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Une seule Alliance pour les croyants au Dieu d'Abraham - Perspective Chrétienne
Willibrord Meekers
Le juif et le chrétien sont d'une même lignée dans leur Alliance avec Dieu. La semence du Verbe divin est semée avec largesse dans la Bible hébraïque. Ces germes portent en eux-mêmes la réalité du salut et ils croissent vers la plénitude de la Promesse. Quand nous reconnaissons cet arbre commun dans lequel nous sommes tous insérés par la foi, nous pouvons continuer â croître jusqu'à l'achèvement. Comme exemple de cet enracinement et de ce développement dans la foi judéo-chrétienne, je voudrais présenter ici un texte de la Genèse, celui de la rencontre d'Abraham avec Melchisedek (Gn 14, 17-24).
Lors de cette rencontre, on apporte du pain et du vin et, au cours de l'offrande, c'est à la fois Dieu et Abram qui sont bénis: Dans cette bénédiction, (le mot est important), tous les peuples appartenant à Abram — appelé dorénavant Abraham — se trouvent accueillis. Cette bénédiction universelle en Abraham, promise lors de la première rencontre de celui-ci avec le Seigneur Dieu, est rapportée en Gn 12, 1-3 et se termine ainsi: "Par toi se béniront tous les clans de la terre". Appartenir à Abraham, c'est "croire" comme il l'a fait: c'est s'abandonner sans conditions et dans la fidélité de toute une vie à l'Alliance de Dieu avec nous. Dans cet engagement, le juif, le musulman et le chrétien peuvent se reconnaître. Cette Alliance se réalise quand nous la vivons de l'intérieur, le coeur et l'âme totalement orientés vers le Dieu vivant dans notre vie quotidienne. Cette bénédiction devient alors bienfaisante pour tous. Elle porte réconciliation et paix (quand Abraham revient du combat); elle conduit au pardon et au respect de l'autre dans son intégrité (chaque personne, chaque peuple reçoit sa part, cf: Gn 15, 21-24).
Cette bénédiction est exprimée matériellement par le don du pain et du vin. Le pain est la nourriture fondamentale de bien des gens; le vin est une boisson qui stimule et réjouit le coeur. Ce sont des produits naturels qui ne nécessitent ni abattage d'animaux, ni effusion de sang; ce sont des fruits de la terre sans défense, mais provenant d'un savoir-vivre non violent avec la création. Ils expriment l'état authentique de l'être humain quand il vivait en harmonie avec l'ordre de la création (les arbres, les fruits, les plantes, les animaux, les autres êtres humains, cf: Gn 1, 29); la sécurité totale, et pour tous, voulue de Dieu:
Que nul ne menace personne;
que nul ne blesse ou tue personne;
que nul ne vole personne.
La réalité de la création, dans son principe et dans son achèvement, nous est donnée ici. C'est la réalité essentielle de Dieu qui doit se concrétiser en nous, les humains; c'est vivre authentiquement l'alliance du Seigneur. Nous trouvons en Isaïe 2, 1-9, une autre expression de cette réalité:
que l'on ne fasse plus aucun mal;
que tous connaissent Dieu;
la justice se réalisant,
on pourra habiter dans la paix et la sécurité;
l'esprit de Dieu descendra du ciel et sera activement présent dans toute l'humanité.
La mission de tout croyant, de tout être humain, est d'attendre, de vivre cette réalité, d'être prêt à l'accueillir; c'est vivre actuellement en présente de Dieu. Nous sommes bénédiction pour tous les peuples quand nous consentons à cette réalité, dans la foi en cette Alliance. Pourquoi les hommes se combattent-ils ? Pourquoi ne pas laisser place, pour vivre, à des gens différents de nous? Pourquoi ne pas vivre avec l'autre croyant, au lieu de nous mettre contre lui? Qu'est-ce que croire et vivre en croyant? Qui est ce Dieu dont nous disons: "Je crois en Lui?"
C'est Son ordre de salut qu'il nous faut réaliser. Nous sommes de véritables croyants quand nous nous offrons mutuellement le pain et le vin, des présents non violents, excluant toute envie; des dons exprimant le respect de la vie, et qui sont partagés largement avec les autres. Donner, partager, bénir, recevoir et permettre de grand coeur que l'autre ait sa part, c'est cela l'esprit de la Sainte Ecriture; c'est, de manière très humaine, bénir le Très-Haut en présentant à notre prochain le pain et le vin de nos vies. Dans ces dons, nous nous donnons nous-mêmes; nous devenons pain et vin pour les autres. C'est exactement ce que Jésus a accompli en offrant ces dons à ses disciples. Il se donnait lui-même, toute sa vie, dans ces humbles réalités du pain et du vin:
Prenant alors une coupe (de vin) il rendit grâce et dit: "Prenez ceci et partagez entre vous; car je vous le dis, je ne boirai plus désormais du produit de la vigne jusqu'à ce que le Royaume de Dieu soit venu". Puis, prenant du pain, il rendit grâce, le rompit et le leur donna en disant: "Ceci est mon corps donné pour vous; faites ceci en mémoire de moi". Il fit de même pour la coupe après le repas, disant: "Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, qui va être versé pour vous" (Lc 22, 17-21).
se réalise dans des gestes, des événements très concrets, avec une attitude humble et pure. L'alliance avec Abraham se continue dans cette offrande et ce don de nous-mêmes. C'est une seule alliance, mais elle se développe en plénitude dans la vie, dans le coeur de toute personne humaine: par l'acceptation du prochain, l'estime de sa culture et de sa religion, l'écoute de l'autre, la confirmation de ce qui est bon, vrai, noble en lui.
Cela ne signifie pas une confusion des expressions, un effacement de l'identité, un syncrétisme artificiel; non, mais on devient ce qu'on est dans l'alliance vécue en Dieu, chacun avec sa culture, sa personne, son identité, son expression. On reconnaît l'oeuvre de Dieu en tous ceux qui sont en alliance avec Lui. Tous les croyants sont fondamentalement unis dans l'alliance d'Abraham avec Dieu, mais il faut, dans la réalité, développer cela jusqu'à la plénitude de cette réalité; il nous faut croître dans la communication et dans une relation vraie qui se réalise par la conversion continue des coeurs; cela exige d'être accueillant aux êtres humains et à leurs organisations. Voulons-nous réellement donner et recevoir, sans préjugés ni égoïsme? Sommes-nous fermés d'avance à l'autre, enfermés dans notre suffisance, notre orgueil ou notre hostilité, dans la dureté de nos coeurs et de nos pensées? Dieu seul peut nous libérer de telles attitudes.
Pour vivre l'alliance et progresser dans son accomplissement, à la fois intérieur et extérieur, nous avons besoin de l'aide et de la grâce du Dieu vivant. Aussi devons-nous prier:
Nous communiquons vraiment et nous réalisons une communauté humaine, quand nous partageons nos dons, sans égoïsme; quand nous nous donnons nous-mêmes. La nouveauté de cette unique alliance est le don de soi, dans l'amour, aux autres. Cela Seigneur, donne-nous un coeur humble et de bonne volonté. Rends-nous, dans la vie, serviables et hospitaliers. Donne à chacun de nous la lumière des yeux et un lieu où il puisse vivre sans angoisse, en pleine sécurité. Donne-nous d'être pain et vin les uns pour les autres, afin que la bénédiction du Dieu de l'alliance se répande largement sur toute l'humanité.
Willibrord Meekers est un Père bénédictin de l'abbaye Sion, à Diepenveen (Hollande), fidèle lecteur de la revue SIDIC.