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Rencontres non officielles
Manfred H. Vogel
Il n'est pas exagéré de dire que le dialogue judéo-chrétien finit par constituer le coeur même et l'essence de la vie du Père Rijk. Ce dialogue devint sa vocation, la mission à laquelle il consacra littéralement chaque instant de sa vie alerte et consciente. A la réflexion, c'est là, en soi, un phénomène remarquable; voici un homme venant d'une lointaine province hollandaise isolée, hors des grandes routes, issu d'un milieu de fermiers duquel on peut se demander si jamais on y avait vu un Juif, et qui pénétra à tel point, par son intelligence et par son être même, dans la vie de la communauté juive, dans son histoire, sa foi, sa liturgie, ses coutumes et ses cérémonies, ses personnages et, en vérité, ses problèmes quotidiens et ses épreuves; un homme aussi bien informé sur Israël et à l'aise dans ce pays qu'en Hollande. En vérité, Dieu agit de façon mystérieuse.
Pour remarquable qu'il fût en lui-inerme, ce phénomène l'était encore davantage par sa qualité, sa profondeur. La rencontre avec le judaïsme et la dédition du Père Rijk sont l'exemple d'un dialogue vécu au niveau le plus profond et le plus authentique. On connaît sa persistance, son insistance à demander que le chrétien rencontre et accepte le judaïsme dans sa réalité propre et non pas comme quelque chose que, personnellement, en vertu de ses propres dispositions et de ses goûts, il voudrait qu'il fût. Combien il insistait sur la nécessité de rencontrer le judaïsme dans sa totalité: biblique, rabbinique, actuelle, le judaïsme non seulement dans son expression verticale, spirituelle, supérieure, mais également dans sa forme horizontale, concrète, quotidienne, terre à terre, c'est-à-dire dans ses dimensions sociales, politiques, économiques! Comme il pressait pour qu'il fût clairement perçu que le motif unique et exclusif de la rencontre était le besoin, la nécessité même pour le chrétien de mieux comprendre et de mieux apprécier sa propre tradition et sa propre foi! Il fallait poursuivre le dialogue dans sa pleine authenticité.
En même temps, il était convaincu que, si le dialogue devait développer toute sa richesse, il fallait le maintenir à un sérieux niveau théologique, ce qui signifiait le faire avancer au sein de rencontres limitées en nombre, et à caractère intime. Que chacun s'efforce d'aller jusqu'au fond de la question, d'explorer patiemment, laborieusement, pas à pas, la signification théologique ultime de la relation entre les deux communautés croyantes; faire l'économie de la profondeur du mystère serait dérober à la recherche sa signification réelle. Il est clair qu'une telle entreprise ne pouvait aboutir dans de grands congrès publics qui, inévitablement impliquent les medie et différents intérêts internationaux. On ne s'étonne pas que ce genre de conférences auxquelles il dut souvent assister par suite de ses obligations professionnelles soit devenu pour lui redoutable. Le dialogue ne pouvait avoir lieu que dans de petits groupes choisis de travail, se réunissant dans une ambiance calme, loin des projecteurs de In publicité et des contraintes de la presse.
Tels étaient, je crois, les options fondamentales et les engagements qui guidèrent la vie et l'oeuvre du Père Rijk. Le trait le plus noble et le plus frappant, en cet homme, c'est qu'il avait profondément enfoui sous l'apparence de l'amitié et de la simplicité, une fermeté d'acier refusant tout compromis sur ces idées, au-delà d'un certain point. Étant bien inséré dans le monde, il comprenait parfaitement le besoin d'un certaine souplesse, mais en dernière analyse, il en restait parfaitement maître.
En vérité, ce qu'il considérait comme le but suprême de son service au Vatican n'était pas l'un de ces résultats nombreux et notables de tranquille diplomatie exprimés en des déclarations officielles ou quasi-officielles par divers groupes ecclésiastiques où il jouait un rôle important, mais, bien plutôt ce fut la réunion dont il conçut l'idée, qu'il organisa et qui eut lieu à Nemi, en Août 1968. Et il avait tout à fait raison de penser ainsi car cette rencontre exprima très exactement et très pleinement son idéal d'un dialogue judéo-chrétien authentique. Ce fut une toute petite réunion; en tout, quatorze participants, sept de chaque côté, choisis sans le moindre critère d'appartenance institutionnelle; ils venaient par conviction personnelle, ne représentant personne sinon leur propre pensée et leurs connaissances (comme le Professeur Tel en fit la remarque: « Celui que re-présente est lui-même non-présent »). Il n'y avait aucun plan préconçu, aucun horaire rigide, les discussions étaient laissées ouvertes et complètement libres. Il n'y avait ni limites de temps, ni dates, ni conclusions à tirer car il n'y avait pas non plus de comptes rendus de presse à rédiger: en fait, on ne donna aucune publicité à cette rencontre. Ce devait être une totale expérience de vie durant trois jours, une vie en commun qui favoriserait l'amitié: converser en partageant les repas, en buvant une bouteille de vin au bar du village ou au cours de promenades reposantes aux environs dans un site ravissant, tout cela prenait autant de sens que les discussions plus formelles autour d'une table de conférences. Ce fut une expérience qu'aucun des participants n'oublierait jamais.
Il n'est pas surprenant que le Père Rijk ait gardé une vraie nostalgie du colloque de Nemi et que celui-ci devint pour lui le prototype de réunions valables et significatives. Il pensait à des rencontres qui ne soient pas uniquement des parades, à des assemblées qui enrichis. sent non seulement l'esprit mais la vie même des participants. C'est ainsi que cet homme qui n'aimait pas les congrès officiels, devint en quelque sorte un promoteur de conférences, mais de conférences d'un genre spécial, orientées non vers l'extérieur mais vers l'intérieur, enrichissantes non seulement pour la pensée mais existentiellement significatives.
Ainsi donc, lorsque le Père Rijk assuma la direction du SIDIC, l'idée d'organiser des symposiums en conjonction avec les réunions périodiques des Soeurs de Sion occupa une grande place dans ses projets. Ceci en dit beaucoup car il avait déjà les mains pleines de plans pour le SIDIC et de projets à développer par myriades. Il poursuivait avec ténacité l'idée de symposiums car il rêvait de Nemi. Bien sûr la situation était différente etles symposiums du SIDIC ne pourraient se dérouler comme delui de Nemi qui avait eu comme unique but l'édification mutuelle de quelques spécialistes.
Il y eut en tout deux symposiums, l'un en 1975, l'autre en 1978. Le premier entreprit l'étude des liens entre la foi et la terre tandis que le second essaya de sonder la relation de l'homme avec Dieu, avec la nature, avec « l'autre » homme. Pour la qualité de l'érudition et de la connaissance intellectulle, ils furent frappants. Le sérieux et la profondeur des thèmes en disent long. Les orateurs étaient de grande valeur, venant de toutes les parties du monde. Mais le vrai problème était d'arriver à ce qui, en dernière analyse, avait le plus d'importance aux yeux du Père Rijk, ce qui lui tenait à coeur: l'atmosphère, la familiarité ouverte et intime entre les participants. Il s'agissait d'y arriver dans un cadre qui consistait obligatoirement en conférences, en exposés savants, lesquels, par la force des choses, creusent un fossé entre ?orateur et l'auditoire. Le Père Rijk reconnaissait ce risque et se débattait avec ce problème. Je suis profondément persuadé qu'avec plus de temps et d'occasions, il aurait réussi à trouver le schéma idéal et alors, quel précieux apport c'eût été pour la vie de dialogue! Mais, hélas! ce temps ne fut pas donné. Dieu, en vérité, agit de façon mystérieuse.
L'amitié judéo-chrétienne de France est profondément attristée de la mort du Père Cornelia Rijk qui fut un de pionniers les plus lucides et courageux de la réconciliation juif, chrétien. Il y apporta toute la vaste culture de son esprit distingué et toute sa délicate bonté. Il nous manquera beaucoup.
Claire Huchet-Bishop, Paris
Avec vous nous partageons des sentiments d'une tritesse profonde en réalisant que, pour vous, son décès est une double perte — au niveau personnel et également, su niveau de votre Centre. Que la foi à la résurrection du décédé soit pour nous tous comme une lumière vers un avenir, à travers des événements, qui nous affligent, à travers la mort même.
Th. M. A. Claessens - Advieskommissie Mission aire Aktiviteiten 's-Gravenhage, Holland
Très émue par la mort de Cornas Rijk, la And-Defamation League désire exprimer sa tristesse et sa peine à la perte de cet ami sincère et engagé qui a tant fait pour la compréhension entre juifs et chrétiens. Nous prions Dieu que le souvenir du Professeur Rijk, zeker tzadik livrabak, inspire notre travail. Puissions-nous être bénis par le don d'un esprit de prophétie et de paix intérieure pour continuer cet engagement au dialogue.
Nat Kameny, Ted Freedman, Leon Klenicki, Joseph Lichten - Anti-Demafation League, New York et Rome