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Pèlerinage en Terre Sainte
M. du Buit, O. P.
[Le pèlerinage est un phénomène que l'on rencontre dans la majorité des grandes religions. Surtout le judaïsme, le christianisme et l'Islam attachent du prix à cette expression religieuse, quoique de manière différente. Pour les religions historiques, le pèlerinage est le signe du lien concret qui existe entre les fidèles et un lieu de révélation, considéré non en soi mais comme source de réflexion et d'inspiration. Pour beaucoup de fidèles, il est l'expression de leur existence en route, de leur foi qui commande la marche, à l'exemple d'Abraham appelé jadis à quitter, à marcher, à suivre le Seigneur.
Il est d'ailleurs évident que les auteurs, parfois de la même communauté religieuse, jugent différemment de la valeur de ce signe. Il n'y a pas d'opinion commune. A. W.]
Un point de vue chrétien
« On n'adorera plus sur cette montagne, ni à Jérusalem; les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » ( Jn. 4,20 et 23). Ces mots suffisent à marquer l'immense différence qui existe entre une piété de type judaïque, et une piété de type chrétien, vis à vis de la Terre Sainte.
Nul chrétien pourtant, ne peut se désolidariser de ce qui fut, de ce qui est encore, le mouvement des pèlerinages, dès les premiers jours de la liberté de l'Eglise. S'il y eut des aberrations comme la Croisade, il y a aussi la ferveur, l'esprit de pénitence, la joie spirituelle, qu'on ne peut négliger. Je pense à certains pèlerinages qui réunissent des masses de jeunes gens, et plus encore peut-être, à ces groupes d'orientaux, moins bruyants, mais plus vraiment pauvres, qu'on rencontre de temps en temps, quand on vit un peu longuement sur place.
Comprenons donc que tout chrétien est sur le chemin qui mème de la Loi à l'Evangile, pour parler à la manière de St Paul, et que bien peu d'entre nous sont tout à fait adultes dans le Christ. Iln'en reste pas moins que l'adorateur du Christ le rencontre d'abord dans l'Eucharistie, qui peut se faire en tout lieu; que le disciple du Christ le rencontre d'abord dans la personne des pauvres, qui, eux aussi, se trouvent en tout lieu. La place du pèlerinage est celle d'une pédagogie: « c'est du lait et non pas du solide » (1 Cor. 3,2).
Que le pèlerin s'imagine s'être purifié, ou sanctifié parce qu'il a touché, ou bien vu, les choses saintes, le pèlerinage est manqué. L'homme a seulement l'impression d'allègement qu'on éprouve toujours après avoir fait quelque chose d'exceptionnel et de difficile.
Qu'il s'imagine avoir fortifié sa foi parce qu'il a touché et vu les lieux et les choses, le pèlerinage est manqué. La force de la foi ne vient pas de là: « Heureux ceux qui n'ont pas vu...
(Jn. 20,29).
Mais qu'il comprenne que la parole a été adressée à de vrais hommes comme lui, habitants d'une vraie terre, et qu'elle lui sera adressée à lui aussi, de retour dans sa patrie; qu'il comprenne que la parole est devenue un Fils d'homme, membre d'un peuple comme les autres, et le pèlerinage est réussi.
La pédagogie d'un pèlerinage consiste à voir et à toucher les choses pour y retrouver les hommes, à leur tête le Messie d'Israël, et pour qu'ils cessent d'être des personnages livresques. Alors l'homme d'aujourd'hui sera disponible pour porter en tout pays du monde sa nouvelle docilité à la Parole qui va lui être adressée demain.
Une condition psychologique essentielle, à mon avis, c'est que le pèlerin sente le choc du dépaysement; tant qu'il croira être dans son monde habituel, il ne sentira pas que la Terre Sainte est d'abord une vraie terre où poussent les pommes de terre, et non pas le parvis extérieur de son Eglise. Tant qu'une foule de compagnons lui masquera la population locale, il ne sentira pas que le peuple de Dieu est d'abord un vrai peuple, et non pas les acteurs d'un théâtre biblique. Si on implante massivement en Palestine un morceau de chrétienté européenne, mieux vaut aller à Chartres, à Lourdes ou à Rome; c'est facile et c'est infiniment plus beau.
Bien des choses seraient peut-être à réviser: 1) propagande bruyante — un pèlerinage n'est pas une bonne oeuvre qui soit à recommander pour elle-même; c'est une expérience religieuse que certains ont besoin de faire; 2) programme trop chargé — le pèlerin doit avoir le temps de flâner, de rêver, de prier par lui-même.
Que dire des constructions gigantesques et somptueuses? Que dire d'une politique d'âpres revendications, qui se réclame du droit de propriété, des droits historiques, de décisions achetées jadis aux sultans? On souhaiterait pouvoir se contenter des libertés que les hommes civilisés se reconnaissent entre eux, même si cela fut souvent impossible, et même si cela n'est pas toujours facile aujourd'hui. Mieux vaut que chaque voyageur paie un peu plus et que la chrétientélatine ne fasse pas d'investissements massifs; si on veut aider les pauvres, qu'on établisse entre nous un système de péréquation. Mieux vaut un guide qui connaisse l'agriculture locale qu'un faiseur de pieux sermons. Mieux vaudrait une toile de tente que certaines églises, pour abriter un instant une liturgie de « nomades et voyageurs » (Héb. 11,13).
Me permettra-t-on un mot personnel? J'aime célébrer avec les pèlerins sous les auvents du Nébo ou du Thabor, dans les églises antiques et dépouillées de Ste Anne ou d'Abou-gosh, dans une communauté fraternelle ou une paroisse grecque-catholique, mais ailleurs...
Nul ne connaît la Terre Sainte au sens concret de la Bible, s'il n'y va pas avec un esprit humble et attentif: pas d'arme, peu de bagages, peu d'idées préconçues, beaucoup de docilité. « Bienheureux les doux, ils possèderont la terre ».