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L'Eglise face au racisme
Commission Pontificale Justice et Paix
Saint-Siège (1988/11/03)
Le 22 février 1989, au cours d'une conférence de presse, le Cardinal R. Etchegaray et Mgr J. Mejia, respectivement Président et Vice-président de la Commission pontificale "Justice et Paix", présentaient un document de l'Eglise catholique, daté du 3.11.1988 et intitulé: "L'Eglise face au racisme: Pour une société plus fraternelle". Ce texte d'une quarantaine de pages, subdivisées en 4 parties et 33 paragraphes, a été écrit à la requête du Pape Jean Paul II, et il vise à "éclairer et stimuler les consciences" sur un point essentiel: "le respect mutuel des groupes ethniques et raciaux, et leur convivence fraternelle"; il affirme avec force que "nourrir des pensées et entretenir des attitudes racistes est un péché qui va contre le message spécifique du Christ."
La première partie examine "les comportements racistes au cours de l'histoire", particulièrement à partir de la découverte de l'Amérique. Nous neciterons ici que les passages relatifs au peuple juif:
2... "Le peuple hébreu, comme en témoignentles Livres de l'Ancien Testament, avait pris conscience, à un degré unique, de l'amour de Dieu pour lui; en ce sens, objet de l'élection et de la promesse, il était à part des autres peuples. Mais le critère de la distinction était le dessein de salut que Dieu déploie dans l'histoire. Israel était considéré commela part personnelle du Seigneur parmi tous les peuples.' La place des autres peuples dans l'histoire du salut n'était pas toujours bien perçue, au début, et ces peuples étaient même parfois stigmatisés dans la prédication prophétique dans la mesure où ils restaient attachés à l'idolâtrie. Mais ils n'étaient l'objet ni d'une dépréciation ni d'une malédiction divine pour leur différence ethnique. Le critère de la distinction était religieux. Et un certain universalisme était entrevu."
7... "On sait que le para ttotalitaire national-socialiste érigea l'idéologie raciste en fondement de son programme dément, visant à l'élimination physique de ceux qu'il jugeait appartenir à des «races inférieures». Ce parti se rendit responsable de l'un des plus grands génocides de l'histoire. Cette folie meurtrière a frappé en premier lieu le peuple juif, dans des proportions inouïes, ainsi que d'autres peuples, comme les Gitans et les Tsiganes, ou encore des catégories de la population comme les personnes handicapées ou les malades mentaux. Du racisme à l'eugénisme, il n'y avait qu'un pas, qui fut vite franchi.
L'Eglise n'a pas manqué d'élever la voix.2 Le Pape Pie XI condamna avec netteté les doctrines nazies dans son encyclique Mit brennender Sorge, en déclarant notamment: «Quiconque prend la race, ou le peuple ou l'Etat... ou toute autre valeur fondamentale de la communauté humaine... pour les retirer de (leur) échelle de valeurs... et les divinise par un culte idolâtrique, celui-là renverse et fausse l'ordre des choses créé et établi par Dieu».3 Le 13 avril 1938, le Pape faisait adresser par la Sacrée Congrégation pour les Séminaires et Universités à tous les recteurs et doyens de Facultés une lettre enjoignant à tous les professeurs de théologie de réfuter, avec la méthode propre à chaque discipline, les pseudo-vérités scientifiques au moyen desquelles le nazisme justifiait son idéologie raciste? Pie XI était en train de préparer, dès 1937, une autre grande encyclique sur l'unité du genre humain, qui devait condamner le racisme et l'antisémitisme. La mort le surprit avant qu'il pût la rendre publique. Son successeur, le Pape Pie XII, en reprit quelques éléments dans sa première encyclique Summi Pontificatus,5 et surtout dans le Message de Noël 1942, où il affirmait que parmi les postulats erronés des positivismes juridiques «il faut compter une théorie qui revendique pour telle nation, telle race, telle classe, l'instinct juridique, impératif suprême et norme sans appel». Et le Pape de lancer un appel vibrant pour un ordre social nouveau et meilleur: «Cet engagement, l'humanité le doit à des centaines de milliers de personnes qui, sans la moindre faute de leur part, mais simplement parce qu'elles appartiennent à telle race ou à telle nationalité, sont vouées à la mort ou à un dépérissement progressif» .8 En Allemagne même, il y eut alors une résistance courageuse du catholicisme dont le Pape Jean-Paul Il s'est fait l'écho le 30 avril 1987,7 lors de son second voyage en ce pays.
Cette insistance sur le drame du racisme nazi ne doit pas faire oublier d'autres exterminations massives de populations, comme celle des Arméniens au lendemain de la première guerre mondiale et, plus récemment, pour des raisons idéologiques, celle d'une partie importante du peuple cambodgien.
La mémoire des crimes ainsi commis ne doit jamais s'effacer: les jeunes générations et celles à venir doivent savoir à quelles extrémités l'homme et la société sont capables d'en venir lorsqu'ils cèdent au pouvoir du mépris et de la haine.
Il existe en Asie et en Afrique des sociétés où règne encore une très nette division des castes ainsi que des stratifications sociales difficiles à surmonter. Le phénomène de l'esclavage, qui était autrefois assez universel dans le temps et dans l'espace, n'est malheureusement pas entièrement effacé. Ces manifestations négatives, et bien d'autres encore que l'on pourrait énumérer, ne ressortissent pas toujours à des conceptions philosophiques racistes au sens propre du mot, mais révèlent tout de même l'existence d'une tendance assez répandue et inquiétante à asservir d'autres créatures humaines pour ses propres fins et, par là, à les considérer de ce fait de moindre valeur et, pour ainsi dire, d'une catégorie inférieure."
La II` partie, intitulée: "Les formes de racisme aujourd'hui, décrit divers comportements racistes courants dans le monde actuel. Le paragr. 15 affirme:
"Parmi les manifestations de méfiance raciale systématique, il faut revenir explicitement ici sur l'antisémitisme. S'il a été la forme la plus tragique que l'idéologie raciste ait revêtue en notre siècle, avec les horreurs de l'«holocauste» juif,8 il n'a malheureusement pas encore entièrement disparu. Comme si certains ne devaient rien apprendre des crimes du passé, certaines organisations entretiennent, de par leurs ramifications dans un grand nombre de pays, le mythe raciste antisémite, avec le soutien de réseaux de publications. Les actions terroristes qui ont pour cible des personnes et des symboles du judaïsme se sont multipliées ces dernières années et montrent le radicalisme de ces groupes. L'antisionisme — qui n'est pas du même ordre puisqu'il est une contestation de l'Etat d'Israël et de sa politique— sert parfois de paravent à l'antisémitisme, s'en nourrit et l'entraîne. Par ailleurs, certains pays opposent des tracasseries indues et des restrictions à une libre émigration des juifs."
Dans la IIIe partie: "La dignité de toute race et l'unité du genre humain: vision chrétienne", nous lisons au paragr. 20:
"En effet, la Révélation insiste tout autant sur l'unité de la famille humaine: tous les hommes créés en Dieu ont même origine; quelle que soit, dans le cours de l'histoire, leur dispersion ou I 'accentuation de leurs différences, ils sont destinés à former une seule famille, selon le dessein de Dieu établi «au commencement». Dans le premier homme, c'est l'unité de tout le genre humain, présent et avenir, qui est typologiquement affirmée. Adam—de adama, la terre—est un singulier collectif. C'est l'espàce humaine qui est «image de Dieu». Eve, la première femme, est appelée «la mère de tout vivant»;8 du premier couple «est née la race des hommes»;10 tous sont de la «famille d'Adam».I I Saint Paul déclarera aux Athéniens: «D'un principe unique Dieu a fait le genre humain pour qu'il habite sur toute la face de la terre», de sorte que tous peuvent dire avec le poète qu'ils sont de «la race» même de Dieu»
L'élection du peuple juif ne contredit pas cet universalisme: il s'agit d'une pédagogie divine qui veut assurer la préservation et le développement de la foi en l'Eternel, qui est unique et qui est à l'origine des responsabilités découlant de la foi. Si R peuple d'Israël a pris conscience d'avoir des relations privilégiées avec Dieu, il a aussi affirmé qu'il y a une alliance de tout le genre humain avec lui13 et que, dans l'Alliance même conclue avec lui, tous les peuples sont appelés au salut: «En toi, seront bénies toutes les nations de la terre» déclare Dieu à Abraham."14
Mettant en relief la vocation de l'Eglise qui est de "réaliser l'unité du genre humain", le document reconnaît en même temps les péchés et les faiblesses de ses membres (cf. paragr. 22, et aussi 25 et 33). A la fin de cette Ille partie, sont notées les conséquences morales de la doctrine chrétienne, que l'on peut résumer par trois mots-clés: "respect des différences, fraternité, solidarité".
La IVe partie traite de la "Contribution des chrétiens pour la promotion, avec les autres, de la fraternité et de la solidarité entre les races". Reconnaissant que le préjugé racial ne peut être déraciné que par une conversion du coeur, elle appelle à "fortifier les convictions spirituelles concernant le respect d'autrui". En cela, le rôle des pasteurs et des éducateurs est fondamental; mais il ne suffit pas d'exposer la doctrine: il faut aussi "défendre les victimes du racisme", lutter pour les droits et la dignité des opprimés. Le rôle de l'école dans la formation des jeunes au respect et à l'estime des différences est souligné; le rôle des Etats aussi, pour la protection des minorités, celui de l'O.N.U. et du St Siège au niveau international, celui enfin des diverses communautés chrétiennes (le document cite en particulier le rôle des Comités épiscopaux aux U.S.A. et en Afrique du Sud).
Les catholiques sont appelés à travailler avec les autres, à changer les mentalités racistes, "y compris à l'intérieur de leurs propres communautés".
1. CI Ex 19,5 (ou -le bien propre«. traduction Bible de Jérusalem).
2. Le 25 mars 1928, un décret du Saint-Office condamne l'antisémitisme: AAS XX (1928), 03-104.
3. MS XXIX (1937), 149.
4. Cf. Documentation Catholique (cité DC) 1938, 579-580. Dans un discours aux membres du Collège de Propaganda Fide, le 28 juillet 1938, Pie XI disait encore: «Catholique veut dire universel, non raciste, non nationaliste, au sens séparatiste de ces deux attributs... Nous ne voulons rien séparer dans la famille humaine... L'expression "genre humain' révèle précisément la race humaine. On doit dire que les hommes sont avant tout un grand et seul genre, une grande et seule famille d'êtres vivants... Il existe une seule race humaine universelle "catholique'... et avec elle et en elle, des variations diverses... Voilà la réponse de l'Eglise», cf. DC 1938, 1058-1061.
5. Cf. Encyclique Summi Pontiticatus, 28-10-1939, AAS XXXI (1939), 481-509.
6. Radio message de Noël 1942, AAS XXXV (1943), 14; 23.
7. Devant les évêques de la Conférence épiscopale réunis à la Maternushaus de l'archidiocèse de Cologne, Jean-Paul Il a relevé le témoignage du Cardinal-Comte Clemens August von Geler, de la carmélite Edith Stein, du jésuite Rupert Mayer et «d'innombrables autres témoins courageux qui, face à cette tyrannie inhumaine, se sont élevés contre l'arbitraire athée et l'injustice, par conviction religieuse ou au nom de l'humanité... Eux tous représentent ensemble l'autre Allemagne, celle qui da pas ployé sous l'usurpation brutale et la force et qui, après l'effondrement définitif, a pu constituer le noyau sain et la source d'énergie pour la remarquable reconstruction morale et matérielle qui devait suivre•, cf. DC 1987, 567.
8. Cf. discours de Jean-Paul Il lors de sa visite à la Synagogue de Rome, le 13 avril 1986, in DC 1986, 437.
9. Gn 320.
10. Tb 8,6.
11. Cf. Gn 5,1.
12. Cf. Ac 17,26. 28. 29.
13. Cf. Gn 9,1 ss.
14. Gn 12,3; Ac 3,25.