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Elie, prophète victorieux, persécute, décourage, puis institue premier d'une lignée (1 Rois 17-19)
Michel de Goedt
Dans ce qu'il est convenu d'appeler le cycle d'Elie, les chapitres 17-19 du 1er Livre des Rois constituent un ensemble dont la rédaction, telle que nous la lisons sous sa forme dernière, laisse assez bien deviner des sources ou traditions sous-jacentes. Ce qui retiendra notre attention dans cette brève étude, c'est le texte dans son unité apparente. L'exégète qui n'en finit pas de s'attarder aux distinctions de couches dans la genèse du texte, aux sutures et retouches rédactionnelles, fait penser à un géologue qui serait devenu incapable de voir dans un paysage autre chose que plissements de terrain, formations spécifiques, traces de cataclysmes... Un texte est un paysage à voir, bien plus qu'un sous-sol à imaginer. Et ce qui se donne à voir n'est pas visible à première vue. Si les sous-sols littéraires ne « trahissent » pas facilement leurs strates en surface, les surfaces, elles, s'agencent selon des logiques qui ne sautent pas aux yeux.
Une malédiction qui cessera à la parole du prophète (ch. 17-18)
Les chapitres 17-18, pour commencer par la première des deux unités qui composent les trois chapitres 17-19 du ter Livre des Rois, se présentent comme l'histoire d'une malédiction et de l'issue qui a permis d'en sortir. Les présupposés de cette histoire sont donnés à la fin du chapitre 16 de ce même Livre des Rois. Achab, sous l'influence de
Jézabel, s'est mis à servir Baal et à se prosterner devant lui; il lui a dressé un autel dans un temple construit en son honneur à Samarie (y. 31-32). La sécheresse est la malédiction qui s'abat sur une terre profanée par les faux dieux.
Première épreuve du héros
Après un verset d'introduction qui indique l'enjeu des chapitres 17 et 18 — au nom du Seigneur, Elie annonce une sécheresse dont la fin est comme suspendue à sa parole de prophète —le chapitre 17 contient le récit des épreuves, au sens sémiotique du mot, au terme desquelles Elie appareil comme qualifié pour la grande épreuve décisive: sur la parole du Seigneur, il va se cacher au torrent de Kerith; toujours sur la parole du Seigneur, il se rend à Sarepta, y assure, par miracle, la subsistance d'une veuve; enfin, il ressuscite le fils de cette veuve. Le verset 24, sommet de ces épreuves qualifiantes, est une sorte de reconnaissance de la qualité du héros: a Mainte- nant, que tu es un homme de Dieu et que la parole du Seigneur dans ta bouche est vérité ».
La grande épreuve du Carmel
Le chapitre 18, tout comme le chapitre 17, s'ouvre par une parole du Seigneur qui en indique très schématiquement le contenu narratif. Elie doit aller rencontrer Achab; après quoi, le Seigneur enverra la pluie sur la face de la terre. Les versets 2-15 nous présentent Achab à la recherche d'herbages pour ses chevaux et mulets. Le Roi partage le pays en deux zones à parcourir; il s'en réserve une et donne l'autre à son Maître du Palais, Obadyahu. Les versets 7-15 rapportent la rencontre d'Elie et d'Obadyahu, rencontre qui prépare celle du prophète avec le Roi. C'est aux versets 16-19 que nous lisons le récit de cette entrevue. Celle-ci ne sert qu'à l'expression de la volonté du prophète; « Envoie rassembler avec moi sur le Mont Carmel tout Israël et les prophètes de Baal...» (v. 19). Achab exécute la parole d'Elie; puis, plus aucune mention n'est faite du Roi dans le récit des versets 21-40. Ce récit rapporte une confrontation entre Elie et les prophètes de Baal en présence du peuple. Mais la confrontation se joue, en réalité, entre le Dieu d'Israël et Baal, invoqués respectivement par Elie et par les faux prophètes. « Le dieu qui répondra par le feu, c'est lui qui est Dieu », propose Elie. Le peuple aquiesce. Quand le Seigneur, Dieu d'Abraham, d'Isaac et d'Israël, répond effectivement par le feu, M peuple s'écrie: « C'est le Seigneur qui est Dieu! C'est le Seigneur qui est Dieu!» (v. 39).
L'épreuve décisive: l'Intervention pour la pluie
L'acclamation du peuple forme le présupposé de l'intercession d'Elie pour la pluie. La terre a été profanée par le culte rendu à Baal; maintenant que « tout Israël » (19,20) reconnaît que, seul, le Seigneur est Dieu, la terre donnée par Dieu à son peuple peut recevoir de nouveau la bénédiction du Ciel. Le peuple sait que le Seigneur est Dieu en Israël, qu'Elie est son serviteur et qu'il accomplit « toutes ces choses » sur sa parole (y. 36). L'épreuve décisive du jugement de Dieu sur le Mont Carmel présente donc le double aspect d'épreuve décisive et d'épreuve qualifiante qui a pour effet de permettre au héros qualifié d'affronter l'épreuve véritablement et ultimement décisive, l'obstacle à la bénédiction de la pluie étant levé par la conversion de tout Israël à son Dieu et le serviteur de Dieu, Elie, étant reconnu comme tel et, par là, habilité à intercéder pour l'obtention de cette bénédiction on peut affirmer que, même si la brièveté du texte ne semble pas proportionnée à son importance, le passage 18,41-45 est ce à quoi tend l'ensemble littéraire des chapitres 17-18, ce en quoi, de quelque manière, se résout la tension évoquée dès le premier verset: a Le Seigneur est vivant, le Dieu d'Israël que je sers! Ces années-ci, il n'y aura de pluie ou de rosée qu'à ma parole» (17,1). La grande unité narrative que forment les deux chapitres 17 et 18 peut s'articuler ainsi: au terme d'épreuves qualifiantes, le prophète est reconnu comme un homme de Dieu, dans la bouche de qui la parole du Seigneur est vérité (et 17,241; une première épreuve décisive, préparée de loin en 182b-19, a pour effet la conversion du peuple (18,20-40), condition qui permet l'épreuve vraiment décisive qui obtient le bien manquant: la pluie (18,41-45).
Unité littéraire 18,41-45: étude détaillée
C'est cette dernière péricope de la prière d'Elie pour la pluie que nous voudrions étudier plus en détail. La délimitation de l'unité littéraire ne pose pas de problème en ce qui concerne le début: après le massacre des prophètes de Baal, Elie s'adresse à Achab, absent de tout le récit du jugement de Dieu, alors que le peuple, l'un des trois acteurs de cette scène avec Erie et les faux prophètes, disparaît du champ de la narration. Après l'intermède du massacre des prophètes de Baal sur les bords du Kishon, nous sommes de nouveau sur le Mont Carmel, où nous trouvons encore une fois trois acteurs, Achab, Elie et son serviteur, parmi lesquels, seul, Elie a loué un rôle au cours du récit précédent.
Les divisions de nos Bibles en chapitres, divisions qui n'ont rien. ni de canonique, ni de littéraire, comptent le verset 46 dans notre petite péricope, et nos traductions modernes usent couramment de ce fait comme d'une division littéraire. Mais l'usage de la Synagogue fait débuter une haphtarah au verset 46. Du point de vue de la cohérence narrative superficielle, on peut omettre ce verset sans aucun inconvénient apparent. Cette omission rend même le récit plus vraisemblable, du moins à première vue: Jézabel envoie un messager à Elie pour le menacer du sort des prophètes dont le sang a rougi le Kishon; Elie fuit et laisse son serviteur à Beer-Sheva; or, il n'est pas dit que celui-ci ait accompagné Elie dans sa course de héraut précédant la joyeuse entrée du Roi dans Vizréel. Ces remarques, un peu trop dépendantes d'un souci de cohérence événementielle, doivent céder le pas à d'autres observations. Le chapitre 19 est marqué au coin de l'ironie. A la plainte qu'exprime Elie en fait de réponse à la question: «Qu'as-tu à faire ici, Elle?», Dieu répond: Va, reprends ton chemin ». Cette ironie affleure dès le début du récit: il faut que ce soit poussé par la main de Dieu (v. 46), qu'Elie en vienne à se trouver dans la capitale où Jézabel exerce son emprise sur Achab, de manière que la fuite du prophète, au lieu d'apparaître comme une simple défaillance humaine, s'intègre dans un ensemble où il soit amené à revenir d'une terrible méprise, un ensemble qui met en relief l'opposition entre méprise du prophète et dessein de Dieu.
Sept segments narratifs
Nous avons donc une petite unité littéraire de cinq versets. La division en versets n'étant pas plus canonique ou littéraire que la division en chapitres, il nous faut d'abord articuler notre petit récit en segments narratifs qui ne soient eux-mêmes articulables que par passage à un autre niveau d'articulation. Nous considérerons comme segment l'unité qui rapporte l'accomplissement d'un seul élément de programme narratif, le changement d'élément étant marqué par l'appartion d'un nouveau faire qui ne soit pas sous la simple dépendance d'un faire faire ou qui ne soit pas que le déploiement, par étapes, si brèves soient-elles, d'une même ligne de faire. Nous croyons pouvoir ainsi articuler 18,41-45 comme suit:
s.1 - Et Elie dit à Achab: « Monte, mange et bois, car (il y a) le bruit de la pluie en averse ». Et Achab monta manger et boire.
s.2 - Et Elie monta au sommet du Carmel et se prosterna à terre et se mit le visage entre les genoux.
s.3 - Et il dit à son serviteur: « Monte. je t'en prie, regarde du côté de la mer». Et II monta et il regarda et il dit: « Il n'y a rien ».
s.4 - Et il dit: « Retourne sept fois ». Et, la septième fois, il dit: « Voici un nuage, petit comme une main d'homme, qui monte de la mer ».
s.5 - Et il dit: « Monte dire à Achab: Harnache (ou: attelle) et descends et que la pluie en t'arrête pas ».
s.6 - Et, tout à coup, les cieux s'assombrirent de nuages en tempête, et il y eut une grande averse.
s.7 - Et Achab monta (son coursier, ou monta en char) et alla à Yizréel.
On pourrait ne voir en s.6 et s.7 que l'expansion de s.5. Mais à cette réduction s'oppose le fait que le segment 6 ne se présente pas comme l'exécution d'un vouloir, ni comme la description d'un phénomène parfaitement prévu ou prédit. Quant au segment 7, il n'est pas que l'exécution de la parole d'Elie transmise par le serviteur au Roi: le serviteur n'apparaît pas; aucune mention n'est faite de la parole d'Elle; la phrase, « et il alla à 1'12re-el», n'a pas d'antécédent dans l'instruction qu'Elfe charge son serviteur de transmettre à Achab. Nous avons donc bien sept segments narratifs.
Intercession silencieuse d'Elie
L'enjeu du récit est clair: Achab, représentant le peuple et la terre d'Israël, a besoin de la bénédiction de la pluie. Comment le récit prend-il chair? Le prophète, qui sait que la reconnaissance du Seigneur comme seul Dieu d'Israël a rempli la condition voulue pour cette bénédiction, perçoit prophétiquement que la pluie va tomber. Mais deux présupposés doivent être assurés: Achab doit manger et boire, non parce qu'il avait jeûné, comme en font l'hypothèse les exégètes qui s'efforcent de combler les trous de l'histoire événementielle, mais parce que, dans une sorte d'acte de foi en la parole du prophète, il lui faut anticiper sur les biens qu'entrainera la bénédiction de la pluie. Le deuxième présupposé est l'intercession du prophète. Or, cette intercession — dont on ne peut tout d'abord affirmer l'existence qu'après avoir plongé notre péricope dans le bain révélateur de l'intertexte biblique, le vocabulaire d'intercession et la prière même d'intercession faisant défaut — cette intercession silencieuse, par son insertion entre deux paroles prophétiques sur la pluie, fait sens avec les deux annonces programmatiques de 17,1: « Ces années-ci, il n'y aura pluie ou rosée qu'à ma parole », et de 18,1: « Je vais envoyer la pluie sur la face de la terre ». Le contraste entre la parole apparemment quasi-démiurgique de 17,1 et l'action souveraine de Dieu, évoquée en 18,1 sans aucune mention de la parole du prophète, ce contraste se retrouve en 18,41-45 dans celui qui joue entre la double parole assurée du prophète et le prosternement humble et prolongé.
Cet encadrement littéraire invite à fixer l'attention sur le segment 4, le segment central de notre division narrative. L'apparition du nuage (s.4) et l'instruction donnée par Elie au serviteur (s.5) sont liées comme signe et certitude engendrée par un signe. Comme il s'agit d'une supplication instante, le signe ne peut que porter sur l'exaucement de la prière. L'important n'est donc pas le nuage, mais ce à quoi il est comparé, une main d'homme. La main d'homme, plus exactement, la paume qu'on montre vide au Ciel, évoque la prière. Le psalmiste compare sa prière, signifiée par l'élévation des mains, à l'oblation du soir (Psaumes 1412). Or, le rédacteur de 1 Rois 18 tient à marquer que la prière d'Elle en présence du peuple s'adresse à Dieu à l'heure de cette oblation (v. 36), mentionnée par l'expression technique, quand monte l'oblation » (monte sur l'autel, ou bien il s'agit d'une allusion métonymique à la « montée » de l'encens qui accompagnait l'oblation). La main qui monte symbolise la prière exaucée, agréable à Dieu, comme est agréable à Dieu l'oblation qui monte sur l'autel, ou l'encens qui monte dans le sanctuaire. On comprend mieux la raison pour laquelle le serviteur doit retourner sept fois observer ta mer. Sept fois, chiffre de perfection, cela veut dire que la supplication a besoin du temps voulu pour devenir parfaite prière d'humilité et de dépendance à l'égard de Dieu. Dieu seul « donne » la pluie (18,1); la parole du prophète (17,1) reçoit son assurance de Dieu par le signe que Dieu lui-même donne, du nuage symbolisant sa parole: J'ai entendu ta prière.
Structure de 18,41-45
Il est alors intéressant de remarquer que notre péricope, qui s'articule en sept segments, présente sept emplois des verbes monter et dire; Achab, Elle et son serviteur, le nuage « montent»; Elie « dit « quatre fois, le serviteur, deux fois, et il est chargé une fois par Elie de « dire » à Achab. Le segment 4 étant le segment central, on peut remarquer que les autres segments ne sont pas sans présenter une structure chiastique autour de ce segment, qui fait fonction, pour ainsi dire, de pivot:
— Achab apparaît en s.1 et s.7, lui qui est bénéficiaire, au nom de son peuple, de la bénédiction de la pluie (dans le s.5, il n'apparaît que comme le destinataire virtuel d'un faire savoir).
— En s.2 et s.6, Elie, prosterné sur une « terre » (y. 42) rendue stérile par la malédiction consécutive à l'idolâtrie, « correspond », comme l'absence à la présence, comme le désir à l'accomplissement, à la pluie que sa prière va obtenir des « cieux » N. 45).
— Les s.3, 4 et 5 forment un ensemble marqué par un dialogue entre Elie et son serviteur (trois répliques dans la bouche du prophète, deux dans la bouche du serviteur). Le segment 4 est central, décisif, marquant le tournant qui amène la deuxième parole prophétique sur la pluie. Après les six emplois de « monter » dans les quatre premiers segments, le septième en s.5 n'a pour but que de permettre de dire à Achab: «...descends...». C'est dès 9.4 que le Roi « peut » descendre; mais il doit apprendre cette « possibilité » de la bouche du serviteur.
La logique spatiale de notre péricope symbolise avec l'obtention du bien recherché ou désiré: la pluie. La profanation de la terre par l'idolâtrie a entraîné la sécheresse. Achab et Obadyahu « parcourent » en vain la terre (18,6), se la partageant pour aller chacun de son côté à la recherche de points d'eau. Il ne reste plus qu'à « monter », il ne reste plus que la prière qui puisse « monter » vers le Ciel. Quand la prière est exaucée, Achab peut « descendre » (cf. v. 44) pour « aller » (cf. y. 45) à Vizréel. Le Seigneur « donne » (c'est le sens premier du verbe employé en 18,1) la pluie, La pluie descend des cieux et permet de « parcourir » de nouveau la terre, dont elle est la bénédiction. Le peuple peut de nouveau user de la terre comme d'un don de Dieu.
Du point de vue de la logique narrative, les chapitres 17-18 s'articulent donc ainsi: une terre donnée à un peuple lui est comme interdite de par la malédiction entraînée par l'idolâtrie; le salut est dans la supplication adressée à celui qui peut, de nouveau, envoyer la pluie. 1 Rois 17,2-18,40 ne forme qu'une longue préparation à cette supplication: institution du « héros », ici, de celui qui sera aussi bien le médiateur de la conversion du peuple que l'intercesseur (17.2-24); conversion du peuple, préalable à la bénédiction (18,1-40); supplication pour l'obtention de la bénédiction de la pluie (18,41-45).
Elie à ('Horeb (ch. 19)
Après ce retour à l'usage d'une terre de nouveau bénie par Dieu, le chapitre 19 semble peu vraisemblable du point de vue historique et psychologique. Mais c'est là un point de vue trompeur. La portée essentielle du chapitre 19, nous essaierons de le montrer brièvement, consiste en une sorte de légitimation du prophétisme en Israël, ou d'intégration du prophétisme dans l'économie de l'Alliance. Les éléments historiques, s'il y en a, sont au service de cette portée, non de la vraisemblance chronologique ou psychologique. Nous nous attacherons à l'étude de ce qu'il est convenu d'appeler la théophanie de l'Horeb.
On sait qu'une opinion courante chez les exégètes voit dans les versets 96-10 un doublet des versets 13-14. Nous ne discuterons pas le bien-fondé de cette opinion. Ce qui nous intéresse, toute géologie » mise entre des parenthèses nullement négatives, c'est la fonction du doublet dans l'ensemble littéraire où il s'insère. Doublet est à prendre ici au sens le plus strict, puisqu'il y a identité parfaite entre les versets 10 et 14. La plainte d'Elie, réponse à une question semblable à celle qu'un juge pose à un plaignant, est elle-même suivie les deux fois d'une réponse; la première fois, Elie estinvité à sortir de la grotte où il a passé la nuit, pour se tenir devant le Seigneur; l'invitation est suivie du passage du Seigneur. La deuxième fois, une sorte d'instruction est donnée au prophète. Ce qui frappe l'attention, c'est la similitude d'agencement des quatre éléments: les deux occurrences de la plainte d'Elfe, le passage du Seigneur et l'instruction donnée à Elle. Chaque élément comprend un préambule, un corps de trois membres et un ajout dont le contenu est lié à ce qui précède (le corps de trois membres), soit pour marquer une exception, peut-être provisoire, soit pour apporter une information qui contredit l'opinion de l'auditeur, soit encore pour signifier un inédit dans une tradition: Elie est seul survivant des prophètes, mais pour combien de temps! Elie n'est pas seul, Dieu s'est réservé un reste de sept mille hommes; le bruit d'une brise légère constitue un inédit par rapport à la tradition de la théophanie de l'Exode. Nous avons deux couples: a-b (plainte d'Elie, passage du Seigneur, v. 10-12) et a-c (plainte d'Elie, réponse de Dieu, y. 14-18). Comme a est commun aux deux couples, que la même structure est commune à a, b et c, on peut se demander si, par la médiation de a, b ne serait pas à interpréter à la lumière de c. Il sera utile de mettre respectivement en regard l'un de l'autre a et b, a et c.
a (v. 10)
pr. - Je suis plein d'un zèle jaloux pour le Seigneur des armées.
1. - Et voici qu'ils ont abandonné ton alliance (autre leçon: qu'ils t'ont abandonné),
• 2. - qu'ils ont détruit tes autels
3. - et qu'ils ont tué tes prophètes par l'épée.
ai. - Et je suis resté seul, et ils cherchent à m'enlever la vie.
a (v. 14)
pr. - Je suis plein d'un zèle jaloux pour le Seigneur des armées.
1. - Et voici qu'ils ont abandonné ton alliance (autre leçon; qu'ils t'ont abandonné),
2. - qu'ils ont détruit tes autels
3. - et qu'ils ont tué tes prophètes par l'épée.
aj. - Et je suis resté seul, et ils cherchent à m'enlever la vie.
b (v. 116-12)
pr. - Et voici que le Seigneur passa.
1. - Et il y eut un vent fort et puissant qui fendait les montagnes et brisait les rochers en avant du Seigneur. Le Seigneur -n'était pas dans le vent,
2. - Et après le vent, un tremblement de terre. Le Seigneur n'était pas dans le tremblement de terre.
3. - Et après le tremblement de terre, du feu. Le Seigneur n'était pas dans le feu.
a.j. - Et après le feu, le bruit d'une brise légère.
c (v. 15-18)
pr. - Va, reprends ton chemin par le désert vers Damas.
1. - Tu oindras Hazaël comme roi d'Aram.
2. - Jéhu. fils de Nimshi, tu l'oindras comme roi d'Israël
3. - et Elisée, fils de Shaphat, d'Abel-Mehola, tu l'oindras comme prophète pour te succéder,
1'. - Celui qui échappera à l'épée de Hazaël,
2'. - Jéhu le mettra à mort,
3'. - et celui qui échappera à l'épée de Jéhu, Elisée le mettra à mort.
aj. - Et je me réserverai un reste de sept mille hommes en Israël, tous les genoux qui n'ont pas fléchi devant Baal et toutes les bouches qui ne l'ont pas baisé.
Dieu a fait alliance une fois pour toutes
On considère généralement que la brise légère symbolise la théophanie d'un Dieu spirituel. Mais s'agit-il bien d'une théophanie? Ne sommes-nous pas en présence d'un refus de théophanie, occasionné par la nécessité d'arracher Elie à sa méprise: le prophète n'est pas seul; il y a un reste qui écoutera les paroles des prophètes qui lui succéderont, dont Elisée sera le premier. Il n'est pas dit que Dieu est dans la brise légère. Au lieu de la manifestation attendue... du lecteur, une voix interroge Elie. La réponse de Dieu à la plainte du prophète revient à dire: Tu n'as rien à faire ici, reprends ton chemin. S'il y a un reste, c'est que Dieu n'a pas abandonné le peuple qui l'a abandonné. c'est que Dieu n'a pas à réitérer l'instauration d'une alliance que l'infidélité de l'homme n'a pas le pouvoir d'annuler. Elle n'a rien à faire à l'Horeb, sauf qu'il lui faut apprendre qu'il n'a rien à y faire: l'alliance que Dieu a établie entre son peuple et lui-même est toujours en vigueur; les événements fondateurs n'ont pas à être répétés; c'est dans l'histoire même du peuple que Dieu se donne à entendre, dans la bouche des prophètes.
Un passage du Deutéronome qui reflète des traditions semblables à celles dont nous trouvons ici la trace rapporte ces paroles de Moïse: «Le Seigneur ton Dieu suscitera pour toi en ton sein, d'entre tes frères, un prophète comme moi. Vous l'écouterez. C'est bien ce que tu as demandé au Seigneur ton Dieu à l'Horeb, au jour de l'Assemblée, en disant: «Je ne continuerai pas à entendre la voix du Seigneur mon Dieu, et je cesserai de voir ce grand feu. Ainsi, je ne mourrai pas ». Et le Seigneur m'a dit: «Ils ont bien parlé. Je leur susciterai un prophète d'entre leurs frères, semblable à toi... » (Deutéronome 18,15-18).
Il nous semble que 1 Rois 19 a la même teneur essentielle, en termes de récit et de symboles, que Deutéronome 18,15-18. Dieu a fait alliance une fois pour toutes; il n'a pas à réitérer une alliance quin'a pas été dénoncée; il n'a donc pas à doubler la théophanie dont Moïse a été le témoin. Si théophanie il y a encore en 1 Rois 19, c'est celle d'un Dieu qui n'a plus à ébranler sa création pour marquer l'irruption du Créateur dans l'histoire des hommes, mais qui parle désormais par la bouche des prophètes, dans /e cours ordinaire de l'histoire, quelle qu'elle soit, et ce cours ordinaire, violent ou non, est symbolisé en tant qu'ordinaire, non miraculeux, par la brise légère, la brise qui souffle après la tempête. L'histoire du peuple élu, après l'ébranlement des origines du Sinaï, se mêle à l'histoire des hommes et des empires, sans rien qui la distingue aux yeux de qui ne voit que la « chair ». L'image de la brise présente l'inconvénient d'évoquer la douceur, qui est bien étrangère à notre texte. Il faut ne retenir que le contraste entre une origine, marquée par une rupture, et une continuité qui, sous les convulsions de l'histoire. est dans la main d'un Dieu fidèle.
La fidélité de Dieu est plus forte
1 Rois 19 rattache le prophétisme à ce prophète qui, surgi dans un temps de crise radicale, fut la voix de Dieu pour le peuple. Cette crise du règne d'Achab, à la lumière du passage fulgurant d'Elie, permit de sentir, à une profondeur jamais atteinte jusque là, que la fidélité de Dieu est plus forte que la défection des hommes. Que Dieu n'abandonne pas son peuple, le signe en est qu'il ne cesse de lui parler par les prophètes qui succèdent à Elie. Plus n'est besoin de montagnes qui se fendent, de rochers qui se brisent, de feu qui sorte des entrailles de la terre. ll reste une voix qui se fait entendre dans la brise légère du cours de l'histoire. Une voix qui n'est perceptible qu'à ceux qui écoutent. qu'à ceux dont le coeur, attentif à Dieu, reconnaît les paroles qu'il met dans la bouche de ses prophètes, Et Dieu ne manque pas d'ouvrir chaque matin l'oreille de ses serviteurs.
* Prêtre, bibliste et théologien, ami de SIDIC depuis de longues années, le P. Michel de Goedt est actuellement Provincial des Carmes déchaux de France.