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Documents sur les Rélations juifs-chrétiens

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Déclaration concernant la question des croix à Auschwitz

Conseil Permanent de la Conférence Episcopale Polonaise
Pologne (1998/08/26)

 

1. Réunis dans le sanctuaire de Jasna Góra, devant Notre Dame de Częstochowa, nous sommes très attentifs à tous les problèmes qui se posent à l’Eglise dans notre patrie. Le douloureux conflit d’Auschwitz nous cause un grand souci à cause de la confusion qu’il suscite dans notre société. Les tensions provoquées par la croix plantée dans l’ancienne gravière révèlent les douloureuses blessures des consciences insensibles à la voix de la vérité et aux recommandations des pasteurs à qui le Christ a confié dans son Eglise le service de la réconciliation. Beaucoup de gens – pas seulement des croyants – attendent de nous une prise de position claire. Les évêques l’ont déjà exprimée à plusieurs reprises; mais leur voix a été étouffée par l’émotion que l’affaire a suscitée.

2. A genoux devant l’icône de la Vierge de Jasna Góra, nous portons notre regard sur la croix qui se trouve depuis plusieurs années dans l’ancienne gravière, et nous exprimons la conviction que cette croix restera là où elle doit être. Dans ce camp de concentration, ont péri des Polonais, des Russes et des ressortissants de beaucoup d’autres nations. Cette tragédie a frappé tout particulièrement les Juifs et les Tziganes, qu’une idéologie raciste païenne avait condamnés à l’extermination. Dans cet immense cimetière du XXe siècle, nous devons vénérer la mémoire de toutes les victimes. Le signe de croix était un signe d’espérance pour beaucoup de ceux qui mourait et qui cherchaient un sens à leurs souffrances. Nous devons respecter leurs croyances et entourer ce lieu sanctifié par le sang innocent du recueillement et du respect qu’il mérite. La croix qui se dresse à l’endroit où 152 Polonais ont été exécutés a droit au respect tout autant que les symboles religieux de tous ceux qui ont péri dans ce camp.

3. Comme pasteurs de l’Eglise, nous adressons ces paroles aux fidèles en exprimant notre reconnaissance à ceux qui ont souffert pour la croix sous le régime inique du communisme. Nous remercions tous ceux qui aujourd’hui manifestent leur attachement à la croix en vivant selon l’Evangile. Mais nous voulons en même temps affirmer catégoriquement que nul ne peut abuser du signe saint et le tourner contre l’Eglise de Pologne, en provoquant inquiétude et conflits. Nous déclarons donc que l’action de planter des croix dans l’ancienne gravière a été entreprise sans l’accord de l’évêque du diocèse et même contre sa volonté. Le Cardinal Primat de Pologne, l’évêque du lieu et d’autres évêques ont exprimé leur opposition; ils ont appelé au dialogue et au respect des croyances différentes. S’arroger le droit de planter des croix dans l’ancienne gravière prend le caractère d’une provocation et est en contradiction avec le respect dû à ce lieu particulier. Nous exprimons notre douleur de ce que certains n’ont pas reconnu cette provocation et, agissant de bonne foi, ont utilisé la croix comme instrument de division. Une action organisée de cette manière porte atteinte autant à la mémoire des victimes assassinées qu’à l’Eglise et à la nation; elle blesse douloureusement la sensibilité de nos frères juifs qui est différente de la nôtre.

La croix qui, pour nous chrétiens, est le signe suprême de l’amour et du sacrifice ne peut jamais être utilisée comme un instrument de lutte contre quiconque. C’est justement sur la croix que le Christ a aboli le mur d’inimitié qui divisait les hommes et les a réconciliés tous avec Dieu. Cela nous amène à nous poser cette question: Sommes-nous un signe visible de réconciliation et de paix? Notre conduite ne fait-elle pas, au contraire, penser aux paroles de St Paul dans l’Epître aux Hébreux: “Ils crucifient pour leur compte le Fils de Dieu et Le bafouent publiquement”? (He 6,6).

4. Nous savons, chers fidèles que vous êtes capables de défendre les symboles religieux qui nous sont chers. Mais ne le faites pas en rabaissant le sens de la croix ! N’entreprenez pas d’actions qui dépouillent l’ancienne gravière de la dignité qui lui est due, alors que le conflit grandissant nuit à l’Eglise et fait du tort à notre nation. Ecoutez la voix de vos pasteurs. Prouvez votre attachement à la croix par des actions pleines de respect indiquées par la hiérarchie de l’Eglise. Nous espérons que les croix plantées récemment trouveront la place qui leur convient dans les paroisses ou dans les églises. En exprimant ici notre soutien à l’évêque de Bielsko-Żywiec dans son souci pastoral, nous voulons dire aussi notre souffrance de ce que certains aient ignoré ses appels et participé à des actions qui ont fait de la croix un instrument de division.

5. Nous n’oublions pas que l’Eglise a des “liens étroits de parenté spirituelle avec le peuple juif” (Nous nous souvenons – Document de la Commission Vaticane pour les relations religieuses avec le judaïsme). Néanmoins, chrétiens et juifs ont différentes conceptions sur le sens de la souffrance: le même camp d’extermination revêt différentes significations. Pour les uns, c’est “le Golgotha des temps modernes”; pour les autres, c’est le symbole de l’extermination totale, et ils lui donnent le nom de “Shoah”. Cela exige un grand respect mutuel de notre altérité, et nous oblige à rechercher des solutions qui ne blessent pas et qui soient acceptables des deux côtés. Essayer d’imposer aux autres nos propres convictions est inconciliable avec le commandement d’amour de Dieu et du prochain, qui est commun aux juifs et aux chrétiens (Dt 6,4-6; Lv 19,18; Mc 12,30-33).

6. Le même drame de la mort a uni toutes les victimes de l’extermination d’Auschwitz. Aujourd’hui certains essaient d’obscurcir dans l’opinion publique la vérité au sujet de l’étendue de cette extermination, dont Auschwitz est devenu le symbole. C’est uniquement en nous engageant sur la voie d’un dialogue persévérant, auquel nous vous invitons, que nous arriverons à faire toute la vérité sur le génocide hitlérien exécuté dans les camps d’extermination. Le dialogue entre nous, juifs et chrétiens, nous permet d’éprouver la Shoah comme une “indicible tragédie” et “le fait majeur de l’histoire de notre siècle” (Document de la Commission Vaticane pour les relations religieuses avec le judaïsme). Nous sommes ouverts au dialogue sur l’avenir d’Auschwitz, ce cimetière de notre temps. Nous nous déclarons prêts à chercher des solutions qui soient acceptables pour tous. En même temps nous sommes conscients du fait que l’ancien camp de concentration se trouve sur le territoire de la IIIe République de Pologne et qu’il est, à ce titre, soumis à la loi polonaise. Il est donc compréhensible que les Polonais s’attendent à ce que cette loi soit respectée par tous ceux qui visitent le site des anciens camps.

7. Nous tournant vers nos compatriotes, nous leur adressons un appel venu du fond du cœur, en reprenant les mots du Cardinal Wyszyński, le Primat du millénaire. Il disait : “Nous avons une patrie et nous lui devons amour, service et sacrifice, même celui de notre vie, si Dieu le demande. Mais pour que nous soyons toujours prêts, il nous faut être unis dans le Christ et dans l’Eglise. C’est pourquoi nous demandons à tous ceux dont cela dépend de ne pas détruire cette unité, car cela mettrait en danger la sécurité de notre patrie et diviserait la nation en l’entraînant dans des dissensions et des querelles” (Jasna Góra, 3 mai 1973). Vivant dans cet esprit l’unité chrétienne dont la croix est le symbole, faisons, le 14 septembre, en la fête de la Croix glorieuse, le chemin de croix pour manifester notre attachement à la croix.

8. Nous nous tournons également avec une prière venant du fond du cœur vers les juifs, avec qui nous avons des liens de foi particuliers et uniques: AU NOM DU DIEU d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui pour nous, chrétiens, est aussi le Dieu de Jésus-Christ, nous vous prions avec instance de poursuivre le dialogue, afin que le sang versé en commun par nos pères, nos grands-parents, nos frères et nos soeurs nous aide à louer ensemble LE NOM DE DIEU.

Des hauteurs de Częstochowa, nous vous adressons à tous un signe d’amour et de paix. Nous espérons que Notre Dame, Reine de Pologne, renforcera en vos coeurs cette fidélité à la croix qui s’exprime par le souci de l’unité de l’Eglise et l’obéissance à vos pasteurs.

Jasna Góra, 26 août 1998

Signataires: les membres du Conseil Permanent de la Conférence Episcopale Polonaise

[Traduit du polonais par Sidic, Rome]

 

 

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