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Revue SIDIC V - 1972/3
Les jeunes, juifs et chrétiens: leur recherche de Dieu (Pag. 04 - 13)

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La jeunesse aujourd’hui - Perspectives Judéo chrétiennes
Dom P. Grammont

 

Le monde des jeunes est très divers! Les générations se succèdent et ne se ressemblent absolument pas. A l'intérieur d'une même génération, les groupes, les individus se différencient avec une grande rapidité. On assiste même à des formations de communautés qui éclatent brusquement.

. . . en puissance de germination

Dans cette confusion on peut cependant distinguer des courants.

Tout d'abord une recherche de vie en communauté. Les motifs peuvent être divers, mais le fait est là. Tout en gardant un individualisme souvent farouche, on aime à faire partie de groupes, de plusieurs communautés à la fois.

Cette tendance va depuis le désir d'une vie commune jusqu'à la différentiation par l'appartenance à des réunions, des clubs divers.

Cette recherche vacille entre deux pôles: la vie en petite communauté, la réunion de masse. Les types de vie classique ou de réunion, en groupe religieux ou non, sont contestés facilement. Il semble que la recherche aille vers de nouveaux modèles d'association. Mais souvent elle se perd en utopie ou en groupement parallèle à des organisations existantes.

Le désir de contacts internationaux est très fort. On a l'impression, devant des groupes de jeunes, d'une esquisse d'une société future cosmopolite, de type universaliste.

Mais il faut noter aussi une marginalisation croissante provenant de la dégradation de toute une partie de la jeunesse; dégradation d'un mouvement généreux à l'origine, mais dévié dans sa recherche, et- aboutissant à l'état asocial. A l'intérieur de ces groupes et chez les individus eux-mêmes on a pu remarquer une grande sincérité, un désir de rencontre informel, laissant la plus large place à la spontanéité, à la créativité, et ceci dans tous les domaines touchant aussi bien l'instruction que les arts et les sports. Bref, c'est l'ensemble de la culture qui cherche à garder ce caractère et en même temps à s'étendre.

Ici il faut noter un certain goût pour l'exotisme et spécialement pour l'Orient, l'Asie en particulier. Un véritable engouement pour l'Indouisme, les pratiques qui lui sont particulières, et la rencontre avec des personnages typiques de ces mouvements peut se vérifier.

De plus, un exode assez important de jeunes se constate, ils vont vers une expérience mystique et partent pour les Indes et d'autres pays. Mas hélas, beaucoup d'entre eux sont pris en filières en route et sombrent dans la drogue, les désordres sexuels etc... et meurent.

On doit noter aussi chez les jeunes un habituel désintéressement, contrastant beaucoup avec le souci du gain et de la promotion chez d'autres. Le désir d'aider, de partir en coopération dans les pays en voie de développement, témoigne chez certains d'une très grande enérosité.

En même temps une lassitude se fait sentir par rapport à la société actuelle que beaucoup de jeunes ressentent comme oppressive.

Ils la voudraient autre, sans toujours pouvoir dessiner, même approximativement, ses traits.

Mais il faut aussi relever une profonde angoisse devant l'avenir, et chez beaucoup presque un désespoir.

Il n'y a pas de doute que l'on vérifie de près le résultat de toute une série d'influences dans la littérature comme dans la philosophie, qui a vidé i'esprit et le coeur de toute référence à une transcendance. C'est souvent la tentation du néant, la vertigineuse expérience du hasard, de l'aventure, avec une fragilité psychique très facilement mise à l'épreuve. Devant la précarité du présent et de l'avenir, on assiste à une difficulté de plus en plus grande à prendre des engagements de longue durée, à plus forte raison pour la vie. Et comme la mobilité imprègne toute l'existence, les jeunes ressentent la fluidité de la société, et son instabilité d'une façon croissante.

Ce bref aperçu ne doit pas être interprêté dans un pessimisme radical. Car des initiatives prises actuellement par les jeunes, se dégage un espoir, fondé sur une puissance de germination à l'oeuvre, qui donnera certainement naissance à des formes de société, de vie personnelle et sociale.

En particulier le désir de rencontrer l'autre dans sa différence, et de nouer des relations très franches et gratuites, est un indice de vie qui promet beaucoup.

On peut ajouter que la volonté de beaucoup de jeunes va dans un sens de vérité, non conformiste certes, mais profond; et dans toutes les dernières générations on constate un désir d'un minimum de structure, d'ordre, affectant les différents niveaux de l'existence, accompagné d'un regard neuf sur le monde et l'histoire. Ceci entraîne comme une sorte de virginité d'attitude, libérée du poids de l'histoire et des conventions.

Chez beaucoup il vaudrait mieux parler d'une crise d'expression, de langage de la foi, de pratique de la foi, plutôt que d'une crise de la foi proprement dite. La plupart des jeunes sont en quête de symboles vrais renouvelant les formes d'expression.

Toutes ces constatations sont à relever au niveau des faits, des événements quotidiens. Et c'est en en tenant compte que les réflexions suivantes prennent la perspective judéo-chrétienne.

Et ce n'est pas pour « utiliser » le judaïsme dans une recherche de tout ce qui pourrait être employé afin de faire face aux situations actuelles. Un tel recours serait malhonnête. On ne se sert pas des religions ou des personnes. Mais c'est en réfléchissant sur le mystère du Salut, sur le mystère de l'Eglise, que l'on est amené à rencontrer le mystère d'Israël dans ce qu'il a d'unique.

L'espérance du monde entier suspendue à une reconnaissance mutuelle du Juif et du Chrétien

Et c'est un émerveillement, car l'espérance du monde entier est comme suspendue à une reconnaissance mutuelle du Juif et du Chrétien qui doit les conduire à une paix, à une communion dont nous ne pouvons soupçonner la plénitude de beauté et de vérité.

Une manière de présenter Jésus

Le Christianisme s'est préoccupé des jeunes et il continue de le faire. L'Eglise catholique par ses mouvement spécialisés a présenté tout un éventail de regroupement de la jeunesse. Mais on doit constater dans notre histoire récente en plusieurs pays, dès avant la dernière guerre, tout un glissement de la jeunesse vers d'autres directions. Le nazisme et le fascisme n'ont pas été sans exercer une profonde influence sur des générations de jeunes, et actuellement encore en des pays contrôlés par des systèmes de gouvernements très policiers et des mouvements de type marxiste' et maoiste, la jeunesse est entièrement conditionnée.

Il ne s'agit pas ici de penser à un mouvement chrétien parallèle, ou aux méthodes d'action catholique. On voudrait simplement attirer l'attention sur un caractère essentiel du Christianisme qui doit affecter toutes ses organisations et ses modes d'action, de la simple catéchèse ordinaire en milieu chrétien à la mission et à l'enseignement supérieur en théologie.

Il y a une manière de présenter Jésus qui, au fond, ne respecte pas suffisamment la singularité de sa personne, et une manière de parler de l'Eglise qui évacue pratiquement sa formation et son enracinement dans une longue histoire. Il en résulte un flottement dans la conception même du salut, et un durcissement dans la manière de présenter l'Eglise.

D'autre part et par là même il en découle une grande difficulté à situer et le Christ et l'Eglise dans l'économie du salut.

Puisqu'il s'agit de présenter le Christ en le « situant » correctement dans l'histoire du salut, l'enracinement de l'Eglise en Israël doit être honnêtement montré. Or, sur ce point il y a une manière de parler de son commencement absolu soit à partir du Christ, soit à partir de la Pentecôte qui ne tient pas suffisamment compte de cet enracinement.

En effet, tout en reconnaissant l'absolue singularité du Christ, il est indispensable de le reconnaître comme le Juif pieux qu'Il a été, de le montrer faisant corps avec son peuple, même au travers des incompréhensions et des refus qu'Il rencontrait.

Cette manière d'être un homme de son temps, de son milieu, de sa terre, compris dans tout un réseau de traditions, un homme souvent déchiré par les contradictions de la vie, fait partie du réalisme de l'Incarnation. Et ne rien négliger de cette présentation c'est faire preuve d'honnêteté. Les jeunes d'aujourd'hui y sont très sensibles.

Pourquoi le recherchent-ils, d'une façon si insolite quelquefois comme dans les mouvements de Jésus-Révolution ou Jésus superstar! Ne serait-ce pas parce qu'ils ont besoin de le voir bien situer dans son histoire!

Mais en même temps, n'y a-t-il pas dans ces mouvements la manifestation d'un besoin? Celui de se reconnaître en Jésus ainsi ramené (Dieu sait combien souvent maladroitement!) au plan de l'histoire des hommes.

Or là précisément l'histoire d'Israël porte en elle cette valeur révélatrice de l'humain. Dans son déroulement toute l'humanité peut s'y retrouver, et en même temps elle se sent interpellée par le Juif de toute époque, y compris de la nôtre.

Mais au moment même où nous voyons le danger de laisser ainsi mettre Jésus aux modes du jour il serait bon de le mieux présenter aux prises avec les mouvements de son temps, dans l'effervescence religieuse et politique d'une époque troublée, dans un pays soumis aux pressions d'une domination étrangère.

Situer Jésus dans ce milieu et montrer comment Il en émerge tout en y étant très présent, rend un bien grand service.

Mais d'autre part, on sent bien que la reconnaissance du juif comme tel provoque encore de nos jours, et en plein milieu chrétien, ou qui se dit tel, une inquiétude, une hostilité même. Ne serait-ce pas parce que, qu'il le veuille ou non, le Juif fait pressentir à l'homme de tout temps, l'ambiguïté de sa situation?

Et là encore nous rencontrons Jésus qui en montrait la réalité troublante dans son propre milieu. Il est vraisemblable que les jeunes soient très ouverts à cette constatation, et qu'alors ils puissent découvrir, dans l'histoire même de Jésus, les réponses à tant de questions qui les angoissent. Mais ces réponses ils les pressentiront à partir de la réalité historique de Jésus, ce qui les empêchera de se le figurer de manière idéaliste ou mythique.

Car c'est un fait aussi à cerner de près. Sous l'influence de plusieurs théologies et philosophies, le Jésus de l'histoire s'évanouit et il ne reste plus qu'un idéal moral d'altruisme ou un mythe, de qualité certes, mais privé de ses références historiques.

Il est bien vrai que la Résurrection place Jésus dans un autre ordre d'existence que le nôtre, que celui qu'Il a connu jusqu'à sa mort; mais cette altérité se découvre dans sa vérité pour nous, par rapport à son état antérieur.

Alors, les contrastes peuvent être relevés, et l'identité de la personne affirmée, c'est le même Jésus, qui ne cesse d'être celui que ses disciples ont connu, mais se manifeste dans un autre mode de vie.

La Résurrection marque dès lors, et pour tous les hommes, le franchissement d'un seuil accompli par Jésus. Encore faut-il que ce seuil soit indiqué et marque lui-même la frontière entre l'état antérieur à la Résurrection et celui qui lui succède.

Le dégagement d'une problématique trop hellénistique peut nous le permettre, surtout si l'on remonte aux principes métaphysiques de l'Ancien Testament, et à sa manière de concevoir la matière et le corps.

La Pentecôte dans l'ensemble de l'Histoire du Salut

La Pentecôte inaugure le prodigieux épanouissement d'Israël au bénéfice des nations. Mais tout était déjà porté par le Christ vivant au milieu de son peuple et comme lui; Il venait « accomplir ».

Et cet accomplissement se situe au cours de tout un processus à l'intérieur de l'histoire d'Israël. Il avait été annoncé, préparé, préfiguré, et Jésus prend soin de le préciser dans ses ultimes avertissements. Aussi lorsque l'événement de Pentecôte manifeste l'Eglise comme peuple de Dieu renouvelé et intégrant toutes les nations, appelées à rentrer dans la « dignité d'Israël », c'est la vérification donnée par Dieu à la continuité de son dessein dans le destin d'Israël.

La Pentecôte met le sceau de l'authenticité sur le déroulement d'une histoire dans laquelle nous entrons, dont nous avons à prendre le dynamisme intérieur.

Et là nous devons nous méfier de la tendance à opérer dans ce déroulement de l'histoire d'Israël, des coupures que nous essayons de justifier, de rationaliser, par des interprétations durcies où l'irrationel intervient plus que nous le pensons.

N'y aurait-il pas à considérer l'événement de la Pentecôte dans une totalité englobant l'ensemble de l'Histoire du Salut?

Sans aucunement la minimiser, cette démarche permettrait peut-être de faire l'économie des différentes théories malfaisantes qui infectent plus ou moins les hommes, et même les « Pères » de l'Eglise: théorie du refus, du rejet d'Israël des-hérité, etc... Les jeunes aujourd'hui peuvent être plus sensibles qu'on ne le croit à une révision et une liquidation des contentieux accumulés depuis tant de siècles, et qui commencent avec le contentieux entretenu depuis le début entre Israël et l'Eglise. Des deux côtés nous avons à reconnaître des torts, des deux côtés il y a à pardonner, en suivant l'exemple de Jésus d'abord, d'Etienne ensuite et de tant d'autres.

On pourrait songer à une planification des routes de l'histoire, en suivant le prophète qui chante: « Applanissez les sentiers du Seigneur ». Or, bien souvent nous nous sommes ingéniés à amonceler les obstacles et à chercher des voies parallèles.

Ces réflexions nous conduisent à affirmer la singularité eschatologique du Christianisme.

Foi en un Messie qui doit venir ou qui doit revenir

On a dit que les jeunes souffraient d'un manque d'espérance. Et c'est vrai. Une angoisse croissante les exaspère face à un horizon bouché.

Il est bien évident que la société doit, à son niveau, s'en inquiéter et chercher les moyens de répondre. Mais à supposer qu'elle y arrive, ce n'est pas encore suffisant. Et au coeur même de la générosité des jeunes il y a une aspiration qui déborde de loin toutes les communautés et les satisfactions que les hommes peuvent se procurer.

Si beaucoup d'entre eux sont tentés même de suicide, ou se jettent dans la drogue et autres expériences, c'est en grande partie parce que déjà on leur a nié toute métaphysique. Sans vouloir faire de la religion un produit de remplacement, il faut reconnaître que les perspectives d'une espérance messianique sont autrement tonifiantes, même si elles ne s'explicitent pas complètement au plan religieux.

Or la puissance prophétique en Israël a entretenu la vie d'un peuple au travers de vicissitudes inouïes. Et nous en avons vu, il n'y a pas si longtemps, les fortes conséquences dans la patience et l'attente des millions de Juifs persécutés et mis à mort.

L'Eglise aussi bien sûr a connu et connaît encore l'expérience de l'Espérance qui, sans se désincarner, émerge de tout un mouvement qui tendrait à confondre toutes les religions, ou à les réduire par la sécularité à un .vague humanisme.

Et si précisément on tend à bien marquer la différence entre foi et religion, c'est que le Christianisme est avant tout une foi, mais qui s'exprime dans une religion.

Or foi et religion en Israël et en Eglise se retrouvent avec les mêmes problèmes et les mêmes tensions: foi en un Dieu et un Messie qui doit venir ou qui doit revenir; tendance à le ramener à une perspective trop temporelle ou à trop absorber la foi dans une religion formaliste. Nous pouvons, sans y faire suffisamment attention, nous laisser déporter de la voie de vérité.

Point n'est besoin de prendre l'histoire d'Israël comme l'exemple à ne pas suivre, ou le contraste à accuser; nous avons de quoi nous humilier dans l'histoire de l'Eglise ou des pays chrétiens, en reconnaissant les mêmes durcissements, voire les mêmes erreurs.

Que de fois, y compris les Pères de l'Eglise, on a parlé avec mépris ou condescendance de « ce peuple grossier » etc... chargeant ainsi Israël de ce que l'on peut constater dans notre propre histoire. La sienne n'est tout de même pas l'exemple à ne pas suivre. Nous avons beaucoup à faire pour nous dégager de ces manières de penser, de dire, qui engendrent des actions pour le moins malhonnêtes ou criminelles. Le reconnaître loyalement et essayer de sortir de ces vieilles habitudes pourrait être très sain, face à une jeunesse qui aime la sincérité, veut la vérité, même dans ses contestations douteuses.

L'attente du retour du Christ peut prendre des formes variées, mais au-delà de toute imagination, il y a la ferme espérance en la promesse de Jésus. Et ce retour annoncé est le dynamisme même de l'Eglise. Dans l'Eucharistie nous le proclamons. Mais en vivons-nous vraiment?

L'attente d'Israël, interpellation pour notre espérance chrétienne

Or la connaissance de ce que représente l'attente d'Israël, la rencontre chez les Juifs, fus-sent-ils incroyants, d'un élan d'espérance, et même chez certains, d'un messianisme inversé, ne serait-ce pas une interpellation salutaire pour notre espérance chrétienne?

Réalisons-nous ce qu'était pour le peuple de Dieu la préparation et l'attente du Messie?

La théorie du rejet et de la répudiation de son peuple de la part de Dieu a faussé notre regard sur l'Israël de tous les temps. Et ne mériterions-nous pas les mêmes reproches qu'on lui adresse?

Le prophétisme en Israël a connu tout un élan qui s'est continué dans l'Eglise: en prendre conscience peut nous faire réfléchir sur la continuité et l'unité de cette force qui anime toute l'histoire du salut.

Alors la personne du Christ apparaît danstoute sa grandeur faisant lui-même l'unité des deux versants du prophétisme, avant et après Lui. Et l'Eglise, son corps, peut se présenter comme réalisée « ex Judaïs et gentibus » par les Juifs et les païens qui se retrouvent enfin, dans leurs situations typiques, réunis dans le Christ.

Jésus qui personnalise tout Israël

Nos contemporains ont un urgent besoin de voir un comportement chrétien vraiment irénique, et capable d'intégrer, par sa constitution judéo-chrétienne, la tension du monde actuel et son besoin d'ouverture sur tout ce qui est humain, y compris le plus qu'humain.

Or, on doit bien constater, après l'emprise massive des idéologies en cours, un certain désenchantement, car toute prétention à l'universalisme qui s'accompagne de réduction de la liberté par annexion des personnes et des cultures, et même par leur suppression, s'annule et déçoit.

C'est là encore que l'apport d'Israël est précieux. Le Juif, où qu'il soit, reste lui-même habituellement et se sent en même temps par rapport au monde citoyen et étranger. Il est chez lui partout et nulle part, sauf peut-être dans la terre d'Israël qui garde sa valeur symbolique dans sa réalité terrestre. Mais c'est là une question qui mérite une considération particulière que nous ne pouvons qu'effleurer ici. Car si le chrétien se sent concerné par ce qu'il appelle la Terre sainte, combien le Juif doit resentir son enracinement dans la terre de ses pères! Les chrétiens doivent au moins le reconnaître et ne pas s'imaginer que cette terre leur appartient àl'exclusion des Juifs. En ce qui concerne les Arabes c'est une autre affaire, et Israël est plus près qu'on ne pense de trouver une solution, et peut être plus apte que quiconque à la régler. Mais il faudrait que des influences étrangères ne faussent pas les données du problème.

Si l'on a parlé d'autre part du capitalisme juif international, on pourrait en dire autant, sinon plus, de nos frères chrétiens. Le temps n'est pas si loin où on entendait dire: le catholicisme? Oh c'est la religion des banquiers!

Que n'a-t-on pas dit de l'internationale juive. Mais ne signifierait-elle pas, surtout pour nous, chrétiens, si elle existe comme on le prétend, une interrogation sur l'authenticité du témoignage de notre Eglise catholique où qu'elle se trouve, sans compromission avec les systèmes ou les pouvoirs établis en puissance, et sans ségrégation? Nous sommes bien sévères pour nos pères et nos frères juifs, et bien indulgents pour nous quelquefois!

Les jeunes le sentent confusément et aimeraient plus de netteté dans notre attitude.

Seulement au lieu de verser dans une confusion des cultures et des croyances, la foi en un Dieu, la connaissance du Christ Jésus peuvent permettre de rester soi-même et en relation avec tous, à la condition de plonger ses racines dans cet universalisme dont Israël a le secret et dont il a fait bénéficier l'Eglise par un de ses fils Jésus, qui l'a développé et porté à sa perfection.

Certes l'Eglise connaît une différence avec le Judaïsme, mais il faut la situer correctement. Elle n'est pas une opposition, elle 'est une différence de complémentarité dans une parenté.

Et d'autre part le nouveau, apparu dans le Judaïsme et annoncé par ses prophètes, c'est Jésus lui- même dans sa personne et son action, dans sa mort et sa Résurrection.

Mais cette nouveauté est à considérer dans l'ensemble de l'histoire du salut et comme le signe de la liberté de Dieu en tout processus, en tout événement. Elle ne se pose pas en opposition avec ce qui la précède, sinon en tout ce qui supprimerait ou tenterait de supprimer la libre ouverture de l'homme aux interventions divines. C'est à dire à toute tentation d'absolutiser ce qui n'est qu'un cheminement et non un terme, ce qui prétendrait totaliser l'histoire et la nature complètement en dehors et en refus des possibilités de leur dépassement.

Comment ce dépassement peut-il se faire? En Jésus qui personnalise tout Israël et qui récapitule l'histoire et la nature, nous avons la réponse. Toute son attitude, sa fidélité à la Loi, son interprétation de l'Ecriture, sa vie de vrai juif, sa mort enfin et sa Résurrection, éclairent tous les temps qui l'ont précédé, et qui le suivent. Et si nous osons, sur son commandement, célébrer le mémorial de ce qu'Il a fait, nous savons que c'est en même temps la célébration de toutes les merveilles de Dieu accomplies dans le monde et dans son peuple choisi, aboutissant à sa glorification, prémice de celle de l'univers.

Le dessein de Dieu sur son peuple est-il terminé? C'est le secret de Dieu et nous pouvons peut-être appliquer à tous ceux qui s'interrogent loyalement sur le destin du peuple juif qui dure, la réponse de Jésus à Pierre au sujet de Jean: «'Seigneur et lui? » Jésus répond: « S'il me plaît qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe? » Qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne!

Cette réponse laisse Pierre sur son interrogation et nous sur la nôtre. Profonde leçon d'humilité. Combien de fois dans le cours de l'histoire de l'Eglise n'a-t-on pas entendu dans une prétendue logique de la foi qui s'apparente à un rationalisme sec et froid, quand ce n'est pas à un sectarisme qui n'a rien d'évangélique: le peuple d'Israël n'a plus de raison d'exister, avec le Christ il a perdu son droit à subsister, tout au plus comme témoin de l'endurcissement etc... Israël ne doit pas durer, donc... et à partir de ce « donc » on sait toutes les honteuses et horribles attitudes que des païens et des chrétiens se sont permises.

Il y a là une erreur et même une monstruosité qui a couru dans nos théologies, nos manuels, nos catéchismes, nos prières, dans l'art et la littérature. C'est une ignominie que le Concile Vatican II a enfin dénoncée comme un mal à extirper d'une longue habitude.

Greffés sur le vieux tronc d'Israël

Lorsque le monde a un tel besoin de paix, il serait profitable aux jeunes générations de voir enfin ceux qui sont greffés sur le vieux tronc d'Israël, reconnaître d'où ils tirent leur sève et qui les porte.

Et puisque aujourd'hui encore l'Orient attire tant les regards et fascine par ses sagesses, dont le danger dépersonnalisant n'est peut-être pas assez souligné, l'Eglise gagnerait certainement à se souvenir davantage de tout ce qu'Israël a filtré, trié dans son mouvement de sagesse, pour l'orienter et le structurer dans la direction et le dynamisme de l'histoire du Salut.

Aujourd'hui encore on attend de l'Eglise avec sa puissance d'espérance, sa force de sagesse dans le discernement de tout ce qui peut promouvoir la personne humaine dans des communautés diverses, et cependant embrassées dans une vaste unité. Beaucoup de jeunes le désirent plus ou moins confusément, et forte d'une si antique tradition, nourrie de tout l'ensemble de la Bible, l'Eglise peut certainement répondre à cette attente, et d'une façon concrète.

Bien des hommes d'Eglise l'ont déjà montré, mais on souhaiterait que ces exemples, à la suite du pape Jean XXIII soient plus largement suivis. Tant de jeunes sont à la recherche d'une sagesse de vie! Leur regroupement en communauté à l'échelle humaine en est une manifestation. Les floraisons de communautés de base en sont aussi l'indice.

Et ces jeunes sentent confusément que la société actuelle peut les deshumaniser, les de-structurer, annihilant même la possibilité d'une sagesse par un abrutissement qui va grandissant. Es se révoltent alors.

Peut-être perçoivent-ils que trop souvent, hélas, notre société, traversée de courants chrétiens et d'autres qui ne le sont pas, est revenue en deçà d'une sagesse de vie, d'une éthique telles que les présente l'Ancien Testament et naturellement l'Evangile.

Ici ne peut-on pas se souvenir de la grande tradition d'Israël en ce qui concerne la famille, cellule de base, soutenue par les autres institutions, les sévères rappels des prophètes en la matière. Le sens de la liturgie domestique, dont on a tant de contrefaçons aujourd'hui, le sens du mémorial qui remet « en situation », n'avons-nous pas à le retrouver dans l'Israël de Dieu? L'Eglise en a reçu le précieux dépôt. Elle doit l'exploiter convenablement.

Or, on constate qu'au lieu de s'en souvenir, des hommes d'Eglise, des théologiens construisent encore des théories, des argumentations sur le « temple détruit », comme s'ils réduisaient la religion d'Israël au culte du Temple.

N'y aurait-il pas à redresser cette erreur au moment même où dans l'Eglise on conteste l'uti
lité des Cathédrales et autres édifices religieux?

Le culte domestique et synagogal, a eu et a encore une importance capitale. Le Christianisme
est dans le droit fil de cette tradition, dans le même enchaînement historique. Tout Israël n'est pas dans le Temple, ni l'Eglise dans ses édifices.

... dans l'enracinement de la liturgie de l'Eglise en Israël

Ce que les groupes recherchent en fait de célébration religieuse peut trouver une pédagogie et un acheminement vers le culte en esprit et en vérité dans l'enracinement de la Liturgie de l'Eglise en Israël.

Le sens du temps, comme une grâce donnée à l'homme, une matière à structurer et à laisser ouverte à l'irruption de l'éternité, est une valeur inestimable que le Judaïsme a léguée à l'Eglise, mais qui est bien menacée aujourd'hui.

La redécouvrir vécue par les fils d'Israël est aussi une grâce pour l'Eglise, au moment où le monde cherche à respirer malgré l'asphyxie provoquée par le morcellement et le manque de rythme du temps. Une simple connaissance renouvelée du Sabbat peut permettre de repenser le Dimanche chrétien bien volatilisé et profané en fait, et de s'ouvrir à d'autres adaptations. En passant au delà de toutes les oppositions qui ont établi une concurrence entre nos fêtes, nos jours, etc... même si elles étaient fondées, chrétiens et juifs pourraient peut-être donner ensemble une réponse apaisante aux problèmes du temps et de l'angoisse qui précipitent les masses sur les routes meurtrières pendant les week-end et les fêtes?

Les jeunes veulent redécouvrir la fête, mais laquelle? Juifs et chrétiens ensemble n'ont-ils pas à la vivre tout simplement dans leur retour commun aux plus profondes traditions?

Que dire alors de ce besoin de la jeunesse de retrouver des symboles vrais et « qui donnent à penser ». Or là le trésor d'Israël est toujours vivant qui féconde la liturgie chrétienne. Ce sont ces grands symboles qui nous sont communs et que nous n'avons pas à nous disputer, qui gardent encore une valeur, une efficacité si actuelle!

La grande symbolique biblique est à conserver vivante avec une fervente attention; c'est elle qui peut faire découvrir les adaptations nécessaires à notre époque, mais en gardant toujours le contact avec la racine, le vieux tronc d'Israël.

Pour l'Eucharistie, que de malentendus seraient évités, si l'enracinement juif était courageusement vécu, sans gauchissement d'intention par souci d'opposer des rites qui doivent s'intégrer et se développer.

Peut-on penser justement le « mémorial »chrétien sans remonter à la tradition d'Israël? Et en même temps approfondir le sens de l'agape familiale chrétienne sans recours aux repas célébrés dans la famille juive?

Car toute une tradition liturgique, pénétrant aussi bien la vie quotidienne en famille que les célébrations synagogales, amène encore jusqu'à nous les richesses dont se nourrit notre liturgie chrétienne, et dont nos réunions familiales ont un si grand besoin, quand elles n'ont pas à être totalement redécouvertes.

Vers l'unité ...

Il y a aussi dans tous les mouvementes qui traversent la jeunesse une aspiration à l'unité, partagée d'ailleurs de plus en plus par l'ensemble des hommes. Par les moyens de communication répandus à travers le monde, une sorte de conscience universelle se cherche. Les grandes fédérations d'états s'esquissent, et l'Eglise chrétienne, à juste titre, s'y intéresse.

Ici encore le fait juif est un témoin et une force d'unité qu'on est loin d'estimer et d'honorer comme il se doit.

La puissance révélatrice d'Israël reste son charisme, car face à lui tout homme se sent concerné et se découvre. C'est probablement pour cela que l'on n'accepte pas facilement le Juif, dans son identité et sa différence, car tout homme s'y reconnaît, mais il ne veut pas l'admettre.

Que l'Eglise montre bien qu'elle intègre Israël et les nations, sans vouloir dissoudre la judaïté ni l'annexer en la supprimant, et du même coup elle peut déployer son accueil sans perdre sa singularité.

Au contraire elle peut se présenter au monde d'autant plus consciente et forte de ce qu'elle est, sans prendre son appui sur une opposition ou un contraste. Car elle fait corps avec Israël qui a reçu l'Alliance, l'élection, les promesses et les lui a communiquées.

La découverte concrète de cet enchaînement entre Israël et l'Eglise, ne serait-elle pas pour beaucoup de nos contemporains, et spécialement les jeunes, la découverte d'un universalisme souple, sans prétention à une puissance dominatrice, respectant les cultures et les nations. Ce serait un aperçu encourageant d'un sens de l'humanité dans son ensemble et d'une communion profonde à tout ce qui est humain. Il y a là une base sur laquelle peut s'établir une religion authentique et une foi vigoureuse. N'est-ce pas dans la perspective de l'Incarnation?

Car c'est en étant vraiment homme de son temps, de son milieu, de son pays, que Jésus est devenu le premier né de toute la création, le nouvel Adam récapitulant toute l'humanité à laquelle Il apportait la paix et l'unité.

Et il ne suffit pas de connaître les données historiques concernant le milieu où vécut Jésus; sa culture, la langue de son pays. Il faut aussi, et par ces connaissances, prendre le sens et le ton de la mentalité juive.

C'est pourquoi il nous est très utile d'entrer en relation avec l'Israël vivant actuellement, où qu'il se trouve. Alors les textes s'éclairent, et il est possible de toucher d'une façon vitale l'âme juive dans toute sa profondeur.

Du même coup celle de notre christianisme en est perçue comme existentiellement et le contact avec les témoins vivants du judaïsme nous fait apercevoir les graves problèmes de la conscience juive. Mais cette perception nous révèle toute une dimension de nos propres problèmes et la parenté de nos préoccupations.

Bien plus, les drames de notre époque sont ainsi ressentis en communion de destin dans l'attente et l'appel du Royaume promis, même si cette attente et cet appel se différencient quant à leur expression et à leur réalisation.

Là encore une certaine complémentarité se vérifie entre juifs et chrétiens, riche d'espérance pour le monde, et que la sensibilité des jeunes est peut-être prête à saisir dans son extension universelle.

... cet enchaînement entre Israël et l'Eglise

Bien entendu il ne s'agit pas de « judaïser », mais à partir de cet enchaînement et de cette complémentarité d'Israël et de l'Eglise, de l'Ancien et du Nouveau Testament dûment reconnus et vécus, une ouverture est possible, et une prudente liberté pour adapter, inventer de nouvelles formes de culte et d'expression de la foi, postulées par les peuples d'Asie en particulier, et naturellement dans le respect de leur propre culture.

Nous constatons partout que nous sommes désormais dans un monde sécularisé. Mais c'est au sein de cette sécularisation que germent à nouveau les valeurs religieuses.

Et les jeunes le sentent bien qui recherchent jusque dans leurs expériences malheureuses les éléments de ces valeurs.

En particulier le messianisme, l'espérance eschatologique, et en même temps le goût de l'humain, du réel, soulevé par une intuition du mystère et de la transcendance à peine exprimée, tue plus souvent par respect que par refus, sont dans l'âme juive une merveilleuse lumière qui fait pressentir les splendeurs d'une retrouvaille entre juifs et chrétiens.

On conçoit que Saint Paul utilise l'expression: résurrection des morts, lorsqu'il parle de cette rencontre, qui suppose chez les uns et les autres toute une démarche d'accomplissement et d'accueil mutuel.

Les malheurs endurés, les dangers courus par les Juifs comme par les Chrétiens sont autant d'épreuves vécues qui les rapprochent.

Les dernières en date ont bien montré combien il était urgent de réviser nos manières de penser et de vivre nos rapports.

Face aux jeunes dont les générations diffèrent tellement de leurs anciens et qui semblent refuser la société contemporaine, le geste du chrétien reconnaissant dans le Juif son aîné, et liquidant tout le contentieux accumulé depuis deux mille ans bientôt, a valeur de prophétie.

En tombant dans les bras l'un de l'autre juif et chrétien sont la réconciliation commencée des hommes et les porteurs d'une sagesse qui est une promesse de paix pour le monde.

En outre, puisque c'est le voeu du Christ, et qu'Il est mort pour cette unité, c'est un hommage rendu à l'Incarnation dans toute sa vérité et un appel à l'Esprit Saint qui doit renouveler tout l'univers.

 

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