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Qui est Juif - une Perspective Chrétienne sur Israel
Peter Schneider
Il est intéressant de remarquer, dans la situation d'après 1967, que l'intérêt mondial se porte sur un problème concernant le peuple juif, qui ne soit pas directement lié à l'impasse arabo-israélien. La question « qui est juif? » n'est pas de fabrication israélienne; elle est aussi vieille que les origines du peuple juif. Naturellement les chrétiens seront plus familiarisés avec l'aspect biblique de cette question. Il y a les mesures restrictives proclamées à dessein par Esdras et Néhémie à une époque où l'identité juive aurait pu si facilement disparaître. Il y a l'angoisse de St Paul qui, avec l'Eglise apostolique, ne désirait pas rompre ses liens avec le peuple juif. C'était néanmoins une période de séparation. Avec beaucoup d'à propos, il exprime sa pensée sur cette question dans cinq chapitres de deux de ses écrits: Galates 3 et 4 et Romains 9-11. Une référence intrigante dans le dernier livre du Nouveau Testament —Apocalypse 2,9 — sur « les diffamations de ceux qui usurpent le titre de juifs », n'est pas aussi bien connue. Les commentateurs sont d'accord que dans ce contexte « juifs » est un pseudonyme pour « chrétiens ». La raison de cette 'invention' littéraire provient du fait que le christianisme était une religion illégale ou non reconnue à cette époque de violence et de persécution de la part des Romains. En ce temps-là, la ressemblance et la confusion populaire entre juifs et chrétiens rendaient l'emploi de ce pseudonyme particulièrement adéquat.
Bien des fois l'intérêt porté de l'extérieur à la question de l'identité juive a été péjoratif. Aucun chrétien ne peut, où- rie devrait, oublier de quelle façon terrible Hitler a contraint les deux termes et y a répondu. En ce moment, il paraît nécessaire de le proclamer, ce qui est demandé du côté chrétien, est une approche de l'intelligence susceptible de comprendre, avant toutes choses,la réponse juive à cette question essentiellement juive. Dans l'histoire de sa propre compréhension, la définition de l'identité juive s'est souvent dressée, les rabbins lui ayant donné une réponse qui, pendant des siècles, a été considérée comme définitive. La définition de la Halachah (la loi qui fait autorité, direction et règle pour la pratique religieuse) désigne comme juif celui qui est né d'une mère juive, ou qui l'est devenu en se convertissant. On possède un ample commentaire rabbinique; il semble que toute là force repose dans la définition ethnique et que l'aspect le plus important du commentaire, qui est souvent supposé à tort comme faisant partie de la définition halachique elle-même, est cette phrase additionnelle « et qui n'a pas accepté une autre religion. ».
Le renouveau contemporain du peuple juif en termes de souveraineté dans la Terre, continuellement confronté à sa propre identité, a indubitablement donné à cette question, à la fois, une nouvelle urgence et une plus grande complexité. Hâtons-nous d'ajouter que cette complexité est endossée avec bonheur par l'ensemble des juifs, même si elle rompt la coalition gouvernementale israélienne, comme en 1958, ou simplement qu'elle la provoque, comme elle vient juste de le faire. La force nouvelle de la définition ou du problème plus moderne du contenu de l'identité juive est seulement une question intéréssante de plus qui requiert l'attention des savants juifs. L'évidente priorité juive de cette question est souvent oubliée, justement parce qu'il est étonnant qu'une question aussi ancienne à contenu religieux et communautaire soit tellement d'actualité dans un Etat moderne. Si les Israéliens étaient véritablement une nouvelle nation et un Etat sans lien avec l'identité du peuple juif, alors le problème n'aurait pas été soulevé. Si, d'autre part, être israélien coïncidait avec l'existence juive en Israël, ou si Israël solument un Etat religieux juif, comme rabie Séoudite est totalement un Etat arabe religieux musulman, le problème n'aurait pas été soulevé. Mais le fait est, qu'Israël est un Etat juif avec des relations dynamiques. Les cercles d'identité chevauchent mais ne sont pas co-extensifs à la totalité des juifs. De plus, les juifs et tout autant la Terre d'Israël, par conséquent dans un sens plus large, l'Etat d'Israël, est indissolublement lié au judaïsme. Mais Israël est aussi un Etat laïque et démocratique qui, en plus de la majorité juive, possède aussi des minorités israéliennes non-juives, que ce soit des Arabes chrétiens, des Arabes musulmans, des Druses ou des Chrétiens de l'Ouest d'origine juive ou de la Gentilité. Et si ce n'est pas suffisant, il y a les deux autres complications provenant d'éléments négatifs survenus dans l'histoire des relations judéo-chrétiennes — ce qui a contribué à la négation de l'identité juive — et des mariages mixtes, souvent lâchement rangés comme juifs et chrétiens, mais dans beaucoup de cas décrits comme juifs et gentils. Il y aussi des cas de mariages entre juifs et musulmans, mais ceux-ci n'ont pas joué un grand rôle sur la scène israélienne.
C'est pourquoi, l'aspect actuel de la question ayant trait aussi à la citoyenneté d'un Etat moderne, il devient naturel et légitime, quoique d'une manière secondaire, qu'il provoque de l'intérêt et que la communauté mondiale des nations se sente concernée. De la même manière (admettons que la responsabilité première et l'autorité du Gouvernement d'Israël soit en ce domaine dûment reconnue) la Terre d'Israël est aussi pour les chrétiens la Terre Sainte et, d'une manière plus pertinente encore, ayant été et continuant à être un lieu où les Chrétiens ont vécu et continuent à vivre, le problème en question est aussi d'un grand intérêt pour les chrétiens en Israël et dans le monde entier. Ce qui est aussi valable pour les Musulmans.
Le point brûlant de la tension durant les deux dernières décades (1950-1970) en ce qui concerne la controverse contemporaine, se situe dans les variations et oscillations des définitions officiel-les et semi-officielles délimitant ou pas le statut du juif. Ceci est illustré d'un côté par la Loi du Retour et de l'autre par l'enregistrement de la population à l'intérieur d'Israël.
La Loi du Retour qui a été officiellement promulguée comme une loi de l'Etat d'Israël en 1950 déclare que tout juif arrivant en Israël peut prétendre de plein droit à la citoyenneté. En outre, la définition implicite du terme juif employée dans cette loi et maintenue ensuite par la Haute Cour est la définition populaire et pragmatique qu'il est possible de résumer comme suit: toute personne de bonne foi qui se déclare et se reconnaît appartenir au peuple juif. Cette définition pragmatique procède d'une lointaine tradition. Elle est en désaccord avec la définition halachique des rabbins et, dans la réalité, a rarement connu de conflit avec celle-ci durant Ies deux millénaires passés lorsque, dans la majeure partie des cas, il n'était pas très avantageux d'être juif.
Cependant, la définition particulière de l'identité requise par le Ministère de l'Intérieur pour l'enregistrement de la population, telle que le reflète la classification tri-partite des cartes d'identité israélienne: celle dé « dat » — religion; « le `om » communauté ou appartenance nationale; et « citoyenneté », tendait à être interprétée plus dans la ligne de la définition halachique qui crée un lien absolu entre Peuple et Religion. En outre la classification la plus usuelle et la plus simple de la citoyenneté normalement requise pour de semblables documents dans l'Ouest a, par le fait même de sa formulation tri-partite, contribué à mettre l'accent sur l'appartenance et la communauté liée à la religion. Il serait incorrect d'en dire plus, car l'interprétation a plus ou moins penché dans le sens donné par la Halacha, mais pas toujours strictement en accord avec elle.
Toute une série de crises, dont beaucoup ont été illustrées par des cas personnels reflétant chacun un aspect particulier du problème, montrent la très grande complexité de cette question. Vu dans son ensemble, ce n'est pas du tout surprenant, étant donné l'aspect multiforme actuel de la situation d'Israël. Le débat, long de plus d'une année, visant à formuler la Loi du Retour qui fut promulguée en 1950, a montré la tension sérieuse existant entre les éléments religieux et laïques dans le pays pour ce qui touche la conception du statut juif. L'intention du Gouvernement n'était sûrement pas de donner une définition précise et certainement pas de restreindre le bénéfice de la Loi en l'appliquant uniquement aux juifs à l'intérieur de la définition halachique. La tendance opposée a prévalu dans la réglementation sur l'enregistrement de la population, comme ceci est indiqué plus haut.
Le premier cas dramatisé par la presse mondiale fut la tragique affaire Steinberg de 1957. On vit la pitoyable figure d'un père traînant le corps de son fils de sept ans auquel l'on avait refusé la sépulture pendant plusieurs jours parce que de mère non-juive — ce qui suscita la sympathie mondiale. Dans la réalité, il y avait des difficultés de sépulture, même si cela n'allait pas jusqu'au cas mentionné plus haut et publié par la presse mondiale de l'époque. Cependant le cas mit en relief les tribulations personnelles se présentant réellement dans le cas de mariages mixtes dans un Etat où les communautés religieuses exerçaient leur autorité dans les domaines de statut personnel et où, par conséquent, il n'y avait aucune disposition pour ces citoyens pris entre deux communautés religieuses ou tout à fait en dehors d'elles.
L'étape suivante de la controverse éclata lorsque le Ministre de l'Intérieur d'alors, M. Bar Yehuda, publia un décret en mars 1958, favorisant la définition populaire du terme juif d'après laquelle quiconque de bonne foi se prétendant et se reconnaissant juif et appartenant au peuple juif, devait être enregistré comme juif. Le Gouvernement de Ben Gourion souscrivit à ce décret en juillet de la même année. Immédiatement ceci déclencha une crise gouvernementale au cours de laquelle M. Moshé Shapira, à cette époque Ministre des Affaires sociales et des Affaires religieuses, en même temps que leader du Parti Religieux National, amena son parti à quitter la coalition gouvernementale. M. Ben Gourion réalisa que l'enjeu était plus important que la rupture de lacoalition gouvernementale. C'est ainsi qu'il fit paraître sa fameuse enquête adressée aux savants juifs du monde entier à propos du problème de l'identité juive. En février 1960, 45 des savants avaient répondu à l'enquête. Agissant d'après cette sagesse collective, M. Ben Gourion abolit le décret de juillet 1958 et, sous forme de deux circulaires provenant du Ministre de l'Intérieur en mars et avril 1960, le décret de Bar Yehuda de mars 1958 était quelque peu modifié sans être pour autant supprimé.
En 1962 un nouvel aspect de la controverse surgit dans le cas du maintenant fameux P. Daniel Rufeisen. Le point focal de ce cas de la Haute Cour concernait un moine catholique qui, bien que juif selon la loi halachique, s'était converti au christianisme et réclamait la citoyenneté israélienne comme droit émanant de la Loi du Retour. La majeure partie du jugement de la Haute Cour signala que la définition du terme juif telle qu'elle est appliquée dans la Loi du Retour était la définition de l'identité juive communément acceptée et qu'elle ne pouvait être élargie à un juif qui avait accepté une autre foi. De plus, le jugement admit que selon la Halacha le Père Daniel était un juif apostat et tandis que celle-ci ne niait pas son appartenance juive, elle niait ses droits provenant de cette dernière à cause de son abandon volontaire et délibéré de la communauté religieuse juive.
L'étape suivante de la controverse a trait au problème d'un mariage mixte et surgit en 1963. Elle est centrée autour du couple Funk-Schlesinger: un juif israélien et une chrétienne belge mariés à Chypre qui demandaient que leur mariage soit enregistré en Israël. Le cas arriva devant la Haute Cour qui statua que, comme l'officier de l'enregistrement n'était ni un expert de droit international ni un juge, il devait enregistrer le mariage conformément à la déclaration des sujets. Le cas suivit de très près l'intention du décret de Bar Yehuda de mars 1958.
Le très récent cas Shalit était encore de nature différente. Le point central de la dispute était la demande d'un officier de marine juif israélien qui voulait enregistrer ses enfants sans religion mais appartenant à « le'om » — la communauté nationale — bien qu'ils aient eu le droit incontesté d'être enregistrés comme citoyens juifs. La complication de ce cas vint du fait que Mme Shalit était une « gentille » d'origine écossaise et que ni elle ni son mari n'étaient religieux. Si Mme Shalit avait été décidée à se soumettre au processus de la conversion rabbinique, il n'y aurait eu aucune difficulté. Tandis qu'un juif né juif demeure juif même s'il ne pratique pas sa religion; aucune difficulté ne surgit aussi longtemps qu'il n'embrasse d'une manière certaine aucune autre religion. Il est requis d'un converti au judaïsme d'observer sa religion comme étant son seul lien avec son appartenance juive. Les diverses ramifications de ce dernier cas ont déjà fait leur apparition dans la presse mondiale. La plus grande partie du décret de la Haute Cour en faveur des Shalit se base sur le décret de Bar Yehuda de 1958, et comme alors amena une crise gouvernementale.
Le Gouvernement a accepté le jugement de la Haute Cour dans son particularisme individuel, en tant qu'il concerne les Shalit, mais a senti la nécessité de rédiger une nouvelle législation. Celle-ci, qui à présent est passée seulement en première lecture à la Knesset, ne changera pas le sens de la Loi du Retour telle qu'elle devait être appliquée en ce qui concerne le terme juif, communément compris au moment de sa promulgation. Cependant les deux catégories de « dat » — religion —et « le`om » — communauté nationale — dans les règlements affectant l'enregistrement de la population et leur correspondance avec les cartes d'identité d'entrée en Israël, seront interprétées plus directement dans le sens de la loi halachique. Cette disposition semblerait, plus que contraire au décret de Bar Yehuda de 1958. Il serait présomptueux d'en dire plus, à un moment où la loi n'a pas encore été définie ou promulguée. Cependant il n'y a de secret pour personne, à savoir que la législation de ce Gouvernement n'est pas populaire ni qu'on s'attende à ce que ce soit le dernier chapitre de cette controverse. Il est peut être plus convenable de la considérer comme une mesure intérimaire.
Il est évident que les partis politiques ont joué un rôle considérable et que la pression des partis politiques religieux a été un des facteurs à jouer un rôle majeur. Cependant, il est nécessaire de reconnaître que cette pression des partis politiques religieux s'exerce en dehors d'une authentique conviction religieuse. Ils sont convaincus que le bien-être de la nation et de tout le peuple juif est en jeu si le vieux lien entre Peuple et Religion est affaibli! Si ceux qui sont appelés laïcs ne croyaient pas qu'il y avait quelque chose de signifiant, de pertinent pour l'essence et la nature de l'appartenance juive, dans ce lien, le Gouvernement n'aurait pas eu le désir de promouvoir une législation supplémentaire et la protestation populaire aurait été beaucoup moins forte.
Nous pouvons ajouter que les nouvelles conditions, la situation présente, en vérité la dimension tout entière de l'Etat d'Israël telle qu'elle se heurte à cette question de l'identité juive, semblent demander une nouvelle solution de l'imagination. Il semblerait que ceci peut être difficilement mis à exécution sans prendre en sérieuse considération la conscience historique juive de ce lien profond entre Religion et Peuple, la situation particulière du Moyen Orient avec sa longue histoire de système millénaire délégant l'autorité en matière de statut personnel aux communautés religieuses, et les pressions exercées dans un Etat moderne, le laïcisme de l'Ouest étant un des éléments les plus déterminants et puissants.
Inévitablement les chrétiens et même les Eglises en Terre Sainte ont pris parti. Le patriarchat latin, par exemple, a suggéré en 1958 que la catégorie « le'om » — communauté nationale — ait une connotation plus large que celle de « dat » — religion — qui, seule, peut être, à proprement parler, le fait d'un juif, chrétien ou musulman. Il était suggéré que si sous la seconde catégorie de «le`om » la désignation de « IVRI » était permise, on aurait surmonté la difficulté des demi-juifs et des juifs qui n'entrent pas directement dans la définition halachique. Il y a une motivation pragmatique à cette suggestion, car il y a plusieurs milliers de mariages mixtes juifs-chrétiens en Israël; dans la plupart des 'cas le partenaire chrétien est un catholique originaire d'un pays de l'est de l'Europe. Ce souci pastoral des Eglises chrétiennes dans le pays est certainement légitime et parallèlement, à juste titre aussi, il a été pris en considération par les autorités juives de l'Ouest pour des situations affectant les juifs de mariages mixtes dans des milieux à prédominance non-juive.
Les Baptistes israéliens ont adopté une ligne semblable à celle des catholiques, mais sont allés plus loin en préconisant la suppression totale de la catégorie « léom ». De plus, eux et les autres Protestants ont fait savoir clairement qu'ils auraient préféré la suppression des deux catégories « dat » et « léom ». Ainsi non seulement ils dissolvaient le lien officiel entre Religion et Communauté Nationale dans l'enregistrement de la population jet les cartes d'identité, mais ils faisaient de la question religieuse un choix personnel du citoyen. On peut tout de suite constater que cette demande est bien trop radicale et qu'elle tient insuffisamment compte du passé pour avoir de chance d'être acceptée.
Nous voudrions répéter que l'impératif chrétien actuel doit être de compréhension intelligente et de sympathie. Le bien-être de l'Etat qui, croyons-nous, est lié à celui de la majorité et des minorités, est la première priorité. Evidemment les nouvelles dimensions d'Israël doivent être prises en considération. Bien qu'il soit admis que la question est sujette à révision, elle est surtout une affaire juive de grande importance pour tout l'ensemble des juifs, bien qu'elle affecte aussi la vie et l'avenir de tous ceux qui sont impliqués dans les mariages mixtes, des citoyens non-juifs d'Israël, nous plaidrions pour que dans la recherche d'une solution juste les minorités non juives du pays soient également consultées. Qui peut dire où peut mener un tel exemple de dialogue israélien?
Note: Un article très pénétrant a récemment été publié sur ce thème par Manfred H. Vogel « Some Reflections on the Questions of Jewish Identity », in Bijdragen, Tijdschrift voor Filosofie en Theologie, Vol. 31, 1970, p. 2-32, Centrale Drukkerij N.V. Nijmegen. Deslée de Brouwer, Brugge.