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L'autre et l'etranger dans la tradition biblique et rabbinique
Asher Finkel
La perspective biblique
Le fait que la Bible débute par l'histoire de la création en deux volets a introduit une vérité révolutionnaire dans le monde ancien, caractérisé par le culte de la nature et par une mythologie qui en personnifiait les éléments. La Bible a révélé à l'humanité la réalité ultime du Dieu créateur, être non engendré et transcendant toute connaissance. Dieu seul crée, dans sa bonté, le cosmos et tout ce qu'il contient, et Il donne à l'humanité d'être à Son image. Aussi l'être humain a-t-il la liberté de créer, façonner, découvrir et choisir selon sa volonté ou sa pensée propre. La personne humaine reste créature de Dieu, sujette aux maladies, aux limitations et à la mortalité; et cependant elle a la possibilité de transcender la réalité physique par son esprit, qui est une empreinte de l'image divine. A cette lumière, tout être humain, quel que soit son sexe, sa couleur ou sa race, jouit de la même possibilité (1) d'entrer en une relation unique avec son Créateur. Tous sont "enfants" de Dieu, appelés à devenir les partenaires de leur Créateur; car "toute son oeuvre a été mise sous leur responsabilité" (Ps 8,7). Ils doivent accomplir la volonté de Dieu en promouvant le bien, et assumer la responsabilité qui est la leur de prendre soin du monde qu'Il a créé. En vivant dans la compassion, le souci de l'autre et l'amour altruiste, l'être humain peut choisir de marcher dans la voie du Seigneur qui a «'créé le monde dans Sa bonté'» (Ps 89,3).
Une telle vision était en contraste avec le monde ancien, celui des religions idolâtres (2), qui adorait les puissances, promouvait la recherche du pouvoir personnel sans aucune sensibilité aux autres (empathy). Il prônait une morale relativiste, déterminant le bien et le mal en fonction du plaisir ou de la peine de l'être humain, en fonction de la convoitise et de la honte. En un tel monde, la tyrannie régnait (les rois devenant des divinités), l'esclavage était chose courante (les humains devenant objets de possession) et la violence sévissait (la vengeance devenant une loi). Les conflits se résolvaient par la guerre, la convoitise aboutissait à des confiscations. Ainsi la Bible nous présente-t-elle, dans les temps précédant le Déluge, des actes primitifs de l'humanité qui sont des meurtres (Caïn tuant Abel), qui défient la transcendance divine (la Tour de Babel), ou des rapts de femmes (par les géants déchus), le règne de la violence (celle de la génération précédant le Déluge), tout cela causant finalement la destruction de l'humanité et celle de la nature (le Déluge).
Les 4 axes de relations humaines et les principes bibliques
Les chapitres d'introduction à la Bible présentent, sous forme de paradigmes, les principes conducteurs de son enseignement et de ses lois. On discerne, dès le début, quatre notions essentielles appelées à déterminer les quatre axes fondamentaux des relations humaines (3): les relations transpersonnelles (entre la personne et Dieu), interpersonnelles (entre la personne et une autre), subper-sonnelles (entre la personne et la nature) et intrapersonnelles (entre la personne et elle-même). Dans le domaine des relations transpersonnelles, Dieu est une réalité "mise à part" (sacrée). Il est le Tout-autre qui éveille la crainte et l'amour révérentiel en ses créatures, particulièrement chez les humains capables de discernement. Le blasphème et le refus de reconnaître l'existence divine sont des actes d'impudence, le refus de ce qui est le principe ultime par l'être humain (qualifié alors, selon le langage rabbinique de "Kofer ba'ikkar"). La personne en tant que telle, de sa propre volonté, se soustrait à toute relation avec Dieu. Dans le domaine des relations interpersonnelles, la vie humaine est chose sacrée. Elle est un don de Dieu qu'il faut protéger et non point détruire. De par le meurtre, l'image de Dieu" même est éliminée, et de ce fait tout homicide manifeste un refus du principe ultime. Une telle vision souligne aussi le sens de la dignité et de la valeur de la personne en tant que régulateur vital des relations interpersonnelles, et elle pose en principe la "voie du Shalom" (paix) qui est son but même.
Il était aussi dans le dessein de Dieu que ses créatures humaines soient de deux sexes différents afin de favoriser la procréation dans l'union matrimoniale (Gn 2,24). En effet, le premier commandement dans la Bible (4) est celui de la procréation (Gn 1,28). Le mariage hétérosexuel, dans le consentement et l'amour mutuels, est une institution sacrée par laquelle s'instaure la famille naturelle en même temps que s'établit un bon ordre social. Cette famille doit être préservée par des lois restreignant l'inceste et l'adultère, l'homosexualité et le viol des enfants, selon le Code de Sainteté (Lv 18,20). Le viol, selon la Bible, est donc équivalent à un meurtre (Dt 22,26): il n'est pas seulement un acte de violence en vue de posséder égoïstement une personne; il porte aussi atteinte à la dignité et à la valeur d'un être humain. Et ce n'est pas la seule violence contre les personnes qui est prohibée, mais aussi celle envers les êtres non personnels. Envers le monde animal (5), il est interdit d'agir avec brutalité ou de faire souffrir. En ce qui concerne le monde végétal (6), il est interdit de couper des arbres portant des fruits et de polluer la nature. Les relations subpersonnelles comme les relations interpersonnelles sont soumises à l'impératif de la compassion et de l'amour humains; car la violence profane aussi l'ordre créé par Dieu, qui est un reflet de sa bonté et de son amour. La tendance agressive qui pousse la volonté humaine à faire le mal vient défier le dessein de bonté de Dieu envers l'homme et la nature. C'est finalement la violence seule qui détermine le sort du monde au temps du Déluge (Gn 6,11-12), car "les machinations de l'homme, les pensées profondes de son coeur sont démoniaques" (Gn 6,5). Si l'on se conduit de manière violente, dans le domaine des relations interpersonnelles, cela est lié finalement au domaine des relations intrapersonnelles (avec soi-même). C'est, en fait, sur ce point essentiel qu'a porté l'enseignement des prophètes.
Le but de la Bible est de conduire l'être humain à l'amour et à la bonté, de l'éloigner de la violence et du mal (Ps 34,15). Le domaine intrapersonnel est soumis à une lutte intérieure (7) entre "les tendances au bien et au mal", qui donne à la personne le courage de dominer ses instincts négatifs et d'être "à l'image de Dieu": cela doit se manifester dans son amour altruiste envers le prochain (le domaine interpersonnel) et dans sa compassion envers toutes les créatures (le domaine subpersonnel). Le fait d'être "à l'image de Dieu" s'exprime dans l'imitation de l'attribut divin de miséricorde. Dans les récits bibliques, Dieu lui-même est présent aux événements humains et naturels, afin de manifester sa manière à Lui d'aimer: " Dieu est bonté envers tous, et sa compassion s'étend à toutes ses créatures" (Ps 145,9); et quand nous cherchons à aimer à son imitation, cela renforce notre amour envers les autres. Le commandement de l'amour gouverne en effet les relations transper-. sonnelles comme les relations interpersonnelles. Gille! (8) explique, en une expression succinte, que la législation et l'enseignement de la Bible ne sont que les commentaires du commandement de l'amour interpersonnel qui, selon les rabbins, inclut le commandement transpersonnel de l'amour. Jésus, son jeune contemporain, enseignait de même (Mt 22, 35-40).
Les lois noachiques
A partir de l'histoire d'Adam (9), cinq péchés cardinaux apparaissent dans le comportement humain: 1) le blasphème, 2) le refus de Dieu Créateur et Providence en tant que réalité ultime, 3) le fait de répandre le sang, 4) la violation du mariage et de la famille par l'adultère et l'inceste, 5) la violence. De telles actions mènent au chaos, et elles eurent pour conséquence le Déluge. Un seul juste, qui marchait dans les voies du Seigneur, fut sauvé avec toute sa famille. Ce fut donc Noé qui propagea la race humaine. Ses descendants (les "Noachides" selon le terme rabbinique) sont à l'origine des civilisations historiques. Ils doivent se laisser guider par les lois noachiques, qui sont les principes bibliques universels pour une société civilisée. Outre les cinq principes adamiques énumérés ci-dessus, deux préceptes essentiels sont imposés à Noé en Gn 9,1-7: 6) en ce qui concerne les relations subpersonnelles, l'interdiction d'agir avec violence dans l'utilisation de la chair et du sang des animaux et 7), dans le domaine des relations interpersonnelles, l'établissement de lois et d'ordonnances. Ces deux préceptes sont ajoutés afin de stopper la violence qui mène le genre humain et la nature au chaos. Dieu Créateur promet en échange de maintenir les cycles de l'ordre naturel (Gn 8,20-22).
Ces 7 lois noachiques (10) constituent, pour le genre humain, un programme fondamental universel permettant de vivre en présence de Dieu, de réaliser son dessein de bonté envers le monde et de conduire les nations dans la voie du Shalom. Ces lois de l'alliance noachique ont précédé celles de Moïse, qui seront données par la suite au peuple d'Israël dans le contexte d'une alliance. Au Sinaï, Israël reçoit un nombre bien plus grand de commandements qui, selon les normes des rabbins (II) établies à partir des 7 codes du Pentateuque, sont au nombre de 613. Cette somme représente numériquement la "Torah" (T + W + R + H = 611) donnée par Dieu à Moïse, plus les 2 premiers commandements de Dieu proclamés au Sinaï. Ces commandements régissent les quatre axes des relations humaines et ils concernent différentes personnes au sein ou à l'extérieur de la communauté, hommes, femmes et enfants. Ils s'adressent à Israël particulièrement, appelé à devenir "un royaume de prêtres et une nation sainte" (Ex 19,6). Israël est élu dans le sens d'un engagement, et non pas choisi dans un sens raciste. Sa vie doit être gouvernée théocratiquement par un ensemble de commandements divins qui le préparent à devenir une nation sacerdotale. Cette distinction en vue de la mission est introduite dans la Bible, mettant Israël à part des autres nations soumises à Dieu. Le prophète Isaïe décrit le rôle d'Israël comme celui d'un "Serviteur de Dieu" appelé à être "une lumière pour les nations" (Is 49,6), toute l'humanité pouvant d'ailleurs se joindre à Israël et partager son élection (Is 56,6.7). Elle peut cependant rester liée à Dieu par l'alliance noachique seule, qui permet aux nations du monde d'atteindre à la justice. Selon la Bible, tous les autres êtres humains, aux temps anciens, vivaient en dehors des voies de l'alliance biblique universaliste et particulariste, refusant ses enseignements, suivant la voie de l'idolâtrie, de l'adultère, de l'homicide et de la violence, qui a sa source dans le culte de la nature et dans la mythologie. Ceux-ci sont qualifiés de peuples rendant "un culte aux étoiles" (avodat kokhavim) ou rendant "un culte étrange" (avodah zarah) dans la tradition rabbinique — qui était bien au courant du culte des astres ou du soleil (helios) dans le monde gréco-romain.
L"'autre" dans la tradition biblique: les classes socio-économiques
A la lumière des remarques faites ci-dessus, il est important de distinguer deux modes de classification dans la Bible: l'un tient compte des classes socio-économiques et l'autre, des aspects religieux et ethniques. Dans le premier groupe, la Bible distingue huit sortes différentes de pauvres (12) qui font contraste avec la classe aristocratique, celle des riches et des puissants. La Bible mentionne aussi l'esclave et l'affranchi, le noble et le roi, le soldat et le fonctionnaire, le scribe et le prêtre. A cette grande variété de caractères socio-économiques s'ajoute aussi un groupe marginal, celui des orphelins, des veuves, des sans-abris ou hors castes. La Bible reflète apparemment la situation de son temps, celle d'une société agricole ayant sa monarchie, et elle accepte la réalité socio-économique telle que la dynamique des relations interpersonnelles l'a façonnée. Son originalité est de manifester son attention et sa compassion envers les pauvres, les affligés et les opprimés: "Le pauvre, en effet, ne disparaîtra pas de la terre; Dieu te demande donc d'ouvrir ta main à ton frère qui est pauvre" (Dt 15,11). Dieu lui-même protège les orphelins et les veuves, les pauvres et ceux qui sont dans le besoin (Ex 22,21-22).
Le premier acte rédempteur de Dieu, dans l'histoire, est la libération du peuple d'Israël de l'esclavage et de la servitude en Egypte. C'est cet acte qui vient démontrer l'existence même de Dieu dans la déclaration d'ouverture du Décalogue: "Je suis le Seignur, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude" (Ex 20,2). Notez que celle-ci n'apporte pas un argument cosmologique plus persuasif, une preuve du dessein de Dieu démontrant son existence; car la Bible n'est pas un livre d'arguments philosophiques basés sur la seule raison humaine: elle est plutôt un livre révélant son engagement effectif dans l'histoire humaine et montrant l'attention pleine d'amour qu'Il porte à sa création. Mieux valait commencer par une affirmation de vérité fondée sur une expérience humaine historique. La morale de la Bible est caractérisée par le "pathos" et l'amour, et non par l'apathie et le désengagement. C'est ainsi que les prophètes ont fait l'expérience de Dieu, dans le sens "anthropopathique" (13). Les commandements de la Bible viennent comme soutenir les niveaux les plus élevés de la vie morale. Ainsi le penchant pour les pauvres et les opprimés qui se manifeste dans les écrits prophétiques a-t-il sa source en un Dieu qui appelle les êtres humains à l'amour dans leurs relations interpersonnelles: "C'est l'amour que je veux, non les sacrifices", (Os 6,6).
Dans la tradition biblique, "l'autre" est le pauvre, qui devient aussi le modèle même de l'abnégation, de la douceur, du don total de soi. En effet, celui-ci fait l'expérience de son état de créature, de la souffrance et du "pathos" humains, et cela peut ouvrir son être à l'esprit, lui permettre d'être touché par le Tout-autre. En effet, "partout où vous découvrez la grandeur de Dieu, vous découvrez aussi son humilité", enseignait Rabbi Yohanan (14). Dieu manifeste son attention à l'autre en se limitant lui-même à une personne donnée, en un lieu, un temps et des circonstances particuliers, afin de s'intéresser à ses besoins. Moïse se trouva d'abord écrasé par la terrifiante majesté divine, se cachant la face devant le Buisson ardent (Ex 3,6); il eut ensuite une nouvelle révélation de l'amour "anthropopathique" de Dieu en apprenant le Nom divin. La grandeur du Créateur se révélait en effet dans l'insignifiant bouquet d'arbustes consumé par le feu. Aussi les rabbins (15) interprètent-ils le Nom divin dans le sens suivant: "Celui qui était avec toi dans l'affliction du passé sera avec toi dans les servitudes à venir". Dieu se révèle lors de l'exil, et même sur le bûcher Il manifeste sa protection (c'est l'histoire des 3 jeunes gens dans la fournaise en Dn 3,11-23). Ce thème devint important dans l'enseignement théologique des rabbins lorsqu'ils précisèrent comment vivre en présence de Dieu après la destruction du Temple. Lorsque les sacrifices, le culte et les cérémonies du Temple prirent fin, l'orientation ultime de la vie religieuse d'Israël se définit dans la pratique d'un amour plein de bonté (17).
L'"amour pour l'étranger-résident" (ger) est ordonné, originellement, en tant que manifestation d'attention et d'intérêt envers "l'autre" au sein de la communauté. Israël avait fait l'expérience, en effet, au cours des années en Egypte, à l'origine de son histoire, d'une vie de résident étranger (Ex 23,9). Dans la servitude même de l'exil, le peuple avait survécu et s'était accru. Moïse, qui avait manifesté son inquiétude devant une telle situation (Ex 2,11), fut envoyé par Dieu pour libérer ce peuple dont Il avait entendu les cris. Ainsi Israël, dans tous ses exils futurs, s'adaptera aux différentes situations en pratiquant l'amour et la bonté. Sa vie parmi les non-juifs ne sera possible que grâce à l'établissement de diverses institutions philanthropiques permettant le support mutuel dans les temps d'exil, et à l'instauration de relations avec les autres, en dehors de la communauté, qui soient guidées par les mêmes principes (18).
L'étranger" dans la Bible: au sens ethnico-religieux
L'autre mode de classification, dans la Bible, présente l'étranger" (zar ou nokhrt) en le distinguant du peuple d'Israël en tant que catégorie ethnico-religieuse. Ceci est évident quand l'"étranger" est associé à l'idolâtrie ou, selon l'expression rabbinique, à un "culte étrange". Il y a là contraste entre la vie vécue en présence de Dieu et la vie au sein d'une société enlisée dans une nature personnifiée par des dieux et des déesses. Le message biblique orientait vers la liberté, l'égalité et la compassion et contrastait avec le monde ancien, celui du culte rendu à la nature et de la mythologie, où régnaient la violence, l'esclavage et l'apathie. Un tel contraste se manifeste, dans la Bible, entre les Patriarches et ceux qu'ils côtoient. Abraham, par exemple, pratique une hospitalité, une bonté qui est exactement à l'opposé de la conduite des habitants de Sodome et Gomorrhe. Selon les rabbins, ceux qui marchent à la suite d'Abraham font preuve de compassion, de modestie, d'humilité et de satisfaction (Mishna Avot 5,22); car 'ils suivent la voie de Dieu en accomplissant la justice et le droit" (Gn 18,19). Si les actes de Sodome et Gomorrhe sont condamnés, ceux qui les commettent demeurent des créatures de Dieu. Abraham, qui marche avec Dieu, en a l'intuition et cela le pousse à prier pour eux: "S'il se trouve seulement dix justes dans la ville, vas-tu vraiment la supprimer?" C'est la première prière d'intercession rapportée par la Bible (Gn 18,23-32), manifestant un souci "théopathique" dans le culte: on prie pour les autres poussé par la compassion, on demande l'élimination du mal, mais non la destruction de la vie. Beruriah, la pieuse épouse de Rabbi Meir, au 2e siècle de notre ère, amenait son mari à reconnaître que toutes les prières malveillantes du Psalmiste étaient un appel à la suppression du péché, et non à la suppression des pécheurs en tant que créatures humaines (19).
L'étranger" se trouve inclus dans la fameuse prière de Salomon demandant à Dieu d'écouter les prières d'Israël dans le Temple: "Même l'étranger qui n'est pas de ton peuple, s'il vient d'un pays lointain à cause de ton Nom... et prie en ce Temple, toi, écoute-le au ciel... et exauce toutes les demandes que l'étranger t'adresse" (1R 8,41-43). La miséricorde de Dieu, en effet, dure à jamais, et elle s'étend à toutes les créatures. Cela est vrai dans la perspective du Créateur mais, du point de vue humain, la différence qui existe entre les deux mondes de pensée, éthique et religieuse, a bien souvent mis en péril l'existence même des rares humains qui, dans l'Antiquité, s'étaient écartés du polythéisme. Les "matriarches" d'Israël ont couru bien des dangers et la vie des Patriarches a même été menacée, car la crainte de Dieu n'existait pas chez leurs voisins (Gn 12,11-13; 20,10-11; 26,9). Le peuple juif a fait l'expérience des méfaits de la xénophobie au sein des nations, et cela non du fait des seules différences socio-économiques, mais du fait surtout qu'il était menacé par le démon en personne, qui se découvrait dans des attitudes antijuives. C'est ainsi que l'antisémitisme s'est manifesté tout au long de l'histoire juive (20); et du fait de l'attitude menaçante des "étrangers", les juifs adoptèrent une attitude défensive dans leurs relations avec les non-juifs.
D'une part, ils prenaient des mesures de précaution pour limiter les contacts sociaux entre les deux groupes et promouvaient des lois "somptuaires" réglementant la conduite à tenir envers les "autres"; d'autre part, ils acceptaient la "loi du pays" dans la mesure où elle n'entrait pas en conflit avec leur conviction religieuse, et ils recherchaient les "voies du Shalom" quand ils traitaient avec les "autres". Il fallait manifester son souci des pauvres et des indigents, enterrer leurs morts et soigner leurs malades, en encourageant les actes de bonté envers les non-juifs.
Les ger-toshav et les craignant-Dieu
La tradition biblique présente l'alliance mosaïque comme offerte aux juifs, et l'alliance noachique au reste de l'humanité. Ces deux alliances ont en commun certaines lois essentielles concernant les 4 domaines de relations humaines. Ainsi, un "étranger" qui devient un "craignant-Dieu" (en grec: phoboumenos) et accepte de suivre les lois noachiques est considéré, dans la tradition rabbinique, comme un "ger-toshav", c'est-à-dire un résident étranger qui partage votre manière de vivre sous une forme minimum. Il est considéré comme l'égal du juif (21), même s'il n'est pas entré dans l'alliance mosaïque en se faisant circoncire. Il n'observe pas le shabbat et les fêtes, ni ne suit les lois diététiques, ce qui constitue le signe essentiel de la pratique juive. Les "geré-toshav" sont devenus un groupe important de semi-prosélytes à l'époque du Ile Temple, particulièrement après la conversion forcée d'habitants de l'Idumée et de la Samarie par le souverain hasmonéen Jean Hyrcan; beaucoup de femmes, en particulier, subirent l'influence de la traduction grecque de la Bible lorsqu'elle connut une circulation plus large au sein du monde hellénistique.
L'Eglise primitive fut en relations étroites avec le groupe des "phoboumenoi", et elle comprenait bien le sens des lois noachiques, comme l'atteste le livre des Actes. Dès le début, elle fit porter son effort missionnaire sur ce groupe de "craignant-Dieu" aussi bien que sur les juifs. Quand Paul consulte le Concile de Jérusalem, en 48 de notre ère, en ce qui concerne la mission envers les Gentils, Jacques, frère du Seigneur et évêque de l'Eglise, lui fait part dans une lettre de la décision prise d'accueillir les Gentils s'ils acceptent de se plier aux exigences minimum de la loi noachique (Ac 15,19-30). Cette décision prise par l'Eglise primitive est un événement significatif, indiquant que le christianisme a d'abord cherché à introduire les croyants dans la foi orientée par la Bible et à vivre dans la continuité avec l'Ancien Testament. Paul sera à l'origine d'une interprétation théologique différente de l'expérience chrétienne pour les Gentils; mais l'orientation biblique demeurera la même. Il existe même un courant rabbinique contemporain qui considère les chrétiens comme des "geré-toshav" du fait que non seulement ils reconnaissent l'Ancien Testament comme source de révélation, mais qu'ils vivent aussi les exigences minimales de l'alliance noachique (22). Leur conception trinitaire de la Divinité ne les écarte pas de leur foi en Dieu. Telle est la position des autorités rabbiniques dans l'Europe chrétienne, où elles se sont trouvées davantage en relation avec le christianisme. Les rabbins des pays islamiques ont adopté, eux, le point de vue des juristes de l'Islam sur ce qu'ils appellent une "association" à la Divinité (en arabe: Shirk; en hébreu: Shittuf). Ces rabbins ont considéré les musulmans comme des "geré-toshav" , car ils ont été témoins de la foi de l'Islam (23). Il semble donc que la catégorie des "geré-toshav" pourrait être une sorte de pont dans le dialogue entre les trois religions.
Selon Moïse Maimonide (24), le christianisme et l'Islam sont deux religions qui concourent au dessein divin en préparant le monde à la rédemption finale universelle, car elles partagent avec le judaïsme une orientation biblique. L'attente prophétique trouvera sa réalisation quand le monde acceptera les principes noachiques et suivra la voie du Shalom et de la compassion; l'antisémitisme sera éliminé et Israel jouira de son total accomplissement. Alors "le monde sera rempli de la connaissance du Seigneur, comme la mer est couverte par les eaux" (Is 11,9). Ce ne sont pas les principes humanistes du droit et de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, qui combleront l'attente prophétique; car les relations transpersonnelles doivent influer sur les autres relations, amenant l'humanité à réaliser le dessein de bonté du Créateur envers le monde. L'humanisme ne sert le dessein que des êtres humains, et la raison seule ne peut atteindre à la connaissance de Dieu.
Les quatre classes dans le judaïsme
D'après les données bibliques, le peuple juif présentait originellement en Terre promise une configuration tribale. Il y avait alors quatre groupes principaux: ceux des prêtres (cohen), des lévites, des Israélites et des prosélytes. Les Cohens et les lévites étaient de la tribu de Lévi et ils étaient consacrés au service de Dieu dans le Temple. Ils ne recevaient en héritage aucune part de la Terre sainte, "car c'est Dieu qui est leur héritage" (Dt 10,9). Ils étaient, "mis à part" et suivaient les règles lévitiques de pureté et de sainteté. Toutes les autres tribus recevaient en partage une portion de la terre d'Israël et jouissaient d'un statut d'égalité en tant que peuple libre appartenant à Dieu. Quant à ceux qui habitaient parmi eux et qui acceptaient de vivre comme eux selon la loi mosaïque, ils étaient eux aussi considérés comme des concitoyens égaux, soumis à Dieu. Plus tard, le "ger" biblique fut mis, dans la pensée rabbinique, sur le même pied que le prosélyte. Il y avait, dans cette catégorie, deux types différents: le véritable prosélyte (ger tsedeq) et le semi-prosélyte (ger toshav): les premiers suivaient totalement l'alliance mosaïque, les seconds ne suivaient que l'alliance noachique. Leur relation à la Torah et à Israël devenait la pierre de touche pour juger de la droiture de leurs intentions, mais on ne mettait aucunes restrictions à leur admission dans la communauté d'Israël; même les convertis parmi les Ammonites, Iduméens, Moabites et Amalécites, peuples ennemis d'Israël et auxquels, selon la Bible, il était interdit de se lier par mariage, étaient maintenant acceptés. La situation historique avait,en effet, changé à l'époque du Second Temple, encourageant d'une part le prosélytisme, mais restreignant d'autre part les mariages mixtes avec des idolâtres.
La classification ci-dessus déterminait le statut personnel du juif en tant que membre d'un corps ethnico-religieux (25). Ces quatre classes étaient cataloguées avec d'autres catégories touchant au statut familial et personnel, dans le but de préserver la sainteté de la famille chez ceux qui adhéraient au Code lévitique pour le mariage. Les enfants de mariages interdits (incestueux ou adultérins) étaient classés comme "mamzerim"(= bâtards, mais non dans le sens d'enfants nés en dehors du mariage). Les enfants de mariages interdits aux Cohen étaient appelés "halalim" (= impropres à la prêtrise). La détermination d'un statut individuel, en dehors de celui des descendants de mariages interdits ou restreints par certaines règles, distingue entre les enfants de parents mariés et ceux nés hors mariage. Le statut de ces derniers n'est pas considéré comme impur, et ils ne sont pas inadéquats pour la prêtrise.
Il reste deux autres catégories: celles d'enfants nés de parents inconnus ou de mariages mixtes. La première catégorie est celle des enfants adoptés qui ne connaissent que l'un de leurs parents ou qui ont été abandonnés à la naissance. La seconde catégorie est celle des enfants de mère non-juive qui, à l'époque de la Bible, était demeurée idolâtre; mais si l'enfant est de mère juive et de père non-juif, l'enfant demeure juif, car le statut de l'enfant est légalement déterminé. Après tout, c'est la mère qui l'a porté et lui a donné la vie. Bien sûr, si l'enfant est de mère non-juive, il peut toujours entrer dans l'alliance d'Israël en tant que prosélyte.
La catégorie des prosélytes était considérée avec circonspection par les rabbins du fait des vicissitudes de l'histoire. On les considérait, d'une part, comme plus grands que le Grand prêtre du fait de leur transformation personnelle, mais on les suspectait par ailleurs d'avoir d'autres motivations. A leur loyauté envers Dieu devait s'allier une loyauté envers Israël. Ainsi, les Gentils qui étaient des "craignant-Dieu" étaient-ils hautement loués pour la droiture de leur vie. Ils étaient le petit nombre parmi les idolâtres dont l'engagement était sincère, et qui étaient toujours prêts à apporter leur support à Israël aux moments de détresse, même s'ils n'étaient pas juifs. De nos jours encore, les "justes parmi les nations" sont en haute estime auprès des juifs, car ils leur sont venus en aide au moment de l'Holocauste, prêts à affronter la mort et à leur offrir une protection. Dans l'Eglise primitive aussi les "craignant-Dieu" témoignent, dans le sens prophétique, de leur volonté d'apporter aide et soutien à ceux qui se confient à Dieu.
Le Bon Samaritain et les diverses classes dans le judaïsme
C'est le commandement de Lv 19,18: "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" qui régit les relations entre les diverses catégories de juifs, car il concerne des personnes partageant la même foi en un Dieu qui les a toutes créées à son image. L'amour de Dieu est la source de l'amour que l'on porte aux autres humains. C'était cela, le concept fondamental, prédominant, de la pensée juive au temps de Jésus. De ce fait, les ennemis d'Israël se trouvaient, dans la pensée rabbinique primitive, exclus du commandement de l'amour. L'ennemiqui cherche à vous détruire est, en effet, le seul que la Bible permette aux Israélites de tuer: il a cessé d'être à l'image de Dieu en manifestant ses intentions homicides (26).
C'est pour cela qu'Amalec, la première nation idolâtre à attaquer Israël "tombant sur les éclopés, ceux qui étaient las et exténués quand ils étaient en chemin dans le désert" (Dt 25,18), fut condamné à le destruction complète. A l'époque de Jésus, les Samaritains étaient considérés comme les ennemis d'Israël. Environ deux siècles auparavant, Jésus ben Sira disait déjà:
"Il y a deux nations que mon âme déteste,
la troisième n'est pas une nation:
les habitants de la montagne de Séïr,
les Philistins,
et le peuple stupide qui demeure à Sichem"
(Eccli 50,25-26).
Les Samaritains partageaient en fait la foi d'Israël, acceptant la révélation du Pentateuque; mais ils s'opposèrent par la suite à Israël, refusant le Temple de Jérusalem, attaquant l'Etat indépendant de Judée et refusant la tradition des Prophètes et des Ecrits. Ils avaient construit leur propre temple à Sichem. Les rabbins ne s'accordent pas dans leur manière de classifier les Samaritains, en tant que semi-prosélytes, dans leur relation à Israël: Sont-ils des "geré-toshav" ou des "convertis de force" qui ne se sont pas libérés des pratiques idolâtres? Ils sont considérés comme une frange de la quatrième catégorie de juifs, et l'attitude des rabbins envers eux demeure méfiante, mais tolérante (27).
Jésus lui-même s'est tenu à distance des Samaritains (Lc 9, 51-56). A la question d'un scribe juif: "Qui est mon prochain (auquel je dois manifester de l'amour)?", il répondait par la parabole du Bon Samaritain (Lc 10, 29-37). Il est inexact et choquant de suggérer que cet enseignement manifeste le fait que Jésus rejette le clergé juif et son attitude hypocrite. Il est tendancieux aussi d'interpréter cette parabole, en s'appuyant sur la sémiotique, comme visant à choquer le scribe juif devant qui le Samaritain est présenté comme "bon". C'est ce que fait Dominic Crossan (28) qui voit là la parabole-clé de l'enseignement du renversement (des valeurs). Lire cette parabole en y voyant cette seule opposition, c'est réduire le récit aux deux catégories du bon et du mauvais, intéressant d'une part les Samaritains et d'autre part le clergé juif. Aucune nécessité alors de s'attacher aux détails de la parabole concernant la géographie, les déplacements sur la route. Bien plus, il devient nécessaire d'expliquer pourquoi Jésus ne mentionne pas "l'Israélite", car il est clair que celui-ci décrit le "prochain" en référence aux quatre catégories de juifs connues à son époque (29). Il parle du "cohen" et du "lévite". Il s'adresse à un scribe "israélite" et il conclut avec un représentant du groupe marginal de la 4e catégorie, le Samaritain en tant que semi-prosélyte. Celui qui a été attaqué n'est cependant pas identifié: il est, après tout, le prochain à qui l'amour doit être manifesté.
L'intention de la parabole se découvre dans des détails tels que: "descendant la route de Jérusalem à Jéricho" et "passant de l'autre côté". Nous avons affaire, en effet, au retour de pèlerinage de fidèles qui viennent de faire une des plus importantes expériences (30) de leur vie, celle de se trouver en présence de Dieu dans son Temple. Ils se sentent confortés dans le désir de faire la volonté du Dieu de l'alliance en observant ses commandements; et voilà que, se trouvant sur la route au retour de Jérusalem, le cohen et le lévite, qui sont astreints par le code du Lévitique à des préceptes de pureté et de sainteté dans leurs relations avec le prochain, se trouvent affrontés à un conflit d'ordre religieux: Doivent-ils transgresser le précepte "transpersonnel" leur interdisant tout contact avec un corps apparemment mort? Ce genre de contact est en effet un facteur important de souillure qui exigera d'eux de vivre une semaine à l'écart de la société et d'accomplir ensuite un rite de purification (Nb 19,11-13); et cependant, la dignité, la valeur de la personne doit être respectée dans l'accomplissement du précepte de l'amour, au niveau des relations interpersonnelles. Ils décident finalement de "passer de l'autre côté", pour se tenir justement à distance de ce qui leur paraît être un cadavre (31).
L'Israélite, lui, sur son chemin de retour, est tenu d'observer le précepte interpersonnel de l'amour et de venir en aide à la victime. Le dilemne d'une éventuelle souillure ne se pose pas à lui parce que, là, il n'est pas astreint à suivre les préceptes sacerdotaux de purification. Cela explique que, délibérément, il ne soit pas mentionné. C'est le Samaritain, un semi-prosélyte qui est introduit ici de manière dramatique pour bien montrer le lien qui existe entre les deux domaines de l'amour: l'amour transpersonnel et interpersonnel. Même si ce Samaritain en route vers Jéricho pourrait bien se diriger vers le temple de Sichem, plus au Nord, manifestant par ce pèlerinage son amour envers Dieu, il est prêt au lieu de cela à accomplir des gestes d'amour envers une personne non identifiée qui se trouve sur la route, et cela même s'il s'agit d'un ennemi. Nous sommes là au coeur de l'enseignement de Jésus qui reprend l'intention profonde de la tradition prophétique: imiter les voies divines de l'amour en manifestant de la compassion envers autrui, lors même qu'il s'agit d'un ennemi, c'est là manifester que l'on rend un culte véritable à Dieu. Ainsi Jésus enseigne-t-il (en Lc 6,27-28) qu'au cours de la prière, expérience transpersonnelle, l'orant doit manifester sa pureté d'intention en intercédant même pour son ennemi, ce qui est preuve d'amour au niveau des relations interpersonnelles. Abraham déjà avait prié pour Sodome et Gomorrhe, qui étaient ses ennemies. Dans notre récit, les actes d'amour du Samaritain nous disent comment on peut "avoir en partage la vie éternelle"; même le semi-prosélyte, quand il cherche Dieu en vérité, traduit son amour de Dieu par des manifestations d'amour envers Ses créatures. Ces manifestations d'amour envers autrui sont décrites en détail: attention prêtée au blessé, soins donnés et prévisions faites pour la convalescence. Ainsi la parabole du Bon Samaritain se trouve-t-elle juxtaposée à l'enseignement qui précéde, en Lc 10,25-28, sur le double commandement de l'amour.
Telle fut l'approche privilégiée des chrétiens dans leurs premières missions envers les "autres", Gentils y compris, qui étaient capables de s'engager fondamentalement vers le Dieu Créateur en tant que "craignant-Dieu" et, de ce fait, d'accueillir le message de la rédemption et de s'attacher à l'enseignement et à l'exemple de Jésus. Chez les rabbins aussi, on constate cette évolution du concept de "geré-toshav", qui englobe finalement les chrétiens et les musulmans (même s'ils furent leurs ennemis), dans la mesure où ils manifestent dans leur conduite leur fidélité au double commandement de l'amour. Les relations entretenues par ces rabbins avec "l'autre" et "l'étranger" s'enracinent dans la "voie du Shalom" et dans le refus de l'inimitié qui est source de friction (èyvah). C'est seulement lorsque le monde reconnaîtra les voies de Dieu Créateur, en acceptant de suivre les lois noachiques, que la vision prophétique d'une paix universelle trouvera son accomplissement. Ce sera alors la réalisation du règne de Dieu sur terre telle que l'attend l'espérance juive pour l'avenir, espérance qui s'exprime dans l'antique prière (32) du "A tenu" qui décrit par avance la rédemption universelle:
"C'est pourquoi nous espérons, Seigneur notre Dieu, être témoins bientôt de la gloire de ta puissance, lorsque tu élimineras l'idolâtrie de la terre pour transformer le monde en un royaume du Tout-puissant, lorsque tous les êtres humains invoqueront ton Nom et que tous les méchants de la terre se tourneront vers toi. Alors tous les habitants du monde te découvriront et te connaîtront..."
C'est seulement cette reconnaissance de Dieu par toute l'humanité qui permettra la réalisation pour tous du rêve prophétique d'un Shalom ultime (une plénitude de paix dans l'intégrité). Il n'y aura plus alors dmétrangers": Seul l'amour envers les "autres" régnera. Telle est l'espérance des juifs, mais aussi celle des chrétiens, vers laquelle s'achemine l'ensemble de l'humanité qui a les yeux tournés vers les promesses annoncées par les Prophètes.
Terminé le 4 juin 1992