Outros artigos deste número | Versão em inglês | Versão em Francês
Le Chef - Un grand Directeur (Sidic 1972 - 1979)
Renzo Fabris
Le visage aux traits marqué; avec ses deux fortes rides creusées sur les joues, paraissait taillé dans le bois; sous le front dégagé, les yeux savaient regarder intensément, et la pipe pouvait demeurer longtemps immobile entre les lèvres minces. Son visage était celui d'un homme de mer ou de montagne, d'un homme habitué à lutter avec patience et courage contre les adversités de la nature, le visage d'un homme qui connaît la solitude. On pouvait percevoir en ce Hollandais l'appartenance à un peuple qui disputait la terre à la mer depuis des générations et qui savait ce que signifie vivre dans un pays sans garantie de durée, où c'est la volonté déterminée de chaque homme qui compte.
Si les traits du visage indiquaient un sérieux profond, constant comme un destin de tragédie, le sourire, qui découvrait une rangée de petites dents, révélait une bonne dose d'ironie qui tempérait la rigueur d'un esprit vif et pénétrant, et qui allait parfois jusqu'à la neutraliser de façon débonnaire par le jeu d'une réplique amusante.
Maintenant que Cornelis A. Rijk nous a quittés, c'est précisément ce penchant à l'ironie — tendance qui ne laissait aucun doute sur la conscience qu'il avait de la différence existant en lui, comme en tout homme, entre le rôle qu'il aurait voulu jouer dans la vie et celui, au contraire, qu'il lui était effectivement possible de jouer; entre la complexité des problèmes qu'il voulait affronter et l'aspect partiel des solutions qu'il pouvait humainement trouver — c'est ce penchant donc qui me rend impossible un discours de commémoraison, si bref soit-il, qui traduise mon émotion en termes rhétoriques. Et d'autre part, même en désirant rappeler avant tout ce qu'il était et comment il apparaissait en tant que Directeur du SIDIC, tel que je l'ai connu, moi qui eus la chance d'avoir été plusieurs années président de l'Association à ses côtés, il n'est pas si simple de parler de ces choses que Cornelis gardait souvent au-dedans de lui-même, soit par un sentiment de pudeur innée, soit par suite d'un esprit de tolérance convaincue envers les autres, ou encore en raison d'un vieux fond de solitude, héritage de son peuple. Il ne nous était pas facile de nous rencontrer, lui et moi, car nous habitions des villes éloignées l'une de l'autre. Malgré cela nous pouvions nous maintenir en communion de pensée et de propos grâce à une amitié nourrie d'estime, de confiance et de sincérité, une amitié qui s'étendait affectueusement, de sa part, à ma femme et à mes enfants.
Comme Directeur, il était attentif et minutieux dans l'élaboration des projets de l'Association, tenace et confiant quand il cherchait à les réaliser. Avec la conviction d'un nordique il croyait à l'efficacité des structures d'organisation; mais il savait qu'au moment de la nécessité vraie, seuls comptaient les hommes qui s'aidaient mutuellement dans un esprit d'amitié.
Pour surmonter les difficultés nembreuses qui entravèrent l'érection de l'Association en personne morale, il s'est battu avec constance et conviction: il lui paraissait important que le SIDIC eût un statut juridique reconnu, et un statut tel que l'Association puisse vivre d'un souffle international au lieu d'être seulement une affaire « de paroisse » ou presque; il lui paraissait important que le SIDIC puisse réunir des collaborateurs laïcs autour de prêtres et de religieux; et qu'il puisse s'acheminer vers l'autonomie financière. Il croyait fermement, d'autre part, que l'Association devait être fondée sur un réseau d'amitiés, de solidarités, aussi bien dans l'idéal que dans la pratique, de preuves réciproques de confiance, et cela malgré les inévitables faiblesses et défaillances.
11 savait, d'une intuition très aiguë, que l'association avait besoin, non seulement d'un corps chargé de l'organisation, mais aussi d'une âme communautaire. Il allait parfois jusqu'à se sentir l'interprète sacerdotal de cette âme, le ministre appelé à faire de l'association une communauté de vie que l'Eucharistie pouvait fonder chrétiennement et garantir.
Je ne crois pas qu'aucun de ceux qui y ont participé puisse oublier les intenses célébrations eucharistiques qui avaient lieu après les réunions de travail au siège du SIDIC à Rome. Les personnes présentes comprenaient alors que son engagement associatif avec le SIDIC était pour lui une vocation, et que cette vocation se transmettait non par une sorte de contagion mystique mais grâce à une rigueur interne susceptible de devenir le centre de nombreuses amitiés et d'initiatives exigeantes.
Il prenait à coeur avec le même sérieux les personnes et les problèmes d'organisation. Dans les derniers temps surtout, il souffrait des résistances qu'il rencontrait parfois dans sa tâche difficile; mais il ne dramatisait pas et préférait, le cas échéant, combattre les difficultés avec ce sourire ironique qu'il était seul à savoir faire éclore au moment opportun pour briser en douceur ses propres tensions et celles d'autrui, pour aider à trouver une approche nouvelle et plus adéquate des choses.
Quand je parle d'approche aux choses chez Cornelis Rijk, je pense à ses relations avec le judaïsme. D'autres parlent dans cette revue, et mieux que moi, de son savoir et de sa préparation théologique en ce qui regarde les rapports avec le monde hébraïque. Pour moi, je me sens poussé en ce moment à souligner que son réalisme — si souvent remarqué par moi dans ses activités de Directeur du SIDIC — s'alimentait à une source profonde dont la vigueur venait de sa connaissance du judaïsme, de la science qu'il avait d'une Parole qui, on le sait, est étymologiquement pour les Hébreux également chose (dabar); ce réalisme n'était certes pas échangeable avec l'empirisme pratique de l'homme habitué à organiser les choses bureaucratiquement, et moins encore avec l'indulgence de compromis de l'homme qui connaît par expérience les règles de la diplomatie et de la politique. Son réalisme était, somme toute, respect de la réalité, conviction que la réalité, pour l'homme de foi qui compte sur un Dieu qui s'est incarné, est porteuse d'un message pratique sur la façon d'interpréter la Parole en tel ou tel lieu, en telle ou telle circonstance. Ce réalisme était, sans aucun doute, une attitude intel- lectuelle dérivée d'une éducation biblique profonde et enracinée dans le temps, une éducation qui le rendait existentiellement proche du judaïsme et renforçait ses choix et ses convictions sur la fraternité du chrétien et du juif. Dans ses notes si précieuses sur une théologie chrétienne du judaïsme, il a souligné lui-même le «caractère réaliste et historique de la révélation divine » et la nécessité pour le chrétien d'une « nouvelle ouverture au réel » (voir SIDIC, n° 1-1972, p. 10 et 16).
Son réalisme, d'autre part, était aussi une manière de vivre avec ses amis la réalité de l'Association dans les divers événements qui s'y produisaient chaque jour; c'était encore une façon d'exprimer une sorte de compassion — pietas — envers les défaillances des hommes, compassion que les intéressés eux-mêmes acceptaient de bon gré à cause de l'ironie qu'il y mettait.
Je crois qu'il serait facile de constater que ce réalisme était étroitement apparenté avec le sens de l'existence et de la nature que possédait Cornelis. La vie, pour lui, était simplicité de rapports, plénitude de sentiments envers les hommes et les choses, jouissance de cette plénitude. En regardant cet homme sévère, rigoureux pour lui-même mais qui n'avait rien de triste au fond de soi, il m'arrivait de penser que Cornelis Rijk avait fait sien l'enseignement talmudique selon lequel « un homme devra rendre compte dans l'au-delà de tous les plaisirs licites dont il s'est abstenu » (T.J. Kiddusbim 4, 12). La dernière fois que je l'ai rencontré, couché sut le lit où le retenait sa terrible maladie, il m'expliqua en m'embrassant que la vie c'était la chaleur de l'amitié et la beauté des plantes et des oiseaux posés sur les branches. Durant les instants de répit que lui laissait la douleur physique qui le tourmentait, il me confessait qu'il lisait la Bible; et, assurément, son amour pour la vie trouvait un réconfort dans le Dieu de la création et des vivants qui lui parlait à travers ce livre.
Réalisme, sens aigu de l'existence, pudeur, ténacité: tels sont les traits spirituels du Directeur du SIDIC dont je me souviens. Il ne se lassait pas de dire que le travail de l'Association avait du poids et qu'il n'en était qu'à ses débuts. Dans ses notes, déjà mentionnées, sur la théologie du judaïsme, une idée revient plus d'une fois; celle du grand effort que doit accomplir quiconque veut travailler dans le domaine du renouveau des rapports entre les chrétiens et les juifs.
« Sans aucun doute, de nombreuses difficultés sont à affronter; difficultés venant de la façon de voir traditionnelle, d'une certaine résistance et d'un manque de souplesse des théologiens, et aussi de la réalité profonde des relations judéo-chrétiennes en soi ».
Et pourtant, Cornelis Rijk nous invite à l'optimisme. Il a écrit dans L'Aventure du Dialogue, (SIDIC, n° 3-1968):
«/em> un renouveau de confiance dans le Seigneur peut nous être une aide et un stimulant:
Voici que je vais faire du nouveau qui déjà parait, ne l'apercevez-vous pas? (IL 43, 19).
Cornelis Rijk directeur du SIDIC, l'ami Kees, a suivi l'invitation du rabbi Tarfon en Avdt 2, 16: «Ce n'est pas à toi d'achever l'oeuvre, mais tu n'es pas libre de t'en dégager ».
Que le Seigneur lui montre à présent son visage; et que nous, qui étions et qui demeurons ses amis dans la communion des saints, obtenions à présent quelque chose de son réalisme et de son optimisme pour continuer son oeuvre.