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Revista SIDIC XXXIV - 2001/1
Une Année Après (Páginas 11 - 13)

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Catholiques et juifs devant le pèlerinage du pape
Mgr Robert I. Stern et le rabbin Leon Klenicki

 

Deux amis, Mgr Robert I. Stern et le rabbin Leon KLENICKI, réfléchissent sur le pèlerinage du pape Jean Paul II en Terre sainte et sur l’impact qu’il a eu sur les relations entre catholiques et juifs. Mgr Stern est Secrétaire général du Catholic Near East Welfare Association et Président de la Mission pontificale pour la Palestine ; le Rabbin KLENICKI est Directeur du Département des affaires interreligieuses de l’ Anti-Defamation League.

STERN : Au moment où le roi Abdullah II de Jordanie accueillait Jean Paul II, au début de son pèlerinage en Terre sainte, il m’a semble que les paroles du roi exprimaient l’essence même de ce voyage. Celui-ci a reconnu dans le pape un homme « saint » et il a ajouté : « Nous vous accueillons en tant que symbole de tout ce qui est pur et noble en cette vie… vous nous rappelez… l’absolue nécessité de pardonner à ses ennemis ». Le roi a ensuite invoqué la bénédiction de Dieu avec les paroles du Coran. Le voyage du pape en Terre sainte a vraiment été un pèlerinage, ce qui signifie dans le meilleur sens du mot un voyage de foi accompagné de prière, comportant aussi réflexion et prière sur les événements qui se sont déroulés ici.

KLENICKI : Pour la communauté juive, et spécialement pour le peuple d’Israël, ce voyage a eu une signification particulière : il a beaucoup contribué à améliorer les relations entre catholiques et juifs, à leur donner de nouvelles dimensions. Ce fut plus qu’un voyage – ce fut un pèlerinage aux sources mêmes du judaïsme et du christianisme.

STERN : Même si, au cours de ce pèlerinage, certains commentaires dans les médias ou certains discours avaient tendance à se concentrer sur la signification politique du voyage, il fut avant tout une expérience spirituelle. Il comportait cependant quelques visites symboliques à des lieux rappelant les plus profondes blessures des habitants de la Terre sainte, palestiniens et juifs. Toucher à ces relations douloureuses pour les deux peuples avait pour but, comme le disait aussi le roi Abdullah, de transmettre un message de pardon et de compréhension mutuelle.

KLENICKI : Je dois avouer que je suis parfois mal à l’aise devant vos références constantes à la « Terre sainte ». Parlez-vous de l’Etat d’Israël ou d’autres entités politiques présentes dans la région ? Il existe cette tendance, chez certains chrétiens ou dans certaines confessions chrétiennes qui sont critiques par rapport à l’Etat d’Israël, à parler d’Israël et de toute la région comme de la « Terre sainte », et cela nous blesse profondément.

STERN : Je le comprends, et il est regrettable que ce soit perçu ainsi. Vous avez raison : certaines personnes emploient délibérément le mot « Terre sainte » pour éviter de parler de « l’Etat d’Israël ». Cependant, l’emploi de « Terre sainte » est la manière traditionnelle dont les chrétiens parlent de cette partie du monde qui remonte à tant et tant de siècles. Le pape a visité le royaume hachémite de Jordanie, l’Etat d’Israël et les Territoires autonomes palestiniens, mais je ne dirais pas qu’il a fait un pèlerinage auprès de ces entités politiques. Le pèlerinage du pape visait une terre sanctifiée par les grands événements du passé et par l’action de Dieu. Peut-être vaut-il mieux parler d’un pèlerinage aux Lieux saints.

KLENICKI : Il y a certains moments très émouvants au cours du pèlerinage du pape Jean Paul II. L’un d’eux fut sa visite et son discours à Yad Vashem, le Mémorial de l’Holocauste, à Jérusalem. Sa présence en ce lieu, son émotion visible et ses paroles nous ont communiqué à tous, et spécialement à ceux qui ont été victimes de l’Holocauste, une sensation de solidarité, et aussi une guérison du cœur.

STERN : Le moment passé à Yad Vashem a été très émouvant, c’est vrai, mais alors le pape était là en tant que chrétien exprimant sa compassion et son angoisse devant ce qui est arrivé aux juifs. Pour moi, le moment le plus important en tant que symbole a été sa présence au Mur occidental.

KLENICKI : Je suis d’accord avec vous, il transmettait un message à la communauté juive, et cela spécialement parce que c’était le dernier acte de sa visite à Jérusalem.

STERN : Ce qui était très impressionnant dans cette image du pape au Mur, c’est qu’il était là entrain de prier comme tout bon juif prie au Mur. Le pape, le plus éminent des chrétiens, priait en ce lieu de prière si spécial, si privilégié pour les juifs.

KLENICKI : C’est vrai : le pape en prière ajoutait une autre dimension à sa vocation pour le dialogue judéo-chrétien, telle qu’il l’avait déjà exprimée lors de sa visite à la synagogue, à Rome. Cette image du pape près du Mur m’émeut encore profondément et porte un message spirituel sur lequel il nous faudrait réfléchir ensemble.

STERN : Lorsque le pape se trouvait au Mur et priait, il n’était pas un chrétien imitant un juif : il priait au Mur en tant que croyant en un Dieu unique. Pour moi, c’est un symbole puissant de l’unité entre juifs et chrétiens. La prière du pape au Mur était un symbole de cette unité. Nous ne sommes pas deux peuples qui dialoguent comme des étrangers essayant de devenir des amis. Nous sommes plutôt comme les membres brouillés d’une même famille qui essayons de retrouver la solidarité familiale.

KLENICKI : Concevoir les relations entre juifs et chrétiens comme celles d’une famille constitue un défi, mais aussi une promesse. Au cours de nos colloques ou de nos rencontres, nous nous sommes mutuellement considérés comme deux entités plutôt différentes essayant de surmonter le mépris ou de pénibles souvenirs et, spécialement du côté juif, les souvenirs de l’antijudaïsme manifesté par les chrétiens ; mais cette notion de famille ouvre maintenant, pour nos relations, de nouvelles possibilités.

STERN : Comme vous le dites, nous dialoguons bien souvent au long des années comme une entité parlant à une autre. Parfois, cependant nous faisons allusion à ce qui nous est commun lorsque nous disons, en reprenant les paroles de saint Paul, que les Gentils ont été greffés sur le tronc des juifs. Nous utilisons une métaphore, comme vous le faites souvent : celle des deux branches d’un même arbre. Parfois, nous employons le terme de « frères », comme l’a fait le pape Jean Paul II. La réalité existentielle est que nous avons un héritage commun que nous partageons. Le chrétien, s’il est un vrai chrétien, est nourri de la foi de l’Israël biblique. Autant que le juif, le chrétien considère les Ecritures hébraïques comme une source de nourriture spirituelle. Pour moi, le défi du dialogue est de redécouvrir que nous sommes « un ». Il faut mettre l’accent sur ce qui nous est commun plutôt que de toujours partir de nos différences.

KLENICKI : J’avoue ressentir une certaine ambiguïté dans l’idée que nous sommes « un ». Il me semble perdre ce que j’ai d’unique, mon propre engagement dans la foi. Je me sens mal à l’aise parce que l’idée d’unité peut entraîner une espèce de syncrétisme qui estomperait les dimensions spécifiques des vocations différentes auxquelles Dieu nous appelle.

STERN : Traditionnellement, les juifs se sont distingués et se sont séparés des Gentils.

KLENICKI : Permettez-moi de vous rappeler que souvent dans l’histoire, nous avons été séparés de la société de façon générale par les autres, ou alors par la force des autorités séculières et religieuses, comme lors de la création des ghettos au début du Moyen Age. Il nous faut rester prudents devant certaines descriptions de notre vocation spirituelle dans l’histoire d’Occident. Pour la première fois dans l’histoire, nous vivons maintenant au sein de sociétés comme les Etats-Unis où nous pouvons être nous-mêmes, où nous ne sommes pas repoussés dans des zones géographiques séparées.

STERN : Je ne voulais pas dire que le judaïsme s’écarte des Gentils, mais le judaïsme biblique insiste sur la séparation du monde des Gentils, c’est-à-dire en ce temps-là le monde des païens. Nous, chrétiens, ne sommes pas de tels Gentils : nous sommes vos compagnons dans la foi en l’Unique. Nous sommes « juifs ».

KLENICKI : Je suis d’accord avec vous : le judaïsme biblique s’opposait aux païens plutôt qu’aux Gentils ; mais que les chrétiens soient juifs, c’est une question à considérer attentivement : cela exige d’analyser le rôle et la vocation de Jésus dans le christianisme, une vocation qu’on peut considérer de différentes manières. Lorsque vous avez dit que les chrétiens étaient juifs, une image m’est venue à l’esprit : Pourquoi n’y avait-il pas de chrétiens dans les wagons à bestiaux partant pour Auschwitz ?

STERN : Vous ne pouvez juger un livre à sa couverture : quiconque porte le nom de chrétien n’est pas forcément chrétien, et j’imagine que n’est pas forcément juif quiconque se donne le nom de juif. Il est certes provocant de dire que les chrétiens sont juifs. Si les juifs sont un peuple, une communauté ethnique, les chrétiens ne sont certainement pas juifs ; mais si les juifs sont avant tout le peuple de la promesse, le peuple de l’alliance, les serviteurs et adorateurs du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, il nous semble que nous le sommes, nous aussi chrétiens. Si nous considérons la chose sous son jour le meilleur, nous voyons dans les juifs des compagnons dans la foi. Il est audacieux de la part des chrétiens de prétendre partager tout ce qui est si cher aux juifs. Je crois que nous sommes au fond un seul peuple divisé, et non deux religions allant à l’encontre l’une de l’autre.

KLENICKI : Nous sommes une famille divisée, mais ce que je voudrais souligner est que des frères et des sœurs d’une même famille sont parfois différents. Leurs racines sont les mêmes, si nous reprenons l’image de Paul, mais les branches sont différentes. Cela signifie-t-il que nous serons en situation d’affrontement pour l’éternité ?

STERN : Dieu nous en préserve ! Il n’est pas original de dire qu’en tant que membres d’une même famille chrétiens et juifs sont comme Jacob et Esaü. Au sein d’une famille les actions les plus terribles peuvent être commises ; ceci dit non pas pour les justifier, mais seulement pour constater une réalité.

KLENICKI : En tant que famille, nous requérons certains éléments fondamentaux qui existent dans une famille normale, créative : l’un de ceux-ci est la reconnaissance de l’autre, non en tant qu’objet (l’objet « frère », « sœur », « père » ou « mère »), mais en tant que sujet, frère ou sœur, personne créée par Dieu, ayant des droits égaux et une égale possibilité d’exprimer sa spiritualité. Sinon un frère ou une sœur pourra dominer l’autre.

STERN : D’accord, et je me demande si l’utilisation de l’image d’une « famille unique » ne serait pas non plus un moyen utile pour comprendre le problème de la conversion. Si nous sommes une même famille, il ne convient pas que les chrétiens essaient de recruter des juifs pour les adopter dans la famille des chrétiens, et vice versa, car ils en sont déjà membres. Nous parlons de la fidélité de Dieu à sa parole et à l’alliance, et nous respectons la fidélité de ceux qui vivent selon l’alliance. Dans le monde moderne, où nous sommes si sensibles au rôle de la conscience, nous affirmons que le Seigneur est attentif à chacun de nous et nous juge à la manière dont nous sommes fidèles, dans nos vies, à la lumière que nous avons. Donc si chrétiens et juifs ont une conception différente de la volonté de Dieu et de l’alliance divine conclue avec nous, c’est bien. Chacun peut essayer de persuader l’autre des mérites de sa propre voie, mais nous ne sommes pas deux religions séparées essayant de se convertir l’une l’autre. Si nous nous regardons comme une seule réalité, bien d’autres choses pourront être vues dans une toute nouvelle lumière.

KLENICKI : Je voudrais encore souligner ma peur du syncrétisme. J’ai dit bien des fois – et je me suis engagé dans le dialogue entre chrétiens et juifs depuis plus de 40 ans – que le dialogue est la rencontre et l’interaction de deux communautés de foi, l’une juive et l’autre chrétienne. J’insiste toujours, dans mon enseignement et dans mes écrits, sur le fait que le dialogue réel n’existe qu’entre un juif qui est un juif et un chrétien qui est un chrétien ; sinon, il ne s’agit dans la rencontre que de deux bonnes volontés, de tasses de thé et de sympathie, ce qui conduit au syncrétisme et à la confusion. J’accepte que nous soyons une famille, à condition que nous conservions nos différences.

STERN : Nous nous parlons si facilement l’un à l’autre ! C’est dur de faire ressortir les différences, même si nous nous y employons avec toute notre énergie. Voyez les différences dans la compréhension et l’engagement de foi d’un rabbin reconstructionniste et d’un rabbin hassidique ! Voyez les différences entre un ministre méthodiste et un prêtre orthodoxe ! Et la manière de célébrer le culte, comme elle diffère entre les chrétiens d’Ethiopie et ceux de Suède, ou encore les juifs du Yemen et ceux de Russie ! Il y a ainsi d’énormes divergences au sein même de nos communautés de foi. Certains juifs et certains chrétiens peuvent se sentir plus d’affinités entre eux qu’avec les membres de leurs propres communautés de foi.

KLENICKI : Je comprends votre point de vue ; cependant sachez-le, je peux être différent de mes collègues juifs en ce qui concerne traditions et coutumes, mais je sens que je fais toujours partie du peuple de Dieu et je respecte les différences quant aux démarches théologiques et aux coutumes. Ce que je n’aime pas et que j’accepte difficilement, c’est qu’un collègue juif vienne me dire que je suis moins juif du fait que je ne suis pas certaines traditions. Nous avons des approches différentes de la vie juive, mais nous nous sentons toujours comme une famille et comme le peuple de Dieu. Mon rêve serait que juifs et chrétiens aient ce sentiment d’êtres membres d’une famille, la famille de Dieu, et qu’ils soient ensemble face au monde. Il nous faut agir ensemble, tels une famille, face à la pauvreté, face au manque d’intérêt pour nos jeunes générations ou au peu de foi chez celles-ci, face au manque d’engagement des croyants et à tant d’autres réalités qui inquiètent les croyants.

STERN : Amen ! Je suis d’accord avec tout ce que vous dites, et sur un point au moins il me semble que vous pourriez même aller plus loin quand vous parlez du peuple de Dieu, c’est-à-dire des juifs et des chrétiens. Je voudrais qu’aucun juif ou chrétien ne vienne à dire à l’autre que sa foi est moins solide que la sienne, ou accuser l’autre d’être moins fidèle dans sa recherche de Dieu et dans l’obéissance à Sa volonté. Dans notre manière même de parler, nous pourrions facilement apprendre de parler de nous-mêmes comme d’une famille unique, avec la multitude de sa différence. Dieu soit loué pour une telle possibilité !

KLENICKI : Le voyage de Jean Paul II a été quelque chose d’unique pour chrétiens, juifs et musulmans, mais je pense qu’il a donné à tous, et spécialement à nous qui sommes de vieux amis, l’occasion de traiter de sujet d’intérêt mutuel au sein du dialogue interreligieux, et la sensation que nous sommes unis en tant que juifs et chrétiens dans le monde. Même si le pape Jean Paul II, en soulignant la relation avec le « frère aîné » à la synagogue de Rome, n’a pas fait allusion à la famille elle-même, il avait en vue cette idée sur laquelle portent maintenant notre discussion et notre dialogue, à savoir que nous sommes une famille, la famille de Dieu.

 

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