| |
Accueil> Nouvelles> LA DIMENSION PROPHÉTIQUE ET LE TÉMOIGNAGE D'UNE VIE EN COMMUNAUTÉ DANS LA SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE: POSSIBILITÉ OU UTOPIE?! (Sr. Iuliana Neculai)
Liste de nouvelles

LA DIMENSION PROPHÉTIQUE ET LE TÉMOIGNAGE D'UNE VIE EN COMMUNAUTÉ DANS LA SOCIÉTÉ CONTEMPORAINE: POSSIBILITÉ OU UTOPIE?! (Sr. Iuliana Neculai)

29/07/2010: Maison générale - Rome

  1. Introduction

 

 

Pendant quelques minutes, spontanément:

 

 

Nomme une personne que tu penses être un/une prophète dans le monde d'aujourd'hui, et pourquoi?

 

 

 

Comment sait-on que quelqu'un est un prophète?

Dans la Constitution Apostolique Humanis Salutis du 25 décembre 1961, le pape Jean XXIII a annoncé que l'Eglise avait besoin d'un concile. Beaucoup ont considéré cela comme un geste prophétique de la part du pape.

Si la définition de prophète est utilisée partout et pour n'importe quoi, il est difficile à la fin de dire exactement ce que sont les prophètes.

 

 

2. Idées générales

 

En hébreu nous utilisons différents termes:

  • nābî (terme passif) – quelqu'un qui a été appelé pour prédire. Cela se réfère à des individus ou à des groupes qui sont autorisés à communiquer des paroles divines, à exhorter, transmettre des prières, agir comme intermédiaires. La forme passive révèle une dépendance de Dieu. Le nābȋparle parce que quelqu'un a parlé avant lui.
  • rōeh– celui qui voit, le voyant.
  • hōseh – en relation avec le fait de voir, d'être voyant.

(rōehet hōseh peuvent être traduits par le même mot puisqu'ils sont quelquefois utilisés en parallèle, mais ils n'ont rien en commun).

  • ish elohim– homme de Dieu.

 

En grec ces mots sont traduits par prophētēs; en grec il existe aussi un terme pour le faux prophète, pseudo prophētēs, mais cela n'existe pas en hébreu. Dans nos langues, le mot vient du grec et signifie une personne qui révèle, qui fait connaître, qui agit presque comme un héraut et un interprète; il est plus proche du poète; c'est un homme de pro-clamation plutôt qu'un homme de pré-diction.

 

Mettre simplement un prophète sur le même pied que quelqu'un qui prédit l'avenir constituerait une limitation excessive puisqu'il est possible de considérer la préposition :

  • en terme de lieu – quelqu'un qui parle devant;
  • en terme de temps – quelqu'un qui prédit;
  • en terme de substitution – quelqu'un qui parle à la place de quelqu'un d'autre (au nom de).

 

 

3. Qu'est-ce qui caractérise un prophète?

 

Beaucoup se demandent: “Où sont les prophètes?” Cette question a du sens surtout quand on la pose à une communauté. Est-ce qu'une communauté/une institution peut être prophétique? Très probablement la réponse se trouve ici, parmi vous, parmi nous. Mais qu'est-ce qui caractérise ou définit un prophète? Que dit la Bible sur les prophètes?

Dt 18,17-19: Et le Seigneur me dit: “Ils ont bien parlé. Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète semblable à toi, Je mettrai mes paroles dans sa bouche et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. Si un homme n'écoute pas mes paroles, que ce prophète aura prononcées en mon nom, alors c'est moi-même qui en demanderai compte à cet homme.”

Jr 1,7 se réfère explicitement au texte de Dt: “Vers tous ceux à qui je t'enverrai, tu iras, et tout ce que je t'ordonnerai, tu le diras.” Cette référence à Dt 18 implique que Jérémie est reconnu comme un prophète ressemblant à Moïse.

 

Définition d'un prophète

Nous pourrions dire qu'un prophète est quelqu'un qui:

  • est appelé par Dieu (la forme passive de nābȋ);
  • parle aux autres au nom de Dieu (comme c'est suggéré par la forme active de nābȋ  et par le      sens de substitution de la préposition grecque);
  • peut devenir actif compte-tenu de sa relation intime avec Dieu (ish elohim);
  • parle de choses que d'autres ne voient pas ou voit moins clairement (venant des termes rōeh ethōseh).

Un prophète:

  • VOIT avec les yeux de Dieu;
  • ÉCOUTE avec les oreilles de Dieu;
  • SENT avec le coeur de Dieu;
  • PARLE avec les paroles de Dieu.

Par ses actions un prophète:

  • PURIFIE les traditions;
    • SOULIGNE les responsabilités des personnes en lien avec les dons qu'elles ont reçus;
  • REDÉCOUVRE la face authentique de Dieu;
  • TRANSMET le nouveau message.

 

Il y a des auteurs qui comparent les prophètes aux poètes parce que le poète et le prophète sont liés par leur capacité à être des “voyants”. Ceux que les anciens Israélites appelaient prophètes, les Grecs, qui sont aussi anciens, les appelaient poètes. Le mot “poète” vient du mot grec “faire” (poiesis/un “faire”), et nous sommes tous des poètes quand nous nous approprions le monde par l’écoute et la parole, la pensée et la vision.

Pour définir les poètes Lawrence Cunningham utilise la phrase “fabricants de possibilités extaordinaires”. Si nous disons que le prophète et le poète sont liés, alors, nous pouvons dire aussi du prophète “fabricant de possibilités extraordinaires” par la capacité à “voir” l'extraordinaire dans l'ordinaire, et ils peuvent donc offrir une vision alternative de possibilité et d'espoir. Le poète et le prophète nous appellent à un “avenir... fait d’amour et d'espérance.” C'est William Blake qui a écrit des lignes merveilleuses sur la vision de l'extraordinaire dans l'ordinaire dans un poème intitulé “Auguries of Innocence” (Augures d'Innocence).

        Voir un monde dans un grain de sable

        Et un Ciel dans une fleur sauvage,

        Tenir l'infinité dans la paume de ta main

        Et l'Éternité dans une heure.

 

Maintenant nous allons retourner à la question: comment sait-on que quelqu'un est un prophète?

  • par l'accomplissement d'une prophétie: Dt 18;21-22; 2 S 7,13;
  • par l'adhésion à la tradition: Dt 13,1-4; Ga 1,8-9;
  • la personne doit être envoyée par Dieu: Jr 28,15;
  • par la vie personnelle du prophète: Is 6,7; Jr 23,11;
  • par la voix de la conscience: Mt 7,15-20.

 

“Méfiez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans sont des loups rapaces. C'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Cueille-t-on des raisins sur des épines? ou des figues sur des chardons? Ainsi, tout arbre bon produit de bons fruits, tandis que l'arbre mauvais produit de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits. Tout arbre qui ne donne pas un bon fruit, on le coupe et on le jette au feu. Ainsi donc, c'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez.”

 

Combien de temps faut-il pour qu'un arbre porte du fruit? Qui décide qui est bon et qui ne l'est pas? Une fois qu'un arbre a été coupé, vous pouvez voir si le bois est bon ou pas.

Actes 5,38-39: “A présent donc, je vous le dis, ne vous occupez pas de ces gens-là; laissez-les. Car si leur entreprise ou leur oeuvre vient des hommes, elle se détruira d'elle-même; mais si vraiment elle vient de Dieu, vous n'arriverez pas à les détruire. Ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu.” On adopta son avis.

L'histoire seule peut juger. Que faisons-nous en attendant la fin de l'histoire? Que faisons-nous entre-temps? Nous devons prendre position dans le présent. Une fois que nous avons écouté, nous devons discerner et prendre position. La Bible Hébraïque n'a pas de mot pour dire un prophète vrai ou faux, on ne les appelle pas d'avance vrai ou faux, le discernement reste à faire.

Le poète/prophète interpelle nos manières rigides de voir les choses en les voyant autrement et en exprimant cette nouvelle manière de voir de telle façon que cela secoue notre manière habituelle. Il y a un proverbe dans le Talmud: “Tu ne vois pas les choses comme elles sont, tu les vois comme tu es.” Pour voir les choses autrement il faut être autre. Un changement de conscience conduit à un changement de perception. La clé, c'est le travail intérieur. “Le premier pas de la vie intérieure... c'est de désapprendre nos fausses manières de voir, de goûter, de sentir, etc. et d'en acquérir quelques-unes qui soient justes.”

 

 

4. Réflexion en groupes: 1 Corinthiens 14,1-5

 

Recherchez la charité; aspirez aussi aux dons spirituels, surtout à celui de prophétie. Car celui qui parle en langues ne parle pas aux hommes, mais à Dieu; personne en effet ne comprend: il dit en esprit des choses mystérieuses. Celui qui prophétise, au contraire, parle aux hommes; il édifie, exhorte, console. Celui qui parle en langues s'édifie lui-même, celui qui prophétise édifie l'assemblée. Je voudrais, certes, que vous parliez tous en langues, mais plus encore que vous prophétisiez; car celui qui prophétise l'emporte sur celui qui parle en langues. A moins que ce dernier n'interprète, pour que l'assemblée en tire édification.

 

 

5. La prophétie comme don de l'Esprit pour le peuple entier

        

        (a) Dans l'histoire

Dansle judaïsme au temps de Jésus et des premières communautés chrétiennes, la prophétie était vue comme un trait des temps passés qui avait laissé sa marque indélébile sur les Ecritures, lesquelles continuaient à nourrir la vie du peuple. On croyait cependant que l'Esprit de Dieu lié à la prophétie avait été éteint par la mort des derniers prophètes. D'autre part, à côté de la communauté institutionnalisée et en son sein, une autre perspective continuait à survivre; elle était basée sur les textes prophétiques qui suggéraient, annonçaient et d'une certaine manière, anticipaient un avenir différent qui serait revivifié par l'Esprit de prophétie – Joël 3,1-2: “Après cela je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles prophétiseront; vos anciens auront des songes, vos jeunes gens, des visions.” Le texte de Joël est particulièrement significatif parce qu'il annonce le don de l'Esprit à tout le peuple fidèle.

Les dons de l'Esprit ne sont pas liés à un seul élément dans la communauté, ils se répandent à tous. La prophétie en 1 Cor 12 est située dans un cadre plus organisé et diversifié que les autres dons comme la parole, la miséricorde, la solidarité et la guidance, et le gouvernement qui contribuent à la croissance de la communauté et à l'annonce du Seigneur ressuscité.

On perd facilement de vue les dons des langues et de la prophétie dans le plus vaste ensemble de dons énumérés en 12,4-10 et 12,28-30. Puis, quand Paul  poursuit son argument à travers le chapitre 13, la liste des dons diminue, si bien que les langues et la prophétie deviennent un peu plus importantes (cf. 13,1-3.8-12). Avec le chapitre 14, il n'y a plus de doute, Paul est maintenant prêt à se concentrer intensément sur les dons des langues et de la prophétie. Si on regarde la question de la prophétie au chapitre 14, c’est tout à fait évident. Le verbe “prophétiser” (προφητεύω, prophēteuō) est utilisé onze fois en 1 Corinthiens, dont huit se trouvent au chapitre 14.

Dans ce chapitre Paul parle du mauvais emploi de ces deux dons dans le contexte de l’assemblée ecclésiale à Corinthe. L'augmentation de la fréquence du mot grec ἐκκλησία(ekklēsia) en 1 Cor 14 en est un indice clair; c'est un mot qui indique la tenue d’une assemblée. Ce mot se trouve trois fois dans le chapitre 11, une fois dans le chapitre 12, pas du tout dans le chapitre 13, et neuf fois dans le chapitre 14. Comme don spécifique, parmi d'autres dons, la prophétie se distingue par le fait qu'elle est une Parole inspirée par l'Esprit en lien avec les circonstances dans lesquelles vit la communauté. Ce don discerne la valeur du moment actuel, suggère des solutions pratiques. Il y a aussi la conscience que le don prophétique est destiné à la communauté, et c'est la communauté qui l'accepte et lui donne valeur à la fois par son discernement et par son acceptation.

Tout au long de ce chapitre, l'apôtre préfère donner la priorité à la prophétie. L'apôtre va expliquer sa préférence primordiale pour la prophétie et son déplaisir avec les gens de Corinthe qui parlent en langues. L'emploi du mot “car” (γάρ, gar) conduit à une telle explication. Puisque le culte du corps ecclésial est une part importante et naturelle de la vie des croyants, Paul est sensible à la dimension horizontale des activités dans l'assemblée des saints. Puisque le parler en langue est dirigé dans la verticalement vers Dieu plutôt qu’adressé horizontalement vers les hommes, il est entièrement inapproprié pour le culte de l'ekklēsia(l'assemblée).

Au v.3 par contre, le prophète dirige son message directement vers d'autres gens pendant l'assemblée et contribue ainsi à leur renforcement, encouragement et consolation. Des trois éléments que Paul énumère comme venant des paroles du prophète, le premier est le plus dominant en 1 Corinthiens. L'idée de renforcement, qui se trouve en différentes traductions (littéralement “les édifier” - Nouvelle Bible de Jérusalem) est basée sur le terme grec οἰκοδομή(oikodomē) et ses cognats qui se trouvent sept fois dans ce chapitre (les versets 3, 4 [2 x] 5, 12, 17, 16). Utilisée de diverses manières dans les lettres de Paul, cette idée dans ce contexte est étroitement liée à une considération éthique. L'encouragement est mentionné de nombreuses fois en 2 Corinthiens comme attribut et activité de Dieu (le nom παράκλησις, paraklēsis, 2 Cor 1,3–7), pendant que la forme verbale (παρακαλέω, parakaleō) est utilisée pour l'activité prophétique en 1 Co 14,31. Le terme “consolation” (παραμυθία, paramythia) ne se trouve qu'ici dans le Nouveau Testament.

Paul reconnaît qu'une forme d'édification se fait pendant le parler en langues qui est incompréhensible. Malheureusement c'est l'édification de soi-même, qui n'a aucune valeur pour l'ensemble. Encore une fois le ministère prophétique est préférable dans ce contexte puisqu'il cherche le bien des autres et édifie l'assemblée.

Cet Esprit de prophétie n'est pas associé seulement aux premières communautés chrétiennes. Il n'a jamais été éteint et il est sans cesse à l'oeuvre, inspirant des personnes, des mouvements et des institutions qui renouvellent, exhortent et guident. La vie religieuse constitue une des ces manifestations fructueuses de la présence de l'Esprit dans des communautés ecclésiales au cours des siècles.

Poussés par l'Esprit, beaucoup de fondateurs et fondatrices se sont mis à écouter à tous moments et ils ont répondu avec générosité en fondant des communautés de disciples, hommes et femmes, qui ont porté des fruits en abondance comme témoignages vivants partout dans le monde.

 

(b) Au temps présent

Et aujourd'hui? Devrions-nous passer notre temps simplement en contemplant et racontant avec nostalgie les évènements glorieux du passé? Est-ce que nos temps sont plus difficiles que ceux de nos fondateurs et au cours des siècles? Est-ce que par hasard l'Esprit de Dieu a perdu sa force? Ou est-ce que notre société est pire que les générations qui l'ont précédée? Et si c'était le cas, est-ce que ce ne serait pas une raison de plus pour un nouvel engagement à un témoignage vivant et un espace pour affirmer la dimension prophétique?

Pourquoi donc les gens expriment si souvent des points de vue défaitistes et décourageants surtout en ce qui concerne la vie religieuse? Est-ce parce qu'aujourd'hui nous sommes moins nombreux? Mais quand est-ce que Jésus a mesuré le succès d'une mission par les chiffres? C'est maintenant le moment qui nous a été donné à vivre. Je ne crois pas que la société fût meilleure au temps de Jésus, de l'Église primitive ou de nos fondateurs! Nous vivons un temps de changement rapide, dans lequel il est difficile de s'intégrer, de s'adapter, de discerner le sens des choses. Comme personnes consacrées, nous appartenons à ce monde; nous lui appartenons pour être signes de lumière et d'espérance. Nous sommes appelées à être des “fabriquants de possibilités extraordinaires”.

 

 

(c) Écouter – la dimension primordiale de la prophétie

Aujourd'hui l'Esprit continue à donner généreusement, il est vivant et efficace parmi nous et il nous conduit à poursuivre de nouveaux chemins de fidélité et de service. Comme tous ceux qui nous ont précédés, nous avons besoin surtout de réaliser que nous ne sommes pas seuls. ÉCOUTER l'Esprit – c'est la première dimension de la prophétie, car sans écouter Dieu vous ne pouvez pas parler au nom de Dieu.

Quant à la prophétie, peut-elle être promue? Peut-elle être apprise? Pouvons-nous élaborer un programme pour le développement prophétique de nos communautés? La prophétie, n'est-elle pas un don gratuit de l'Esprit qui le donne comme et à qui il choisit? Paul dit que l'on doit au moins désirer ce don (1 Co 14,1).

C'est évident qu'une prophétie est un don de l'Esprit et que l'on ne peut que la demander et l'accepter avec joie et humilité. Mais l'Esprit emprunte aussi le chemin de l'incarnation: il devient parole, geste, attitude, vie. L'Esprit parle, mais pour communiquer il faut quelqu'un qui écoute.

 

 

        (d) Le couple prophétie-amour, un critère pour discerner une vraie prophétie

Paul a manifestement désigné la prophétie comme le sommet éthique puisqu'elle est la manifestation prescrite de la poursuite de l'amour (surtout 14,1). Basée sur Lv 19,18, la théologie de Paul place l'amour du prochain au centre de la scène (cf. Rm 13,8-10) et reconnaît qu'une manifestation concrète de cet amour du prochain (cf. 1 Co 13,7) renforce la communauté. Le lien entre oikodomēet l'amour des autres devient clair par l'emploi d'oikodomē en des situations éthiques particulières parmi les croyants comme celles qui sont décrites en Rm 14,19 et 15,2. Une prophétie doit donc pouvoir accepter avec foi et espérance toute la tension, le conflit et le péché, sans se décourager par un manque de résultats.

Combien de frères et de soeurs ont tout abandonné en disant qu'ils n'avaient pas été compris, que la communauté n'était pas un succès et que l'Église s'opposait au changement! Et tout cela est souvent vrai. L'Église et la vie religieuse ne sont pas parfaites, elles sont sans cesse en construction. La vraie prophétie à son tour n'est pas le résultat de quelque chose qui existe déjà mais plutôt de la force de l'Esprit qui fait évoluer de nouvelles situations.

Le grand paradoxe dans l'appel du prophète à être “fabriquants de nouvelles possibilités” est que l'appel comprend aussi le besoin de devenir des “dé-fabriquants” - “dé-fabriquants” d'anciens modèles et niveaux qui gardent les nouvelles possibilities sous contrôle. C'est le défi prophétique du prophète.

Et le paradoxe continue, car les nouvelles possibilités ne sont pas si nouvelles mais émergent du terrain original. La possibilité extraordinaire est de vivre en lien avec cet ancien/nouveau.

Surtout, comme Paul, un prophète comprend que le but et le zénith de la prophétie est l'amour (1 Cor 13; Rm 12,9-21). Le couple prophétie-amour est important pour discerner une vraie prophétie et pour construire une communauté.

 

        (e) La possibilité d'un don de prophétie par le désir de ce don

Paul dit que le don de prophétie devrait au moins être désiré – 1 Cor 14,1. L'appel personnel est destiné à nous tous, et par conséquent la POSSIBILITÉ existe pour chaque personne de le désirer et de devenir un prophète. Cet appel vient toujours au sein d'une communauté. Faire l'expérience d'une dimension prophétique au niveau communautaire est donc possible en vue d’un appel personnel à chacune d'entre nous. Pourquoi donc est-ce plus difficile d'aller de l'individu au grand nombre? Pourquoi l'espoir d'une communauté prophétique est-il souvent utopique? Nous entendons souvent des gens qui disent: “Si j'avais su que c'était si difficile je n'aurais jamais commencé, je ne me serais pas jointe, je n'aurais pas...” Nous sommes des gens qui vivent à un moment quand “le faire obscurcit l'être, la hâte excessive obscurcit le temps, la productivité obscurcit le repos; la connaissance de Dieu obscurcit la foi en Dieu”.

 

 

6. Le “témoignage” comme signe de la crédibilité d'une communauté prophétique

 

Une prophétie est adressée au coeur d'une communauté de croyants qui accepte que quelqu'un puisse parler au nom de Dieu (cf. 1 Co 14,22 – Ainsi donc, les langues servent de signe non pour les croyants, mais pour les infidèles; la prophétie, elle, n'est pas pour les infidèles mais pour les croyants.) Pour ce qui est des personnes extérieures à la communauté, nous devrions parler plutôt de témoignage ou de signes qui inspirent la considération et qui donnent crédibilité à l'annonce faite par la communauté. Dans ce témoignage, la part individuelle de foi et d'une vie vécue comme croyant est importante, mais le témoignage de la communauté dans son ensemble est également important puisqu'un appel ne prétend pas être un chemin individuel de salut qui mène au ciel, mais plutôt une proposition qui implique aussi une transformation à l'intérieur de la société et surtout dans les relations entre les personnes.

En décrivant la première communauté de Jérusalem, Luc a indiqué qu'une vie entre frères et soeurs basée sur l'écoute de la parole, la prière, la fraction du pain et le partage des biens était un signe de crédibilité qui pouvait inspirer de nouveaux croyants à s’y joindre, et qu'elle donnait un plus grand ascendant aux apôtres qui annonçaient le Seigneur Jésus (Ac 2,42-47). Notre tâche primordiale est de créer une communauté en communion, et cela donnera du sens à tout ce que nous faisons, comme la vie des disciples avec Jésus a précédé et défini leur mission dans laquelle personne ne parlait pour soi-même; une mission est toujours un engagement fait par une communauté inspirée par l'Esprit.

Encourager des gens à écouter l'Esprit veut dire qu’on leur en donne l’occasion à l'intérieur de la communauté ainsi que la liberté de partager la parole de Dieu. Alors l'Esprit éveillera toujours la voix prophétique des frères et des soeurs qui donneront une nouvelle interprétation aux Écritures, au charisme du fondateur, à nos règles et traditions, en suggérant de nouvelles manières et idées par lesquelles notre vie et notre mission pourront être renouvelées en tenant compte des transformations rapides de notre monde. Une communauté prophétique doit donc être ouverte au monde qui l'entoure, adopter une attitude d'écoute, de dialogue, de discernement et de solidarité. Mais puisque nous vivons dans des communautés qui sont toujours moins que parfaites, même si nous reconnaissons que toutes les actions sont inspirées par les meilleures intentions, des efforts pour rester fidèles à l'Esprit seront inévitablement faits au sein d'une variété de visions, de tensions, et de malentendus. Nous écoutons toutes l'Esprit à notre manière personnelle, et cela donne le grand avantage d'augmenter sa force et ses dons.

L'Esprit parle sans aucun doute dans nos temps comme il a parlé dans le passé. Il s'agit d'apprendre à écouter, à vivre/parler selon sa voix.

 

7. Une communauté prophétique dans le monde contemporain: possibilité ou utopie!!!???

 

(a) Les défis posés par le monde d'aujourd'hui

Notre culture nous encourage à nous identifier avec le faux moi, à marcher autour de nous-mêmes comme la phrase d'Alan Watts dit: “des égos encapsulés de peau”, en nous sentant séparés les uns des autres et en essayant de remplir notre vide par la consommation d'objets. A l’aide de la perspective du prophète il devient possible de contourner ou de pénétrer cette “crampe de conscience” créée par les hommes, de montrer qu'elle est une illusion, de mettre en question cette réalité.

C'est essentiel d'identifier les défis pour donner des solutions. Défis comme: le processus actuel de démocratisation; l'importance donnée à l'individu; l'émancipation sociale et politique, la conscience de racines culturelles; la sécularisation croissante; la pauvreté nouvelle et ancienne; la recherche de sens; etc...

 

Beaucoup des défis dans le monde d'aujourd'hui questionnent directement des traits qui constituent les valeurs de la vie consacrée:

  • le dialogue et un appel à un charisme personnel de “réalisation de soi” (mise en question de l'obéissance);
  • le besoin de s'adapter aux exigences modernes de voyages, communications, etc... (mise en question de la pauvreté);
  • un aggrandissement d'un comportement égoïste par les média, la valeur diminuée de la famille       (mise en question de la chasteté);
  • un appel à une responsabilité personnelle dans la mission apostolique, le besoin de “réalisation de soi” (mise en question de la vie communautaire).

Autres facteurs:

-  L' “égo” comme centre de définition des buts ultimes dans l’idéal de la réalisation de soi.

C'est juste de parler d'une “psychologisation et socialisation de la foi”, qui veut dire que l'on choisit une communauté ou une foi dans laquelle on se sent à l'aise (sauf que la communauté/religion authentique comporte parfois aussi des temps de découragement, mais ceci ne veut pas dire que nous ne sommes pas fidèles).

  • Une “tolérance excessive” - les gens s’attendent à être exempts de toute critique. La tendance dans la société sécularisée est d'introduire l'idée que le péché n'existe pas; donc personne ne peut critiquer aucun comportement.

Si toutes ces images trouvent leur reflet aussi dans la vie religieuse, où est la différence? Qu'est-ce qui nous caractérise aujourd'hui?

Bien conscientes des difficultés que nous-mêmes rencontrons en construisant une fraternité dans nos communautés et institutions, des injustices commises si souvent dans le passé en portant le trésor qui nous est confié, nous sommes compréhensives par rapport aux tragédies de deuil, d'injustice et de pauvreté que nous rencontrons dans notre monde. Et donc nous croyons aussi que nous sommes alignées avec les prophètes en prenant sur nous les fardeaux et les drames de la multitude.

 

(b) Créer un “CHEZ SOI” comme potentiel prophétique de la communauté

C'est très important de réussir à créer une famille, un coeur de communion. Nous vivons dans un monde où le foyer et la famille passe par une crise majeure. Sur tous les continents le modèle traditionnel de la famille est confronté à une crise. Partout nous trouvons une angoisse et un besoin croissants d'avoir un “chez soi”, de se sentir le ou la bienvenue, d'être écouté. Pour cette raison un des grands signes que peut offrir la vie consacrée aujourd'hui est tout simplement un CHEZ SOI, un foyer ouvert et accueillant. La communauté comme lieu de partage prend un caractère prophétique. Par son emploi du vocabulaire nous trouvons l'appel à créer un CHEZ SOI aussi dans la lecture de Paul.

Dans notre texte il y a:

oivkodomh,, h/j, h` sost. v.3     oivkodomei/  verbe v.4 (le terme grec pour la maison est oikos).

1 Pierre 2,5: oivkodomei/sqe oi=koj, “Vous-mêmes, comme pierres vivantes, prêtez-vous à l'édification d'un édifice spirituel, pour un sacerdoce saint, en vue d'offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus Christ.

 

Ceux qui par l'action, l'instruction, l'exhortation, la consolation promeuvent la sagesse des autres et les aident à vivre une vie qui y corresponde sont vus comme prenant part à la construction d'un CHEZ SOI, comme le dit la traduction littérale: “les édifier”. L'emploi métaphorique du verbe chez Paul, comme considération éthique, peut venir de l'Ancien Testament où "hn"B' avec un accusatif de la personne (édifier quelqu'un) veut dire bénir, prospérer (cf. Ps 28,5; Jr 13; Pr 24,3).

Et nous là-dedans? Rappelons brièvement les rapports des provinces et leurs espoirs pour le chapitre:

  • stimuler la dynamique dans la vie communautaire;
  • encourager la qualité de la communauté pour qu'elle puisse devenir attirante à d'autres;
  • s'ouvrir à l'Esprit en répondant aux besoins du monde;
  • encourager la Congrégation à croire en son avenir;
  • s’assurer que nos communautés deviennent visibles et donnent un témoignage vivant au monde dans notre contexte.

J'ai écrit quelques-uns de nos espoirs, mais retournons maintenant au commencement: pouvons-nous comme communauté vivre une vocation prophétique? Quels en sont les défis à l'intérieur de la communauté et comme communauté?

Il n'y a pas de réponse théorique, la seule possible est une réponse pratique. C'est possible SI et QUAND...

Le défi est pratique, non pas théorique: comment devenir une communauté prophétique vivante?

Ce que l'on peut dire c'est que pour être prophètes:

  • NOUS TOUTES, nous devons être des personnes qui ÉCOUTENT, tout d'abord et avant tout la guidance de l'Esprit.
  • NOUS TOUTES, nous devons avoir une attitude caractérisée par notre RECHERCHE.

Et il n'y a pas de prophétie sans DISCERNEMENT. Des conclusions hâtives et définies d'avance ne sont que l'expression d'une fausse prophétie. Une communauté apostolique et prophétique est une communauté de croyants humbles qui sont sans cesse en recherche. Cela veut dire qu'une communauté prophétique vit dans un état de tension saine, associée à un sens du besoin de RECEVOIR parce que le don de l'Esprit n'est jamais le résultat d'une conquête mais il est plutôt reçu dans une reconnaissance humble.

Quand l'Esprit arrive dans notre communauté, nos peurs disparaissent et puis nous savons ce que Dieu veut de nous. Donc:

-  TOUS les membres sont poussés à avoir des YEUX pour VOIR;   

-  TOUS les membres sont poussés à ÉCOUTER... à ce que d'autres autour d'elles ne peuvent peut-être pas entendre;

- TOUTES sont appellées à DISCERNER, à DÉCIDER et à employer leurs propres MAINS et PIEDS pour l'action, le service, et la compassion.

Devenir une communauté prophétique pour une mission partagée devient une possibilité réelle et pas seulement une utopie si nous sommes assez audacieuses pour faire face au défi et pour avancer vers la volonté de Dieu.

 

 

Accueil | Qui sommes-nous | Que faisons-nous | Ressources | Prix | Nous rejoindre | Nouvelles | Contactez nous | Map du site

Copyright © 2011 Sœurs de Sion - Rome, Italie