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Notes sur la rèesurence des "Mistères"
Fadieh Lovsky
C’est une évidence historique que la représentation des «mistères», c’est-à-dire des événements de la Passion, au cours du Moyen Age, reflétait l’antisémitisme de la chrétienté en fournissant constamment à celle-ci de nouveaux arguments. Les historiens sont sur ce point unanimes. Il n’y avait pas seulement des dérapages antisémites. Un aussi grand admirateur des textes de cette époque qu’Albert Pauphilet présentait Le Drame de la Passion du 14e s. en mettant en lumière les «violents contrastes de bouffonnerie sauvage et de pathétique» de ce «mistère» (1)
Au cours du 20e s., on n’a pas manqué de s’inquiéter que les rares représentations populaires de la Passion à subsister ne restent entachés de cet antisémitisme séculaire. Le regretté Père Kurt Hruby était très attentif à ce sujet. Il est donc toujours nécessaire de veiller à ce qu’elles n’alimentent pas la trop bonne conscience des spectateurs, toujours prompts à rendre les juifs, et eux seuls, responsables des événements dramatiques de la Passion.
Ceux qui redoutent la persistance de l’antisémitisme dans le peuple chrétien ne regrettent donc pas, dans un premier mouvement, l’état de désuétude générale où se trouve aujourd’hui le théâtre religieux populaire d’autrefois. Mais notre vigilance, accrue après la Shoah, doit-elle entraîner une condamnation du principe même des «mistères»? Faut-il décourager ceux qui songent à rajeunir cette tradition? Je ne le pense pas, pour trois raisons.
La première tient à la décadence et à l’inadaptation mêmes de ce théâtre vieilli. Le reprendre tel quel est impossible. Les textes sont devenus injouables. Il faut les reprendre du point de vue scénique, les raccourcir, les recentrer. Cette modernisation inévitable ouvre la porte, en quelque sorte mécaniquement, à l’indispensable prudence pastorale quant aux risques d’antisémitisme.
Une deuxième raison, c’est que le cinéma a déjà montré la voie. Il a prouvé qu’on peut rendre aux foules d’aujourd’hui quelque chose du contenu des «mistères» d’autrefois. Hollywood s’y est employé. Je ne prétends pas que les films dits bibliques soient toujours des réussites, ni que ceux qui évoquent la Passion soient tous satisfaisants. Mais il est juste de reconnaître qu’ils manifestent en général un certain souci de ne pas éveiller de sentiments antisémites.
Car - et cette troisième raison est décisive - la Shoah et la découverte de celle-ci ont suscité une prise de conscience des enjeux de toute représentation, cinématographique ou théâtrale, des Uvangiles ou de la Passion. Au lendemain de la dernière guerre, le génial cinéaste français Abel Gance avait mis en route le projet de tourner la Passion. Son film se serait appelé La Divine Tragédie. Il alla trouver les membres de «l’Amitié Judéo-Chrétienne de France» alors naissante pour leur soumettre son script. Le film ne fut pas réalisé, mais le geste est symbolique. On sent désormais qu’il faut avancer prudemment. Je suppose, après avoir vu son film, que Zeffirelli a pris des précautions semblables.
On me dira que, peut-être, d’éventuels metteurs en scène d’un théâtre religieux paroissial useraient de moins de prudence. C’est possible. Il faut y veiller. Mais il n’y a pas de différence, aujourd’hui, entre la sensibilité chrétienne qui n’accepte plus qu’on fasse référence, dans une homélie, au «déicide», et cette même sensibilité si elle voyait représenter un «mistère» de la même tendance.
A la différence du cinéma, qui requiert plus ou moins des spécialistes, une représentation d’ordre théâtral peut devenir, non seulement pour ceux qui «jouent», mais pour tous ceux qui participent un réel vecteur de culture biblique et d’évangélisation, en même temps qu’une initiation aux exigences de la relation religieuse des chrétiens avec les juifs. De même qu’autrefois le «mistère» devenait hélas l’exutoire des sentiments antijuifs, la représentation théâtrale de la Passion peut et doit, après la Shoah, devenir l’occasion d’une nécessaire prise de conscience de la part des chrétiens.
Mon point de vue favorable à une certaine résurgence des «mistères» a été conforté par le Spectacle qui se déroule durant la Semaine Sainte sur le parvis et en l’église Saint Laurent de Tullins, une petite ville au nord de Grenoble. J’ai été impressionné par la qualité et la prudence du texte, comme par l’atmosphère spirituelle du jeu des acteurs et de la ferveur de l’assistance. En 1995, il y eut quatorze représentations rassemblant 5500 personnes. Non pas spectatrices, mais vraiment participantes.
En 1997, il y eut presque 180 «acteurs», et une centaine d’autres à travailler aux costumes, aux décors, à l’intendance et à l’organisation. Cette aventure, commencée en 1993 par Madame et Monsieur Rozand a provoqué une grande communion dans les onze paroisses autour de Tullins. Quelle évangélisation! Et les bénéfices vont à une association qui réinsère des gens sans travail (2).
Notes* Prof. Fadieh Lovsky est un historien spécialisé dans les
rapports entre les juifs et les chrétiens. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont La déchirure de l’absence, essai sur les rapports de l’Église du Jésus-Christ et du peuple d’Israël. Calmann-Lévy, 1971. Il fut le président de la commission Église et peuple d’Israël de la Fédération protestante de France de 1980-1986.
1. Manuscrit Palatinus, dans Jeux et Sapience du Moyen
Age, Pléiade, 1941, p. 209.
2. Association Passiflore, 73 boulevard Michel Perret, 38210 Tullins. Tél 04 76 80 88.