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Revue SIDIC XXVIII - 1995/3
La Femme et les chances du dialogue (Pag. 02 - 06)

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La femme dans le dialogue - Témoignage d'une femme catholique d'Amérique Latine
Margarida Lopes Ferraz

 

Pour parler de la femme dans le dialogue, il nous faut réfléchir sur divers aspects et chercher le lien entre eux. Qu'est-ce que le dialogue? et pourquoi la femme?

La littérature concernant le dialogue est abondante. Le mot arrive même à en être usé ; mais en réalité son sens demeure, celui de toujours selon l'étymologie: dia-logue= parole entre deux.... Tous les être humains cherchent à dialoguer pour se faire entendre, mais peu y parviennnent. Et cela, aussi bien au niveau interpersonnel qu'entre des groupes, peuples ou entités institutionnelles.

Elle est longue, l'histoire de la communication, depuis les premiers gestes de l'homme primitif, les cris instinctifs, jusqu'à la découverte des caractères de l'écriture qui, avec l'imprimerie, sont devenus de nos jours une source abondante et diversifiée d'information. L'informatique est aujourd'hui une science, mais la communication entre les personnes reste difficile.

Une véritable communication suppose un instrument adéquat pour transmettre ce que l'émetteur veut transmettre, et un récepteur capable de capter le contenu du message. Toute personne ou toute institution, tout peuple est un monde distinct qui ne sait pas toujours se faire connaître. Le recepteur, d'autre part, non seulement appartient souvent à un monde différent, mais bloque aussi, tout simplement, et cela pour mille raisons, sa capacité de réception. Alors, que savons-nous de l'autre?. Et dans quel but voulons-nous dialoguer avec lui?

Si, partant de telles prémisses, nous passons au dialogue interreligieux, nous constatons que les difficultés de communication s'accroissent. Nous nous trouvons face à des éléments philosophiques et culturels qu'il faudra dépasser pour arriver à une connaissance plus profonde. Nous découvrons aussi, avec la crainte de nous faire connaître, la peur de ne pas être compris, et finalement encore tous les obstacles qui se présentent dans un dialogue interpersonnel. C'est alors que la question se pose de savoir si la femme peut être un instrument de dialogue.

LA FEMME COMME INSTRUMENT DE DIALOGUE

- En tant que personne


La femme, dans sa réalité anthropologico-religieuse, est préparée à être un instrument de dialogue:

et cela avec l'homme d'abord, dans une situation d'égalité dans la différence. Le dialogue, en effet, n'est pas une élimination des différences, mais un respect de celles-ci; et cela justement permet un échange qui ne soit pas au détriment de l'identité de chacun. Sur ce fonds, le dialogue véritable est une unité dans la différence, que ce soit entre personnes, entre peuples ou entre religions. Justement parce qu'elle est différente de l'homme, l'identité de la femme lui permet d'apporter un complément à ce qui manque à celui-ci, et vice-versa. Le dialogue se noue toujours entre un Je et un Tu, comme le dit Buber. Selon l'anthropologie religieuse, femmes et hommes sont appelés à découvrir leur propre identité, et à se réaliser dans un don réciproque en relation avec Dieu, avec la nature, et avec le monde dans lequel ils vivent.

Si nous considérons la Genèse, nous y trouvons dès le commencement cette altérité, cette égalité dans la différence, qui se déduit des termes par lesquels sont désignés l'homme et la femme: Ish et Isha, la racine étant la même. Selon l'interprétation d'un philosophe juif, la femme est destinée à être Ezer, "compagne" de l'homme, et non Kenegdo, terme qui signifie "en face de quelqu'un", en sa présence, à son côté, dans une relation de réciprocité, mais qui peut aussi être pris dans le sens de quelqu'un ou de quelque chose qui "étant en face" de l'autre, le limite, lui offre une résistance et peut arriver à être contre lui, ou même un "adversaire". Cette dernière lecture de l'anthropologie biblique marque une opposition entre la femme et l'homme alors que, en réalité, tous les deux sont Adam (ce qui signifie l'humanité, l'être indifférencié qui inclut à la fois homme et femme); les deux, je le répète, sont médiateurs entre Dieu et l'Humanité. C'est alors que nous voyons surtout la femme comme "lieu de dialogue " dans sa relation à l'homme. Souvent, en effet, ce qui est "différent" peut devenir adverse, étranger, menaçant; mais pour qui a une vocation de dialogue, c'est le contraire: la différence est occasion d'ouverture et d'enrichissement.

De nos jours, malgré une relecture humanocentrique de la Genèse et de toute la Bible, il y a encore des hommes et des femmes qui se comportent selon des modèles ou schémas établis par une culture mettant avant tout l'homme en valeur. Selon de tels schémas, la femme devrait être tendre, délicate, joyeuse, serviable et complaisante, sensible, en un mot: "tout coeur", tandis que l'homme devrait réprimer ses émotions affectives, se montrer agressif, énergique, audacieux, décidé, c'est-à-dire "tout cerveau et muscles". En réalité, ces différences demeurent dans le domaine psychologique; elles peuvent se manifester chez les deux sexes et, de plus, elles sont susceptibles d'éducation, s'inscrivant dans l'existence individuelle de personnes qui sont destinées à construire une histoire commune. Comme l'affirme le texte de la CNBB de 1990: "Femme et homme. Image de Dieu", N. 149 - 150: "Pour atteindre à sa propre réalisation, personne ne peut transformer l'Autre en objet de pression ou d'usage. Seules doivent être acceptées les relations qui reconnaissent l'altérité et font grandir dans l'amour échangé par des personnes libres et responsables".

- Dans les relations sociales

"En nous demandant quelle est l'essence de la féminité, nous cherchons le fondement philosophique de la différence entre l'homme et la femme", dit le P. Ismael Quiles (SJ) dans son livre: Filosofia de lo feminino (Bs. As. 1978); et il ajoute: "Une fois précisée l'essence de la féminité et la dignité de la femme en tant que personne, nous pourrons parler de l'apport spécifique de la féminité aux problèmes de l'Egalité, du Développement et de la Paix (thème de l'Année internationale de la Femme)". Cette remarque nous fait passer d'une première dimension du dialogue, chez la femme, qui a lieu dans la complémentarité et la communication avec son égal dans la création (l'homme), à une autre dimension "celle où les liens se nouent entre groupes de personnes ou d'institutions, dans la société civile ou religieuse. L'aptitude à nouer de telles relations vient aussi de la nature "intégratrice" de la femme. De par sa constitution physique et psychologique, celle-ci est un "milieu de vie". Suivant la pensée philosophico-religieuse d'une théologienne de l'Uruguay, Maria Teresa Porcile, nous dirons que toute femme est susceptible d'être habitée, d'être porteuse de vie. Le sein de la femme est le lieu où est porté un enfant et un monde. C'est là le premier lieu communautaire où des êtres vivent ensemble dans une absolue altérité et interdépendance, se nourrissant l'un de l'autre. Lorsqu'elle accouche, la femme continue à être donneuse de vie, à l'extérieur, et là commence sa vocation sociale qui, parallèlement consiste à créer des espaces de vie là où ils n'existent pas, respectant les temps d'évolution et de croissance, nourrissant... procurant soins, protection, nourriture... luttant pour les droits de l'être humain..."

Le dialogue passe alors du plan personnel au plan social, en ce sens que la femme s'efforce, avec l'homme, de créer une ambiance qui soit source de vie non seulement pour leurs enfants, mais aussi pour la société où ils se trouvent intégrés. Ce travail de la femme s'inscrit davantage de nos jours dans l'histoire grâce au développement d'organismes et de lois qui favorisent la promotion féminine.

Le continent américain a fait de grands pas en ce sens, comme le prouvent les Congrès qui se sont tenus entre 1970 et 1980. Le Document préparatoire du 2e Congrès latino-américain des Femmes catholiques (24-28 août 1994), qui a eu lieu au Costa Rica (San José) et avait pour thème: La femme latino-américaine et la culture de la vie, s'exprime ainsi dans son introduction:

"Nous constatons que la présence croissante de la femme dans la société latino-américaine et dans la communauté internationale est un fait irréfutable. Cette présence est due autant à l'action des femmes elles-mêmes qui luttent pour l'égalité des droits et des chances, qu'à leur nécessaire insertion dans l'appareil de la productivité, dans les divers secteurs de l'économie, cela depuis la fin du siècle dernier. Cet effort de promotion de la femme a amené l'Eglise à reconnaître comme un signe des temps son entrée dans la vie publique et la conscience plus claire et agissante qu'elle a de sa dignité propre (cf. PT 41; DP 847)".

Le chapitre II signale, de plus, que l'on constate une réflexion croissante et la recherche de nouveaux modèles de relation respectant la dignité des femmes, cela non seulement chez celles-ci, mais aussi chez un nombre toujours plus grand d'hommes. Le N. 12 dit:

"On observe une augmentation de la participation de la femme en certains domaines de la vie latino-américaine: Dans l'économie, un grand nombre de femmes sont engagées dans le système de production ou dans la direction d'entreprises ou d'organismes financiers; Dans la culture, on remarque une plus grande ouverture à la question de l'identité dans la relation homme-femme; Dans la politique, on constate des efforts pour arriver à un plus haut niveau de représentation".

Au N. 13, nous lisons:
"Spécialement dans les secteurs populaires, la femme réagit, avant même le conflit, à la crise ou à la violence... par des alternatives collectives et solidaires; et à partir d'un peuple organisé, elles promeuvent une culture de paix dans la solidarité".

et N. 20
"Beaucoup de femmes latino-américaines travaillent à la défense de la vie dans un monde pessimiste et dominé en grande partie par la culture de la mort".

Voilà quelques-uns des commentaires faits par le document du CELAM (Conférence des évêques latino-américains), qui mettent en relief "les lumières et les ombres" en ce qui touche la vie de l'Eglise et la participation de la femme à l'évangélisation.

Citons aussi un autre texte, écrit par une carmélite, Sr Freitas, membre du groupe des théologiens latino-américains, parlant ainsi du rôle joué par les femmes dans la société:

"Les femmes ne veulent pas être spectatrices des changements qui se font dans le monde actuel... En ce sens, on connaît le rôle social qu'ont joué les femmes (surtout collectivement) en Amérique latine et aux Caraïbes durant ces dernières décades et, d'une façon plus constante et organisée, dans les années 80. Certains groupes comme celui des Mères de la place de Mai en Argentine, des "Comadres" au Salvador, la mise en lumière de l'action de Rigoberta Manchu pour la défense des peuples indigènes de la région centre-américaine...ne sont que quelques exemples des expériences communautaires menées par des femmes, et de leur action dans des situations touchant au respect de la vie et des droits humains fondamentaux".

Ces deux documents montrent ce qu'est l'apport de la femme, selon son génie propre, tant à la société qu'à l'Eglise dans ce qui lui est spécifique. Nous pouvons qualifier ce génie non seulement de "créativité", mais aussi de "capacité d'établir des ponts". C'est sous cette forme que se manifeste la dimension "dialogale" chez la femme, thème qui nous intéresse ici. Celle-ci exerce cette sorte de "leadership" dans l'Eglise catholique, et aussi dans l'ensemble des Eglises chrétiennes. Les congrès oecuméniques et de rencontre entre juifs et chrétiens manifestent, en cette fin de siècle, les mêmes préoccupations et les mêmes espérances. Je voudrais citer ici l'organisme intitulé UMOFC (Union mondiale d'organistions féminines catholiques) qui a organisé diverses rencontres en Amérique latine et y a découvert un leadership qui a semé dans l'ensemble du continent le sens de la promotion de la femme, ceci grâce à des groupes créés en différents pays et poursuivant leur but en communion avec l'Eglise catholique. Je voudrais nommer aussi Mme Elena Cumella, avec laquelle j'ai eu le plaisir de participer à quelques-unes des réunions mentionnées ci-dessus, à Bogota, à Panama, en Argentine, réunions auxquelles participaient des femmes catholiques, protestantes et juives. Nous savons que l'UMOFC, aujourd'hui en d'autres mains, continue selon le même esprit.

Quel est finalement le but du dialogue interreligieux qui cherche, entre autres, à améliorer la situation de l'humanité sur la terre, mais sans perdre sa finalité ultime? Je le résumerai ainsi:

C'est en allant à la rencontre de qui a besoin d'aide, en travaillant à l'amélioration de la santé, à l'éradication de la pauvreté, en ayant le souci de l'éducation, développant les potentialités de chaque peuple, faisant ensemble une réflexion sur l'athéisme, le matérialisme, l'intolérance et le fanatisme que nous concrétiserons les visions messianiques, afin qu'adviennent enfin, comme le dit Isaïe (11,6), les jours où "le loup habitera avec l'agneau, la panthère se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau paîtront ensemble sous la conduite d'un petit garçon..."

Pour compléter cette réflexion sur la contribution de la femme au dialogue, à la promotion humaine et à la paix en Amérique latine, il faut ajouter que, dans le champ catholique de ces efforts, on rencontre toujours la figure de cette "femme par excellence" que fut Marie, la mère de Jésus. Son chant du Magnificat est sur lèvres de toutes les femmes, tant du peuple que des milieux cultivés, qui cherchent à vivre un "leadership" féminin, à traduire un savoir existentiel des plus précieux. En réalité les chants sont, comme on l'a écrit, "la mémoire festive et célébrante de l'intervention miséricordieuse de Dieu en faveur du peuple souffrant", une intervention qui est toujours génératrice de vie. Marie, comme toutes les femmes de la Bible, montre un chemin de vie. Elle est bien consciente de la recommandation du Deutéronome (30,15): "Choisis la vie!". Dans son Exhortation apostolique sur le culte marial (22.3.1974, N. 37), le Pape Paul VI parle du "consentement actif et libre" de celle-ci à "l'événement du siècle" (c.à.d. l'incarnation du Verbe) comme d'un "choix courageux", et non passif, pour son peuple, celui d'une "femme forte", d'une femme d'action qui "favorise la foi de la communauté".... et il la propose comme modèle à tous ceux et celles qui veulent "seconder, par esprit évangélique, les forces de libération contenues dans l'être humain et dans la société".

De par leurs dons spécifiques, les femmes sont appelées, dans le dialogue, à révéler le visage maternel de Dieu, contribuant, de leur manière féminine, à "l'amélioration du monde": soutenant des projets de vie, résistant aux mécanismes de mort, prenant des initiatives courageuses pour favoriser la vie. Tel est, me semble-t-il, leur rôle essentiel.

BIBLIOGRAPHIE

"La mujer en la Iglesia y la Cultura Latinoamericana", (Séminaire latino-américain de Bogota, Colombia,24-26 avril 92).

2e Congrès latino-américain de femmes catholiques, (Séminaire latino-américain de San José, Costa Rica, 24-28.8.94).

Séminaire-atelier sur la Femme, CAR et CONFER, (Buenos Aires, 18-20 févr. 1993).

Séminaire-atelier: "La Femme", CLAR région Sud, (21-25 nov. 1992, inform. du Chili, Brésil, Uruguay, Paraguay et d'Argentine).

Las mujeres y Maria, Mary O'Driscoll, OP.

"La identidad de la mujer en el mundo actual"
(Conférence de M.Teresa Porcile Santiso au Chapitre général des soeurs de N.Dame de Sion, juillet 1992).

Filosofia de lo feminino, P. Ismael Quiles, SJ.

La mujer en la Iglesia, Hna. Silvia Arce Moya, RBP.

Conferencias sobre el Dialogo interreligioso, Hna, M.L. Ferraz.


* Sr Margarida Lopes Ferraz, N.D.de Sion, a fondé en 1979 à Buenos Aires un Centre d'études bibliques, comme base pour un dialogue entre juifs et chrétiens. Pendant 23 ans, elle a été très active dans ce dialogue spécifique comme dans l'oecuménisme. Elle a reçu, en 1994, le Prix des "Droits de l'homme" conféré par les B'nai Brith d'Argentine, en reconnaissance de son action méritoire pour le dialogue interreligieux et pour la promotion des Droits humains. Après des années d'un travail fructueux en Argentine, elle vient de retourner au Brésil, son pays d'origine; et c'est à Rio de Janeiro que pourront rayonner maintenant sa conviction en l'importance du dialogue et son don exceptionnel de relation. - Cet article est traduit de l'espagnol.

 

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