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Revista SIDIC XXXVI - 2003/1-2-3
Seeking a Culture of Dialogue (Páginas 19 - 22)

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Le sacré et le profane - Réflexion d'un Israélien religieux sioniste du camp de la Paix
David Rosen

 

La réponse religieuse du judaïsme au Sionisme fut nettement négative, et cela du point de vue des uns comme des autres: le judaïsme réformé y vit comme une régression tribale pouvant concrètement porter préjudice à ce qui était son objectif: la totale émancipation des juifs et l'accueil de ceux-ci dans des sphères plus larges de la société. Les juifs orthodoxes, dans leur ensemble, virent le défi de la modernité comme menaçant l'ensemble de leurs croyances, et ils cherchèrent en conséquence à s'éloigner, se tenant à l'écart du monde séculier. Le mouvement sioniste, même s'il trouvait son inspiration dans le lien ancien unissant le peuple à la Terre, n'en était pas moins un rejeton du rationalisme du 18e siècle et du nationalisme du dix-neuvième. Aussi, en dehors même de la question de savoir idéologiquement si un Etat juif pouvait être établi avant la venue du Messie, une grande partie des juifs orthodoxes considérèrent le Sionisme comme ayant partie liée avec l'ennemi - le monde séculier - et n'ayant de juif que l'apparence. On en trouvait la preuve évidente dans le style de vie et dans les aspirations exprimées par les principaux leaders du Sionisme - qui étaient bien loin des observances religieuses et d'un engagement théocratique.

Cependant une autre voix religieuse se fit entendre qui, elle, considérait cette entreprise profane de manière beaucoup plus favorable. Ce mouvement, qui fut connu sous le nom de Sionisme religieux, n'était pas motivé seulement par le désir d'apporter un support pragmatique au mouvement qui allait permettre au peuple juif de se réétablir dans sa patrie historique; le Sionisme religieux professa une théologie courageuse (faisant écho à une tendance théologique du passé), et celle- ci les opposa radicalement à l'antisionisme des ultra-orthodoxes. Si l'entreprise sioniste était profane, disaient-ils, cela ne la rendait pas illégitime mais démontrait plutôt que le "sacré" devait être découvert, perçu dans le profane. Selon cette idéologie, le Sionisme était une manifestation de la Présence divine agissant dans l'histoire, dans le monde profane: ce mouvement réaliserait le rêve prophétique du retour des exilés; et ne pas voir cela, comme le faisait l'antisionisme ultra-orthodoxe, c'était justement manquer de vision religieuse! Pour les orthodoxes opposés au Sionisme, une telle théologie était, bien sûr, l'hérésie ultime: tenter de sacraliser ce qui était par nature illégitime et profane!

Ces idéologies en conflit au sein du judaïsme orthodoxe ont fait bien du chemin depuis, et la manière dont elles s'expriment le plus souvent actuellement témoigne combien elles se sont rapprochées et cela, paradoxalement, après avoir fait des courses inverses, dont les motivations étaient bien différentes.


Les ultra-orthodoxes: évolution

L'antisionisme ultra-orthodoxe, (nous parlons actuellement en Israël du groupe "haredi", et j'emploierai dorénavant ce mot hébreu pour le désigner), modéra son attitude de rejet absolu du Sionisme face au drame de la Shoa, et face aussi à la réalité de l'Etat d'Israël qu'il en vint à considérer comme une "indésirable nécessité": c'était quand même la terre d'Israël et pouvoir y vivre était malgré tout quelque chose d'important, un privilège. De plus, le monde non-juif était resté un monde absolument aussi hostile, et les juifs n'y étaient pas en sécurité. L'Etat sioniste n'avait cependant aucune signification religieuse en tant que tel, et en tant que société il était fondamentalement "tref"(= non-cacher). Le souci des Haredim était exclusivement d'édifier leur propre société, avec ses institutions. De ce fait, ils continuèrent à vivre à l'écart de la société israélienne et de ses centres de pouvoir, d'autorité et de responsabilité.

C'est Menahem Begin qui est à l'origine du grand saut, lorsque des représentants des Haredim furent inclus dans le gouvernement israélien, prenant la responsabilité d'un Etat séculier, mais gagnant du même coup une bonne part des crédits dont ils avaient grand besoin pour leur subsistance et leur développement. De ce fait, la société des Haredim fut irrévocablement transformée, sans presque s'en rendre compte. En peu de temps, ils devinrent très dépendants de l'Etat séculier pour leur survie et, en même temps, les empiètements de la société séculière minaient lentement leur idéologie isolationniste et leur pureté ségrégationniste (ce qui est peut-être évident surtout dans les publications qui leur sont propres et les conflits internes qui s'y font jour, ce qui contribue aussi à saper leur prétention à une autorité unifiée autour de la Torah!). Ils utilisèrent même les assemblées profanes de l'Etat et, plus précisement la Knesset, pour y vider leurs propres querelles internes, comme par exemple le conflit entre Rabbi Shah, leader principal des Mitnagdim (des yeshivot de Lithuanie) et feu Rabbi Schneerson de Lubavitch, leader des Hassidim. Pour permettre de justifier idéologiquement ces prises de position (outre, bien sûr, les bénéfices pratiques), les leaders politiques des Haredim et leurs électeurs durent viser concrètement à changer de l'intérieur la société israélienne par le moyen de pressions politiques ou de législations, lorsque c'était possible. Cet engagement de plus en plus grand ne fut certes pas bien accepté par la grande majorité des autres instances politiques d'Israël. Il n'en reflète pas moins la dramatique et croissante immixtion, dans la vie démocratique de l'Etat d'Israël, d'une portion du peuple juif qui insistait, originellement, au nom de principes religieux, pour n'avoir rien à faire avec le Sionisme.


Le Sionisme religieux: évolution

La transformation d'une partie importante de la communauté religieuse sioniste reflête un mouvement qui est l'inverse de celui décrit plus haut et qui l'a rendue beaucoup plus proche de la communauté "haredi". Comme nous l'avons dit, c'est l'idée théologique que l'on doit trouver la Présence divine dans le monde séculier qui a permis d'attribuer à l'entreprise sioniste, non seulement une légitimité, mais aussi une signification religieuse. De ce fait, le Sionisme religieux s'est considéré comme une sorte de pont entre tradition et modernité; entre la partie de la population qui était religieusement observante et celle des séculiers non-observants avec lesquels il cherchait à vivre en dialogue et en coopération, en dépit des différences. Bien plus, en soutenant le monde séculier, il vantait l'importance d'une éducation séculière en même temps que religieuse, et il considérait donc que la culture séculière était valable quant à son contenu. Bref, il représentait un orthodoxie à l'esprit large.


Le changement de priorités qui s'opéra chez un grand nombre, dans cette communauté, a été sans aucun doute stimulé par la Guerre des six jours, et celle de Kippour. Mais les racines remontent plus loin et elles ont été exposées de manière pénétrante par le professeur Charles Liebman, de l'Université Bar Ilan. Le Sionisme religieux, malgré son sens de la mission, a souffert d'une certaine insécurité de part et d'autre, ce qui a été ressenti tout spécialement par la plus jeune génération. D'une part, la culture sioniste séculière dominante et ses chefs ne lui accordaient guère de respect et de considération: les juifs religieux étaient généralement considérés comme des marginaux et, au mieux, comme des originaux ou, au pire, comme faisant obstacle au progrès séculier. Par ailleurs, comme nous l'avons dit, le monde "haredi" considérait la communauté religieuse sioniste comme religieusement peu solide, et même comme peu sincère du fait de sa collaboration avec l'Israël séculier et de son ouverture à la culture et au monde séculier en général.

Pour le Sionisme religieux, le succès extraordinaire de la Guerre des six jours représentait une justification de ses revendications théologiques: Non seulement le retour du peuple sur la Terre, mais aussi le retour de la Terre au peuple - et en particulier des territoires historiques de Judée et Samarie - avaient une signification religieuse, et même messianique. S'installer dans ces territoires fut alors considéré comme un impératif divin. Cette idée fut adoptée avec passion après la guerre de Yom Kippour, et le mouvement qui en naquit, (qui prit le nom de Gush Emmounim= Bloc des fidèles), attira de jeunes juifs religieux sionistes capables d'affirmer leur supériorité, ou du moins leurs qualités de chefs face à la fois aux séculiers et aux "haredim": après tout, il s'agissait clairement du projet divin et c'étaient eux qui le réalisaient, et non pas les "haredim" qui restaient encore à l'écart de tout cela. Bien plus, ils se considéraient comme les nouveaux "haloutzim" (pionniers) qui poursuivaient l'idéal sioniste originel avec un zèle qu'on ne trouvait plus dans une société jugée de plus en plus relâchée. En fait, et cela particulièrement pendant les années qui suivirent, quand le Likoud fut au pouvoir, le mouvement des colons put mener le pays par le bout du nez, régentant la politique extérieure tout autant que le choix des priorités économiques.

Cette influence dans le domaine social et surtout politique causa, chez les Sionistes religieux, un rétrécissement des perspectives. Comme la mission était de plus en plus, et presque uniquement, considérée en termes de territoire, l'attitude envers le peuple dans son ensemble, envers la culture et le monde séculiers, devint de plus en plus fermée, rendant ces membres de la société sioniste religieuse beaucoup plus proches, dans leur "weltanschauung", de celle des Haredim. Ce qui est plus grave, cependant, c'est que la valeur accordée à la colonisation des territoires fut présentée de plus en plus comme d'une telle importance que tous les problèmes démographiques, économiques, politiques et même éthiques furent considérés, sinon comme hors de propos, du moins comme secondaires: Coloniser la Terre, n'était-ce pas après tout le projet divin?


Conséquences

Les conséquences les plus funestes de cette obsession mesquine se manifestèrent dans les relations de ces gens avec les Palestiniens non-juifs parmi lesquels, et sur les terres desquels souvent, ils s'étaient installés. Le plus souvent, les Palestiniens devinrent pour eux comme invisibles: parfois, cependant, les conflits d'intérêts avec eux furent résolus par l'identification que l'on faisait entre eux et l'ennemi biblique traditionnel: Amalek. Même si cela a été sans doute une exception plutôt qu'une règle, l'avilissement des droits, des vies et de la dignité des non-juifs devint un fait banal. Bien avant que Baruch Goldstein n'ait assassiné d'innocents fidèles musulmans priant à la mosquée du Maarat Ha-Makpela, à Hébron, il y eut les déclarations de rabbins tels que Rabbi Lior de Hébron, Rabbi Ginsburg de Sichem, et de bien d'autres, méprisant le caractère sacré de la vie et la dignité des non-juifs, spécialement des Palestiniens. Par ailleurs certains actes de violence contre des Palestiniens qui n'avaient fait aucune menace directe furent tolérés et même excusés, comme ce fut le cas pour Rabbi Levinger.

Le midrash (Tana de bei Eliahu) affirme que "tromper, voler et, (cela va sans dire) tuer un non-juif est pire que de le faire à un juif, non seulement parce que cela implique une profanation publique du Nom divin, mais aussi parce que celui qui agit ainsi envers un non-juif finira par agir de même envers un juif aussi". En d'autres termes, les Sages (Hazal) nous disent que la valeur de la vie et de la dignité humaines est une réalité indivisible, et que ne pas la respecter conduit inévitablement à un boumerang, et boumerang il y a eu, culminant dans l'assassinat de Itzak Rabin. Cependant la racine de cette dégénérescence morale a été justement l'idolâtrie de la Terre, qui faisait considérer l'idée d'un compromis territorial comme la trahison suprême.

Il est donc paradoxal que le meurtre de Rabin, non seulement ait apporté au gouvernement et à son processus de paix un support plus grand qu'il n'en avait jamais eu auparavant, mais quil ait aussi produit un affaiblissement notable de l'aile politique de droite, et de l'extrémisme religieux sioniste en particulier. En réalité le choc, au sein de la communauté religieuse sioniste, devant ce qu'a engendré sa propre idéologie l'a conduit à une sincère réévaluation de ses orientations dans les domaines de l'éducation et de la politique. Avant tout, cependant, cette idéologie militante des religieux sionistes a perdu le rôle moral de premier plan ainsi que la crédibilité politique qu'elle a eus à un certain moment. Ce n'est pas qu'elle ait représenté une tranche importante de la population, mais elle a pu compter sur une approbation tacite généralisée, sur une admiration même. Celle-ci est maintenant perdue, car le consensus s'est orienté différemment et la position précédente se trouve de plus en plus marginalisée.

Tandis que le processus de paix avance, plus rapidement maintenant que jamais, et tandis qu'Israël renonce de plus en plus aux territoires et à son intrusion dans la vie de la population palestinienne, ce militantisme religieux-sioniste n'en va devenir que plus périphérique et insignifiant. (Je pourrais noter en passant que ceux d'entre nous qui sont des religieux sionistes du camp de la Paix ont fait l'expérience inverse. Le gouvernement actuel et ses accords d'Oslo nous ont fait passer d'une certaine marginalisation dans la société israélienne à un rôle d'avant-scène, ce qui est encore davantage le cas depuis l'assassinat de Rabin). Quant à ce meurtre, il ne fut que la manifestation du désespoir d'une idolâtrie qui, inconsciemment même, sentait que les choses échappaient à son contrôle et à sa direction. Sur ce point, je pense que c'est exact, et je remercie Dieu qu'il en soit ainsi tout en priant pour que cette tragédie puisse aider le Sionisme religieux à retrouver son bon sens, son idéal, son rôle et son but historiques.


Après avoir exercé son ministère rabbinique en Afrique du Sud et en Irlande (où il a fondé le CCJ = l'Amité judéo-chrétienne), Rabbi David Rosen vit maintenant en Israël. Il est Directeur du Pinhas Sapir Center for Jewish Heritage (dans la Vieille Ville de Jérusalem) et Directeur des affaires interreligieuses en Israël pour le AntiDefamation League of B'nai Berith.
Cet article, traduit de l'anglais, a été écrit avant les élections de mai 1996.

 

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