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Les quatre chants du Serviteur, en Usaïe, et particulièrement le 4e chant appelé généralement Chant du Serviteur souffrant, sont un lieu théologique très important, central même, pour juifs et chrétiens. Depuis des siècles les deux communautés de foi, et chacun des croyants en leur sein, tentent d'éclairer leur expérience, les événements de leur vie, à la lumière de ces versets prophétiques à la fois si expressifs et si obscurs...
II est vrai que « les chrétiens lisent l'Ancien Testament à la lumière du Christ mort et ressuscité », comme l'affirment les nouvelles Notes du Vatican de juin 1985 (chap. II, N. 6) auxquelles sera consacré le prochain numéro de SIDIC; mais les mêmes Notes soulignent aussi combien les chrétiens auraient pro fit à connaître les traditions de lecture juives de l'Ecriture (I1,6). Notre lecture, aux uns et aux autres, s'appuie sur la notion de prophétie: une parole dont le sens n'est pas donné une fois pur toutes, fixé dans son « Sitz lm Leben », mais une parole dynamique, ouverte à des interprétations nouvelles comme le projet même de Dieu qui ne cessera de se déployer en ce monde jusqu'à l'établissement définitif du Royaume.
L'article de A. Finkel souligne la nouveauté de la pensée prophétique du Deutéro-Isaïe et son influence profonde sur le judaïsme post=exilique aussi bien que sur le christianisme primitif; celui de P. Merendino montre comment le texte prophétique lui-même a été retouché, complété au long des siècles, pour être finaiment fixé dans la forme que nous lui connaissons, tandis que l'interprétation individuelle et collective continuait, elle, à faire son chemin... jusqu'à nos jours, du côté juif comme du côté chrétien. Comment alors les terribles événements vécus récemment en Europe sous le régime des Nazis ne marqueraient-ils pas nos interprétations actuellles du Serviteur souffrant? Comment ne verrions-nous pas, nous chrétiens, dans ces millions de victimes juives innocentes, l'image de celui c qui a été transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes »? Et comment nous étonner si le grand peintre Chagall a peint si souvent, sur un fond de pogroms et de shtettels dévastés, l'image du Crucifié?
Laissons ici la parole à Franz Mussner. Après avoir constaté (dans son Traité sur les Juifs, éd. du Cerf 1981, p. 78) un certain « rétrécissement christologique » dans la perspective chrétienne à partir de l'événement pascal, il ajoute:
Aux yeux de l'Eglise primitive, Jésus de Nazareth, eu égard à sa passion et à sa mort expiatrices, est le "Serviteur de Dieu" contemplé par les prophètes... Quand l'Eglise lit la phrase de Paul en Col 1,24: "En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que j'endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps qui est l'Eglise", elle doit se demander si Israël, qui est mystérieusement perçu en même temps que le Serviteur de Dieu chez le Deutéro-Isaïe, n'a pas lui aussi pour tâche de devoir endurer dans le monde une souffrance d'expiation "complémentaire", non simplement pour ses propres péchés, mais aussi pour les péchés du monde entier.
II ne manque pas de voix juives qui comprennent précisément les terribles souffrances d'Auschwitz et d'ailleurs comme une souffrance expiatrice de suppléance pour les péchés des nations...
Si le renouveau biblique invite les chrétiens à reconnaître toujours davantage l'unité de la Révélation et du dessein divin, pourquoi ne verraient-ils pas sous l'image du Serviteur d'Isa'ie à la fois Jésus, son Eglise et le peuple de la première Alliance « jamais dénoncée »? Pourquoi refuseraient-ils de voir annon cée dans la figure du Serviteur souffrant la tâche messianique du peuple juif? Puisse cette conscience commune que nous avons d'être des c Serviteurs » contribuer à nous unir et à hâter la rédemption du monde!