou « Quelle est la manière adéquate de prier ensemble », mais plutôt: « Comment pouvons-nous grandir au cours de nos rencontres, en priant ensemble, en vivant et en travaillant ensemble? Comment pouvons-nous développer en nous ce sens de la présence de Dieu et cet amour qui nous permettront de discuter les points sur lesquels nous sommes divisés? »

La condition vitale de tout progrès, c'est que chaque confession de foi reconnaisse les autres comme d'authentiques expériences de Dieu. C'est alors seulement qu'on peut aborder des sujets délicats et difficiles comme la centralité, le rôle unique de Jésus pour les chrétiens, la différence entre foi trinitaire et trithéisme, la non-abrogation de la Thora, la mission, l'affirmation des musulmans que Mohammed ayant reçu la révélation finale, judaïsme et christianisme sont par le fait même dépassés. Il y a aussi la question du lien entre foi et nation, et celle de la terre d'Israël, qui se pose à toute conscience juive. Toutefois, en ce qui concerne ce dernier point, il faut souligner que les questions politiques ne constituent pas le souci dominant de ce dialogue entre juifs, chrétiens et musulmans, et qu'on cherche à éviter de se laisser prendre dans des problèmes compliqués comme celui du conflit du M. Orient.

Un groupe de travail mixte, qui s'est réuni à Bendorf dès 1970, a élaboré une déclaration dont nous citons ici le début:
« Pendant trois jours nous avons vécu ensemble, responsables religieux chrétiens, juifs et musulmans. Nous avons eu le privilège d'expérimenter une profonde amitié, unis par la conviction que nous sommes les héritiers d'Abraham. Pressés par le désir de comprendre et d'être compris, nous avons exposé chacun notre conception des problèmes religieux qui se posent à nous dans l'Europe contemporaine, et notre compréhension mutuelle en a été stimulée. Chacun à sa manière a recommandé les autres à Dieu. Nous avons vérifié par notre expérience qu'il est possible, pour les représentants de ces trois grandes religions, de se rencontrer dans un esprit positif, constructif et dans une attitude de réconciliation... ».



Notes
1. Cet article, que nous avons dû abréger, a été écrit par un membre du Centre d'études pour les relations juifs-chrétiens de Londres, et il a paru in extenso dans le périodique catholique londonien The Month, en janvier 1981, et dans Christian-Jewish Relations, vol. 14, N° 3 (76), sept. 1981.
2. En 1977 s'est tenu à l'Institut Oecuménique Graymoor de New York un congrès portant sur le Trialogue juifs, chrétiens et musulmans.travail, ils collaborent en frères au service de la famille humaine. »

 

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