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Prier ensemble, Juifs et Chrétiens - Expeirences et Réflexions
Different Authors
Rde Jennifer M. Phillips, Pasteur épiscopalienne,
St. Jean l'Evangéliste, Boston (U.S.A.)
J'appartiens à un groupe interreligieux de membres du clergé se réunissant régulièrement pour des petits déjeuners, rencontres peu structurées où se retrouvent des dizaines de représentants de confessions différentes (rabbins, pasteurs chrétiens de toutes dénominations, musulmans, boudhistes, hindous) ... Nous nous retrouvons tous les mois pour un petit déjeuner et un échange ...
Notre seule prière consiste à rendre grâce pour le repas, prière guidée à tour de rôle, chaque mois, par l'un des nombreux participants. Ce qui est le plus important pour nous, en tant que groupe, c'est d'avoir renoncé au désir que nous avions de prier ensemble davantage que cela. Même si certains parmi nous se sont retrouvés à certaines occasions pour des célébrations oecuméniques ou interreligieuses, le succès de ce groupe repose sur la conviction que lorsque nous parlons et mangeons ensemble, Dieu est au milieu de nous. Des amitiés se nouent là où elles n'auraient jamais pu se créer autrement, et Dieu est glorifié dans cette recherche de paix, dans le respect et le désir d'apprendre les uns des autres. •
Ma paroisse cherche actuellement à entrer en contact plus étroit avec la communauté juive réformée Beth El. Comme c'est le cas souvent dans le dialogue entre juifs et chrétiens, nous avons été amenés à réaliser qu'il est facile et agréable pour nous, chrétiens, de visiter nos amis juifs et de participer à leurs liturgies, mais qu'il est difficile et pénible pour eux d'en faire autant chez nous, avec nos lieux de culte catholiques si pleins d'images et nos Ecritures si marquées par l'antisémitisme et la théorie de la substitution. Des juifs, nous avons appris cette belle prière d'action de grâce après le repas:
Dieu unique, Dieu de bénédiction, ta Présence emplit la création.
Tu nourris le monde avec bonté et tu le soutiens par ta grâce, ta bienveillance et ta miséricorde. Tu donnes sa nourriture à tout être vivant, car tu es miséricordieux ...
Daigne notre Dieu de compassion bénir cette maison et tous ceux qui ont partagé notre repas.
Rabbi Hugo Gryn,
de la West London Synagogue (Angleterre)
Il y a des années, nous avons connu toutes sortes de services religieux ou cultes dont l'organisation exigeait que l'on n'exprime que ce qui était le moins spécifique aux diverses traditions religieuses représentées. On en était au point d'être à peu près sûrs d'avance que les juifs choisiraient le texte de Lévitique 19 (jusqu'au verset 18); les chrétiens proposaient le Notre Père et tous étaient d'accord pour le Psaume 23 et, en cas d'insistance, pour le Psaume 121 aussi!
J'en suis arrivé à la conclusion que le meilleur, en de telles occasions, était en fait d'avoir une liturgie qui suive totalement la tradition de la communauté d'accueil, les fidèles des autres religions participant à l'assemblée et si cela convient, apportant leur contribution pour l'homélie ou d'autres lectures tirées de leurs propres Ecritures. Une telle manière d'agir permet de ne nuire à l'intégrité d'aucune des traditions.
Rd Marcus Braybrooke,
Pasteur anglican, dans son livre: « Time to Med », SCM Press, p. 157 et p. 155
Tout ce que l'on fait en commun risque de perdre son caractère propre. Les services religieux ne sont parfois que des séries de lectures suivies de quelques hymnes aux paroles très générales. Personne n'est offensé, mais personne n'est non plus sans doute transporté!
11 est préférable d'essayer de mettre en valeur le sens plus universel que recèle à peu près toute tradition. L'un des services interreligieux qui reste pour moi inoubliable est celui auquel j'ai participé à la West London Synagogue, le jour où le Dalaï Lama y donnait le sermon. La cérémonie comportait une procession avec la Torah et une lectune faite sur le rouleau, suivie d'autres lectures. A cette occasion, les visiteurs ont pu goûter un peu de la beauté du culte juif et y apporter leur propre participation...
Aux conférences et aux Semaines d'amitié du CCJ (Conseil des chrétiens et des juifs en Angleterre), on est tombé d'accord pour encourager les membres du groupe à participer au culte caractéristique de chacune des communautés de foi, plutôt qu'à des services religieux spécialement organisés pour eux. La présence d'hôtes de religions différentes influence la dynamique du culte traditionnel: Il faut supprimer les éléments susceptibles de heurter ou — si cela est impossible — prévoir quelques explications. Il doit être bien clair que les hôtes sont là d'abord comme observateurs, et que c'est à eux de décider dans quelle mesure ils veulent devenir aussi des participants.
Rd P. Michel Remaud,
prêtre catholique, dans son commentaire aux « Notes » vaticanes de 1985, édité par la Coopérative de l'Enseignement Religieux de Paris, p. 29
La liturgie chrétienne n'est pas une transposition pure et simple de celle de la synagogue. Elle célèbre cet événement nouveau qu'est la résurrection de Jésus...C'est pourquoi le retour aux sources ne consiste pas à décalquer simplement la liturgie juive. Le non-juif qui découvre les richesses de cette liturgie peut éprouver le désir bien compréhensible de se l'approprier. Il doit être mis en garde contre une utilisation abusive, dans l'expression de sa prière, de rites ou de symboles du judaïsme. Sans doute, de telles initiatives veulent manifester l'enraciment juif de la foi chrétienne. Mais ces symboles appartiennent à une tradition qui a continué de se développer après le début de l'ère chrétienne. Elle demeure le bien propre du peuple qui l'a élaborée. A travers elle, ce peuple a exprimé sa fidélité et gardé son indentité, parfois jusqu'à l'héroïsme, au sein même d'un monde chrétien souvent hostile. Il est donc permis d'émettre des réserves devant des initiatives qui peuvent apparaître au juif comme une usurpation. Est-il certain, du reste, que le meilleur moyen de manifester l'unité du projet de Dieu soit de procéder par juxtaposition? Ici encore, c'est la recherche d'une fidélité plus grande à ce que nous sommes déjà qui nous fera trouver le plus sûrement les voies d'une saine inventivité.
Carmine di Sante,
du Centre Sidic de Rome. Le Pape a-t-il prié avec les juifs à la synagogue de Rome?
L'Osservatore Romano du 22.4.1986 a présenté la visite du Pape à la synagogue de Rome de la manière suivante:
Le cortège (après avoir été salué et accueilli sur le seuil du temple) est entré à la synagogue. Après le chant de l'Alleluia, le Rabbin Della Rocca a lu deux textes bibliques tirés du livre de la Genèse (15, 1-7) et du prophète Michée (4, 1-5). Le Président de la communauté juive de Rome, le Prof. Saba, puis le Grand rabbin de Rome ont prononcé leurs discours, auxquels le Saint Père a répondu par son allocution. Le Pape a récité ensuite le Psaume 133 et le Rabbin Toaff le Psaume 124; puis le choeur a entonné le chant du Ani Ma'amin qui a été suivi d'une minute de silence, dans le recueillement et la prière.
Si l'on s'en tient au compte rendu purement descriptif, essentiel, de l'Osservatore Romano et à son langage volontairement mesuré, la rencontre à la synagogue a comporté 4 moments distincts:
— une prise de la parole, du côté juif, à 4 voix: celle du choeur, celle du Rabbin Della Rocca lisant les 2 textes de la Bible, celle du Président de la communauté et celle du Grand rabbin;
— une prise de la parole par le Pape adressant son allocution à toute la communauté;
— la lecture du Ps. 133 par le Pape, suivie immédiatement par celle du Ps. 124 par le Grand rabbin Toaff;
— le chant final du choeur: celui du Ani ma'amin et du Ps. 106.
Si l'on passe maintenant du niveau descriptif, celui de la chronique, à celui de l'interprétation, on peut se poser une question (comme l'ont fait et continuent souvent à le faire dans des occasions de ce genre bon nombre de personnes engagées dans le dialogue entre juifs et chrétiens): Une rencontre comme celle-ci, comportant des moments de prière importants (lecture de textes bibliques, de psaumes, de cantiques) mais où la prière imprègne aussi l'ensemble de la cérémonie (puisqu'on la trouve au moment de l'ouverture (chant de l'Alleluia) et à celui de la clôture (chant du Ani ma'amin et du Ps. 106), peut-elle être considéréecomme une rencontre de prière commune, où juifs et chrétiens auraient prié fraternellement ensemble?
Comme l'ont justement fait remarquer la plupart des commentateurs, la voix de la communauté juive et celle du Pape ne se sont jamais fondues ensemble dans la prière: elles se sont élevées vers Dieu chacune séparément. En cet après-midi historique du 13 avril 1986, les voix des deux « frères » présents (celle du « frère aîné » juif et du cadet chrétien, pour reprendre le langage du Pape) se sont élevées non pas ensemble, mais l'une auprès de l'autre. Cependant, prier à deux voix l'un auprès de l'autre, n'est-ce pas déjà une manière de prier ensemble, surtout quand le Dieu auquel on s'adresse est le même Dieu, celui d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, quand les textes utilisés sont les mêmes textes canoniques familiers (Genèse, Michée et Psaumes) et quand l'on partage une même foi dans le Dieu de l'Alliance?
Une prière commune, où la pluralité des voix se fondrait dans le choeur d'une voix unique, représente pour toutes les religions un idéal eschatologique vers lequel il leur faut s'orienter pour ne pas céder à la tentation, toujours actuelle, d'emprisonner le mystère, mais pour pouvoir au contraire exprimer celui-ci avec fidélité, dans la transparence du langage. Alors que nous aspirons à cette prière eschatologique, la prière que nous faison les uns à côté des autres est déjà une première façon, essentielle, de prier les uns avec les autres et d'exprimer de manière visible à la fois l'unité (le Dieu unique étant l'inspirateur et le terme de toute prière) et la différence (la multiplicité des formes de prière existantes) dans un climat de communion qui ne supprime pas l'altérité, mais qui sait accueillir la diversité et s'en enrichir.